Ne te tais pas et Creuse!

Publié le 6 Novembre 2015

Ne te tais pas et Creuse!

Une interview dans LE POPULAIRE à l'occasion du concert de la semaine prochaine à Guéret dans la CREUSE:

http://www.lepopulaire.fr/limousin/actualite/departement/creuse/2015/11/06/jean-louis-murat-chanteur-paysan-nous-rappelle-au-pays_11653385.html

Dans son dernier album, Babel, Jean-Louis Murat chante ce pays où il est né, où il a grandi, où il courait les champs entre Murat-le-Quaire et la vallée des merveilles du Vendeix, ce temps d'une paysannerie de légende, qui disparaît avec ses derniers représentants, ses dernières coutumes, ses dernières joies et les souvenirs du jeune Murat. Le poète auvergnat nous rappelle au pays et sera en concert à Guéret vendredi prochain. Interview.

Vous venez jouer en Creuse, pas si loin de votre Auvergne. Vous connaissez un peu ?

Oh oui, je connais toute la France, je connais tous les départements. Ca fait 25 ans que je tourne deux fois par an, c'est moi qui conduis tous le temps, je connais tous les coins. La Creuse je connais impeccablement bien. Le nombre de fois où je m'arrête là-bas, par chez vous, ça fait un peu plus long pour revenir à la maison puis bon.. Je suis un prof de géographie contrarié moi !

Cet album, Babel, où vous parlez de cette ruralité qui disparaît, de cette paysannerie que vous avez connue enfant, vous auriez d'ailleurs pu l'écrire en Creuse...

Tout à fait, c'est pareil. Je sais bien, c'est partout pareil. Si on parle avec des Africains, ils vous disent c'est la même chose chez eux, si vous parlez avec des Chinois, ils vous disent c'est la même chose chez eux, même en Russie... Je veux dire il y a une façon de vivre qui a été complètement effacée en assez p
eu de temps.

Dans Babel, vous parlez de la mort, de la vie, de l'enfance, la vôtre en l'occurrence, à Murat-le-Quaire et ses environs, de la nature, de la ruralité qui disparaissent ...

J'ai écrit beaucoup de chansons sur ces thèmes. Évidemment, ici, je suis au premier rang pour voir la disparition de ce que j'ai connu et ça va très, très vite. Ce qui disparaît, je dirais plus que c'est le caractère des vieux paysans, je connais plein de vieux paysans qui disparaissent un à un. C'est à cette époque que c'était vraiment intéressant. Les jeunes paysans sont aussi cons que des cadres parisiens maintenant alors qu'avant... Je suis né dans ce milieu là et j'ai eu l'occasion de côtoyer ces gens, je me rends bien compte de la déperdition, du caractère, des comportements, de la façon d'être, de la façon de se comporter. On a fait une sorte d'homo-couillon campagnard, c'est tous à peu près les mêmes, les jeunes paysans c'est la catastrophe. La jeune paysannerie c'est carrément le phylloxéra...

Vous êtes nostalgique de cette vie qui disparaît des campagnes ?

Nostalgique, je sais pas, je fais plutôt des comparaisons. Je connais maintenant des fils de paysans ou des gens qui auraient pu rester paysans et qui sont là, à traiter leur obésité ou je sais pas quoi dans des HLM à Clermont-Ferrand, à avoir des boulots à la con à la Sécurité sociale. Je vois qu'ils ont quitté des bâtiments, des bâtiments qui sont en train de s'effondrer, ils étaient sur des terres où d'un seul coup les arbres envahissent les prairies. Quand je les vois, eux-aussi en conviennent, s'ils étaient restés sur place, ils auraient eu la possibilité d'avoir une autre vie d'une autre qualité, élever leurs enfants, conserver ce rapport avec les animaux mais tout ça, c'est en train de disparaître. Que les choses disparaissent en elles-mêmes ce n'est pas tant le problème, le problème c'est ce qui les remplace et il n'y a rien qui remplace ça. La qualité d'une vie de paysan en Auvergne, il n'y a aucun autre job qui remplace ça, à part faire le chanteur paysan un peu comme moi... Je veux dire que c'est une variété de comportements qui disparaît. Ils ont annoncé ça dans la presse : en 40 ans, disparition de 50 % des espèces sur Terre... tout confondu, des batraciens, des coléoptères et je pense qu'on peut facilement filer l'analogie avec des comportements humains. Je pense que s'il y a 50 % des espèces animales qui ont disparu, il y a aussi 50 % des comportements dans l'espèce humaine qui ont disparu.

Vous dites dans une interview que faire ce disque, c'est un peu refaire ce lien que votre père avait rompu en quittant la campagne pour la ville, en reniant sa culture rurale... C'est une mémoire que vous souhaitez transmettre, à vos enfants par exemple ?

Oui j'essaie de les garder sur place, mais il y a d'autres tentation. Mon père est parti à la ville, un vrai citadin, un vrai versaillais avec sa boite, son truc, son machin. On aurait pu se dire qu'il s'est fait une autre vie, qu'il s'est trouvé d'autres satisfactions. Non, non. Mon père est mort comme ils meurent tous, en per­dant un peu la tête et il ne parlait plus que de ça, des bêtes à rentrer, à changer de pré, des clôtures à faire, des vaches à traire. Le mec, à 80 balais il ne parlait que de ça, les infirmières à Versailles, elles comprenaient rien. Dans sa mémoire tout s’était effacé, la dernière chose qui surnageait dans son esprit, c’était sa vie paysanne. Tout le reste était laminé, tout le reste n’avait pas la saveur que pouvait avoir cette chose-là. Ça fait réfléchir….

Vous avez enregistré avec The Delano Orchestra, un combo folk-rock clermontois. C'était un hasard de faire un produit 100 % produit local auvergnat ou un réel parti pris?

Pourquoi pas. C'est le hasard qui a fait les choses mais pourquoi aller se faire chier avec des musiciens parisiens qui sont en général archi-nuls ? J'ai failli bosser avec des Anglais, des Américains ou alors des nullards de Paris, autant travailler avec des provinciaux, puis comme je suis ami avec eux, on a tenté le coup, c'était rigolo... On reste très amis, on se voit, on se téléphone, on bosse même ensemble sur des projets.

Qu'est ce qui vous a plu chez eux ?

Humainement, ils sont bien, ils ne sont pas sophistiqués, c'est des mecs assez simples, assez francs du collier, il n'y a pas de problème relationnel particulier avec eux, ils ont un bon sens professionnel aussi, quand ils bossent ils bossent et à coté, ils font pas chier, ils n'ont pas d’ego surdimensionné, ils ont des égos de province, ça c'est quand même agréable par rapport aux égos parisiens ou des grandes villes comme à Lyon ou à Marseille. On peut pas bosser avec ces gens là-bas. Eux, ils ont une certaine simplicité de comportement, ils se prennent pas pour des phœnix, ils ne se prennent pas pour des génies. J'ai beaucoup aimé.

C'est d'ailleurs Matt Low (Matthieu Lopez, guitariste sur Babel) qui joue en première partie de votre tournée.

Oui, j'ai fait ses textes, j'ai bossé avec Morgane (Imbeaud) aussi, avec Alex (Rochon). Sur le prochain album, je bosse avec Guillaume (Bongiraud), Julien (Quinet) aussi. Christophe (Pie), j'ai travaillé pendant 20 ans avec lui, on est tous très proches.

Julie Ho Hoa


Concert : vendredi 13 novembre à 21 heures à l'espace André-Lejeune à Guéret. De 3,20 à 21,50 euros, réservations auprès de
La Fabrique au 05.55.52.84.94.

Rédigé par Pierrot

Publié dans #actus Babel (de oct 2014...)

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L
C'est honnête et clair, j'aime beaucoup !!!
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M
Sympa, l'interview. Je suis assez d'accord avec ce que dit JLM de la paysannerie, sauf que dans les vieux paysans, y a aussi son lot de gredins. Et chez les jeunes, ceux qu'on appelle les néo-ruraux et qui reprennent justement la façon de cultiver et élever à l'ancienne, refusent pesticides et engrais, mettent en place des AOP, y a pas mal de gens très bien et qui ont un sacré cran puisqu'ils refusent la plupart du temps les complicités industrielles avec la FNSEA et consorts. La disparition paysanne a été voulue et orchestrée par le monde industriel dès la première guerre mondiale. Justement pour imposer le monde industriel en lieu et place de la paysannerie. En le diminuant encore plus à la seconde guerre mondiale, puis en le mettant sous dépendance industrielle (pesticides, machines, engrais, semences), l'industrie peut dominer entièrement l'environnement, contrôler les terres, les laisser pourrir. Maintenant, faut dire aussi que beaucoup de paysans ont laissé faire, n'ont pas su percevoir l'entourloupe, ont été relativement soumis comme ils l'étaient sous l'Ancien Régime vis à vis des seigneurs et du pouvoir royal. Parce que c'était plus facile...Et que c'est toujours plus facile de laisser couler sans se battre vraiment. Pour avoir le tracteur dernier cri dont ils n'ont pas besoin et qui coûte un bras, pour surproduire du lait en prenant des prim holstein qui font du lait dégueu, combien mettent leur honneur dans leur poche? Beaucoup trop...Et quand ils payent par un double ou triple cancer lié aux pesticides, par une cata sur l'exploitation, là, d'un coup, y a une prise de conscience. Mais il est souvent trop tard...Pour remettre un peu d'esprit de lutte et de rébellion, de conscience, faudra peut-être justement l'aide des indiens, des africains qui ont moins cédé aux sirènes industrielles. Coline Serreau le montrait déjà dans son documentaire sur ce sujet. Et à mon avis, c'est juste le début.
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A
C'est pas ce soir, c'est vendredi prochain... vendredi 13! Merci tout de même pour l'interview Pierrot!
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