"j'ai fréquenté la beauté" 15 novembre (en compte-rendu express et en intégralité) et Arnaud Cathrine
Publié le 19 Novembre 2024
J'ai pu m'organiser pour monter à Paris, même si la Maison de la Poésie a joué un peu avec nos nerfs en ne dévoilant la date du vendredi 15/11 que tardivement... la première date qui est devenue la deuxième, puisque une représentation jeudi a été ajoutée - ne permettant pas néanmoins à tous ceux qui souhaitaient venir de le faire. 160 places, c'est modeste. J'ai ainsi croisé le journaliste Dominique Séverac qui espérait rentrer par exemple.
D'ailleurs, dehors, c'était un peu la cohue dans le passage Molière, puisqu'un immortel vivant chauffait la place du nôtre, l'inacadémique tout aussi vivant d'après ce que nous dira quelques minutes plus tard Grégoire Bouillier. En effet, Dany Laferrière causait de James Baldwin à 19h, un Haïtien en lever de rideau d'un haï des siens (une partie de ses pairs mais je ne veux pas me justifier d'un mauvais jeu de mots)... Et en fait, l'autre frange (qualitative !) est là, bien représentée, sur scène mais aussi dans le public : je parle avec Barbara Carlotti qui m'évoque rapidement l'influence de Murat, ce dernier a aussi sorti CLOU (lui qui en est sorti beaucoup, des clous, d'où les inimitiés sus-évoquées), Barbara cite "Foule romaine" comme sa chanson préférée en story sur instagram le lendemain. L'adjointe de la Mairie de Paris aux anciens combattants est là, mais aucun rapport avec ses fonctions... Enfin, j'espère.
Je retrouve aussi Antonin, l'équipe du Lien défait... et on croise beaucoup de F : F. Vergeade, F. Loriou, F. LO, et la discrète F. du blog de Pierrot qui refuse tout net de se charger du compte-rendu... Ah, c'est dur de trouver du personnel.
Presque plus de personnalités donc qu'au dernier concert parisien de Jean-Louis... Non, ce n'est pas pour faire ma mauvaise tête, non. C'est juste pour parler.
Jolie scène, avec des canapés sur le fond et des tapis, c'est chaleureux.
La soirée débute avec le petit nouveau (dont nos lecteurs fidèles et très attentifs - je ne sais pas s'il y en a - connaissaient déjà l'amour pour Muragostang, l'un de ses trois disques préférés avec un Zappa et un Miles Davis) : l'écrivain Grégoire Bouillier. Exercice un peu difficile de démarrer une telle soirée, d'autant qu'il arrive dans un lourd silence de la salle, qu'il nous fait remarquer... Et il se lance dans une longue intervention, sur un rythme rapide, il a beaucoup à dire, c'est une course, c'est comme ça quand on a décidé de déclarer son amour que l'on avait tu longtemps, CQFD Penny!, faut que ça sorte, même si la pensée va plus vite que les mots qu'on en avale en passant, la sincérité évite toute péroraison pompeuse, et Grégoire de raconter que Murat n'est pas mort, qu'il est là l'accompagnant, qu'il ne peut être ami qu'avec des gens qui aiment également Murat (l'ami Pierre K. disait cela quelques temps auparavant), même dans ses piques de "Cyrano de La Bourboule" (il en cite quelques-unes - j'aime à rappeler moi qu'il a aussi dit du bien des rappeurs et même finalement de PNL mais passons-) pour terminer par un bouquet garni de vers, un cut up Murat très personnel, un best of perso, comme chacun en a un à lui, propre - ou plus sale (Eric Reinhardt fera lui aussi entendre les mots de Murat, dans une lecture émouvante et émue de "Au-dedans de moi" et "Bang Bang" : de la poésie, oui). Comme on le comprend en lisant son dernier livre, Le syndrome de l'Orangerie, chacun aborde une oeuvre avec son vécu, de son enfance comme aux jours précédents, son inconscient... un substrat qui va construire un pathos échappant peut-être à l'auteur - à condition de ne pas avoir la vie intérieure d'un teckel, pour reprendre une expression muratienne citée par Grégoire. Mais me voilà à le singer! C'est que je prends beaucoup de plaisir à lire Le syndrome de l'Orangerie, fasciné que je suis par les artistes, l'inspiration, la flamme -le feu sacré-, la vocation... C'est aussi ce qu'il nous raconte ce soir, et c'est très troublant de voir le narrateur de mon livre de chevet en face de moi, avec tout son aplomb et sa fantaisie (j'aime les deux ensemble).
Un solo de 15 minutes très applaudi, avant que les autres participants le rejoignent sur scène, et y restent : on alterne les solos, les duos, les chansons tous ensemble, mais tout le monde reste sur scène, s'assoit sur les côtés ou derrière, écoute attentivement... Eric Reinhardt contribue même au tambour sur "Nu dans la crevasse", piloté par Jeanne Cherhal qu'il ne quitte pas des yeux tandis qu'elle martèle le rythme à suivre sur sa poitrine. Et finalement Grégoire Bouillier et Eric Reinhardt s'agitent en gogo danseurs sur "Le cri du papillon" au deuxième rappel !
On retrouve beaucoup de titres joués à la soirée du 25 mai à la Coopé : très semblablement "La maladie d'amour" par Jeanne Cherhal, "Le cafard" par Morgane Imbeaud, comme la lecture par Eric Reinhardt, accompagné par Morgane, d'un extrait de son roman Cendrillon. Avec des variations sensibles et bienvenues cependant. Eric Reinhardt introduit sa lecture par le rappel du rôle qu'a joué Taormina dans la composition de son roman, et à une des périodes les plus difficiles de son existence. Il dresse aussi un beau portrait de Jean-Louis, homme et artiste. Florent Marchet a retravaillé l'accompagnement musical du "Monde intérieur", et la chanson prend encore une autre dimension : splendide reprise, suivie de celle de "Fort Alamo", tout aussi enthousiasmante. "Gilet Jaune#4", très dansant en grand orchestre à la Coopé est ici repris plus low fi... par les Red Legs qui nous font la surprise d'une reformation pour l'événement. Les Red legs, c'est la formation avec JP Nataf à la guitare et Jeanne à la basse. Ils sont très drôles tous les deux.
Mais je retiens surtout JP Nataf en solo sur "Le troupeau", une version qui s'éloigne beaucoup de l'original musicalement (plus que la version de Gontard sur Aura Aime Murat qui m'est si chère), qui me fait dire une nouvelle fois oh combien j'aime ce gars et son jeu de guitare. Et également le choix de Morgane Imbeaud de reprendre un titre de Travaux sur la N89, "La vie me va", seule au piano. Très très beau et de quoi peut-être faire réviser à certains leur avis sur cet album.
Je crois que j'ai dit ce qui me tenait à cœur, pour le reste.... ah, oui, c'est en intégralité là: (mais je vous propose de l'inédit ensuite!)
Bravo à Florent Marchet, Jeanne Cherhal, Morgane Imbeaud, JP Nataf, Grégoire et Eric, et Olivier Nuc, chargé de la guitare... et à Arnaud Cathrine, programmateur, pour qui Murat a été si important dans les années 80. Bon c'est peut-être l'occasion de citer quelques extraits que j'ai sous le coude depuis plus de 10 ans pour une interview qui ne s'est pas faite. Arnaud Cathrine :
J’ai eu, disais-je, une vie musicale clandestine, d’autant plus impérieuse pendant les années collège et lycée. Je revois ces garçons férus de Cure qui débarquaient dans la cour les ongles noircis au vernis et les lèvres rouges… Je ne comprenais rien à Cure, pour moi il était entendu que les garçons avaient le droit de pleurer (je n’aurais jamais pensé à aller chercher un quelconque second degré dans une chanson anglaise) et j’avais eu bien assez de leurs soupirs affligés lorsque j’avais brandi le magnifique « Cheyenne Automne » de Murat. « C’est quoi cette voix de tapette ?! » Sans appel. Je repasserai. Et je continuerai à écouter Murat. Je ne suis pas un garçon pop,je crois. Pas pop anglaise, en tout cas. Vous ne m’en voudrez pas ? (Mixte 2008 - disponible sur le site officiel d'Arnaud)
J'écume le répertoire de William Sheller, Véronique Sanson et Jean-Louis Murat. Je bêle dans le dos de mon professeur; je suis univers, je suis "Amoureuse", je suis "Passions privées". "Lorsque je tente de faire entendre la voix de Murat, je constate l'incompréhension crasse que l'Auvergnat aux yeux bleus inspire à mes congénères: sa voix alanguie désarçonne; le féminin qui s'y joue, il faut s'en défendre; quant à cet accent qu'il ne cherche pas le moins du monde à dissimuler, n'en parlons pas. A moi, il indique une voie, celle de la singularité (seul horizon, m'a-t-il toujours semblé). Et puis, il y a de goût pour le français et cette façon d'assumer totalement le sentiment (entre autres); voilà bien ce que je traque en moi-même à l'époque, restant du même coup à la porte des "bandes" qui sont majoritairement occupées non pas par la question du sentiment mais par l'expression brouillonne de la pulsion"
(NRF, de juin 2012, "variétés¨littérature et chanson")
Voilà ce que l’inconscient collectif semble demander à la chanson française. Du divertissement, tout simplement. Et je m’énerve tout seul, encore et toujours. Moi qui considère les textes de Dominique A, de Barbara, de Léo Ferré ou encore de Jean-Louis Murat comme de la pure littérature. Et pourquoi pas ? Moi qui considère que la chanson est un art majeur. Et pourquoi pas ? Mais c’est sans compter le paradis obligatoire et écervelé du divertissement… Sauf que nous parlons à un moment où les maisons de disque ajoutent leur contribution, paniquées Mixte 2009
Une chanson française qui ne va pas forcément aux Victoires de la Musique peut-être parce qu’à l’image du cinéma d’auteur et de la littérature; elle a d’autres ambitions que celle de nous divertir : elle, elle veut nous bouleverser, nous bousculer, nous désarçonner, affronter le pire et le meilleur de nos vies. Elle, elle n’arbore pas ce sourire forcé qu’on a parfois pendant les fêtes où l’on singe la joie comme des épouvantails. Elle n’est pourtant ni sinistre ni ennuyeuse : elle fait juste de l’or avec notre boue, selon la formule du poète. Rappelons-nous : c’est une expérience sacrément remuante de suivre le corbillard de Fernand avec Brel, de sentir le mal de vivre se changer en joie de vivre avec Barbara, d’assister au naufrages nocturnes de Richard avec Ferré, de regarder en face la mécanique terrible des trompettes de la renommée avec Brassens… C’est tout ça que fouillent, avec leur modernité et leur immense talent, Dominique A, Jean-Louis Murat, Florent Marchet, Bertrand Belin, Arman Méliès, Joseph d’Anvers, Valérie Leulliot, Bertrand Betsch, Alain Bashung, Philippe Katerine, Claire Diterzi, Frank Monnet… et Erik Arnaud. Entre autres. C’est ça aussi la chanson française. Une expérience sacrément remuante. Au moins autant que la « fête ». Sauf que ça nous laisse plus vivant. Alors pourquoi d’entre tous ces noms cités y en a-t-il que vous ne connaissez toujours pas ?
Cherchons l’erreur. Chronique écrite pour Envies de voir, TV5, 2007
Il y a de très jolies noms dans cette dernière liste... presque tous des "muratiens"... De quoi imaginer beaucoup d'autres belles soirées hommage... soirées ou week-end... Je dis ça, je dis pas rien, c'est bien l'annonce d'un week-end Murat, yes sir! le 20 et 21 juin, tout pareil, mais pleins de nouveaux participants!
Eric Reinhardt : J’ai adoré vivre ces deux soirées du 14 et du 15 novembre sur la scène de la Maison de la Poésie en compagnie de Grégoire Bouillier, @jeannecherhal , @morganeimbeaud , @florentmarchetofficiel , @olivier.nuc ,JP Nataf.
J’ai lu, en duo avec Jeanne Cherhal, et non chanté, parce que Murat était aussi et avant tout un écrivain, un poète, le texte de sa chanson « Bang Bang ».
J’ai aussi lu, accompagné par la voix et les nappes de Morgane Imbeaud, un extrait de mon roman « Cendrillon », le livre qui nous a valu de nous rencontrer, Jean-Louis et moi, à l’automne 2007 et de devenir amis…
J’ai écrit une grande partie de « Cendrillon » en écoutant « Taormina » de façon éperdue, désespérée, comme si je m’étais raccroché à lui et que ma vie en dépendait.
Ma femme avait appris qu’elle était atteinte d’un cancer grave et m’avait fait promettre, comme un pacte entre nous, de terminer mon roman pendant qu’elle se battrait contre la maladie, afin qu’à l’automne, quelques mois plus tard, je le publie, elle soit guérie.
Je n’avais jamais eu autant besoin qu’une force extérieure me secoure, me protège, me donne foi dans la vie et le moment présent, fasse que le temps se dilate et qu’il m’accueille tel un nuage aux cieux — et c’est précisément ce que j’ai trouvé dans « Taormina », qui est la seule musique que j’ai écouté quatre mois durant, y puisant des forces et une ferveur phénoménales. Il y avait une dimension sacrée dans ma fréquentation ritualisée de cet album, ce qu’autorise voire favorise l’art de Jean-Louis Murat, incantatoire, épris d’absolu, d’au-delà, de transcendance.
Qui sait si j’y serais parvenu sans lui, la question pourrait paraître rhétorique mais elle ne l’est pas et c’est précisément, je crois, ce qui lie un grand nombre d’entre nous à sa musique : y trouver la puissance magique et tellurique dont nous avons besoin pour vivre, nous enchanter, nous consoler, endurer nos propres gouffres.
C’est ça, aussi, la musique, dans nos vies, on le sait bien.
Le lendemain, clins d'oeil muratien dans le marais:
- Musée de la chasse (Inrocks)
- JJ Cale
LE LIEN EN PLUS
Et on ne remercie pas la programmation de France 3, l'émission sur la soirée du 25 mai passera finalement après minuit!