Interview sur RFI: "l'autre Jean-Louis Murat"

Publié le 23 Mai 2016

Interview sur RFI: "l'autre Jean-Louis Murat"

Allons bon... On n'en a pas assez d'un et de sa personnalité complexe, il faut encore que RFI nous propose de découvrir un "autre Jean-Louis Murat". Non pas le "JLM 2017" dont je vois des affiches un peu partout (ah, il aurait fallu déposer le sigle!)... encore un autre...

Interview sur RFI: "l'autre Jean-Louis Murat"

1) RFI:

"L'autre Jean-Louis Murat

Nouvel album, Morituri

À chaque nouvel album, il suit un fil ten(d)u entre la musique américaine et la chanson française. Pour Morituri, Jean-Louis Murat s'est fait le chroniqueur d'une année 2015 ensanglantée au cours de laquelle il n'a cessé de prendre des notes. Loin de sa provocation d'usage, qui crée avec les médias un rapport amour/haine, c'est un tout autre Murat qui nous a parlé de son essence musicale. Un homme tranché, certes, mais ô combien cultivé et passionné…

RFI Musique : Morituri est un disque portant sur votre année 2015…
Jean-Louis Murat : C'est surtout un disque sur l'année de la France, qui débute avec les attentats de Charlie Hebdo. Moi, j'étais en répétitions et en tournée jusqu'au mois de mai. J'ai écrit des chansons l'été et je suis reparti sur scène à l'automne. Il y a eu les attentats du 13 novembre et j'ai enregistré l'album à Paris un mois après. Durant toute cette année, j'ai pris des notes pour faire un disque qui correspond à l'état d'esprit et à l'ambiance de
2015.

Après les attentats de janvier qui ont touché le journal Charlie Hebdo, vous ne vous êtes pas senti "Charlie"...
Les réactions un peu moutonnières, il faut toujours s'en méfier. C'est presque de notre responsabilité de démocrates ou de républicains. Un vrai républicain, ça réfléchit avant de s'embarquer dans des slogans ! Ce que je veux dire, c'est que le problème me semblait beaucoup plus grave et que sa résolution ne passait pas par le fait de descendre dans la rue. Je n'ai toujours pas compris ce que ça voulait dire d'ailleurs, "être Charlie", m'enfin...J'ai une vocation d'historien suffisamment rentrée pour savoir que tous ces événements doivent être resitués dans un contexte, qu'il faut prendre pas mal de recul pour bien les comprendre. Alors, une réaction directe, strictement émotionnelle, j'y crois moyennemen
t !

"Une vocation d'historien suffisamment rentrée", qu'entendez-vous par là ?
Je n'ai jamais été historien, je n'ai pas fait d'études. Mais je sais bien que cela transparaît dans beaucoup de propos ou dans mes chansons. J'aime tellement l'Histoire qu'à force, j'ai acquis des réflexes et un fond d'historien. Je ne raisonne jamais à chaud. Quand je prenais des notes, je me disais que dans 30 ans, 40 ans ou 50 ans, il y aurait peut-être deux/trois phrases dans mon album qui seraient importantes pour quelqu'un qui se pencherait sur l'année 2
015.

C'est-à-dire que vous vous voyez en chroniqueur de votre époque, comme pouvaient l'être les premiers historiens dans la Grèce Antique ?
Oui, tout à fait. J'ai toujours senti mon métier comme ça ! Avec des petits formats de 3-4 minutes, je pense qu'on saisit bien l'esprit du temps. J'ai toujours aimé les chanteurs presque historiques comme François Béranger, dont j'ai repris les textes. Je sais très bien que le réel s'engouffre à sa façon dans les petites chansons. Je m'en fous si mon disque ne se vend pas et si certains le trouvent prétentieux, je n'ai pas l'impression d'écrire pour le présent. Pour moi, c'est un travail à visée haute, je me sens très citoyen et très heureux d'avoir fait un disque qui témoigne "du fond de l'ère".

Dans vos textes, il y a ces allers et retours permanents entre le milieu paysan et un monde plus vaste. Comment passe-t-on des notes que vous prenez à vos chansons ?
Je pense que je tiens depuis mes premières chansons, la chronique d'une personne issue d'un monde qui est en train de disparaître et qui n'arrive pas s'intégrer dans le monde en train d'apparaître. Il y a un monde citadin, technologique, qui apparaît, un monde rural, plus manuel et de bon sens, qui disparaît, et des points de friction entre les deux.
Par les hasards de la naissance, je me suis retrouvé pris entre ces deux fronts, comme ces chevaux à Verdun qui devenaient fous parce que les Allemands et les Français leur tiraient dessus. Je trimballe une mélancolie de ce que j'ai connu enfant, à la campagne, et dans ce que je connais maintenant, j'ai beaucoup de mal à m'y faire. Alors, je reste dans un état suspendu, entre le présent et le passé. Et j'essaye de m'en sortir comme cela. Je ne sais pas où je suis, je ne sais pas où me mettre. C'est pour cela qu'il y a beaucoup d'énervements, d'incompréhensions ou de détestations à mon sujet.

Ce qui ressort aussi de Morituri, c'est un groove moite, comme dans la soul d'Isaac Hayes. Est-ce dans ces musiq
ues que vous êtes allé chercher ?

Depuis l'enfance, je me suis fait un fond musical qui passe par là, oui… Ce que j'aime, c'est la soul des années 60-70. Je n'aime pas trop quand cela tourne après, dans les années 70, en musique d'ascenseur. J'aime la soul quand elle est douce, suave, qu'elle n'effraie pas l'auditeur et qu'elle fait passer des messages importants. Mes amis connaissent mes détestations : si une musique ne groove pas, je-ne-peux-pas ! La révélation, à l'adolescence, a été de me rendre compte qu'il y avait quelque chose qui groovait. La soul, le blues, et toutes les définitions à tiroirs qu'il peut y avoir sur les musiques américaines, ça me va parfaitement. Tout ce que je suis, tout ce que je pense, pousse sur ce terreau.

C'est la musique noire que vous aimez ou plutôt toute cette période de la fin des années 60 ou du début des années 70 ?
J'ai une assez bonne collection de 45 tours et d'albums de cette époque-là, en vinyle, et les 9/10e, c'est de la musique noire. J'aime les Stones quand ils font de la musique noire, mais je ne suis pas du tout tourné vers les Anglais. Je n'ai pas un seul disque des Beatles et je m'en fous un peu… Les chanteurs blancs de country, ce n'est pas mon truc non plus ! Pourtant, j'ai déjà enregistré à Nashville et j'ai chanté dans des radios country américaines. Mais j'aime bien Ray Charles ou Otis Redding quand ils reprennent des thèmes de country. La dimension de danse ou de frénésie me touche, on voit presque Éros et Dionysos à l'action. C'est ce que je préfère, ce que j'essaie de faire et c'est ce qui, globalement, n'est pas compris. Parce que c'est difficile d'aimer cette musique-là, d'aimer la langue française et de faire un mariage efficace avec les deux. Mais bon, je m'accroche à ce pari presque impossible dans la chanson française : mélanger Villon, Rimbaud à Robert Johnson ou à Gil
Scott-Heron".

2) Bon, "cette autre Jean-Louis Murat", ça sera pour une autre fois... à moins que... à moins que ce soit celui qui pour le Parisien a collaboré avec Alain Chamfort pour le dernier album de ce dernier? Un Jean-Louis Murat imaginaire?

"Le protégé de Claude François, figure majeure de la variété française donne un concert le vendredi 3 juin dans la ville de Drancy. Le chanteur de « Manureva » présentera son nouvel album né de la collaboration avec plusieurs artistes comme Miossec, Jean-Louis Murat ou Abd al Malik".

Non, ne sautez pas sur vos chaises.... Murat ne rêva point de Manureva je le crois... Il s'agit d'une erreur ou comment comprendre de travers la phrase suivante: "Cet album éponyme sera le premier issu de la nouvelle collaboration entre l’artiste & l’entité de développement du catalogue local de [pias] France : le label (Miossec, Jean-Louis Murat, Abd Al Malik, Florent Marchet, Baxter Dury, Melanie de Biasio …)". Ai-je été clair? C'est juste une brève de 18h17... une brève un peu longue certes.

3) Bon, il y a d'autres sites qui ne s'embêtent pas à trouver des titres à la noix. Genre : LE DEVOIR, au Québec: "JEAN-LOUIS MURAT, MORITURI", et je crois qu'on peut leur reconnaitre une certaine précision.... mais uniquement dans le titre: la chronique frise le laconisme...voir le survol et la fausse route:

"Ceux qui vont mourir. Titre pas drôle d’un album plutôt léger dans le ton. Seule issue pour Jean-Louis Murat : on est tellement dans l’horreur ambiante que la tristesse n’a plus cours. Autant ironiser. Férocement. Sur des airs qui se fredonnent. Dans Tous mourus, ça donne : « V’là que le paysan s’est noyé / À ce qu’on dit / Dans le purin / Qu’il devait épandre aux veillis […] Le paysan / Est mouru. » Ce ton-là. Façon jazzy cool. L’actualité a inspiré des rimes sans appel, que Murat sert du ton le plus agréable. Juste avant le carnage du Bataclan, humant le temps, il a écrit Interroge la jument : « On t’assassine / Sur la terrasse / Sous les cimes / N’y a-t-il plus de ciel / Pour nous foudroyer / Ces novices ? » Lui qui guerroie contre le franglais, il chante avec Morgane Imbeaud ces mots qui font semblant d’abdiquer : « Est-ce que tu connais ton french ? » Ça plaît et ça déconcerte, les mélodies glissent sur les cadavres. L’effet voulu, sans nul doute. Mal au malaise".

Même si la musique est effectivement légère, que Murat nous prend un peu à contre-pied, je pense qu'on peut contester la sentence "les mélodies glissent sur les cadavres".

LE LIEN EN PLUS DE M : LA SURNAGE DANS LES TOURBILLONS DE LA VIE...

Hugo Cassavetti affirmait récemment que JLM n'avait jamais obtenu de tubes. On aurait bien envie d'opposer au journaliste de Télérama une demi-douzaine de chansons qui connurent en leur temps un relatif succès, puis de se lancer dans une discussion sans fin avec lui pour déterminer si l'on tient là, à défaut de méga-hits stromaesques, de vrais ou de faux tubes. Il est toutefois probable que lui comme nous ayons des affaires plus urgentes à traiter…

S'il est un titre de Murat que l'on se gardera bien en revanche de soumettre à pareille épreuve du feu, c'est "La surnage dans les tourbillons d'un steamer". Pourtant, avant même sa publication sur un EP en juillet 2002, ce morceau (écrit un mois plus tôt, en pleine descente post-tournée) avait eu les honneurs d'un passage en radio, chez Bernard Lenoir, au cours d'une émission où Murat avait conversé quelques minutes par téléphone avec son ami journaliste (et ce n'est pas un oxymore), tout en taquinant la baballe avec des potes. Ce qui avait donné, sur l'antenne de France Inter, l'échange suivant :

– Y a quand même un morceau magnifique qui dure un peu plus de sept minutes et que j’aimerais bien qu'on écoute là… […]
– Tu me rappelles à la fin, alors, parce que je vais pas me taper ça au téléphone…
– Ouais, ouais… Va shooter dans ton ballon et puis on se retrouve dans sept minutes.
– D'accord.

[Diffusion de "La Surnage"]
– Bon, Jean-Louis, tant que tu nous écriras des trucs pareils, on te pardonnera d'aimer le foot, hein, c'est magnifique.

"En forêt douloureuse va l'âme blessée"... La surnage.

Par la suite, conformément à sa durée, au dépouillement de ses arrangements et à l'opacité de son texte, la chanson ne devint jamais un tube. Malgré tout, elle compte des adeptes. Ainsi, Alexandre Rochon, dans sa période (Cahier) Bleu, la mettait-il en avant sur Facebook en février 2014, accompagnée d'un simple commentaire : "La surnage de Jean-Louis Murat dans les eaux du Guéry.". Puis, l'an dernier, Mme Bartleby signait une bien jolie chronique du maxi-single, s'exclamant à propos de "La surnage" : "Mais quel titre !" Et seulement quelques jours après, Murat surprenait ses admirateurs en interprétant la chanson sur la scène de La coopérative de Mai. Ce soir-là, dans une salle comble, un tout jeune homme savourait ce morceau découvert quelques mois plus tôt, en serrant très fort et très amoureusement dans ses bras sa compagne.

Le même jeune homme, le 10 mai dernier, au micro de Radio Campus Clermont-Ferrand, décidait de poser ses couilles sur la table du studio et d'utiliser "La Surnage" comme nappe (sonore). Blasphème ? Pas vraiment. Juste un gus qui cache pas ses blèmes (Thiéfaine), qui essaye d'expliquer en quoi la surnage dans les tourbillons de la vie peut s'avérer périlleuse et qui se fend au passage d'une déclaration d'amour à la scène pop-rock clermontoise. Un moment touchant, maladroit, courageux, grandiloquent, sincère, impudique et, au final, de la bonne radio live.

Alors si vous voulez entendre un nouveau passage sur les ondes de "La surnage" quatorze ans après son dépucelage et découvrir une belle sélection de morceaux issus de la scène auvergnate (Morgane Imbeaud et Christophe Pie inclus), vous savez ce qu'il vous reste à faire. Et comme il se trouve que l'émission en question fut dédicacée au plus improbable des boys band – composé d'un biographe de Lou Reed, d'une star défunte de la pop-music et d'un collaborateur occasionnel de ce blog –, on vous en voudrait de ne pas accorder au moins quelques minutes à ce Petit Lait Musical #27. Pour le foot, ne vous inquiétez pas, vous allez être servis dans les prochaines semaines…

Publié dans #Morituri

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