Tu ouvres cet album en disant que tu n’es pas encore un chanteur mort, dans cette société aliénée qui marche sur la tête…
T’as pas la même impression que moi ? (rires) Ce monde est pourri jusqu’au trognon ; j’essaie de faire mes petites chansons en passant à travers les gouttes d’eau d’une époque médiocre et désespérante. On fait chacun ce qu’on peut dans notre coin.
M Maudit est une chanson qui permet de mieux comprendre le film de Fritz Lang de 1931 « M le Maudit »...
Il y a aussi un autre M : c’est peut-être lui le chanteur maudit ? Il paraît qu’il se déplace avec 50 personnes et 3 semi-remorques : il se fout du monde ! (rires) En temps de crise, on se déplace en 2 chevaux avec un ampli, un jack et sans éclairagiste ! (rires) Sans oublier les kinés pour les massages avant et après concert... On peut se permettre de lui taper dessus gentiment ! Mais il est très gentil, trop même, c’en est douteux ! (rires)
Cette chanson donne aussi une très juste définition de toi : « plein de déchets, plein de baisers, plein de secrets, comme un b.b., plein de raclées »…
Oui c’est tout à fait moi. Des raclées des baisers…En plus c’est le texte le plus court de l’album et qui m’a pris le plus de temps ! J’ai voulu l’écrire comme un haïku.
Dans ce nouvel album, et particulièrement au début, tu te mets plus à nu que d’habitude.
Si je ne me mets pas à nu, j’ai beaucoup de mal à faire les choses. Pour moi, un texte est fait pour ça. Il doit être dense, se nourrir de vécu. La responsabilité de l’artiste est de s’astreindre un minimum à rester dans la vie. Sans forcément aller bosser à l’usine, il faut s'inscrire un minimum dans la vie pour rester en condition d’écrire des chansons. Déjà Baudelaire disait ça.
Tu as traversé l’Atlantique pour aller enregistrer à Nashville aux States ; ça contraste avec ton habitude de tout faire chez toi, tout seul ou presque ?
Je suis parti les mains dans les poches et sans maquette ! Juste avec les chansons dans la tête. J’ai vraiment pris un risque. J’ai d’abord chanté les chansons aux mecs du studio. C’était une approche très basique. « Bonjour messieurs y a-t-il une guitare ? je vous fais écouter une chanson » et hop, on l’enregistrait ! Et ça s’est fait très vite. En montant dans l’avion je savais que je partais pour faire du Murat, même si j’allais à Nashville. C’était la base. Ensuite je me suis retrouvé dans une ancienne église équipée d’une console Nieve de 90 voies, l’une des deux seules au monde, entouré d’immenses musiciens qui jouent avec les plus grands. Je donnais le tempo et ils me suivaient. Ce sont des pros du studio. Ils n’avaient qu’une idée fixe : me faire plaisir et me servir. C’est très valorisant, j’étais comme un poisson dans l’eau.
Quelle ambiance à Nashville, le berceau de la country music ?
C’est devenu un cliché : là-bas, les mecs n’écoutent pas de tout de la country dans les bars en buvant de la bière et en regardant du foot américain ! Nashville est une ville incroyable, c’est vraiment THE music city, avec une centaine de studios. La musique est sa première source de revenus ; il y a une université de musique énorme avec des dizaines de milliers d’étudiants, qui tous les soirs se retrouvent dans les bars. Il y a même des guitares et des affiches partout dans l’aéroport ! Tu sors de l’avion, tu vois des Gibson exposées! Même dans mon hôtel pourri, il y avait des mecs dans le sous sol qui jouaient de la musique jusqu’à 3 du mat’ !
Si je comprends bien, l’hôtel n’a pas ruiné ta maison de disques ?
(rires) C’était roots ! Je dormais emmitouflé dans mon anorak tellement j’avais froid dans ma chambre... Mais je ne suis resté que cinq jours. Je ne comprends toujours pas comment on peut rester six mois en studio ! Tous les grands disques des années 70 n’y ont jamais passé plus de trois jours.
Tu prépares déjà le prochain disque ?
Je ne suis pas du tout sûr d’en enregistrer un prochain. C’est une telle catastrophe de vente ! Comme je m’autoproduis, il y a 90% de chances que je n’en refasse pas. La crise est trop intense. En tout cas, pas avant quatre ou cinq ans. Je réfléchis beaucoup. Peut-être même à changer de job pour gagner ma croûte. Déjà que je vendais pas beaucoup, llà c’est le bouquet ! Vaut mieux être inscrit au RMI, ça ramène plus qu’un disque !
www.jlmurat.com
Album « Le cours ordinaire des choses », chez V2
26 Février, 2010
Par: Bruno Lorenzi " RESPECTMAG.COM
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Dommage que l'interview ne le questionne pas là-dessus.