Article de Nicolas Comment dans NOVO

Publié le 20 Juin 2023

Bonjour,

Comme déjà expliqué précédemment, je laisse s'accumuler les articles en attendant de reprendre le cours ordinaire de ma vie de blogueur dilettante (après le week-end Murat, yes sir!), mais je prends 5 minutes pour transmettre un long article de Nicolas Comment (photographe chanteur-ACI) dans la revue NOVO, distribué dans la région GRAND EST (Edition Mediapop)      Abonnement possible pour 5 numéros annuels (et des cadeaux).

 

https://issuu.com/media.pop/docs/novo_69?fbclid=IwAR1TPMAOfboCvpE7ysNNSGDUcDZ4af7x7zq7pOm5mQqrnjwcv26GhW3n-cM

 

 

"J’étais en train de consulter les horaires de la SNCF, quand Philippe Schweyer m’appela samedi dernier, à point nommé. Philippe me téléphonait pour me suggérer de rédiger un texte en hommage à Jean-Louis Murat dans les pages de Novo. Je lui répondis simplement que je venais de prendre la décision de descendre à Clermont pour me rendre à ses funérailles, qui devaient avoir lieu mardi, à Orcival.
Nous avions, il y a un ou deux ans déjà, tenté de consacrer un long papier à Murat, dans le cadre de mes Chroniques du temps qui passe. Nous souhaitions parler de l’artiste dans son atelier, du songwriter à sa table, mais – hors promotion – l’entourage du chanteur resta sourd à notre demande. Murat fut-il seulement informé de notre proposition ? Deux ans et demi plus tard nous attendions toujours la réponse.
Il était trop tard désormais... Mais la perte était sèche, le vide si béant, que nous ne pouvions laisser partir Murat, sans un dernier adieu. Plutôt qu’un article nécrologique, nous convînmes donc que je lui consacrerai ma prochaine "feuille de routes". Pérégrin plutôt que pélerin, je prendrai dès le lendemain matin la route d’Auvergne en pariant sur le fait que la photographie m’aiderait à saluer l’Aède. (1)
« L’Aède »… C’est ainsi que Bayon nomma Murat en prenant discrètement la parole à la fin des obsèques. L’écrivain avoua d’abord qu’il aurait préféré, en ce triste jour, observer « un long silence » plutôt qu’avoir à prononcer un discours. Le « frère de lait » de Murat ne croyait pas si bien dire. Bruno Bayon était comme bâillonné par l’acoustique de la basilique : l’écho de la nef d’Orcival réverbéré par son micro brouillait ses dires.
Depuis le banc où j’étais placé, son discours, très digne mais inaudible, ne me parvenait que par bribes, lambeaux et bandelettes... Je tendais l’oreille : le nom d’« Isis » fut prononcé… Bayon parlait de l’Égypte et de la Cité des morts. Il évoquait la Muratie – sise entre Tuilière et Sanadoire, la comparant à un mouroir, une nécropole.
Dans l’atmosphère contrite de l’enterrement, le brouhaha créé par les enceintes blanches de l’église m’arrivait d’autres mots, d’autres poèmes. Bayon citait Nerval mais je lisais sur ses lèvres ce vers de Paul Fort : « Dieu : s’ouvrit-il jamais une voie aussi pure ? » (2). Puis une seconde, d’Aragon, commençant par le même incipit : « Dieu le fracas que fait un poète qu’on tue. » (3)
Dans ce nuage cotonneux et mal sonore, tandis que le curé reprenait la parole pour réciter le Notre Père, j’entendais la voix essoufflée de Godard se remémorant la mort de Truffaut : « François nous protégeait. Et comme Romy, comme Langlois, il en est mort. C’est pour cela qu’ils l’ont tué [...] La télévision, les journalistes... Ils l’ont tué pour pouvoir l’enterrer avec de belles phrases. »
Face aux cierges installés en rang d’oignon autour de la « Lady d’Orcival », j’ai pensé : tel Marat, Murat n’est-il pas mort assassiné dans le grand bain médiatique ? Lui qui avait – dès la fin des années 1990 – malignement conçu l’idée « de ne passer à la télé que pour apparaître au zapping... » et cherché à créer l’esclandre pour vendre en se vantant de « cracher sur Gainsbourg la veille pour pouvoir le traiter de génie le lendemain » ne s’était-il tout simplement pas trop exposé sur l’agora ?
Bayon avait raison de convoquer la vallée des Rois, mais la présence du corps dans le sarcophage n’y changeait rien. L’âme de Murat semblait absente. Elle errait déjà dans les paysages alentours. Ainsi qu’il l’affirma luimême, toute l’oeuvre de Jean-Louis Murat est une « errance ». Une dérive « psychogéographique » et son art de la chanson, un art de « situation ». Avec Debord, Murat ne partageait-il pas autant son dégoût du Spectacle que son goût pour l’art De la guerre (Clausewitz) ?
Pourtant si l’inspirateur de Murat fut un grand cavalier – « Au combat c’était un César, mais hors de là, presque une femme », écrivit à son propos Napoléon – Jean-Louis Murat fut aussi l’étendard d’un lieu-dit : Murat-le-Quaire. Village depuis lequel l’artiste tira son nom de plume et son œuvre sa source.
Je m’y suis donc rendu pour y « observer le silence ». Son silence.
L’avant-veille, je m’étais d’abord arrêté à Clermont-Ferrand, près de la vaste place de Jaude où s’étaient réunis une poignée de fans sous un chapeau de paille et la statue de Vercingétorix. Clermont-Ferrand, où, au 7 de la rue Jean-l’Olagne, Jean-Louis Bergheaud, Christophe Dupouy et Denis Clavaizolle conçurent à l’extrême fin des années 1980 l’album Cheyenne Autumn et sauvèrent de ce fait leurs peaux d’Indiens arvernes « […] avec Marie, un revox, un 4 pistes K7, une TR808, une TR707, un minimoog etun DX7, guitare et basse dans un ampli pourri, des sons naturels qu’on sculptait à notre façon avec un sampleur Akai […] » (Denis Clavaizolle). C’est dans ce rez-de-chaussée sur cour « au décor terne (lumière chiche, rideaux de filet), canapé, pouf and co verts (?), salon replié, minichambre d’étudiant-studio » (Bayon) que Murat posa en train de faire la vaisselle pour illustrer un article paru dans Libération le 15 février 1988 dans lequel la plume de Bayon exprimait pour la toute première fois son intérêt pour cette langue de « déjà vu-verlainien » pourtant « à nulle autre pareille »
Quelques années plus tard, en 1993, je poussais la Lancia Y10 de ma mère sur la route du Col de la Croix Morand, toutes fenêtres ouvertes sur la brume une cassette du Manteau du pluie enfoncée dans l’autoradio. Je n’imaginais pas alors que, 30 ans plus tard, tandis que je m’engagerais dans la travée centrale de la basilique d’Orcival pour me recueillir devant le cercueil de Murat, c’est cette sublime chanson Col de la Croix-Morand
qui s’élèverait sous la voûte romane : « O je meurs mais je sais / Que tous les éperviers / Sur mon âme / veilleront... »
Le 23 décembre de la même année, j’étais allé voir Murat au Transbordeur de Lyon, pour l’un de ses tout premiers concerts. Un verre étant donné en son honneur après le spectacle, j’entrepris de le saluer. Une fois n’est pas coutume, personne ne me barra la route. Dans cette salle où j’avais un soir, grâce aux largesses de Thierry Frémaux, eu la joie de converser avec John Cale, je m’approchais timidement de Murat. J’avais 20 ans, et lui 40. L’abordant facilement, la discussion s’engagea et je lui avouai peu à peu qu’encore étudiant aux Beaux-Arts, j’écrivais moi-même des chansons. J’enregistrais à l’époque des mini-albums guitare-voix sur un magnéto-cassette une seule piste, si bien que chaque cassette étant unique, j’imaginais lui envoyer une bande enregistrée tout spécialement pour lui. Mais tout à coup Murat se rabroua et me suggéra de plutôt lui donner ma guitare. Me demandant sa marque, il se ravisa en me disant que c’était « de la merde » et m’enjoignit plutôt à la casser. Entrant soudainement dans un accès de rage, l’Auvergnat m’expliqua qu’à mon âge, il avait été contraint de faire « des casses » pour réunir le matos de son premier album. Il vivait encore « au Smic » et déconseillait à quiconque de faire oeuvre de chansonnier dans « ce pays pourri ». Pour lui, la chanson française, déjà, était une branche morte de ce qu’il nommera plus tard « l’arbre de la négativité ». Je comprends aujourd’hui seulement qu’il pensait sincèrement en être le dernier martyr. « Cruel envers lui-même et beaucoup envers les autres », comme précisa Bayon à son enterrement, peut-être cherchait-il déjà à nous protéger ? Toujours est-il que jamais plus je n’osai m’approcher du « beau dégoût » dont parle Yannick Haenel à son propos lorsque je le recroisai une ou deux fois par la suite.
La veille de son enterrement à Orcival, le libraire d’anciens de la
Bourboule me confia qu’il avait vu Murat entrer dans sa boutique
quelques jours avant son décès. En traversant le pont sur la Dordogne qui prend sa source un peu plus haut, sur le Sancy, le poète d’Orcival avait observé un rare cincle plongeur. La présence du petit passereau (Cinclus cinclus), capable d’évoluer sous la surface comme une loutre, étant pour lui gage de la qualité des eaux, Murat poursuivit sereinement sa marche sur le quai Jeanne-d’Arc jusqu’au café de la Poste où il avait pour habitude de prendre son café. Quelques jours avant, il avait joué à Tulle et terminé son concert par une version décharnée de sa chanson Taormina : « La mort est dégueulasse. »
Le soir même, sur la terrasse de l’hôtel Notre Dame qui fait face à la basilique d’Orcival, je rencontrai par hasard le tout premier carré de fans de Murat : Amparo, Barbara, Alexia, Virginie… Celles qui partout suivirent Murat sur la route durant plusieurs dizaines d’années – toujours debout au premier rang, même quand la fosse était à moitié vide – s’étaient en effet ici donné rendez-vous. La nuit fut longue de leurs récits et dans leurs yeux brilla comme jamais l’étoile du Berger, accrochée au dessus du clocher de l’austère basilique.
Au petit matin, sur la petite place pentue d’Orcival, une sono avait été installée. Tandis que les croque-morts veillaient sur le corbillard gris métallisé, en attendant la sortie de l’église du cercueil, le morceau de Murat « Les Hérons » planait au dessus du village : « Que dans les ronces vers la Sagne / Où se retirent les hérons / En larmes bleues / D’un bleu final / Savent mourir / Les compagnons ».
Puis la longue plainte de Jennifer Charles raisonna dans la vallée « Bang bang bang / You shot my heart... »
Le « French Lynx » geignait : « Mais qu’auriez-vous fait sans moi mes petits chats ? »
Son lied s’entendait-il jusqu’aux rives du lac de Guery ?
« Qu’auriez-vous fait sans moi mes petits chats ?
Obéi... Comme des cadavres ! »
Oui, sur la place tous vêtus de noir, c’était bien nous les « petits chats » ; mais le cadavre c’était lui. Qui pour nous protéger désormais ? Je levai les yeux vers la girouette pour me rassurer : point de héron mais un vol d’hirondelles dont les piaillements acides était couvert par la voix du chantre plaintif. Un Boeing passa, laissant une trainée blanche dans le ciel désespérément bleu, puis le cercueil de chêne clair de Murat s’éleva enfin « Sous le soleil de Satan » . Alors, alors seulement la voix d’or des monts Dore se tue, sous un tonnerre d’applaudissements.
La silhouette sombre de Gaspard Bergheaud dans son manteau de pluie se reflétait sur la vitre du fourgon qui brillait de tout son gris de héron sur la placette ensoleillée. Justine sa soeur, son demi-frère et puis ses nièces, dont l’une boitait, s’arc-boutant sur une béquille, complétaient le cortège.
En voyant « de mes seuls yeux tranquilles » Gaspard courir derrière le corbillard qui démarrait, je songeai tout à coup à Kaspar Hauser, l’enfant sauvage chanté par Verlaine… (4) À ces deux mots – « Cheval, cheval ! » et à la seule phrase que ce probable fils de Prince su jamais prononcer de toute sa vie de gueux : « Cavalier veux comme père était ».
Comme Kaspar, comme Gaspard, je me sentis tout à coup « orphelin » du commandant en chef des Chevau-légers, Grand Lièvre et premier Rossignol de la France.
Sur le bitume la béquille de la petite fille du poète faisait un bruit de socques « clic, clac – et plus sourds, dans l’herbe humide – floc, floc » comme dans un livre de Bernanos. (5)
Au bout de la D27, où Jean-Louis tant de fois mouilla son maillot, le fourgon Fiat tourna au virage, puis disparut dans la bruyère. En contrebas, à La Bourboule, un film projeté sur l’écran nu du Ciné Vox, dans un « éclat mauve délétère », cassa."
(1) Poète antique chantant l’épopée sur sa lyre
(2) Paul Fort, L’enterrement de Verlaine
(3) Louis Aragon, Un jour, un jour
(4) Paul Verlaine, La chanson de Gaspard Hauser
(5) Georges Bernanos, Sous le soleil de Satan
NOVO 69 (été 2023)
 
 
PS: j'ai eu la chance d'entendre mieux Bayon: http://www.surjeanlouismurat.com/obseques-jeanlouismurat-brunobayon
 
 
L'hommage en plus
 
J'ai eu l'idée après le passage dans la basilique de faire un message à Cherie Oakley, la fille au coeur du Cours... Elle vient de prendre connaissance du message.... Merci à elle.:
 
I was deeply saddened to hear of the loss of the incredibly talented French artist/musician Jean-Louis Murat. I am so honored to have been a small part of his musical legacy, my prayers remain with his family.
 
Ce mot a été rajouté à la liste des hommages consultable ici
 

Rédigé par Pierrot

Publié dans #2023 après

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M
La météo annonce un beau ciel pour ce week-end auvergnat pas comme les autres. On prend la route tout à l'heure, dès que mon Jules sera rentré du boulot, une longue route avant de rejoindre notre pays de cœur et de vous retrouver toutes et tous ce soir. Un immense MERCI, cher Pierrot, pour les belles émotions qui s'annoncent ! Yesss Sir !
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F
Magnifique hommage ! Merci !<br /> Ce déjà vu Verlainien...<br /> Ceci étant, meme si Jean-Louis disait la mort est dégueulasse, en fait, il n'en est rien, la mort est ce qu'elle est, comme la vie, la vie aussi peut-être dégueulasse parfois ... Jean-Louis avait peur de mourir et de vieillir aussi ( Dieu me garde ... ) et ça fait du bien de catharsiser ( je ne sais pas si ca se dit ) sa rage et sa peine en disant que cest dégueulasse meme si ce n'est pas vrai...
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