Un texte inédit de Jean-Louis Murat sur VERTIGO d'Hitchcock
Publié le 4 Septembre 2023
Voilà un moment que j'étais à la recherche d'un document inédit, avec l'aide de notre correspondante parisienne mais il s'avère que l'on ne suivait pas la bonne piste. Jean-Louis Murat a parlé en interview d'un texte psychanalysant qu'il aurait écrit sur Hitchcock. Pour moi, il s'agissait d'un texte de jeunesse quand il s'essayait au journalisme (dans les inrocks en 2000: A mon arrivée à Paris, j'ai regardé dans l'annuaire les cinéastes qui y étaient. Il y avait Claude Sautet, je l'ai appelé, je suis tombé sur lui directement, on s'est vus, on parlait cinéma. J'ai écrit des papiers dans des revues de cinéma amateur). . ll parlait d'un travail fait pour une personne qui a travaillé ensuite pour Canal+ (j'ai ainsi questionné Philippe Dana, Dionnet...).
Et voilà qu'en naviguant sur un tout autre sujet, je tombe sur un article.... où figure ce texte signé Jean-Louis Murat à propos de VERTIGO... en 1990. Il figurait déjà sur le net depuis 2022. Je ne comprends pas tout et la mise en page interroge, mais on y croise Géronimo, Cohen et Neil Young... et Saul Bass (le graphiste de l'affiche du film)... et Freud... souvenir d'enfance et propos sur l'amour... Des bribes de toute une vie. Allo, Mme Cinéma?
- Tu te fous de moi, Paulo? Une journée entière à monopoliser les ordinateurs et les bibliothécaires, d’abord serviables et diligents, puis amusés du rempart de vieux papiers construit sur la plus grande table en un temps record, un peu inquiets de voir leurs gros cartons tanguer à 2 m de hauteur, consternés de me découvrir à la fermeture à croupetons sur leur moquette, de gros et précieux volumes étalés à même les allées… Et pendant ce temps, Paulo au téléphone : Toujours rien ? Tu as regardé la base de données ? Oui, tu n’y es que depuis 30 mn, et alors ? Et Tu en es où ? J’ai regardé la base de données, je te jure il y a des trucs. Et Ca avance ? Tu déjeunes ? Encore ? Tu comptes y retourner ? Parce que bientôt ça ne sera plus la peine, ça ferme tôt, hein, j’ai regardé les horaires, Et encore Ah, en fait, je dois te dire, ce que j’ai trouvé sur la base de données c’est à la Cinémathèque de Toulouse… Bon alors ?? OK, ne t’énerve pas. Laisse tomber Hitchcock. Tu peux chercher sur Mademoiselle Personne ? Sorti quand ? Euh, jamais. Pourquoi ? Et maintenant, tu viens me dire que ce texte était déjà sur les internets? T'as de la chance que le blog concurrent ne recrute plus!! Je te le dis! Bon, je t'écris un truc vite fait:
- C’est très émouvant de découvrir ce si beau texte, surtout après l’avoir laborieusement cherché et surtout sur un des plus grands films de tous les temps ! et de se dire qu’on n’a sans doute pas fini de découvrir des pépites et de continuer à s’émerveiller.
C’est bien du Jean-Louis Murat, à la fois aigu, poétique et buissonnier
Qui admiratif se promène dans les images et les motifs du film, des films d’Hitchcock
Qui malicieusement interroge ses obsessions dans un jeu sur la langue – traductions et jeux de mots - et les associations d’idées (le texte psychanalysant !)
Et, d’une obsession l’autre, retrouve dans ce vertige face au femmes, au temps et sa profondeur ce qui l’habite et l’anime, qu’il a chanté sa vie durant.
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Vertigo ; maladie des chevaux, qui se manifeste
par le désordre des mouvements,
Mais aussi ?
le nom d’une couleur
d’une ariane brune
le nom d’un empereur
d’un poète albanais
d’une maladie d’amour
du parfum des jonquilles
d’une Jaguar…..
Si le vertige donne des « sueurs froides »,
c’est donc La Peur ?
« La peur , c’est l’attente de la peur »
… le vertige , toujours …
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-enfant , quand l’un de nous avait le vertige, nous chantions
« oooh , il a la tige verte. » .
disait-on « oooh green cock » au petit Alfred ?
En - a- t’il été affecté ?
n’a-t’il mis en film depuis que ses passages à vide ?
l’Anglais est-il le moins terrien des humains ?
tous les Anglais sont-ils des marins ?
vide et emptiness ont-ils
La peur du vide est-elle naturelle ?
celui qui n’a pas peur du vide est-il un homme mort ?
pour l’Anglais, l’hypocrisie est-elle un art de vivre ?
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*1. Quand on a le vertige , on ne se penche pas sur les femmes.
*2.Quand on a le vertige , on ne se penche pas sur le passé.
*3.Quand on a le vertige , on ne se penche pas sur les films d’Hitchcock.
une fausse blonde, brune
Une fausse brune , blonde
ne saurait me tromper
mourir d’amour
c’est mourir de ne pas être aimé
ne pas être aimé c’est ne pas savoir aimer
vertige ?
non
2. le séquoia se nourrit de la terre
la peur se nourrit d’elle même
Neil Young se souvient de son amour
Pour une jeune Indienne
du temps de Montezuma
… couché sur l’herbe rase du Montana
Leonard Cohen écoute
les derniers échos
de la cavalcade
des guerriers des faits de Geronimo
Quand on a peur de regarder derrière soi
on a peur de regarder en bas
le passé dérange ceux qui n’en ont pas
vertige ?
non
3. « l’ attente de la peur est une folie »
un couple sans enfant
des lunettes
lui même
Freud
des mathématiques
des baisers
Saul Bass
des oiseaux
des communistes
des blondes
des désirs cachés
un échafaudage
le piège…
la trappe…
les chutes…
… toujours le vertige, et Hitchcock est heureux.
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Au début du texte, si Vertigo est effectivement une maladie dont sont atteints les chevaux et une voiture Jaguar, il semble que Jean-Louis laisse vaguer son inspiration sur ce nom, comme pris dans l'effet du même nom (procédé technique -travelling inversé- que crée le réalisateur sur ce film) ou les tourbillons du générique : pas de trace sur le net d'empereur, de poète albanais, et d'ariane brune (sans majuscule?)... alors que "le parfum des jonquilles", "la maladie d'amour" nous renvoient clairement à l'univers muratien. La suite se poursuit à cheval : par "BRIBES abattues".
Florence D, tu complètes, je n'ai qu'un souvenir vague du film?
- On pourrait multiplier les illustrations pour ce texte plein de références:
Sur le séquoia, contemporain de la découverte de l'Amérique, et même de la bataille d'Hastings:
Saisissantes stries de l’arbre, vertigineuse profondeur du temps. Et le mystère de cette femme qui dit venir de si loin. Superposition des époques, plongée dans le passé, comme Neil Young se souvenant de Moctezuma dans Cortes The killer et Cohen écrivant sur le sort funeste des « First nations » ("Kateri Tekakwitha" dans Beautiful loosers).
- Alors que le personnage est pris de vertige stérile et de peur à leur contemplation, pour les artistes, c'est un tourbillon vers l'inspiration et les souvenirs... comme ceux du parc fenestre (qui n'ont que 200 ans) ?
Certes... peut-être. Encore quelques échantillons, pour le plaisir?
- « Lui-même":
Même dans un huis-clos sur un bateau (Lifeboat)
- "Freud":
et Dali (La Maison du Docteur Edwardes).
- "Des baisers"…
On doit à Hitchcock le plus long de l’histoire du cinéma (Les Enchaînés)
- "Des blondes"… Et des britanniques
Grace Kelly (dans Fenêtre sur cour)
Hitchcock dans ses entretiens avec François Truffaut :
« Qu’est-ce qui me dicte le choix d’actrices blondes et sophistiquées ? Nous cherchons des femmes du monde, de vraies dames qui deviendront des putains dans la chambre à coucher. (…) Je crois que les femmes les plus intéressantes sexuellement parlant sont les femmes britanniques. (…) Une fille anglaise avec son air d’institutrice est capable de monter dans un taxi avec vous et à votre grande surprise de vous arracher votre braguette »
- oui, Blonde/brune... Murat a toujours choisi (Une fausse brune, blonde ne saurait me tromper")
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Merci Florence! NB: Vertigo est disponible en VOD entre 3 et 4 euros.
[ Murat journaliste: POUR RAPPEL / Pour LIBERATION / pour Chanson]
Le texte est tiré d'un article signé Pierre Gaffié, réalisateur-journaliste et ancien chroniqueur cinéma de Nulle Part Ailleurs... qui en profite pour nous raconter son Murat...
Il y a trois décennies, Jean-Louis Murat avait accepté d'écrire un texte sur "Vertigo" d'Alfred Hitchcock dans le cadre d'un livre que j'écrivais. En pleine promotion de "Cheyenne Autumn", il avait réagi avec une gentillesse incroyable au jeune provincial pressé que j'étais aussi. Il m'a envoyé ses deux textes (l'autre sur "Taxi driver") tapés à la machine dans une enveloppe kraft que j'ai encore. Le texte est plus bas... Quand je l'ai rencontré, je lui ai dit à quel point "Cheyenne autumn" était beau. Il avait fait un petit geste des épaules que je n'ai jamais oublié... C'était très sphynx et très humble à la fois. Comme s'il était déjà passé à autre chose...
1989 : "L'ange déchu" est un choc un coup de balai dans mes oreilles. Je n'en croyais pas mes sens. La chanson a habité mon esprit des mois et des mois. A l'époque, je présentais le cinéma sur "Nulle part ailleurs" (C+), ce qui avait quelques avantages induits, notamment l'amitié de Pascal Aznar, qui travaillait chez "Virgin", la boîte de Murat (qui s'y sentait d'ailleurs en boîte). J'ai reçu le CD du "Manteau de pluie du singe" par coursier et c'était comme une livraison de pain béni.
Je suis frappé par "Cours dire aux hommes faibles" et son rythme trépidant, qui s'accélère, alors que justement on parle de faiblesse. Quel oxymore ! "Col de la Croix-Morand" évidemment. J'y suis allé plusieurs fois dans ce col, à ce col, seul et accompagné. En 2016, ma compagne ne voulait pas monter au sommet : trop haut, trop chaud. Elle m'a conseillé d'y aller tout seul, que je lui raconterais, etc... J'ai grimpé au sommet de la montagne qui surplombe le col. Puis, en jetant un oeil distrait sur le contrebas, je vois un petit chien, le nôtre, qui monte à grandes enjambées. Cebeau Wwesty était en train de montrer le chemin à ma compagne, lui disant : "Viens, on va retrouver Pierre !" Nous nous sommes retrouvés à 3 en haut... Je crois à ces signes telluriques. Le chien s'appelait "Pégase", un nom cité par Murat dans "Fort Alamo".
La première fois que j'ai entendu parler de Murat, c'était dans un entretien de William Sheller. J'ai tendu l'oreille. Je trouvais "Si je devais manquer de toi", joli, inhabituel mais pas envoûtant au point de... Jean-Louis est venu la chanter sur le plateau de "La vie à plein temps" (France 3) à Toulouse. Ce jour là, pur hasard, je faisais une chronique cinéma en direct. Murat chantait juste après et j'ai eu l'impression de passer devant la caméra en quittant le plateau. Je me sentais con et embarrassant. Heureusement, en régie, le réalisateur ne dit qu'il n'a rien vu. J'avais donc frôlé Murat sans le masquer. Anecdote...
"Cheyenne autumn", quel album ! Depuis, je me suis dit (sans preuves) qu'il s'agissait sans doutes de chansons que Murat avait en stock depuis plusieurs années, et qui avaient été "embellies" par les synthés, boîtes à rythmes, bref l'emballage "Virgin" (et je dis ça comme un compliment). La preuve, il a peu chanté les chansons de cet album par la suite, y compris les plus belles ("Amours débutants", "Te garder près de moi", "Le garçon qu maudit les filles", "Le troupeau"...
C'est en écoutant ces chansons que je suis allé à Clermont-Ferrand pour la première fois. Mon grand-père m'en parlait souvent, lui qui négociait du bois depuis Brive-La-Gaillarde. En serpentant dans la ville, je pensais à "Ma nuit chez Maud" et à Murat, ce chanteur pas à la mode...
J'ai été déçu par "Vénus" qui bégayait selon moi. Trop vite. Je me souviens aussi d'une discussion avec le cinéaste Laurent Larivière (qui ne portait pas ce nom à l'époque) et qui me disait "Non, Pierre, c'est l'album de la maturité !". C'est bizarre les goûts...
"Dolorès" m'a frappé, comme un uppercut. Ce train bleu, ces allers-retours sentimentaux, ces "à quoi tu rêves", cette réinvention rythmique. Et surtout, j'étais bouche bée devant la crudité de "Fort Alamo" : "Tes gestes d'orfèvre, ta vie de femelle, je te jures que je m'en fous... De ma vie vulgaire dans l'armée de l'air, je garde l'amour, c'est tout... Si dans tes bontés internationales, je ne vaux plus le coup". Tellement de double sens, que c'est érotique, je trouve, une séparation quand on y pense. Je trouvais que c'était plus fort que Bashung, car sans humour et jeu de mot qui sauve. Murat y allait franco. Je me souviens qu'à la même époque Kubrick disait à son scénariste de "Eyes wide shut" (Frédéric Raphael) : "Surtout, pas de bons mots dans les dialogues !" Ça me plait cette rugosité. L'humour vient trop souvent rendre démagogique les coeurs blessés, je trouve.
"Mustango", c'est le cross-over. L'imaginaire américain rendu prégnant par les musiciens de "là-bas". J'ai toujours été fasciné par le petit roulement de batterie au début de "Jim". Pour moi, c'était comme si Murat appuyait sur la touche "extra ball" d'un flipper et relançait la partie, sa partie. Quelques années plus tard, Murat était chez Drucker, invité par Patrick Sébastien. A la fin de "Au mont sans-soucis" (pour moi l'équivalent moderne du "Fidèle" de Charles Trénet), Sébastien, briviste, a dit à Murat le clermontois : "C'est chouette que tu aies fait les chants d'enfants toi-même à la fin !". Ça m'a rendu Sébastien terriblement sympathique.
"Le moujik et sa femme", c'est la preuve qu'il faut savoir nommer une oeuvre. Quel beau disque. "Foule romaine", quelle ode à la sensualité, on se croirait au milieu des cigales, alors qu'il n'y en a probablement pas à Rome. "Moujik"... Oui, il faut nommer un disque, car quelques mots le colore alors que tant de chanteurs donnent des titres passe-partout et passe-plat.
Un jour à Colombes, j'ai pu revoir Murat, backstage. Il y avait des fruits et des sucreries dans des coupelles, ça m'a surpris. Il était non pas discret, mais désinvolte. Je crois que c'est sa manière de ne pas se prendre au sérieux ou peut-être de se dire que la vraie vie est ailleurs que dans les bavardages du quotidien. Quel dommage qu'il y ait succombé dans les médias. C'est quand même une énigme ce comportement médiatique, c'est presque comme Céline en littérature...
Pendant le concert à "L'avant-scène" de Colombes, un couple (vers le 5ème rang s'est levé et est parti, discrètement. Il n'y avait pas mort d'homme. Il devait être surpris de ne pas voir le Murat de "Regrets". C'était l'opposé à vrai dire : JLM déstructurait toutes ses chansons à la guitare et il a fallu du temps au public pour reconnaître "Jim". Ça aussi, c'est l'apport de Murat : la dialectique, la contradiction, entre ses albums studios et leurs rendu "live". Qui d'autre que lui l'a fait autant.
Quelques mois avant j'avais réalisé une fiction dans laquelle on entendait "Le verrou", cette magnifique chanson de Julien Clerc (peut-être sa plus belle) dont Murat avait écrit le texte. Pendant des années j'ai relancé" Murat pour savoir s'il avait vu le film, s'il l'aimait. Jamais de réponse. Là, on touche du doigt le fosssé. Quel regret. Mon souhait était de faire un clip pour lui. En 2023? j'y croyais encore...
La photo noir et blanc dans la pochette de "Babel", ambiance film policier à la Robert Siodmak me captive. Que se passe t-il vraiment sur cette photo ? Dites-le moi...
Quelle ironie : c'est son riff dans "Mashpotétisées" (où deux présidents de la république et Johnny sont attaqués) qui, repris dans une pub pour "La banque postale" qui aura été peut-être sa musique la plus lucrative. La vie est une farce...
"Grand lièvre" me semble supérieur à "Morituri". Il y a une fougue insouciante tellement pleine, tellement accueillante. Peut-être que Murat est plus fort question bestiaire (le lièvre) que question abstraction (je parle du titre)
En arrivant dans le "four à pain" (une merveille de maisonnette en pierre), le propriétaire m'a montré ses vaches, qui allaient dormir pendant 6 jours juste au-dessous du gîte. La nuit, certaines regardaient la pleine-lune. Regardez la pochette intérieure de "Innamorato"...
LE GRAND RETOUR DU LIEN EN PLUS VERS LE PASSE ET L'INFINI AU DELA
Je l'avais partagé à l'époque, mais Murat qui nous parle de 1969, c'est une très belle archive
https://www.facebook.com/biscuitproduction/videos/2334873450085037/