- Alors, bien que né en Tunisie, et grand globe trotter, vous n'en êtes pas moins d’origine auvergnate. On a tout de suite envie de savoir si cela a joué dans l’intérêt que vous portez à Jean- Louis Murat ?
B.VIGNOL : D'origine auvergnate, mais plus précisément de la Limagne. Depuis ma fenêtre, je vois l'antenne du Puy-de-Dôme et, par temps clair, la cathédrale de Clermont-Ferrand. Alors oui, "La neige qui tombe sur Ceyrat a dû être pluie là-bas", ça me parle! Et parfois, ça m'émeut quand je suis loin de chez moi.
- Que pensez-vous de son « auvergnatitude » (dont il joue parfois, d’autres fois dont il voudrait se débarasser)?
B.VIGNOL : Je ne pense pas qu'il en joue plus que ça. Ce sont souvent les journalistes, toujours à court d'idées et d'imagination, qui lui collent cette étiquette. L'Auvergne, chez Murat, elle est dans son accent, et dans la topographie touffue qu'il injecte dans ses chansons. Probablement pour la musicalité des mots.
- Au chapitre Auvergne, vous co-organisez un « la chanson des livres », salon du livre de la chanson francophone à Randan, au Nord de Clermont. Avez-vous essayé de faire venir le régional de l’étape ? Le salon se déroulera 3 jours avant son concert de Murat à Clermont ? Y assisterez-vous ?
B.VIGNOL : Je n'ai jamais essayé de le contacter car je ne me fais pas d'illusion: imaginez-vous Murat assis à une table, entre Marcel Amont et Nicoletta (pour qui j'ai le plus grand respect), en train de dédicacer "Le dragon à cent visages" ou "1451"? C'est dommage d'ailleurs, car il s'entendrait bien avec Ricet Barrier, l'autre régional de l'étape, qui est un bon copain.
- Oui, effectivement, même si Jeanne Cherhal était aussi présente une année.
B.VIGNOL : Je tiens à préciser que je ne portais pas un jugement sur Marcel Amont et Nicoletta, loin de là. Jeanne Cherhal est effectivement venue à Randan, comme Olivia Ruiz, Allain Leprest, Jacques Bertin, Julos Beaucarne, Kent, Anne Sylvestre (qui revient cette année), Pierre Vassiliu, bref des gens très respectables.
- Pierre Vassiliu dont Arnaud Fleurent-Didier s'est réclamé l'autre jour à la télé d'ailleurs... Le salon se déroulera 3 jours avant le concert de Murat à Clermont ? Y assisterez-vous ?
B.VIGNOL : Je ne savais pas qu'il se produisait ce soir-là à Clermont. Si je suis encore en Auvergne, cela me ferait plaisir d'y aller. La dernière fois que je l'ai vu, il se produisait en solo à l'Européen, Place Clichy à Paris. C'était fortiche.
P: Donc sur la dernière tournée... L'avez-vous vu à d'autres occasions? Si oui, que pensez-vous de ses prestations scéniques?
B.VIGNOL : Oh oui! Je me souviens d'un concert au Musée Grévin, où Murat, habillé en costume par sa maison de disques, expliquait que ses chaussures valaient je ne sais plus combien de milliers de francs. Denis Clavaizolle était aux claviers. Il y avait de belles vidéos. Mais le concert avait été très court, à peine une heure. Murat était parti en ronchonnant. Je me souviens d'un autre concert, sensationnel, au Café de la Danse. D'un autre encore dans cette même salle, si je ne me trompe pas. Ça devait être pour A bird on a poire. Et d'un quatrième à la Cigale, je crois, l'un de ses premiers, "en vedette" comme on ne dit plus, à Paris. Il y avait des feuilles mortes sur la scène et Murat portait un pull trop grand pour lui. Claire Denis était dans la salle je crois. Ses prestations sont toujours intéressantes car Murat ne fait pas du copier-coller, tout dépend de son humeur, du moment. Il semble assez imprévisible. On va au show quoi!
- Vous avez été programmateur pour Pascal Sevran durant 3 ans. Là, encore, il n'a jamais été question de l'inviter? Il chante pourtant comme Jean Sablon d'après Dominique A!!
B.VIGNOL : J'aurais adoré, mais mes sollicitations sont toujours restées sans réponse. Il y avait pourtant un décalage intéressant, non? J'ai réussi à faire venir de sacrés bons artistes à La Chance comme Clarika, Vincent Baguian, Rachel des Bois, Jacques Bertin, Polo, Pierre Schott, Gilles Vigneault, Marc Ogeret... Des gens intègres.
- Oui, c'est bien pour ça que je posais la question! J'avais souvenir de cette programmation.
B.VIGNOL : Par contre, je ne savais pas que Dominique A comparait Murat à Jean Sablon! Jean Sablon... Le Bing Crosby français comme on l'appelait en Amérique. C'est forcément un compliment; Dominique A connaît la chanson, à tel point qu'il s'inscrit lui-même dans la lignée de Jean Ferrat. Et puis c'est vrai que Jean Sablon était un des premiers vrais chanteurs de charme!
- Vous avez écrit un livre "Cette chanson qui emmerde le Front national" où vous parlez de "Mégret et les pédés". Bien que le champ "politique" ne soit pas complétement absent dans les textes de JLM ("giscard", "le coup de jarnac"...), c'est quand même une chanson très particulière dans sa discographie, et aussi dans "mustango" que vous avez classé comme un des meilleurs albums de sa décennie ?
B.VIGNOL : C'est vrai que c'était assez inattendu, entendre Bruno Mégret dans la bouche de Murat, mais cela ajoute à l'écho qu'on en a donné. Le Coup de Jarnac est une belle chanson, à la Renaud, que Julien Clerc a refusée je crois. Giscard ne figure sur aucun enregistrement il me semble. Dommage. Oui, Mustango est un album magnifique, indispensable à toute discothèque qui se respecte. Tout comme le live qui l'a suivi d'ailleurs. Du Murat olympique! Affûté comme un grimpeur colombien.
- Oui, même s'il ne parle plus trop de vélo en ce moment!
B.VIGNOL : Lui aussi, comme beaucoup, doit être saoulé par les affaires qui chaque année viennent salir le Tour de France... À ce propos, à quand un contre la montre sur le Puy-de-Dôme?
- En fait, le train à crémaillère le rendra impossible désormais!
Vous évoquez Renaud. Vous avez écrit un livre sur lui, et placez 3 de ses albums dans votre "best off" des années 80. Ca m'a fait penser à Manset qui dans un paris match il me semble, citait ces deux chanteurs comme ayant inventé quelque chose. Ils se sont invectivés un peu, mais c'est de la petite histoire... Quelles places ils occupent à votre avis dans l'histoire de la chanson française et votre panthéon personnel?
B.VIGNOL : Oui, ils se cherchent des poux, on dirait, s'insultent copieusement. Je cultive ce paradoxe-là: mes deux chanteurs préférés se détestent. Je ne savais pas que Manset avait fait cette déclaration. Je suis bien d'accord avec lui. Il existe des chansons de Murat que Renaud aurait pu écrire et inversement. Ils ont tous deux une écriture très académique dans le fond, très poétique. Plus Baudelairienne que Brassenssienne pour Murat, certes!
- Pour parler de la chanson, de la variété ou de la pop, qui semble être votre domaine!, on peut utiliser aussi le terme de musique populaire. Jean-Louis Murat l'a été, mais ne vend plus de disques. Parallélement, il se refuse souvent de se situer dans "la chanson française" dont il dit qu'elle n'existe pas. Qu'en pensez vous?
B.VIGNOL : Je ne comprends pas bien ce qu'il veut dire par là, mais je dois avouer que je ne le comprends pas tout le temps, ce qui ne m'empêche pas d'être porté, touché par ce qu'il chante. Murat est en marge. Sa culture, son intelligence le rendent insolent. Il s'est un peu exclu lui-même du système, non? Et il a bien fait. Bien sûr, il le paie régulièrement, en n'étant pas nominé aux Victoires de la Musique par exemple. Mais JP Nataf, qui a sans doute enregistré le plus bel album de 2009, ne l'est pas non plus. C'est un gage de qualité que de ne pas être nominé aux Victoires.
Concernant les ventes, Murat n'est hélas pas le seul à ne plus vendre ce qu'il vendait. Le marché du disque est mort. Vive la chanson! C'est très inquiétant. Et personne ne semble avoir la solution. Il faudra bien pourtant continuer à vendre de la musique, sans quoi les studios fermeront, les musiciens ne joueront plus, et il n'y aura plus de chanson. Inimaginable.
- Alors vous placez "Clair" avant "Le cours ordinaire des choses"?
B.VIGNOL : Peut-être parce que Nataf est plus rare que Murat! Ce qui est rare est parfois précieux. Mais surtout, Nataf a atteint un niveau d'excellence avec cet album, avec le titre Seul alone notamment. Précisons que son précédent CD, Plus de sucre, était également épatant.
- Quel est votre album préféré de Jean-Louis Murat?
B.VIGNOL : Cheyenne Autumn, parce que c'est le premier d'une longue et foisonnante série, que Murat mettait la barre haute et qu'il ne s'est jamais montré désolant, trouvant le moyen de rebondir après chaque demi-déception. Le cours ordinaire des choses, Lilith, Mustango, A bird on a poire... Il fallait les faire tout de même!
- Et vos chansons préférés?
B.VIGNOL : De Murat? "Le voleur de rhubarbe". Je ne pourrais pas trop vous expliquer pourquoi. Un air du folklore, je trouve. "Le venin" dans Cheyenne Autumn. Et "Nu dans la crevasse". Voilà mon tiercé.
- J'en parlais ici il y a peu: il n'y a pas encore de livre consacré à Jean-Louis Murat. Un lecteur m'a dit qu'il n'y avait pas assez d'acheteurs potentiels. En tant qu'éditeur et écrivain, qu'est-ce que vous en pensez?
B.VIGNOL : Je vais vous confier un secret : j'ai proposé, il y a quelques années, à deux éditeurs de m'y atteler, sur le modèle de ce que j'ai fait sur Renaud dans "Tatatssin", une approche textuelle, thématique, loin de la biographie gnan-gnan, tapageuse. Les deux m'ont répondu qu'ils n'y croyaient pas, en tant que produit... Mais ça finira par se faire! Je veux dire, quelqu'un le fera.
- Espérons! Enfin, parlons un peu de vous: quels sont vos projets? Ecrivez-vous un nouveau livre?
B.VIGNOL : Oui, je suis sur des chantiers, c'est long, fastidieux... Sinon, je m'occupe d'un site photographique plutôt décalé dédié aux lunettes de soleil vintage Alain Delon (www.danslesyeuxdalaindelon.com), et de ma petite maison d'édition à La Réunion où je me suis installé. Savez-vous qu'il y a, sur cette île de l'océan Indien, un plateau qui ressemble foutrement à l'Auvergne, au Cézallier? C'en est troublant, vert et volcanique, nuageux parfois, avec des vaches disséminées ici et là - ce ne sont pas des Salers. Cette région s'appelle la plaine des Cafres. Et son principal village, tenez-vous bien, s'appelle Bourg-Murat!
Bourg-Murat!
L'arrière plan est en effet frappant.
Interview réalisée par mails du 25 au 29/01/10.
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Les principaux livres de Baptiste Vignol dont j'ai présenté les couvertures ci-dessus, sont édités aux Editions TOURNON. On peut lire leur présentation, des revues de presse et quelques pages de ces livres sur leur site:
http://editionstournon.fr/f/index.php?sp=liv&livre_id=13
http://www.editionstournon.fr/f/index.php?sp=liv&livre_id=3
http://www.editionstournon.fr/f/index.php?sp=liv&livre_id=18
Pour préparer votre voyage à la Réunion ou rêver de votre lit,
http://www.editionsduboucan.com/
La maison d'édition de M. Vignol.
Enfin, son blog où il élabore son palmarés du siècle passé, une décennie après l'autre.
http://delafenetredenhaut.blogspot.com/
et le fameux projet, un peu spécial...
www.danslesyeuxdalaindelon.com
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LE LIEN EN PLUS:
La presse en parle:
- http://www.technikart.com/archives/3354-baptiste-vignol
- http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/parution/p2214/articles/a339173.html
Merci à Baptiste Vignol pour sa disponibilité.