Publié le 26 Mars 2015
Comme notre politique éditoriale nous l'impose, nous essayons de vous tenir informés de l'actualité des artistes qui ont travaillé ou été proches de Murat. Matthieu, en fin limier de la news fraîche, a donc saisi l'occasion d'un concert de Silvain Vanot à Clermont pour l'alpaguer et organiser une rencontre.
On ne va pas vous refaire toute l'histoire de la relation Vanot/Murat, on l'a déjà évoquée sur ce blog (notamment ici, ici et là, ce qui explique que Matthieu ne nous propose pas une "inter-ViOUS ET MURAT"). Mais on rappellera que Jean-Louis a chanté sur scène, comme l'indique le site officiel, une des chansons de Vanot, "Pétain FM" (si quelqu'un en possède une version, qu'il se fasse connaître, ou se taise... 5 minutes avant de nous l'envoyer !).
Après un "Live-report-portrait" (illustré par de jolies photos de Florenza – merci à elle !), vous pourrez écouter une interview réalisée avec Thibaud de Radio Campus. Vanot y tient des propos très élogieux sur Jean-Louis Murat (l'homme et le musicien), explique l'importance de Toboggan dans certains de ses choix récents, mais aborde aussi plein d'autres sujets : Rocksound (feu magazine made in Clermont à l'origine de sa rencontre avec Murat), Dominique A, Les Inrocks, le rock en français, Pain-Noir, le design sonore, et bien d'autres choses... Une très belle interview que je vous invite ardemment à écouter, même si cela nécessite d'avoir un peu de temps devant soi !
(En passant) Vanot brille
Silvain Vanot ne sera resté qu'une journée en Auvergne. Suffisant pour le voir chanter et l'écouter parler.
Clermont-Ferrand, les 14 et 15 février 2015. Il était étonnant de voir, par une belle soirée d'hiver et de Tournoi des 6 Nations (Irlande 18 – France 11), un artiste tel que Silvain Vanot se produire devant une cinquantaine de personnes, dans un petit restaurant du centre-ville. Lui qu'un journaliste du Monde (le même qui fit plus tard de Clermont la "nouvelle capitale du rock français") plaçait il y a vingt ans au sein du "triumvirat en vogue du moment" censé renouveler la chanson nationale, en compagnie de Dominique A (tête d'affiche du prochain Europavox) et Miossec (qui jouait, voici quelques semaines, devant une Coopérative de Mai bien garnie), aurait-il été tellement distancé par ses deux compères qu'il ne puisse prétendre à une audience plus large ? En un sens, la chose est compréhensible : Vanot n'a plus de maison de disques (ayant lui-même démissionné en début de millénaire, sans attendre de se faire virer), n'a pas sorti d'album depuis six ans et n'a aucune tournée en cours. Un Zénith impromptu aurait donc paru déplacé. Pourtant, on ne peut s'empêcher de songer qu'à l'heure où la scène pop-folk locale semble redécouvrir les attraits de la langue française (Pain-Noir s'est joliment lancé fin 2014 dans un style évoquant Bertrand Belin, Alexandre Delano vient de se jeter à l'Eau dans un registre pop plutôt prometteur et d'autres projets sont en préparation – avec peut-être, au passage, une belle surprise pour les muratiens...), il eut été intéressant d'accorder plus d'exposition au travail d'un musicien qui s'essaye au difficile exercice de marier sa langue natale avec les sonorités anglo-américaines depuis pas mal de temps déjà et avec un talent certain.
Rien dans ces lignes contre Les Arcandiers, charmant restaurant situé à deux pas de la Cathédrale, qui formait un écrin feutré et cosy pour la musique de Vanot. La décoration de ce bar à vin, avec son éclectisme de brocante, convenait d'ailleurs bien aux chansons du sieur, qui évoluent souvent entre des pôles contraires – la caresse et la griffure, le rock bruyant et la ballade bucolique. La date du concert était tout aussi pertinente et la vedette du soir avait le bon goût, en cette Saint-Valentin, de faire retentir dès son deuxième morceau "Les cloches de l'amour". Nous allions donc assister à un concert de chansons, ce qui n'était pas garanti sur le papier, puisque l'artiste s'est beaucoup consacré ces dernières années à la musique instrumentale, qu'il travaille en étroite collaboration avec des cinéastes, accompagne des musiciens d'horizons divers (de Mareva Galanter à Sport Murphy, le champ est large...), s'essaye à l'illustration sonore ou bien improvise en duo avec Noël Akchoté, guitariste de jazz dont la productivité discographique ferait passer Murat pour la pire des feignasses. Mais ce soir, équipé d'une guitare électrique, de quelques pédales et de deux harmonicas, Vanot a décidé de chanter. "Une rengaine, une chanson / Et les mensonges qu'elle égraine / En petits monceaux de frissons / Une rengaine pour nos peines / Les mensonges qu'elle égraine / C'est tout". On s'en satisfera largement.
Le voici donc parti pour interpréter quelques compositions issues principalement de ses deux derniers albums, Il fait soleil (2002) et Bethesda (2009). Une poignée de chansons d'amour dans des registres variés, une belle nouveauté prénommée "Lucie", des envolée de Sioux sur "Hawaii", une version inédite de "Rivière" à la guitare (alors qu'elle est superbement jouée au piano sur le disque)... Le récital se déroule sans heurts, le public se montre chaleureux, le chanteur plaisante volontiers, ironisant sur les tubes que ne sont jamais devenus ses morceaux ou rappelant qu'il possède la médaille de la Ville (comme tous les anciens jurés du Festival du Court métrage). Peut-on dire des chansons de Vanot, après plus de deux décennies, qu'elles auraient une spécificité qui sauterait aux oreilles ? Existe-t-il une Vanot's touch ? Si tel est le cas, peut-être réside-t-elle dans la faculté du songwriter à manier la naïveté sans s'y engluer. Vanot, en 2015, est capable de personnifier la femme aimée en rivière, d'assimiler un baiser à une bouée de sauvetage ou de chanter une amourette en barque sans que cela paraisse mièvre. Question de choix des mots associés à la bonne mélodie, comme dans toute chanson réussie ; d'un savoir-faire incontestable dans l'usage de tournures archaïsantes qui ne sonnent jamais faux ; mais encore, sans doute, d'une tendance à laisser traîner dans le voisinage de ce côté fleur bleue une certaine cruauté, qu'elle soit teintée de sarcasme ("Implacable") ou de fatalisme ("Égérie") ; enfin, d'une propension à régulièrement réactiver les liens entre sentiment amoureux et condition politique – il rappelle ainsi, en présentant l'un de ses anciens titres, qu'il n'a jamais vraiment su s'il y parlait d'amour ou de Pôle Emploi, et l'on pourrait sans difficulté retrouver pareille ambivalence ailleurs dans son œuvre.
"Deux-trois notes, quelques phrases pas trop sottes"... "Lucie", filmée ici par David Chambriard.
Au moment où l'on était sur le point de penser qu'avec ses couplets et refrains sagement ordonnés, sa guitare et son pupitre, Vanot donnait un vrai concert de hanhon française (l'expression, ironique, est de Loïc Lantoine), édulcoré de la hargne rock de ses débuts, il a la bonne idée d'augmenter le volume sonore et l'électricité de son set avec une reprise d'un titre du groupe Wire, enchaîné directement avec "Le soutien du Roy". Le concert bascule et Vanot va maintenant puiser dans ses premiers albums des morceaux qui suscitent chez plusieurs spectateurs des réactions de plaisir, le genre de plaisir procuré par un sentiment de familiarité ou, mieux, par des retrouvailles avec de vieux copains. Lesquels ont ici pour noms "L'instant que je guette", joué sans harmonica, "Sous ta fenêtre", tout en puissance et incorporant un couplet du classique "Scarborough Fair" ou "La vie qu'on aime", morceau cher à Bernard Lenoir, l'un des premiers découvreurs du chanteur au début des années 90. Lenoir, qui a la mémoire longue et l'amitié fidèle, au point d'avoir sélectionné Vanot sur le second volume de sa compilation L'Inrockuptible, écrivant à son propos : "Une belle sensibilité. Un artiste très touchant, pétri d'humanité." Autant de qualités qui transparaissent encore dans les deux inédits que Vanot glisse entre ses classiques et que l'on aimerait avoir l'occasion de réentendre plus attentivement, ce qui devrait être possible sur un prochain album prévu pour cette année 2015.
Après avoir simulé un passage par une loge imaginaire et avoir remercié l'impressionnant boxeur dont la présence massive rassure, en cette période où Vigipirate rougeoie jusqu'à l'écarlate, Vanot revient volontiers pour quelques titres supplémentaires. D'abord avec "Île-de-France", l'une des chansons les plus originales de son répertoire, hommage doux-amer à sa région d'adoption doublé d'une élégante variation autour de l’œuvre de Salvador, puis avec une nouveauté pour laquelle il sollicite le calme et l'attention de l'assistance. Un vœu pieux quand on joue dans un bar, un samedi soir. Mais il est loin le temps où Vanot pouvait prendre la mouche pour un manque de concentration du public, il interprétera donc cette composition, présentée comme douce et dure à la fois, dans un léger bruit de fond, pour les quelques spectateurs attentifs des premiers rangs. Ces bons élèves se verront même gratifiés d'un dernier titre, pioché dans le classeur utilisé par l'ex-professeur pour ses conférences sur l'histoire de la chanson américaine, en l'occurrence une reprise du standard "People get ready".
Ready, Vanot l'est encore le lendemain matin, après une courte nuit de sommeil, pour répondre aux questions de deux zèbres bien décidés à l'interviewer malgré son emploi du temps serré. Une heure et demie durant, il revient sur vingt ans de parcours musical, accepte volontiers d'analyser réussites et déconvenues, avec une capacité à l'autocritique qui ne verse ni dans l'aigreur revancharde ni dans un autodénigrement trop facile. Il se montre bienveillant, joueur par moments et toujours chaleureux quand il s'agit d'exprimer sa gratitude envers tel ou tel musicien croisé en chemin (Murat tout particulièrement). Avant de partir déjeuner avec son ami Gilles Dupuy (fan de la première heure et instigateur de son passage éclair en Auvergne), puis de s'en retourner dans l'atmosphère passablement plus polluée de cette Île, dite de France, qu'il chantait la veille...
Vanot nous l'a donc annoncé avec la calme détermination qui le caractérise : "Le disque existera et les gens qui auront envie de l'entendre l'entendront." Ce nouveau projet bénéficiera-t-il d'un lancement en fanfare dans le vaste auditorium de Radio France, à l'instar du dernier opus de Dominique A, son vieux compagnon de route et de (beaux) duos ? Probablement pas et, tout bien considéré, ce n'est pas si grave. Au contraire. Car à cinquante ans passés et avec plus de vingt années de carrière au compteur, Vanot est enfin débarrassé des multiples étiquettes approximatives dont il fut affublé depuis ses débuts, souvent avec les meilleures intentions. C'en est fini du "Neil Young normand" (Kent, 93), du "Clément Marot du rock" (Bayon, 97), du "rocker lettré" (Davet, 2002) ou du "mal-aimé des nouveaux chanteurs français" (Vergeade, 99), "chanteur minoritaire, au dossier de presse plus fourni que les relevés Sacem" (Bernier, 02). Il n'est plus le représentant d'une quelconque nouvelle vague, mais juste un artiste qui a beaucoup bourlingué (musicalement et géographiquement, les deux allant souvent de pair) sans y laisser toutes ses plumes, qui n'a sans doute pas produit d'album parfait, mais a réussi à semer sur sa route quelques très belles chansons, restées gravées dans la mémoire de plus d'un auditeur, et qui, en outre, ne s'est jamais privé de réfléchir à son métier. De sorte que sa position sur la scène francophone, tout en étant périphérique, est plutôt intéressante : ni porte-drapeau, ni poète maudit, Vanot est un outsider séduisant qui pourrait bien incarner un point de repère, au scintillement délicat, pour celles et ceux qu'excite encore le défi d'unir le rock (sous toutes ses formes) avec cette langue régionale parlée par quelques 200 millions de personnes sur la planète... Et à celui dont les trois quarts des chansons gravitent autour de la question : "Veux-tu encore de moi ?", il serait temps, pour tous ceux qui l'apprécient, d'apporter une réponse affirmative dénuée des réserves habituelles (sur son physique, sa voix, ses ventes de disques, etc.). Car en 2015, derrière son pelage poivre et sel et son sourire discret, Vanot n'est toujours pas vanné. Qu'on se le dise et qui l'aime le suive !
L'entretien avec Silvain Vanot, enregistré à Clermont-Ferrand, le dimanche 15 février 2015, à l'heure de la messe (d'où la présence inattendue d'un orgue liturgique) est à écouter ici :
Rencontre avec Silvain Vanot by La_Mouche_Décoche on Mixcloud (séquence sur Murat notamment vers la 52')
Dossier réalisé par Florenza, Thibaud et Matthieu.
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REMERCIEMENTS : Un grand merci à Silvain Vanot pour sa disponibilité et son accueil bienveillant à nos diverses sollicitations.
Merci à Gilles Dupuy d'avoir eu la bonne idée d'organiser ce concert, sans autre motivation apparente que le simple plaisir, aux Arcandiers de l'avoir accueilli, à Daniel Larbaud de s'être chargé du son, à David Chambriard pour la captation de "Lucie", à Radio Campus Clermont-Ferrand pour les moyens techniques, à L'Oreille Absolue pour la précieuse documentation, à Pierrot pour la liberté de manœuvre à peu près infinie.
Florenza et Thibaud, quoique rompus de fatigue et grippés, se sont révélés de vaillants et indispensables compagnons, la première derrière son Canon, le second derrière la console. Surjeanlouismurat.com les remercie chaleureusement.
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RAPPELS : Silvain Vanot dispose d'un site internet, où vous pourrez retrouver sa discographie et suivre son actualité, ainsi que d'un blog qu'il alimente de réflexions personnelles sur la musique.
Thibaud, qui a coréalisé ce dossier, anime toujours une émission bimensuelle sur Radio Campus Clermont-Ferrand, Le Petit Lait Musical, où il reçoit (principalement) des artistes de la scène clermontoise. Vous pouvez suivre sa programmation sur sa page Facebook et réécouter ses anciennes émissions sur le site de Radio Campus. Pour les étourdis qui l'auraient manquée, on signalera tout particulièrement sa longue rencontre avec Christophe Pie, enregistrée cet automne au domicile du musicien.
Enfin, du côté de Radio Campus Paris (N.D.L.R. : Paris est cette petite bourgade située au nord de Clermont-Ferrand), vous pourrez découvrir un nouveau titre de Silvain Vanot, "Je suis le carnet de route", retenu par l'émission La Souterraine sur une compilation parue au mois de janvier et disponible ici-même.