Les clermontois pleurent leur disquaire culte: Gilbert Biat de Spliff
Publié le 14 Septembre 2022
bonsoir,
La nouvelle est tombée ce mardi : Gilbert Biat, co-fondateur de l'institution clermontoise SPLIFF, est décédée... et le monde de la musique est très très triste.
Comme me l'a dit Christophe Adam, "une page se tourne à Clermont". Pour Jean Felzine, "les lieux rocks clermontois, ça reste le Rat Pack, le Bikini et Spliff". Jean-Luc Manet, journaliste, : "pour moi, Clermont se résume en points cardinaux: les real Cool Killers, ma nuit chez Maud, Jean-Louis Murat, Spliff". Sur fb, les petits mots témoignent de l'émotion:
L'ancien de Clara Dominique Cartier se souvient : "place du premier mai dans des casiers bois qu' il trimballait dans la voiture. Il était également animateur sur Radio MU. Il fait partie de ceux, une filière importante du rock clermontois, qui se destinait à l'enseignement des enfants (Alain, Joël, Jacques, Laurent...). Lui avait débuté sa carrière avant de prendre la tangente (1981) mais en restant dans la transmission. Ainsi, voici l'édito du numéro 8 du fanzine en 1984 : animation dans un lycée, animation dans une ZUP...
". Il la stationnaitSpliff, il s'agit d'un collectif au départ, sous forme d'association, mais malgré sa discrétion, son côté secret, Gilbert est le moteur. Olivier Chabrillat, Buck (Pascal Roussel), Patrice Papelard (Tachycardie), Christophe Adam, Bertrand Casati (déjà disquaire chez Sirènes) sont de l'aventure. Ce dernier raconte (dans la bible "histoire du rock à Clermont-F" de P. Foulhoux)
A une époque où il y a près de 15 disquaires en ville, l'idée était donc de faire une école de musique, des animations, des concerts... et le fanzine verra le jour, de moins en moins bricolé et s'ouvrant sur la région Auvergne (jusqu'à l'actualité de St-Etienne, créant des synergies et des réseaux : Christian Beaujou -manager-régisseur: "j'aimais bien ce lien corporatiste qu'il y avait avec Autoreverse à Montluçon, Spliff et Kronchtadt Tapes -St-Etienne, les Silly hornets à Lyon... on était toute une raia...On était amoureux de la musique, on s'arrêtait jamais"). Cette expérience l’amènera à continuer l'aventure papier avec Pierre Veillet (qui créera Rock Sound) avec le fanzine Vu (4 numéros). Cela fait déjà quelques années que ce dernier dépense son argent de poche dans les imports anglais ou allemands (ce qui permet à Gilbert d'avoir des tarifs corrects), ou les bacs d'indé français, ou s'y procure de nombreux fanzines comme New Wave.
Spliff participera à l'émergence de la scène du début des années 80: Scuba drivers, the Chameleon's days et les REAL COOL KILLERS fameux et son leader Buck, Tachycardie, Sales Gosses, Folamour et Fafafa... notamment en proposant des K7, et Gilbert est aussi manager, producteur. Les références du Label Spliff sont disponibles sur discog.
Christophe Adam a accepté de nous dire un petit mot:
"très affecté par son départ. C'était notre premier "Manager" grâce à lui nous sommes allé enregistrer [fafafa*] à Londres avec Christophe Pie, Guillaume Metenier, Dominique Mallordy et Christian Isoard un 4 titres pas inoubliable mais l'aventure était belle. Je me souviens de son Autobianchi Abbarth dans laquelle on a fait les 400 coups. C'était le plus mauvais batteur que je connaisse, une fausse patte, mais il le savait, il n'a pas insisté. Je me souviens de "la maman des poissons" de Bobby Lapointe , il m'avait demander d'enregistrer sa classe quand il était encore instituteur au conservatoire de Clermont fd. Bien sur le premier magasin Spliff rue terrasse, je crois, de sa première machine à badges et de tant et tant de concerts, festivals, disques qu'il m'a fait découvrir. C'était un taiseux, mais d'une culture et d'une intelligence rare. Je me souviens d'un contrat qu'il nous avait dégotté au Phare des Baleines à L'ile de ré, tout au bout de l'ile, on devait jouer là bas une semaine dans une Taverne Alsacienne (Sic)...Nous arrivons avec le matériel dans sa 504 Break, une Estafette et une voiture de police nous doublent, stoppent devant la brasserie et embarque tout le personnel. Nous sommes restés une semaine à faire le service et un peu de musique".
*le disque est sorti sur le label Kronchtard de St-Etienne (Babylon Fighters) de Laurent Malfois.... auquel j'ai appris la nouvelle: "c'est un gars que j ai beaucoup aimé, beaucoup échangé et il m a fait approfondir le reggae (entre autres). Je suis bien triste, je ne l'ai pas revu depuis trop longtemps".
En plus de tout ça, il y eut donc de nombreux concerts... dans un contexte pas toujours facile: le numéro 1 du fanzine Spliff (malgré une interview de JL AUBERT) indique que seuls les grands noms remplissent les salles, mais que les DOGS ont dû annulé, qu'IGGY POP n'a pas fait le plein...
En 1987, ils organisent le premier festival ROCK AU MAXIMUM, il me semble que Gilbert cède un peu la main à d'autres qui professionnalisent le festival dans un contexte de changements lieux réguliers (5 fois en 13 ans). En 1989, il contribue quand même à faire venir la MANO NEGRA au théâtre de Verdure dans le cadre du festival.
Bertrand Casati:
Philippe Bebardat:
Dans le Fanzine, on n'oublie pas d'avoir un avis critique sur les concerts organisés (organisateur, musiciens et rédacteurs... c'est pourtant les mêmes... même si Dr Larynx semble un peu ménagé) :
Il y eut donc avec Buck le club 3000, puis le Sonic Rendez-vous. Spliff devient une entreprise (boutique en 1990), mais l'association continue pour le reste. Pierre Andrieu de concertandco se souvient: "dans les années 90 j y' ai vu Les Thugs, The Wedding Present, Sloy, Sebadoh, Buzzcocks, Smog, Chokebore, Joseph Arthur, Prohibition, The Fleshtones, Burning Heads, Condense, Polar, mais aussi dEUS, Venus, Autour de Lucie, La Position du Tireur Couché, SSM". Fabrice Borie (Centre info rock auvergne) dit "à la fin des années 80, Il n'y avait rien si ce n'est SPLIFF, ROCK AU MAX et le Club 3000, tout était à construire".
Voici ce que ça pouvait donner au SONIC:
La mort de Buck est sans doute un choc (en janvier 97) mais Gilbert continue. Il a un restaurant le SISISI pour gagner sa vie mais est toujours présent comme disquaire, choisissant "le disque du siècle de la semaine". "Il écoutait les nouveautés à fond en fumant ses clopes roulées à l'intérieur, il n'a jamais voulu passer un coup de peinture, ni moderniser le truc, ça restait dans son jus" me raconte Pierre Andrieu
Voici le témoignage de Gilbert Biat, dont la concision reflète semble-t-il sa modestie et discrétion, dans "une histoire du rock à Clermont-Ferrand" (P.Foulhoux, 2013- un grand merci à ce dernier, la majorité des citations sont issues de ce livre) :
Dominique David du magasin d'instrument Melody Maker indique dans le livre: "Si le rock à Clermont a un bon niveau, les petits disquaires et les magasins de musique ont contribué à l'élever". Les témoignages des musiciens confirment parfaitement ce propos. Marc Daumail (Cocoon) : "J'avais 15 euros par semaine, j'achetais le disque du siècle de la semaine" à Spliff. C'était comme le cd des inrocks, c'était un peu la bible ce disque. J'achetais aussi des trucs obscurs... je découvrais tout ça à Spliff" (Même les représentants de la période "Coopérative de Mai" ou Kütü Folk, ont été marquées par Spliff).
On peut citer les vendeurs de la boutique: Fabien Bellerose, Stéphane Pinguet... qui tenaient comme Gilbert ce rôle de prescripteurs.
Quelques photos du fanzine:
avec cette phrase importante dans le numéro 0: "un groupe de rock n'est pas meilleur qu'un autre. Il est différent"
JV 81
(Spliff n°5, décembre 1982 ci dessus)
spliff 6 mars 83 ci-dessus
Un article sur le groupe Tachycardie qui proposait un vrai univers (théâtrale). Patrice Papelard, rangé des voitures, a invité Jean-Louis Murat époque Babel, lors du festival gratuit de Villeurbanne:
Spliff 3 (ci dessus)
Sur fafafa :
En mars 83, l'interview de Jean-Louis Murat par Jacques Moiroux et Agnès Audigier (également disparu):
Jacques: "C'est à cette époque, 1980, qu'on a créé Spliff avec Gilbert BIAT, Bertrand Casati et d'autres. On organisait des concerts et on publiait un fanzine. On se la pétait un chouia, mais on se bougeait et l'époque était riche en concerts grâce à Arachnée notamment. Plus tard, SPliff a pris de l'ampleur, mais j'étais déjà parti voir ailleurs"
Pour J. Moiroud, Murat a été important: "C'était un chef de bande... Il nous faisait écouter de la musique comme j'avais on ne l'avait fait auparavant. IL passait une chanson et ensuite, il nous demandait si on pouvait chanter la ligne de basse ou de cuivres. Ou il te poussait à parler en alexandrins. Un passeur, un pédagogue. Je découvrais la soul, la bossa. IL m'a fait gagner du temps. JL nous expliquait que si on voulait faire de la musique, il fallait s'imposer une discipline. Et ça je ne l'ai jamais oublié".
Ce rôle de passeur et de pédagogue, c'est bien sûr ce qui va nous permettre de rapprocher Gilbert Biat et Jean-Louis Murat... avec lequel il partageait l'amour de la musique black américaine (son profil immuable sur fb était Robert Johnson) tout en étant ouvert à tous les styles. Je n'ai pas trace d'autres relations directes. "Ils ne faisaient pas partie de la même bande" me dit-on, même si Alain participe à des productions Spliff (Fafafa), François Saillard de Clara également enregistre une compilation pour eux en 1980 par exemple ou qu'encore, JL Murat participe à quelques événements réunissant la scène clermontoise.
Sincères condoléances à ses proches, et à ses amis qui pensent sans doute aussi en cette occcasion à Anaclet, Jef, Buck, Christophe, Agnès, ou Pierre Métenier (Folamour) décédé en août.
Lundi à 18h, un rassemblement amical est prévu pour lui rendre hommage à la boutique.
En complément:
https://www.7joursaclermont.fr/spliff-disquaire-rock-historique/
https://www.7joursaclermont.fr/disparition-de-gilbert-biat/
Deux petites visites en vidéo de la boutique et le SPLIFF numéro 2 en intégralité:
PS: J'espère ne pas avoir commis trop d'imprécisions. Merci de me les signaler. Dans les centaines de choses auxquelles je pense pour le blog et que je n'ai pas faites, il y avait aller rencontrer Gilbert dans la boutique...