Bibliographie : Du côté de chez Fred (Fred Jimenez "Johnny H. et moi")
Publié le 30 Avril 2024
Ouais, bein, y a pas que Florence qui peut écrire des chroniques littéraires sur ce blog... Moi aussi, j'ai passé mon bac de franssais... Mais malheureusement, pas sur un livre qui cause de Jaune-hi. Allez!
J'ai fait l'acquisition du premier livre de Fred Jimenez Johnny H. et moi (au Cherche midi).
Il faut qu'on encourage cet essai, au cas où Fred aurait de quoi écrire son JL. Murat et moi... ou un Murat, Houellebecq, Burgalat et moi. Il aurait bien aussi quelques anecdotes croustillantes sur le rock en Suisse, avec son groupe les Needles, genre quand ils ont été obligés de sauter un repas, ou été en retard d'un quart d'heure à une répétition, ou qu'ils n'avaient plus de vacherin pour leur fondue et qu'ils ont mis de l'abondance... Je fais des vannes sur les Suisses par fidélité à Jean-Louis (excuse un peu pourrie?) mais que mes bêtises ne vous induisent pas en erreur : ce n'est pas ce genre d’anecdotes moisies que Fred nous délivre presque à chaque page dans ce premier livre ! J'ai un peu de mal à le chroniquer tant elles sont nombreuses et croustillantes et c'est tentant de toutes les raconter... mais je ne veux pas vous priver du plaisir de les découvrir par vous-même. A vrai dire, je n'ai pas appris tant de choses sur Johnny (mais ça ne sera sans doute pas le cas pour tout le monde), sur cette vie totalement à part, à crédit, "un carrosse rempli d'or filant à toute à allure et perdant des pièces en chemin" dit Fred. En tout cas la chronique de tout son "environnement", parfois nid de vipères, est passionnante, même si ce n'est pas l'essentiel du livre.
Je vais d’ailleurs essayer de me concentrer sur ce que le bouquin nous dit de Fred.
Même si pour certains lecteurs, jouer avec Jean-Louis Murat pourrait être considéré comme un summum et un nirvana artistique, matériellement, ça se traduit surtout par avoir son intermittence (oui, c’est déjà pas mal de nos jours), dormir au Campanile et jouer devant 300 personnes... Jouer avec Johnny, dans des stades, c'est une chance immanquable (comme tenter de lui placer une chanson, même Murat s'y est essayé), et d’ailleurs Fred a raconté que Jean-Louis l’a encouragé dans cette aventure, lui disant « tu nous raconteras ». Même si Fred avoue ne rien connaître de la discographie de Johnny, on ne sent jamais qu'il est là pour l'argent, et ce livre n'est pas une façon de cracher dans la soupe après coup. De toute façon, financièrement, pas de quoi devenir millionnaire non plus (Fred donne le montant de ses cachets pour un stade et le montant de ses défraiements journaliers à L.A - 17 euros). Mais ça permet notamment de rencontrer un certain Paul MC. ou un Brian W. (et tous ses collègues, venus assister à des répéts). Vous imaginez ce que ça peut être pour le compositeur de A bird on a poire ? Toutes ces pages sont charmantes : « J’étais tellement content de jouer pour eux », s’émerveille Fred.
Un des grands charmes du livre est le récit de ses tribulations de grand timide, gentil, un peu hors-sol (pas du "sérail" dit-il) tentant d'interagir avec ce "monstre" tout aussi timide, un enfant qui vit au gré de ses envies (acheter des bottes ou faire une tournée aux États-Unis et qui fait des caprices quand la loge est trop petite ou qu’il y a des places vides). Il y aurait de quoi écrire un bon scénario à la Francis Veber avec un duo pareil (gamelles physiques compris), et le "Pignon" ne serait finalement pas celui qu'on croit... (Oui, je fais des chroniques littéraires et en plus je place des réf de haute volée).
Deux exemples : on peut citer la description d'une garden-party pour laquelle Fred se sent obligé de venir avec un présent... un disque, et Johnny se vexe : "il croit quoi? Que j'l'ai attendu pour avoir un disque?"... La soirée se termine avec les convives très éméchés, et Jojo lui propose de revenir une autre fois : "on fera venir des putes". Et plus émouvant : pour une des dernières rencontres, la femme de Fred lui a confié une mission très importante : demander au chanteur s’il peut leur donner des conseils à propos de l’adoption d’un enfant. Timide, Fred se lance et demande doucement à l'oreille de Johnny... qui s'empresse d'interpeller Laetitia et tous les nombreux convives présents ! L'anecdote se termine par une belle nouvelle : finalement, un enfant "naturel" s'annonce à la grande surprise du couple, ce qui sera déterminant pour la suite : "nous étions fou de joie (...) Mon choix fut vite fait, il était hors de question que je rate la venue au monde de mon fils et je tenais à rester auprès de ma femme pendant toute la grossesse"... et il décide donc d'arrêter ici l'aventure. Et moi de me souvenir d'un avant-concert à St-Egreve où j'attendais Isabelle (habituel donc – running gag depuis 10 ans), dans ma voiture sur le parking. Fred passait un coup de téléphone, que j'ai deviné être pour son enfant, je l'avais trouvé comme souvent touchant... Mes autres souvenirs avec Fred (notamment quand on a remis à JL le disque Aura aime Murat) sont tout aussi conformes : timide et en retrait, gentil, mais j'ignorais que l'impression pouvait aussi être liée à une myopie qu’il n'a jamais voulu traiter et qui le fait vivre dans un léger halo. Cependant, avec ce livre, il démontre que c’est avant tout une position d’observateur fin et attentif... et jamais méchant.
2011, devant la Coopé :
Autre point de fragilité : Fred ne lit pas la musique, et explique qu'il répète en écoutant les disques, en s'aidant grâce à son oreille et à une excellente mémoire. Le choix de Yarol Poupaud, directeur musical, d'être fidèle aux disques et de la jouer "très rock and roll" rend la chose possible... mais ce n'est pas sans poser problème. Certains attendent Yarol au tournant - et Fred avec lui - mais son amitié avec Johnny et celle sa femme avec Laetitia lui offrent une certaine sécurité.
Voici pour le côté un peu timide de Fred au sein de ce barnum, mais le livre montre aussi un vrai caractère, loin d'une personne effacée... souvent grâce à cette magie de la musique qui fait des timides des rock-stars bondissant devant 80 000 personnes.
Le fait est que malgré le souhait de Yarol Poupaud de l'avoir avec lui, Fred a dû passer un entretien avec le producteur, plutôt sceptique mais qui se disait peut-être qu’il pouvait faire des économies sur le cachet du bassiste. Fred fait le forcing, mentant sur son niveau d'anglais (il s’inscrit à un cours d'anglais le lendemain de l'entretien d'embauche) ou sa connaissance de la contrebasse (qu’il n’a jamais pratiquée, mais il en loue une, pour s’entraîner - un premier prix fort peu jouable se rendra-t-il compte plus tard) ou encore se prépare en faisant du vélo d'appartement (en se documentant sur la physique quantique en même temps). Et il restera sur la sellette longtemps, il ne fait pas partie du sérail (cf notamment les anecdotes-peau de banane avec Alain Lanty –seul le prénom est mentionné - ou Y. Kassar surnommé "Berlioz" qui voudrait le faire changer de types de cordes, mais Fred ne se laisse pas faire).
L'ombre du bassiste des Stones pressenti par le manager des musiciens américains qui veut placer ses clients plane derrière lui. Mais Johnny l'aura finalement assez vite à la bonne : il voit bien son implication sur scène et en répèt, et Calogero lui dit que son bassiste est excellent... Mais ça ne tient qu’à un fil. La veille du premier concert, le technicien pour la basse démonte l'instrument et se rend compte qu'effectivement, la connectique du jack est prête à lâcher... à un fil près. D'ailleurs, on peut se demander si ces instruments ne sont pas représentatifs de leur propriétaire : une Squier made in Japon et une gibson EB0 de 1965 (la plus "cheap" de la gamme). Fred ressent une petite gêne de se présenter avec un tel matos mais ça lui convient, pas besoin du "paraître"... Et "le son est dans les doigts" dit-il.
Toute la description de la « cour » et des répétitions est très savoureuse (ce n'est pas que du vaudeville, il est très souvent question de musique). Et là encore, Fred témoigne de sa singularité : même s'il s'est préparé en faisant du vélo, à L.A. et en tournée, il n'a pas renoncé à quelques virées nocturnes alcoolisées... Les Américains, eux, se couchent tôt, vont faire leur jogging... puis jouent assis, alors que lui et Yarol sont toujours à 200%. Le plus spectaculaire : "Johnny n'en a jamais rien su", mais Alain L. en faisant des pompes le matin s’est cassé la main... et a joué d'une main et avec un bac à glaçon à côté de lui.
Voilà donc pour le portrait de Fred auquel les fans de Jean-Louis Murat ne manqueront pas d'être sensibles. Il n'est pas dénué d'autodérision, ce qui est très plaisant.
Je voulais aussi souligner que le livre ne sent pas le copinage. Tout ce qui est dit autour de Yarol laisse penser à une volonté de faire une description fine (et pas neutre!), même si c'est un pote, et que c'est grâce à lui que Fred vit tout cela (Philippe Manoeuvre, qui aida vaguement Jean-Louis à ses débuts est à l'origine de leur rencontre). Ainsi, Fred indique que, dès l'arrivée aux répéts à Los Angeles, la seule préoccupation de Yarol est de trouver une mustang de location !
J'aurais envie de vous raconter l'anecdote en lien avec les Gipsy King qui amena Fred à leur composer un premier titre mais je ne veux pas la synthétiser. C'est très drôle. La partie où il raconte que Johnny lui a demandé d’écrire des chansons pour lui avec Miossec l’est un peu moins. Le manager Sébastien Farran* qui devait lui donner les coordonnées de Miossec ne lui répond pas. Fred se débrouille quand même pour les avoir, ils livrent cinq chansons... et n'auront jamais de nouvelle. Il raconte que c'est le directeur artistique Bertrand Langlot qui semble avoir la mainmise sur le disque ("Johnny n'avait pas son mot à dire") et indique que Langlot était un de ceux qui a toujours voulu le dégager, et ce depuis le début.
*son papa Dominique a pu aider Jean-Louis comme l'indiquait Ardisson
Même si jamais le lien n'est fait par Fred, je me demandais un peu si ces gens-là ne lui faisaient pas payer son lien avec Murat (Fred cite A bird on a poire mais ne parle pas du texte de "Mashpotétisé"). Dans le livre de Pierre Andrieu, Fred rejette cette idée, il n’a jamais ressenti cela...
Voici donc ma restitution tout-à-fait subjective du livre de Fred Jimenez, que je trouve très réussi dans son humilité : on est vraiment dans "Johnny H. et moi", et quand on a aimé Fred toutes ces années à côté de Jean-Louis Murat, c'est vraiment un plaisir de le suivre dans cette autre aventure. Il nous la raconte comme il l'a raconté à ses autres "chefs" : Bertrand Burgalat et Murat... et intégrer ce cercle est agréable.
Les petites mentions de Jean-Louis Murat dans le livre (PS: c'est du fait du décès de Jean-Louis et de son planning qui s'est retrouvé vide que Fred s'est décidé à écrire).
"J'avais déjà écrit avec Jean-Louis Murat mais c'était très différent. Quand je lui envoyais une musique, il collait ses mots à la perfection sur la mélodie. Christophe (Miossec) lui me renvoyait 3 pages de textes très dense"
"Par la suite j'étais parti sur la route avec JLM avec qui j'avais noué une solide amitié et enregistré plus de 8 albums"
"J'ai toujours été très content de ma squier, elle est "tout terrain". Je l'ai utilisée pour tous les enregistrements de la période Tricatel et sur les albums de Jean-Louis Murat. A l'époque de Jean-Louis, j'avais fait l'acquisition d'une Gibson qui avait un son très différent et complémentaire, elle était très agréable à jouer".
"En 2004, j'avais entièrement composé et réalisé un album pour Jean-Louis Murat, A bird on a poire, qui avait marqué les esprits et s'était même retrouvé à conquérir comme meilleur album pop rock aux victoires de la musique". Et là cette phrase étrange sortie du contexte: "il n'était pas passé inaperçu mais de là à intéresser les Gipsy Kings".
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NB: On retrouve Fred dans le livre Les jours du jaguar de Pierre Andrieu, avec un très joli témoignage. Il y apporte des compléments à cet épisode jhônesque.
Complément : dans Les jours du jaguar, Stéphane Reynaud raconte que JL aurait mal pris le départ de Fred. C'était donc contradictoire par rapport à ce qu'on en savait. J'ai interrogé Fred:
Non, on est raccord avec Fifi [le fidele technicien], et Jocelyne. JLM avait accepté que j'aille avec Johnny. Stéphane se mélange les pinceaux. Il y avait eu une incompréhension et petite brouille entre JLM et moi quand je n'avais pas fait la tournée Taormina en 2006. On avait renoué en 2009.
Au contraire pour Johnny en 2011, je l'ai joué très cash avec JLM et lui ai expliqué entre quatre yeux que j'avais l'opportunité de participer à la tournée JH. Il m'avait dit de foncer. Même si dans l'absolu il avait un peu les boules il était content pour moi.
J'avais présenté Christophe Disco comme remplaçant et tout le monde, JLM, Stéphane et Slim, l'avait beaucoup apprécié, en tout cas au début...
Fred a accepté de répondre à une deuxième question sur la brouille au moment de Taormina:
Rien de grave. A l'époque de l'enregistrement de Taormina en 2006 il nous avait dit, ou en tout cas c'est ce que j'avais compris, qu'il ne tournerait pas en automne.
Avec Stéphane nous étions soulagés. Les cadences avaient été très intenses depuis 2002 et un petit break était bienvenu.
Finalement il a changé d'idée en été mais j'avais déjà accepté d'autres engagements pour l'automne.
Il en avait été un peu contrarié et à l'époque nous avions beaucoup communiqué à travers Laure et Marie. Jean-Louis n'était jamais facilement joignable par téléphone.
Cette triangulaire avait sûrement été à la source de l'incompréhension. C'est pourquoi pour Johnny je m'étais arrangé en direct avec lui et tout s'était bien passé.
Pour la tournée Taormina Marie avait engagé David [Fargione] et Michael [Garçon] et la brouille n'avait pas duré longtemps.
Merci Fred !
Et à bientôt dans une nouvelle aventure: son nouveau groupe Midnight Cross facebook et site officiel. Premier single le 1/05/2024!
Fred JIMENEZ sur le blog:
Interview inédite à propos de A BIRD ON A POIRE: http://www.surjeanlouismurat.com/2021/01/inter-vious-et-murat-jimenez-charles-n-1-du-cote-de-chez-fred-et-marie-jeanne-serero.html
Avant la préface du livre, un premier texte de B. Burgalat sur F. Jimenez (en fin d'article): http://www.surjeanlouismurat.com/2016/03/eryk-e-l-album-est-sorti.html (Fred ne m'en avait pas voulu pour ma réaction)
Sur la relation Johnny Hallyday / Jean-Louis Murat: http://www.surjeanlouismurat.com/johnny.hallyday-jean-louis-murat-collaboration-points-communs
LE PLUS EN PLUS
La promo du livre fonctionne très bien. Voici donc quelques compléments:
Fred raconte beaucoup de choses du livre à P. Manoeuvre.
On se quitte avec la musique de Fred avec mes vidéos:
NB:
Bon, finalement, je crois qu'y a pas photo, je vais laisser à Florence le soin de faire les chroniques littéraires...