Interview sur RFI: les zones d'inconfort de Jean-Louis Murat
Publié le 5 Novembre 2021
On continue le train train de la promo avec l'intervention de RFI et Patrice Demailly... qui interviewait déjà Jean-Louis il y a 10 ans pour Nord Eclair. Et je dois dire que c'est souvent avec les personnes qu'il connaît bien que Jean-Louis se laisse moins aller aux divagations. Mais pour autant, il a toujours le blase... J'ai envie de dire qu'une petite série de concerts lui ferait du bien pour avoir une petite dose de "retours"... On retrouve un Jean-Louis qui s'interroge sur sa fonction, sur la chanson engagée, qui s'exprime sur sa vie amoureuse... et nous promet un revirement stratégique sur l'album prochain...
https://musique.rfi.fr/chanson/20211105-zones-dinconfort-jean-louis-murat
L'attachant et imprévisible chanteur auvergnat continue de publier des (excellents) albums à un rythme frénétique. La vraie vie de Buck John, sa dernière livraison, oscille entre questionnements intimes et existentiels, allers-retours historiques et groove amoureux. Rencontre lors d'une journée où l'humeur du bonhomme était sacrément accueillante.
RFI Musique : La vraie vie de Buck John ou la vraie vie de Jean-Louis Murat ?
Jean-Louis Murat : Tout se mélange, ma vie est à tiroirs. Je n'ai pas d'identité très définie, je suis le neveu de Vercingétorix, le fils de Geronimo... Me projeter dans plein de personnages différents, ce n'est pas un problème. Et là, c'est celui de mon enfance (un héros de bande dessinée, NDLR). Avec l'argent de la messe, j'allais acheter ce petit fascicule. J'ai l'impression d'avoir appris à lire et à écrire dedans.
Ce disque est-il né à la suite de la période d’isolement forcé ?
Oui pendant le confinement, chanson par chanson, assez courte. Avec des contraintes comme toujours la même chaise, le même endroit. Deux, trois instruments, pas plus. Je n'avais pas ma basse, donc je n'en ai pas mis. C'était un signe de destin. Ça me plaît beaucoup, les contraintes. L'ingénieur du son du disque était à vingt-cinq bornes, il prenait les petites routes pour me venir. On a commencé à bricoler ensemble pour voir si ça marchait. C'est un album de circonstances.
Estimez-vous qu'il est dans la continuité du précédent Baby love ?
C'est certain. Sur le disque que je travaille actuellement, j'espère bien faire un changement stratégique complet, ne plus travailler de la même façon. Baby love n'a jamais eu sa chance sur scène puisqu'il est sorti pendant le confinement. On l'a relancé avec de nouveaux titres pour avoir un Baby love déconfiné. Mais on a été enfermé à nouveau.
On vous sent plus apaisé. Amoureux ?
Toujours (rires). Comme je raconte ma vie en chansons, ça m'échappe.
Dans À moi baladin, vous dites : "Apprends à t'aimer". Vous avez réussi ?
Il faut d'abord s'aimer pour que quelqu'un t'aime. Si tu ne t'aimes pas, tu n'es pas aimable. J'ai des problèmes d'amabilité parce que je suis mon pire ennemi. En l'absence d'apaisement, le couple ne marche pas. C'est l'expérience que j'en garde, en tout cas. J'ai trop de problèmes personnels pour pouvoir vivre en couple. Il m'a fallu une vie entière pour m'en rendre compte. Je n'ai qu'une idée, c'est le non-divorce dans toutes choses et j'ai passé mon existence à divorcer. Ce n'est pas un plaisir, je suis désespéré de le faire.
Qu'est-ce qui vous a poussé à suivre le mouvement des Gilets jaunes et à publier un titre par semaine sur votre site ?
J'ai fait six semaines. Ça m'a bien plu de suivre le mouvement. Je n'ai pas réécouté, je ne sais plus ce que je raconte dedans. Jamais personne ne m'en parle mais pour moi c'était naturel. Je viens d'un milieu d'ouvriers, d'artisans, de paysans, donc je suis typiquement Gilets jaunes. Pour moi, ce sont comme les peaux rouges, ils sont venus pour se battre mais de toute façon ils l'ont dans le baba. Les plus beaux combats sont ceux perdus d'avance. La modernité met de côté les gens, je vois bien comment vivent les personnes de ma famille. À une époque, ma maison de disques voulait que je prenne des cours de diction parce qu'on trouvait que j'avais un accent auvergnat trop prononcé. Non mais ça va pas ! J'ai jamais eu ni accepté les codes pour réussir dans ce métier.
La presse écrite n'est-elle pas pourtant d'une belle fidélité à votre égard ?
Il n'y a jamais un commentaire, en tout cas, qui aide à ce que le disque se vende. Les gens me connaissent mais par les interviews. Plus que par mes chansons, et c'est ça qui me désole. Le nombre de fois que j'ai entendu : "Je ne sais pas ce que vous faites, mais je vous aime beaucoup". Ce qui m'intéresse, c'est qu'on écoute ma musique. Je suis en total décalage inconfortable. La musique m'a sauvé la vie, je lui dois tout. J'en fais tous les jours, cela me permet de donner le meilleur de moi. Il faut savoir que j'étais programmé pour être plombier-zingueur. Heureusement que j'ai fait chier tout le monde pour ne pas quitter l'école tôt. Dans le milieu dans lequel j'étais, faire des études c'était un échec. Tu passais pour un taré.
Est-ce vrai qu'il existe chez vous des disques programmés pour être post-mortem ?
Absolument. Ce disque-là, par exemple, il y a sa doublure. J'ai douze autres chansons enregistrées, elles sont plus difficiles, plus politiques alors je ne les sortirai pas.
Pour quelles raisons ?
Je n'ai pas envie de me mettre une partie de mon public à dos, par exemple. Je n'y peux rien que tout soit idéologique désormais. Un jour, j'ai sorti un titre sur les chrétiens d'Orient, on m'a dit : "De quoi vous mêlez-vous ?" Qu'est-ce que je vais donc me faire chier avec ça maintenant ? Là, sur la face B, j'ai fait trois chansons concernant l'incendie de Notre-Dame. Ce serait une erreur mortelle de faire de la chanson politique. La chanson française est quelque chose qui ressemble à un oreiller ou à un somnifère. Comme je ne suis pas là-dedans, je préfère me taire. Pour les gens en France, un chanteur enchante les choses et doit fermer sa gueule à côté. Qu'est-ce que tu peux exprimer aujourd'hui avec la chanson française ? Des sentiments pseudo-romantiques, la culture de l'altérité comme ils disent dorénavant, des chansons positives... En France, tout est "hystérisé", je n'ai pas envie de ça. Je me demande si c'est encore utile de sortir des disques.
Pourquoi en sortir alors à un rythme annuel ?
Il faut que je bouffe, j'ai des enfants. La question, elle est simple. Je suis toujours ric-rac et je travaille pour tenir la famille à bout de bras. J'ai fait plein de disques ambitieux où je mettais tout le pognon dedans. J'ai constamment pris des risques maximums. Je me sens très responsable, investi, pratiquant un travail qui correspond à ma passion. Après, les discussions sur moi, "il est désagréable, c'est un sale con, etc.", ça me passe au-dessus des oreilles. On arrive toujours à ce point-là parce que personne ne parle de musique. J'ai toujours le cul entre deux chaises, je suis complètement paumé. Qu'est-ce que ça veut dire douze chansons en 2021 ?
"Mais que reste-t-il des chansons ? Que reste-t-il d'un amour ? Ne reste-t-il plus qu'un prénom ? Qui ne rime plus avec toujours". Ce questionnement émis dans Gigi baba sent le vécu...
Mes chansons sont parsemées d'histoires d'amour foirées. Ces questions-là, je me les pose tout le temps. Aujourd'hui, j'ai quand même le cœur assez large pour me préoccuper du sort de mes proches. Je ne suis pas tant égocentrique que ça.
C'est une évidence de parsemer aussi vos textes de références historiques ?
Je m'appelle Murat (Bergheaud au civil, NDLR) parce que c'est le bras droit de Napoléon. Petit, j'ai toujours voulu être professeur d'histoire. Quand Samuel Paty s'est fait décapiter, ça m'a fait un drôle d'effet. J'ai fait le transfert sur moi dans la chanson Marylin et Marianne. C'est l'idée que je me fais de la République. Entre la musique rock et la République, ça fait un tout pour moi. Et qui est couvert par deux poitrines, celle de Marianne et celle de Marylin. Je reviens à l'état d'enfance avec deux tétons. Je tète le rock par Marylin et je tète l'Histoire de France par Marianne.
Comment expliquez-vous que vous écrivez beaucoup moins pour d'autres ?
Personne ne me réclame. La dernière fois que j'ai dû écrire, c'est pour Nicola d'Indochine (Karma Girls en 2019, NDLR). Le business a beaucoup changé, les chanteurs essayent de garder les droits pour eux. Ils te proposent tous des co-signatures, je ne marche pas dans la combine. Nicola, il est réglo. C'est le seul avec qui je suis en confiance. Et puis, il m'aide beaucoup avec tout ce qu'il vend. Je lui en suis très reconnaissant.
Jean-Louis Murat La vraie vie de Buck John (Wagram / Cinq 7) 2021
PS: Ah tiens, je voulais parler du crédit photo dernièrement. Cette fois, la photo est bien indiquée de V. Jeetoo, et non plus de Jules Faure.
On se retrouve demain matin pour de nouveaux articles!!
Bonne soirée!