Serge Gainsbourg et Jean-Louis Murat (partie 2)

Publié le 7 Mars 2021

Dans la première partie, nous avons parlé d' un des hommes reliant Gainsbourg à Jean-Louis Murat : Claude Dejacques.
Aujourd'hui, continuons mon petit jeu favori des rapprochements... et n'hésitez pas en commentaires à me faire part de mes oublis (je ne prétends pas à l'exhaustivité en quelques heures de travail, et je fais ça très modestement, en ayant bien conscience de mes limites)!  Je signale au lecteur qui arrive de 2025
(bien le bonjour! Il ne fait pas trop chaud? vous avez enlevé les masques?)  qu'en ce mois de mars 2021, on a commémoré les 30 ans de la mort de Serge Gainsbourg, avec moult émissions.  On verra si les 40 années de carrière de JLMurat seront, elles, signalées...

Même si je tente d'organiser, je fais ça dans le désordre en mélangeant les choses les plus anodines aux plus importantes, et ne résistant pas aux apartés (une recherche en amenant une autre,  cet article m'a entraîné dans diverses explorations).

 

1) Restons donc dans le rayon Ressources humaines, le nom de BAYON me vient immédiatement après celui de Dejacques.  Celui à qui Murat s'est adressé en chansons, et lui adresse toutes ses chansons,   signa une des interviews les plus célèbres de Gainsbourg, "l'interview post-mortem" (et deux livres sur lui).  Les rédacteurs wikipédia de la page de B.  ont d'ailleurs accolé nos deux artistes :

"En 1988, pour la sortie du single Si je devais manquer de toi, Bayon écrit l'article qui « dopera la carrière » de Jean-Louis Murat. Il publie en 1992 une interview post-mortem de Serge Gainsbourg sous le titre Serge Gainsbourg mort ou vices, rééditée en Gainsbourg raconte sa mort, sous une nouvelle couverture, à l'occasion du dixième anniversaire de la mort du chanteur".

Bruno B. aurait-il pu organiser une rencontre?  Je n'ai  trouvé aucun élément m'indiquant qu'ils s'étaient croisés. Dans ses articles sur Murat, non plus.  Un autre B., Bashung aurait pu être intermédiaire. Murat a raconté des virées communes avec celui-ci, mais a priori loin de chez Castel [Qu'est c'tu décides harley david?  (Style elliptique et allusif en hommage à Bayon)]. Dois-je préciser que quand Murat commence à être une personnalité,  Gainsbourg  lui se termine, même si artistiquement, après son opération de 89, il maintient son activité (pour nos deux héros du jour, pas question de prendre sa retraite).

Tournons les pages du  who's who,  et croisons encore:

- La MARSEILLAISE...  Avant W9, Gainsbourg l'avait déjà emmenée aux Caraïbes. Les français l'ont assez peu reprise, mais Jean-Louis s'y est risqué pour L. MASSON.

 

- Baudelaire: les deux ont chanté "les fleurs du mal". Murat y consacre un album Ferré/Baudelaire, mais Gainsbourg avait lui dès 62 interprété "le serpent qui danse"(avec un son type "Güiro" extrêmement pénible dont je ne veux pas vous priver). Notons du coup que le complice régulier de Jean-Louis, et notamment sur le Baudelaire, Denis Clavaizolle, a produit une version de "l'homme à la tête de choux" pour Bashung (avec Morgane Imbeaud, Guillaume Bongiraud). 

 

- L'occasion ratée commune: Jeanne Moreau. Truffaut pense à proposer à Gainsbourg de composer la chanson pour "jules et jim"... avant de choisir "le tourbillon de la vie", et Murat lui compose un disque qui ne sortira pas. C'est Daho qui remportera le lot de prestige.

  - Des interprètes communs: Julien Clerc, Françoise Hardy et Sylvie Vartan...  (Indochine se font clipper par Serge mais chante JL).  Le carnet d'adresse de Gainsbourg reste le plus rempli lui qui aimait les voix fragiles et donc des chanteuses plus souvent actrices avant tout... Deneuve, Adjani... mais l'autre grande icône française du cinéma,  Isabelle Huppert,  c'est  Jean-Louis Murat (sur Mme Deshoulières) qui la "décroche".  (J'ajoute que ce dernier a aussi fait chanter/jouer bien sûr une autre actrice Élodie Bouchez [ajout de Marc L.: qui a fait son premier film avec G.) ... et  qu'Isabelle Adjani a été très admiratrice de l'auvergnat ai-je lu).

Arrêtons-nous du coup sur ce goût commun du duo (qui n'est pas forcement un coup je dois le signaler, il s'est écrit par exemple que JL s'est refusé à Carla).  Gainsbourg se disait misogyne, le rapport aux femmes qu'à Murat est peut-être plus complexe, même si on aime ou ils aiment se ranger plutôt d'un autre siècle, en refusant certaines modernités (Gainsbourg insultant Ringer par exemple...). Même s'ils  se sont interrogés parfois sur leur part féminine (peut-être plus dans une logique de communication pour Serge, inventant des histoires d'homosexualité sur la fin, Murat affirmant son besoin de se vêtir des habits de "sa mie"...), le fait est que Camille dans un discours féministe, a voulu s'adresser aux deux dans sa chanson "Babi carni bird" (même si elle n'a eu de l'expérience qu'avec JLM).  A l'Express, elle disait ceci: 

"Sa chanson la plus fière, Baby Carni Bird, est une Melody Nelson à la Camille. "C'est une réponse à Serge Gainsbourg, à Jean-Louis Murat, à tous ceux qui se voient en Pygmalion. Dans mon texte, Baby Carni s'invente elle-même un nom, une légende. Ce n'est pas l'homme qui la fait exister"

On sait que Lou Doillon a pensé la même chose.  [signalons concernant Camille, qu'artistiquement, a priori Murat avait grande confiance en elle pour qu'il n'ait pas jugé important d'assister aux enregistrements des chœurs de Lilith. Jean-Louis a côtoyé des femmes fortes, des personnalités affirmées - Masson, Farmer, Angot, Carla, Marie -femme et manageuse- avec une relation basée sur l'affirmation des différences ("on est d'accord sur rien"),   lui qui dit aimer  les voix de filles qui n'ont pas l'air de  craindre  les garçons.  Les interprètes de Serge elles se pliaient à chanter par exemple: "Tu es mon maître après Dieu"-Deneuve qui critiquera ensuite "balance ton porc"]

 En faisant le tri entre les citations purement provoc pour Murat (portrait de Libération 2009 par exemple), je pense qu'il serait sans doute possible d'écrire des pages et des pages à ce rapport aux femmes, leur amour des femmes, et leur érotisme pouvant aller jusqu'à la pornographie  ou la crudité (carotte, concombre tout ça), et Gainsbourg à des comportements inappropriés...  Je ne vais pas m'y aventurer... Juste quelques idées :  concernant leur travail d'auteur,  Murat n'a pas eu autant d’interprètes (un titre pour Vartan, Hardy, Nolwen, deux pour I.Boulay), on ne tirera pas de conclusions rapides,  et il semble qu'il ait pu faire son Gainsbourg quelques fois ("sur mes lèvres" pour Nolwenn ou faisant chanter à Sylvie "Même si l'amour est important, Je sais bien que ce soir tout lui est indifférent, Il pense à son corps". J'étais tenté de dire que Gainsbourg avait lui démontré qu'il pouvait se glisser dans une âme féminine, mais lui-même disait que "les dessous chics" parlaient de lui,  Birkin qu'il lui a fait chanter " ses blessures, son chagrin"(à lui), "des chansons qu'elle ressentait comme des reproches". Par contre,  Jean-Louis disait il y a quelques temps qu'il se sentait prêt à écrire sur la maternité pour une interprète, frustré qu'il était du peu de traitement du sujet...   posture patriarcale ou un féminisme?      ◎oui    ◎non     ⨷ne se prononce pas

 

2) Musicalement...

On rapproche peu Murat de Gainsbourg par la discographie. A BIRD ON A POIRE a vu quand même la presse musicale à la manœuvre, arguant du mode duo sur un ton explicite (et ce que je disais quelques lignes plus haut), mais aussi musicalement de l'ambiance sixties et swinging london par laquelle Gainsbourg a su sortir de la rive gauche. Le texte promo de la maison de disque lui même indiquait :" En écho aux duos fraîchement pervers que Lee Hazlewood faisait chanter à Nancy Sinatra ou aux textes que Gainsbourg mettait dans la bouche de ses lolitas, Murat surjoue, avec verve et esprit, les clichés. Lui dans le rôle du playboy Français sur-viril, elle dans celui de l’ingénue et mutine Américaine".  "avec la légèreté d'un Gainsbourg période Anna", "tel un Gainsbourg titillant sa France Gall"  lit-on alors.

Chronic'art compara lui Madame Deshoulières à Melody Nelson: "Au final, on pourra inclure Madame Deshoulières au sein d’autres bizarreries déjà répertoriées chez nos chers défunts : le Melody Nelson de Gainsbourg pour l’ambition musicale, Et Basta ! de Ferré pour le conte au creux de l’oreille et surtout La Mort d’Orion de Manset (ah ! il n’est pas mort ?) pour l’escapade entre BD, SF et littérature".

En 2003, Véronique Mortaigne voyait Gainsbourg à Douharesse:  "Dehors, la montagne. Pays magique, paysages fantastiques. Dedans, au plus profond de cette personnalité tourmentée, les guitares de Neil Young, Robert Wyatt, Serge Gainsbourg, Jim Morrison, mais aussi La Claire Fontaine ou Hélène de Troie" (le monde).

Tout ceci est plutôt anecdotique.

 Notons que le journaliste Bergheaud de 1976 signe un article sur la chanson française et ne sauve que MANSET et FERRE (et Sanson) dans le paysage: "entre les rengaines rive gauche ultra-vieillottes, misérablement arrangées, à peine chantées, et nos plagiaires tout juste honnêtes de la musique anglo-saxonne, la plus belle place est quand même prise par la guimauve.". Cocasserie: L'article est salué dans le courrier des lecteurs par Gérard Davoust, éditeur de Gainsbourg durant 15 ans. 

Pourtant, on retrouve quand même des propos de Jean-Louis Murat indiquant que Gainsbourg a pu être source d'inspiration.

- Qu'est ce qui t’a inspiré et donné envie d’écrire des textes à ton tour ?
C’est difficile comme question… C’est un mélange de pas mal de choses : Serge Gainsbourg, Gérard Manset, certaines chansons de Nino Ferrer… C’est un peu mystérieux tout ça, on peut toujours donner une explication mais en fait, je ne sais pas trop.
(foutraque 2003)

-Dans Rockthistown 1991: " J'en ai bavé pas vous...". Il sifflote. "C'est ces vers à valeur de symbole qui me fait penser que c'est avec la Javanaise que Gainsbourg s'est approché le plus près de SA chanson".

- Dans Polystyrène, « Pour accéder à une notoriété indiscutable, GAINSBOURG s’est transformé en GAINSBARRE« . (…) « A la fin il devait sa notoriété au GAINSBOURG  pas très intéressant qui rote, qui pète et dit n’importe quoi. J’en veux beaucoup au public et aux médias Français de l’avoir dégradé et à mon avis il est mort très malheureux ». 

Signe de cet intérêt?  Une cover, La ballade de MELODY NELSON. (qu'il réalise avec un groupe SEVEN DUB, duo avec Guillaume Méténier -figure du rock clermontois des groupes Sales Gosses, Armée rouge, Fafafa puis parti chez les  Satellites-, et Patrick Bylebyl (Babylon Fighters, le groupe reggae de St-E.). Le duo,  a eu une  courte durée de vie -4 ans?- mais sortit plusieurs disques et tourna avec l’ex-guitariste de TC Matic, Jean-Marie Aerts -Arno-, notamment aux Trans en 98). (« j'ai découvert Al Green chez Jean-Louis Murat. » disait Guillaume dans le livre "une histoire du rock à Clermont" .  C'était  sans doute aux "Écuries", en bas de la route de Murat Le Quaire, où résidait JL Bergheaud. IL y avait une salle sans ouverture, pour répéter  assez exiguë. En rentrant dans la pièce principale, une photo (ou la pochette d'un album) accrochée au mur d'Otis Redding. Les Sales gosses étaient montés quelques jours, certains jeunes musiciens du village... dont Pie assistaient à la rencontre joyeuse).

 

Une version assez trip hop alors qu'après DOLORES, il indiquait ceci:

"Notamment cette manie actuelle de vouloir passer la chanson française au moule trip-hop, ce triste chewing-gum, sans caractère, vaguement baba. J'avais commencé à travailler avec Tim Simenon, mais j'ai abandonné. Il semblait penser que je voulais un disque du genre Gainsbourg-et-Cohen-produits-par-Tricky".

C'était peut-être pour montrer au producteur une nouvelle fois qu'il n'avait pas besoin de lui pour produire ce type de musique...  mais plus sûrement, comme il le dit ci-dessous, pour tenter de percer le mystère Gainsbourg.

"Y a-t-il, d’un point de vue artistique, des formes ou des pratiques que vous avez épuisées, qui ne vous intéressent plus ?
Oui, des toquades : faire son Ferré, faire son Brassens… J’ai fait une reprise de la Ballade de Melody Nelson de Gainsbourg en chantant exactement comme lui, juste pour comprendre – du boulot pour moi, quelque chose que je ne sors pas. Dès qu’il y a un artiste que j’aime vraiment, je ne reste pas ébahi devant son œuvre et je le reprends, pour voir de l’intérieur. J’ai fait Le Petit Cheval de Brassens, du Dylan, Monsieur Richard de Ferré, Nuits d’absence de Caussimon que j’ai chanté je ne sais combien de fois à la fin de mes concerts."

Attention!!!  Concernant cet cover, j'ai eu Guillaume Méténier. Il semblait surpris que je connaisse ce titre. Il m'apprend qu'en fait, il est signé "de Seven Dub" avec un featuring de Murat!  Il semble que Jean-Louis a partagé le titre sans leur accord. En 2017, dans une interview, Guillaume disait: «Mon frère aîné avait ce disque quand j'étais enfant et j'étais fasciné… Et bien je le suis encore! J'ai repris cet air il y a une vingtaine d'années avec mon groupe Seven Dub (avec J.L. Murat) et il est toujours inédit jusqu'à maintenant! ». Le titre a été mis en ligne sur le site jlmurat.com en 99, puis rediffusé en 2011 par une fan dans les tubes.

 

Le fait est que Murat ne voit pas trop l'intérêt de dire du bien des icônes françaises et préfèrent plutôt sortir sa grosse clef de 50 pour déboulonner, ou carrément s'en servir de marteau, même si parfois il y a des mots qui lui échappent:"Gainsbourg, Bashung, évidemment que c'est sensas" ou comparant Serge à Nat King Cole .  

Voici une série de propos sur la chanson française, Gainsbourg, l'écriture française:

 - "Enfin, le plus mariole de tous, c’est quand même Gainsbourg : Paul Verlaine et Charles Cros d’une main, des mélodies de Sibelius de l’autre… On m’a demandé récemment quels sont mes trois artistes préférés en chanson française et j’ai dit Boby Lapointe, Joe Dassin et Jean-Roger Caussimon – je crois ne pas m’être trompé"(RFI)

- "Je me fais assassiner à chaque fois, mais on peut être critique quand même. On peut trouver qu'ils ont parfois fait joujou avec la langue, à la limite du slogan publicitaire"

-   "C’est la chanson française actuelle que je mets en cause parce qu’elle ressemble de plus en plus à de la variété internationale. Par le passé, il y a eu des artistes formidables comme Bourvil, Boby Lapointe, Dick Annegarn, Isabelle Aubray, Charles Trenet... Je constate qu’aujourd’hui il y a une sorte de mondialisation qui me déplaît souverainement. Les chanteurs québécois, qui sont le cheval de Troie de la culture anglo-saxonne, hurlent dans le micro comme si l’électricité n’avait jamais été inventée. Par eux, c’est la culture américaine qui s’infiltre et dénature notre paysage. Alors que nous, les peuples d’Europe, sommes des murmurants. Pour moi, la voix de la France, c’est Etienne Daho ou Miossec, Johnny Hallyday étant une exception. Mais cette tendance un peu vaine qui consiste à mélanger ce qu’il y a de plus branché dans le rock avec ce qu’il y a de plus branché dans la poésie m’agace. Cela dit, on pourrait me retourner le compliment! C’est difficile d’être un chanteur français. Je pense que c’est une espèce en voie de disparition". Nouvel-Obs en 2002


-"II me semble que dans la chanson française on s'est de plus en plus éloigné de la musique de la langue, jusqu'à arriver à une sorte d'impasse. Gainsbourg, Bashung, évidemment que c'est sensas. Mais si tu les mets sur l'arbre de la langue, c'est une branche morte. Tu ne vois pas quelle descendance ils peuvent avoir. Moi, j'essaie plutôt de rester dans le tronc, dans la montée de sève. Quand tu travailles sur des textes comme ça, tu t'aperçois que ce qu'on appelle la chanson française, c'est la langue classique, celle qui a été posée au XVIIe siècle et qui possède sa musique intérieure. Et on y revient toujours, quels que soient les détours. Je pense par exemple à Carlos Jobim qui explique qu'il a inventé la bossa en jouant du Debussy. Il jouait du Debussy au piano, les fenêtres ouvertes, et c'est en entendant les rythmes provenant de la rue mélangés à Debussy qu'il a inventé la bossa. Et aujourd'hui, par un détour fulgurant, Salvador cartonne, en chanson française, avec un album bossa ! C'est pourquoi, à l'arrivée, je trouve pathétique la manière de Gainsbourg de jouer avec les mots. S'il parlait de la chanson comme d'un art mineur, c'est finalement qu'il ne s'en sortait pas ! Il aurait bien aimé faire toujours Je suis venu te dire que je m'en vais, faire du Verlaine, mais ça ne marchait pas. Comme le Gainsbourg avait un esprit de synthèse fort, qu'il voyait bien quelles musiques marchaient et qu'il ne voulait pas ronronner, il dynamitait les mots. Mais après quoi, c'est l'horreur. Parce que tu te retrouves dans un langage publicitaire, parce que tu fais du publicitaire. Arrivent alors des mecs élevés au Gainsbourg qui font du publicitaire, et comble de l'horreur, qui arrivent à te le faire passer pour de la littérature : Frédéric Beigbeder, par exemple. La langue est alors finie.    Dans la variété, ça donne toutes ces biches, ces petites nanas qui déplacent l'accent tonique et chantent comme des Américaines pour faire sauter le dernier verrou de la langue. Alors que la grande tradition de la chanson française, c'est l'articulation. Ce phrasé, c'est d'ailleurs la force de Gainsbourg. Là, il est dans la lignée de Nat King Cole qui institue, avec Frank Sinatra, le grand phrasé américain. Salvador est tout à fait là-dedans. Yves Montand aussi. Moi, je ne le fais pas assez, je baragouine, comme me le dit tout le temps Isabelle Huppert". (inrocks)

-  « Depuis GAINSBOURG, personne n’ose écrire simplement, contrairement aux anglo-saxons. Il suffit d’écouter BASHUNG. C’est un signe d’impuissance. C’est se positionner vicieusement par rapport à la langue, en se dissimulant. Les gens avouent être incapables de donner du sens avec des mots » (figaro magazine)

- "il y a de nombreuses choses bien dans la nouvelle scène. Orelsan, tout d'abord. PNL. Je comprends pourquoi ça marche, en tant que grand-père j'aimerais que ce soit la musique de mon petit-fils. ET pour moi, ça remet en place tous les référents que peuvent être Serge Gainsbourg ou je ne sais qui. C'est surfait, Gainsbourg ou je ne sais qui. C'est surfait Gainsbourg: poupée de cire, poupée de son pour France Gall, c'est d'un plan plan... et puis Melody Nelson, sans la technicité instinctive des musiciens anglais, sans les ingénieurs, c'est rien du tout. C'est du flan. Je déteste Gainsbourg, pour moi, c'est une branche morte. Il ne représente pas la musique que j'aime et, lorsqu'il a travaillé avec Bashung, il n'a rien fait d'autre que l'emmener boire des coups dans une impasse. Il a trop fait le malin. Orelsan lui écrit des textes que pas un seul rappeur américain n'est capable d'égaler. Même chose pour Nekfeu ou Lomepal, je suis sidéré par la qualité de ces mecs" (vsd, 2020)

- allez, et une bonne vanne pour finir: « Dans la musique, je ne connais que des mecs chargés et je n'aime que des mecs chargés : si tu mets Gainsbourg à l'eau, ça devient Jean-Jacques Debout ! » (Murat dans "Serge", la revue!!!!)
 
On peut ainsi penser que Gainsbourg est une référence pour Murat plutôt dans l'interprétation (en tant que murmurant français à l'épreuve des musiques amplifiées), mais pas l'auteur (même si on peut noter leur utilisation commune de l'anglais dans les refrains) ou le compositeur. A ce sujet, Gainsbourg a de manière beaucoup plus évidente que Jean-Louis utilisé (copié, pillé) les musiques, les lieux avec lesquels il construisait ses albums, et avec des "producteurs arrangeurs". Du plagiat de Gainsbourg percussions au funk new-yorkais, en passant par le reggae*, Gainsbourg se glissait dans des "costumes". Selon moi,  Murat lui transpose son univers qui reste identifiable qu'il enregistre à Orcival ou à Tucson, ou malgré les influences de ses albums (pop anglaise, rap et soul us...).      *Murat n'est jamais allé dans ce style, mais le premier concert parisien de Marley auquel il a assisté a été un choc.
 

Dernier point sur l'aspect artistique, un peu plus haut, Murat évoque le célèbre débat "art mineur/art majeur" ("S'il parlait de la chanson comme d'un art mineur, c'est finalement qu'il ne s'en sortait pas !") . Je veux citer Françoise Hardy dans l'interview qu'elle m'avait accordée:

 

"La plupart des gens ignorent la signification d'"art majeur" et d'"art mineur". Serge qui était pervers sur les bords a joué là-dessus. Il savait qu'il serait mal compris et que cette incompréhension susciterait des discussions totalement à côté de la plaque qui satisferaient son goût de la provocation. UN ART MAJEUR EST UN ART QUI REQUIERT UNE INITIATION (la peinture, l'architecture, la grande musique) ALORS QU'UN ART MINEUR N'EN REQUIERT AUCUNE. Mais cela n'a rien à voir avec la qualité des productions. Il y a au moins autant de très mauvaises choses en musique classique qu'en pop music et une mélodie très inspirée de pop music n'a rien à envier à un thème mélodique inspiré de musique classique. AUTREMENT DIT, EN MATIERE D'ART, LES TERMES "MAJEUR" ET "MINEUR" QUALIFIENT LA NATURE DE CET ART, EN AUCUN CAS SA VALEUR".

 

C'est à relativiser car a-t-on besoin d'initiation pour la peinture? Pas totalement... Mais Jean-Louis Murat comme Gainsbourg partagent sans doute un même complexe par rapport à ce qu'ils auraient aimé être peut-être: un grand peintre, un grand compositeur pour l'un,   un grand poète ou écrivain pour l'autre (peintre aussi)? Et ça les a conduit à toucher et expérimenter diverses pratiques, Gainsbourg allant un peu plus loin en réalisant de films de cinéma (Murat s'est essayé aussi à la réalisation), publier des livres. Murat:

- "je ne pouvais pas gagner le tour de France, j'ai fait du cyclotourisme. la chanson, c'est du cyclotourisme"  (Moustique) 

-"J'écris de la poésie depuis que je suis enfant. J'ai commencé à écrire pour draguer. Mon erreur a sans doute été ensuite de croire que la chanson était de la poésie chantée. Avec Béranger, j'ai compris que ce n'était pas le cas. Il refusait d'être appelé poète, un peu comme Gainsbourg, qui revendiquait la chanson comme "art mineur". Quand Chateaubriand a proposé Béranger à l'Académie française, celui-ci a refusé en disant : "Je ne suis pas poète, je suis chansonnier." (le monde)

- Béranger est celui qui fait d'un art mineur une fierté nationale, c'est le Gainsbourg du XIXe. Avant d'être l'un des hommes les plus aimés et célèbres de son temps, c'est un bohème, un dandy  (libé 2005)

Dernier élément sur la production littéraire, ils passent tous les deux pour des "graphomanes"... tant ils apparaissent prolixes, mais Jean-Louis Murat parle d'un travail artisanal quotidien, qui tient aussi d'un journal intime, alors que le mythe Gainsbourg est celui d'un auteur écrivant un disque en une nuit... toujours dans l'urgence (même s'il avait des carnets et agendas où s'accumulaient des idées). Malgré des autoportraits ("poupée de cire, poupée de son" ; l'homme à la tête de chou, ou Ecce omo...), je le vois moins dans l'exploration de soi, l'introspection, peut-être par pudeur ou d'un manque d'estime de soi l’entraînant dans l'autodestruction. Murat parle de son enfance, décrit le monde rural, ses ancêtres, Gainsbourg lui fait "rock around the bunker".  Manifestation de cela: le goût ou l'impérieuse nécessité des "autoportraits" par Murat?  Gainsbourg s'est peint et crayonné, mais je pense que c'est moins prégnant chez lui.

 

3) Attitudes en haute altitude 

Allez, allons-y cette fois tout de suite sur le principal: LA PROVOCATION, bande de cons.

- Un musicien dans une documentaire sur Gainsbourg de la semaine dernière retenait de celui-ci qu'il aurait été le premier à penser que "l'important était de faire parler de lui", peu importe comment.  Ce n'est peut-être pas le premier, Polnareff explorant les scandales et la nudité bien avant lui (Murat s'y est osé aussi)... mais il a bien perfectionné le système, en  créant un personnage, décliné jusqu'à la publicité, comme Dali. Murat n'a pas cette omniprésence, même si il est aussi "un personnage" utilisée par les humoristes notamment (cliché du chanteur dépressif)...  Bon, on ne va pas lister les clashs, ou les comparer, mais Murat est certainement plus dans l'improvisation, même si il a quelques thèmes favoris notamment en concert.  Gainsbourg provoquait le bourgeois et les bonnes mœurs, Murat lui va jusqu'à "provoquer contre lui-même", son public, ses soutiens, et les professionnels de la profession, avec sa posture d'être insaisissable, sa volonté de ne pas aliéner sa liberté.

 

En même temps, la provocation reste une marque de fabrique, non? (femme actuelle 2006)
Ben oui... Aujourd'hui, la plupart des journalistes me font chier avec ça, mais je vais vous dire un truc : c'est juste de la provoc' à trois balles. Du coup, balancer des vacheries, c'est un peu la pire chose que je fais le mieux. Et ça m'amuse. Il y a peut-être même un côté revanchard: moi qui vient du fin fond de l'Auvergne, pendant dix ans, je me suis fais jeter de toutes les maisons de disques parisiennes. En plus, je connais des dizaines d'auteurs-compositeurs remarquables qui n'intéressent personne et qui déchargent des camions huit heures par jour. Mais Vincent Delerm, s'il n'était pas le fils de l'autre, il n'aurait jamais fait un disque. Idem avec Charlotte Gainsbourg. Sur ce sujet-là, je m'énerve réellement...   

Et hop, deux scuds envoyés...

Cette explication de son goût pour la provocation en vaut bien une autre. Le fait est que cette différence qu'on lui renvoyait (il en parle souvent) tant en descendant à Clermont-"Versailles" qu'en montant à Paris l'a marqué. Des son côté, Gainsbourg parlait de l'étoile jaune, comme du long travail pour faire accepter "sa gueule"...  Ceci a joué dans l'émergence de leur singularité artistique:

"Tous les chanteurs français "importants" ont quelque chose de particulier dans leur diction, que ce soit Gainsbourg qui a anglicisé le français, ou Bashung ou Christophe, qui ont apporté leurs singularités à la langue. Toi, tu as aussi cette particularité dans ta diction ? Chronic'art en 2002

Je viens de l'Auvergne profonde, donc j'ai l'accent auvergnat, cet accent un peu traînant, avec des "o" ouverts. Et puis je viens d'un milieu très populaire, j'ai été élevé par des gens qui parlaient patois. Je ne dirais pas que le français est une langue étrangère, mais j'ai été très traumatisé, au début de ma carrière lorsque je montais à Paris, par les gens qui se moquaient de mon accent auvergnat. Ça me terrifiait. J'ai toujours ressenti l'oppression de l'accent. Quand tu as un accent franc, comme celui de Toulouse ou de Marseille, les Parisiens trouvent ça adorable, mais l'accent auvergnat, ça les fait marrer".

Notons ici  que Gainsboug était un vrai parisien, urbain (s'ennuyant en Normandie), alors que JLM lui revendique bien sûr sa ruralité  (et la pratique des sports de plein air, c'est curieux mais on ne trouve rien sur google sur "Serge G. et le sport"). Concernant cette géographie, j'ai envie de parler de la Rue de verneuil et de Douharesse... Ce n'est pas si courant que des artistes ne "se cachent pas", ce qui a pu à tous deux occasionner des soucis. Ces adresses, toute proportion gardée, Murat n'est pas iconique comme Gainsbourg,  sont des "pèlerinages" pour les fans, et  on sait que Gainsbourg appréciait parfois d'ouvrir sa porte (l'éditeur L. Balandras racontait cette semaine sur fb ses périples de Villefranche à Paris, et une discussion sur le trottoir). 

Dans ce discours médiatique,  ils  jouent tous les deux de leur double ou de leur triple: Ginsburg/Gainsbourg/Gainsbarre et Bergheaud/Murat. Pratique pour s'excuser de ses dérives? Certes, mais aussi simplement l'artiste qui va forcement s'interroger sur sa représentation médiatique, ce qu'il incarne, ses inspirations et l'homme qu'il est. Celui qui va vendre son disque de la maturité en disant "c'est vraiment moi"  est quand même ridicule. Moi même, vous savez cette infâme Pierrot, j'ai parfois du mal à le supporter, avec son humour à deux balles, Pierre lui est sensible et spirituel...

 

Bon, me voilà un peu à sec...  Il faudrait sans doute ajouter encore quelques paragraphes, mais je suis vidé, épuisé, et comme toujours, à un moment, j'ai envie de balancer ma p... (classe, toujours!) mon brouillon en ligne... pour passer à autre chose. J'ai réussi à caser mes notes. Peut-être aurais-je pu encore traiter de leur côté teigneux (me disait Bertrand louis de JLM), "dégueulasse" (me disait la Féline de JLM -attention, c'est un compliment)? de leur méfiance de la politique ( "la pop issue de Gainsbourg est plus à l'aise dans le détachement que dans l'engagement" me disait aussi Agnès Gayraud), de leur côté anar (de droite) mais toujours sans équivoque sur leur anti-racisme.  Enfin, il ne faut enfin pas oublier que la rue Serge Gainsbourg, sise à Clermont-Ferrand, est une adresse chère au cœur des muratiens, puisque la Coopérative de Mai  s'y trouve (un article à ce sujet). Il faudra bien que l'Auvergne rende hommage à JL Murat un de ces jours, mais le plus tard possible...

PS:  Le tribute "AURA aime Murat" : crowdfunding réussi! Si vous souhaitez participer, il est encore possible de contacter par mail:  contact(-at-)stardust-acp.com. L'heure est maintenant à l'organisation des sessions d'enregistrements.

 

 

LES CITATIONS EN PLUS

 

Elysian Fields:

Oren : Une chose qui est vraiment belle chez lui, c'est son attachement viscéral à la langue française, aux mots. En chantant dans sa langue natale plutôt que dans la langue du rock'n'roll, on peut dire des choses beaucoup plus profondes et personnelles. J'aimerais beaucoup pouvoir parler le français de Gainsbourg, de Léo Ferré, de Jacques Brel, ce serait très enrichissant de comprendre la poésie de ces grands auteurs… et de savoir à quel point Jean-Louis est talentueux. (sourire) Même si l'on peut éprouver des émotions en écoutant une chanson sans forcément en comprendre les paroles, quelle que soit la langue.

Aline (Dans Rollingstone)

"Et aussi de se défaire du fantôme de Serge Gainsbourg, qui plane tant sur la

chanson française que la pop depuis plus de vingt ans ?

RG : Je trouve que ça fait du bien de s'en éloigner, car ça fait vingt ans que les journalistes et fans cherchent le nouveau Gainsbourg. Il faut faire le malin, le dandy... tout le monde est dandy aujourd'hui : dandy décalé, dandy mon cul... J'adore Gainsbourg, mais il faut arrêter de ramener la culture pop française à cette seule grosse figure tutélaire. Il y a eu les yéyés, Dutronc, Évariste... je voulais éviter à tout prix les comparaisons avec Gainsbourg et Bashung. D'ailleurs, maintenant, tout le monde cherche le nouveau Bashung. Sauf qu'on ne le trouvera jamais, et ça n'a rien de grave. L'héritage français est lourd à porter. Après, il reste des mecs comme Dominique A, Jean-Louis Murat, qui ont toujours tracé leur route, sans être les nouveaux Gainsbourg ou Bashung

 

Ps:  Dans TRASH PALACE, où figure "Maculée conception" de Murat, une version de "je t'aime moi non plus" est présentée par...Brian Molko et Asia Argento.

 

LES MORTS EN PLUS

Bon, sachez qu'après ça, je ne vous ferai pas Philippe Chatel (malgré toute ma tendresse pour Emilie), ni Patrick Dupont ou encore Philippe Jaccottet...  Évoquons néanmoins Isabelle Dhordain ...voici  ci-dessous cette chanson que des artistes ont souhaité lui adresser. C'est assez remarquable.Cela m'évoque l'hommage que JLM avait souhaité rendre à Anne-Marie Paquotte.   Murat est passé le  19 février 1994  Sur le pont les artistes et chanté "Tout est dit" et "Le matelot"... J'avais tiré la conclusion au premier temps du blog qu'elle n'aimait pas Jean-Louis, avant de voir qu' en 2011,  il avait été programmé... mais l'émission n'a jamais été faite. Outre le fait que Lenoir et d'autres de la radio se réservait sans doute sa venue, on m'a rapporté que, suite sans doute à son premier passage de 94, il avait été blacklisté par les techniciens de l'émission... (On sait aussi du fait de certains propos de JL, que Vincent Josse s'était  fâché contre lui).    Allez, on finit malgré tout sur ce bel hommage:

 

 

Rédigé par Pierrot

Publié dans #divers- liens-autres, #Baby Love

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En parlant.d hymne national, un modèle : Marvin!!<br /> <br /> https://www.facebook.com/watch/?v=1386298268387813
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