Le Soir venu (interview par Coljon, 1/10/2018)

Publié le 1 Octobre 2018

Un peu de "redites" par rapport à l'interview de radio nova, mais c'est plutôt bon signe: Murat n'est pas en pilotage automatique dans les interviews!

 

Jean-Louis Murat :

« Je louvoie, je ruse »

    PARIS

    DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL

    De passage brièvement à Paris (car « Je n’y reste jamais plus de deux jours, je me sens dépossédé de moi-même si j’y reste plus longtemps », nous dit-il d’emblée), Jean-Louis Murat est venu parler de son nouvel album, Il Francese. Un disque aventureux qu’il aime défendre, contrairement au précédent pour lequel il n’avait fait aucune promotion. Murat est aussi de retour sur scène. Plutôt en forme, l’Auvergnat...

     

    On peut considérer « Il Francese » comme la suite de « Travaux sur la N89 », non ?

    Ce sera un triptyque, oui. Pour N89, je pensais dans ma bêtise provinciale que beaucoup de gens attendaient ça. Alors que ça les a énervés. Avec 5.000 exemplaires vendus, j’ai divisé mes ventes par dix.

    Parce qu’il était radical, pour ne pas dire expérimental...

    Oui, mais si tu veux continuer à faire le métier que tu aimes, t’es obligé de faire des pas de côté, de louvoyer. Je suis comme un loup dans ce monde. Je louvoie sans cesse pour ne pas être repéré. Quand je regarde ma discographie, je regrette de ne pas avoir pris assez de risques.

    Ce qui ne vous empêche pas de persévérer avec un disque une nouvelle fois très audacieux réalisé avec Denis Clavaizolle...

    C’est du 50-50 avec Denis. Ça fait plus de trente ans qu’on bosse ensemble. J’aurais du mal à définir notre collaboration. Je ne lui donne aucune directive. On ne se parle jamais. On avance sans explications comme deux cantonniers creusant une tranchée.

    Et sur scène ?

    Ce sera on ne peut plus simple : guitare, basse, batterie, en trio. A la John Lee Hooker. Une stricte rigueur qu’avaient certains bluesmen...

     

    Quitte à mêler ici Memphis avec Naples...

    J’ai toujours aimé mélanger et naviguer dans toutes les strates de la culture française et de ce que je connais. Entre John Lee Hooker, Naples, Marguerite de Valois, Vercingétorix... J’abolis un peu les époques.

    « Ciné Vox », est-ce le cinéma de votre enfance ?

    Tout à fait. Ce cinéma existe encore à La Bourboule, je voulais y enregistrer, mais il est trop déglingué. C’est une chanson sur mes premiers émois, en douce, avec l’argent de la messe, quand j’allais voir des films, au fond de la salle. J’y pleurais, j’y étais pétrifié de peur, je me suis souvenu de tout ça dans la chanson. C’est là que j’ai vu Silvana Mangano la première fois. J’y ai vu Autant en emporte le vent, Tant qu’il y aura des hommes, des westerns, tout ça. Toujours tout seul. J’en parlais à personne. Je me glissais dans une autre vie.

    La musique est arrivée après ?

    Non, très tôt aussi. Ma grand-mère, qui m’a en partie élevé, aurait voulu être chanteuse. Elle avait une voix admirable et inventait des chansons toute la journée en gardant les vaches. Je m’en suis rendu compte plus tard. Et sentimental, je me disais qu’un jour je devrais venger « marraine » en devenant chanteur. J’ai toujours écrit des chansons. Ça m’a toujours plu car c’était de la poésie chantée pour moi. Et après, j’ai découvert le rock et j’ai voulu être américain. Ado, je disais ça aux filles : « Je m’en vais. » On m’a après proposé de partir mais je me suis dégonflé. La vie fait que tu as d’autres priorités. Très tôt, j’ai eu des responsabilités familiales...

    Après toutes ces années, n’avez-vous jamais été fatigué de faire ce métier ?

    Non. Ce qui prime chez moi, c’est le rapport à l’écriture. J’écris tous les jours. Et j’ai toujours eu la prudence de jamais trop réfléchir au processus. Pas folle, la guêpe ! Je ne veux pas tuer ce nerf. C’est mystérieux, plus fort que moi. C’est une pulsion, une envie. Après, t’en fais ton job et tu ne peux plus t’en passer. C’est une drogue. Sans itinéraire préétabli. J’y vais au feeling... Je me laisse porter, j’aime chanter, j’aime être sur scène, j’aime surtout jouer de la guitare.

    Tout en restant incomparable, depuis plus de trente ans. Voyez-vous des gens vous suivre ?

    Non, je n’ai pas la patience d’observer ce qui se passe. En voiture, ça amuse beaucoup les enfants, ça, je n’aime pas être précédé et je n’aime pas qu’on me suive. Du coup, je roule de nuit. Je louvoie, je ruse, je change de direction... C’était déjà comme ça à l’école. Ma mère dit : « Il y a des caractères comme ça. »

    Et donc, vous aimez Marguerite de Valois, la reine Margot, à qui vous consacrez une chanson...

    En Auvergne, on n’a jamais eu de reine mais Marguerite de Valois est restée tellement longtemps, une fois répudiée, qu’elle est encore très populaire chez nous. Moi, j’ai été élevé dans le culte de la reine Margot. Elle traversait l’Auvergne à dos de chameau, la classe ! Le délire, c’est de se dire que je descends peut-être de la reine Margot et de Geronimo.

    Dans vos disques, vous avez toujours mêlé la chanson française au rock américain...

    C’est une sorte de deuxième vie ou de double identité. On est très anglo-saxons finalement. On participe à fond à un phénomène de colonisation absolue. J’aimais les cow-boys, maintenant je préfère les Indiens. Je suis un pur produit de cette colonisation. J’ai passé mon temps à enregistrer des chansons pour trouver un entre-deux. Entre le meilleur de ce que j’ai en français et le meilleur du blues, du rock... Je n’ai jamais aimé la chanson française pure, ni même le mot chanson. Brel, Brassens, Piaf... Ça ne m’a jamais inspiré. Je peux le dire aujourd’hui sans faire le mariole : tu me mets une minute de Piaf, je sors. Je ne peux pas...

    Comme dans « Gazoline » où John Lee Hooker croise Kendrick Lamar...

    J’ai rencontré John Lee Hooker à Clermont-Ferrand, je devais avoir 14 ans. J’ai porté sa guitare, je l’ai aidé à ranger le matos, je suis allé au resto avec lui. Ça m’a beaucoup marqué. Je le voyais comme mon grand-père, comme un vieil Indien. S’il y a JL Murat sur la pochette, c’est à cause de lui. C’est un souvenir fondateur. J’avais un prof d’anglais élevé dans le sud des Etats-Unis qui connaissait tout ce monde-là et qui m’emmenait avec lui aux concerts. Je les ai tous vus : T-Bone Walker, Memphis Slim... A la maison, les enfants ont 11 et 14 ans, ils sont très musique mais me disent : « T’écoutes encore ta musique du Moyen Age ? » Aujourd’hui, je ne sais pas, trop de choses sortent, je n’écoute plus. A part Frank Ocean et Kendrick Lamar, oui. Frank Ocean, je ne passe pas une journée sans l’écouter, il est intemporel et Kendrick Lamar, c’est Dylan pour moi... Je l’aime comme Marvin Gaye ou Robert Wyatt...

    THIERRY COLJON

    Jean-Louis Murat sera le 12 décembre au Reflektor et le 13 au Botanique.

    La chronique:

    « Il Francese »

    Il y a moins d’un an, Jean-Louis Murat créait la surprise avec un Travaux sur la N89 très électro. Il Francese, son 18e album depuis 1984, en est le prolongement. Toujours aussi électro, les beats se mariant parfaitement à la gratte électrique, toujours aussi expérimental, toujours avec la complicité vocale de Morgane Imbeaud (en duo sur « Hold-up », le premier single qui est un bel effort pour passer en radio... pour une fois !), Il Francese nous emporte au cœur des passions du chanteur qui se révèle ici plus que jamais. Avec des textes ciselés et des arrangements audacieux. L’artisan Peau-Rouge connaît son métier et on le suit tout ouïe !

    Et un autre encart:

    Le Français, en italien. Il Francese. C’est ainsi que Murat l’Auvergnat intitule son nouvel album. Voici pourquoi : « Cela fait plus de trente ans que je vais en Italie. Je suis un familier de Naples. C’est toujours des discussions avec la famille car j’aimerais bien m’y installer. Les enfants ne veulent pas bouger mais je n’ai pas dit mon dernier mot. J’aimerais les habituer à la vie napolitaine. Ce qui me plaît là-bas, c’est la vie dans les quartiers populaires, la mentalité, la rigolade, la franchise... »

    Jean-Louis n’a à sa connaissance aucune origine italienne : « Non, je crois qu’on est tous désespérément auvergnats. Je n’ai qu’un grand-père maternel qui était de l’assistance publique et ressemblait furieusement à un manouche. Il était noir comme le charbon. Je n’ai jamais su d’où il venait et lui non plus d’ailleurs. Il a apporté beaucoup d’irrationnel dans la famille. Il a absolument voulu s’intégrer en ayant la peau claire. D’ailleurs, il n’a pas voulu reconnaître ma mère à sa naissance car il trouvait qu’elle avait la peau trop foncée à son goût. Je ne sais pas de quel traumatisme il avait souffert. » L’Italie, c’est aussi l’émoi adolescent en voyant Silvana Mangano au Ciné Vox de son village. Ce qui a donné les chansons « Ciné Vox » et « Silvana » : « Elle était splendide dans tous ses films. Avec Pasolini, Visconti, De Sica... Elle était toujours admirable. C’était une Romaine mais dans L’or de Naples, elle était sensationnelle. On a beaucoup parlé de l’âge d’or du cinéma italien mais on devrait dire européen. Les historiens, s’ils veulent une définition de l’Europe, devraient se pencher sur ces comédies sociales des années 50, notamment italiennes. »

     

    LE MORT EN PLUS

     

    Évidemment, ce soir, me voilà obligé, "breaking news" contraint, de vous parler du drame que la France entière, voire le monde entier, est en train de vivre... Je veux parler du  décès de Marianne Mako, pionnière du journaliste sportif au féminin. L'émoi est tel que le site de l'équipe est inaccessible ce soir. Je vous renvoie ainsi vers RMC

    ET j'apprends via Facebook... qu'elle était une grande fan de Jean-Louis.Condoléances à sa famille.

    LE GRAND CHARLES EN MOINS

    C'était une des victimes des saillies de Murat (en concert). La faute à une rencontre malheureuse:

    Serge N°7 http://www.surjeanlouismurat.com/article-interview-de-serge-90178293.html

     

     

    Rédigé par Pierrot

    Publié dans #il francese

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    J
    Ah !! je découvre qu'il s'agit du second album issu d'un triptyque . merci pour l'info Pierrot !
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