Publié le 30 Septembre 2018
Aahh, le vendeur de journaux m'a refilé le MONDE de VENDREDI et pas celui de la veille comme je l'avais demandé... Je n'ai pas fait gaffe (en plus, j'ai toujours eu du mal avec leur date de parution, celui de la veille étant aussi le journal du lendemain ou un truc dans ce genre). Enfin soit, me voilà obligé en rentrant chez moi de commander l'édition numérique.
Murat était donc en couverture:tout en bas à gauche:
L'article dans son jus et sa retranscription plus bas:
En résumé : un génie du hip-hop américain a -remis le pied à l'étrier à un maréchal d'Empire. Qui d'autre en France que Jean-Louis Murat est capable, dans un même disque, d'évoquer Kendrick Lamar, l'un des artistes les plus novateurs des musiques urbaines (" Dis donc Kendrick chou/Toi aussi marlou/T'as le rollin'" dans Gazoline), et de se réincarner en Joachim Murat (1767-1815), héros napoléonien devenu roi de Naples ? Régénéré par le premier, hanté par le second, le chanteur auvergnat se réinvente en Il Francese, surnom donné par les Napolitains au mari de Caroline Bonaparte et titre de son 22e album, resplendissant comme jamais de groove et de richesse mélodique. Le grand chantier du renouveau " muratien " avait commencé en 2017 avec Travaux sur la N89, album aussi peu aimable que -déterminant. A la manière d'un Lou Reed sacrifiant, en 1975, son passé de songwriter sur l'autel du bruitisme avec l'inécoutable Metal Machine Music, le prolifique auteur-compositeur-interprètefra-cassait la minutie de son artisanat à coups de cut-up improvisés. Une radicalité née, à l'époque, du constat amer de ses derniers -insuccès. " J'en avais ras le bol ", nous confie Murat, cheveux poivre et sel mais yeux bleus, portant avec panache ses 66 ans. " Ne plus vendre de disques, jouer devant 100 personnes… Si encore j'avais bâclé le truc, mais quand en plus tu as l'impression de faire de ton mieux, notamment avec Morituri (2016)… Je me suis dit que j'allais arrêter. " On comprend le sentiment d'injustice de celui demeuré, depuis les années 1980, l'une des voix et des plumes les plus constamment élégantes et singulières de la chanson française. Mais on constatait aussi qu'à l'exception de Babel (2014), électrisé par le groupe clermontois The Delano Orchestra, Jean-Louis Murat peinait à se renouveler. Un swing moiteIl le reconnaît lui-même. " Le -format chanson est un piège, il ne pousse pas à expérimenter. Ce -petit travail d'horloger du couplet-refrain m'était devenu insuppor-table. " Pendant quelques mois, donc, cet ultraproductif ne touche plus une guitare. Jusqu'à ce que d'autres sons ravivent ses envies. Blackstar, le dernier album de David Bowie – " dont je n'ai -jamais été un grand fan " –, paru en janvier 2016, deux jours avant la mort de son auteur, le secoue par son audace expérimentale. La fascination qu'exerce depuis quelques années sur lui une nouvelle génération de producteurs hip-hop et R'n'B américains va se muer en source d'inspiration. Au premier rang de ces as du groove, Murat distingue Kendrick Lamar, rappeur-producteur originaire de Compton, une banlieue dure de Los Angeles, dont les -albums-fresques – Good Kid, M.A.A.D. City (2012), To Pimp a Butterfly (2015) – revitalisent le hip-hop à force de trouvailles narratives, puisant dans l'electro, le funk, le jazz et l'engagement politique. " Il possède une qualité de vie intérieure qui passe dans sa façon de faire ", tente d'expliquer le chanteur du col de la Croix-Morand. " Sa découverte m'a fait le même effet que quand j'écoutais pour la première fois les Stones ou Dylan sur le Teppaz de ma mère. A l'époque, je me disais : “C'est ça que je veux faire quand je serai grand.” Je pensais ne plus jamais ressentir cela, mais j'ai revécu cette impulsion. " Au point que cet amoureux de poésie et de littérature romantique dit écrire, à ses heures -perdues, une correspondance imaginaire – intitulée " Kendrick et moi "– avec le Californien. Flirter avec le processus de -création des musiques urbaines -impliquait une réinitialisation de logiciel. Enregistré à Cournon-d'Auvergne, dans le studio de son complice Denis Clavaizolle, Travaux sur la N89 a fait office de tabula rasa. " Il fallait détruire nos vieux réflexes, insiste Murat. J'étais entouré d'instruments et de machines. L'idée était d'improviser sans avoir réfléchi et de garder le premier jet. " Si, paradoxalement, le chanteur affirme que cet album est celui auquel il a consacré le plus de temps et qui lui ressemble le plus, difficile de s'étonner que ces morceaux privés de mélodie et de structure aient réalisé le plus mauvais score de sa discographie (5 000 exemplaires vendus). L'étape était en tout cas essentielle pour l'épanouissement d'Il Francese. A la fois fidèle à ce nouvel esprit d'aventure et réconcilié avec l'art du songwriting, Jean-Louis Murat a cette fois rejoint Denis Clavaizolle avec un lot de chansons suffisamment solides pour se confronter aux expériences des machines. A l'origine tous écrits au piano – " plus riche mélodiquement que la guitare ", assure le fan de Neil Young, habitué à composer avec une six-cordes –, ces titres s'enrichissent d'un groove qui est l'un des fils conducteurs de l'album. Insufflé par les ordinateurs, synthétiseurs, boîtes à rythme et quelques riffs funky (Achtung), un swing moite traverse les chansons, jouant du minimalisme (Marguerite de Valois) et des silences (Kids), des caresses (Sweet Lorraine) et des grincements épiques (Hold-Up, en duo avec Morgane Imbeaud), amplifié par d'intrigantes harmonies chorales et l'agilité sensuelle du crooner auvergnat. Traverser les AlpesUne intensité émotionnelle particulière parcourt aussi accords de piano et textes mélancoliques dans plusieurs chansons (Cinévox, Kids, Rendre l'âme) imprégnées du deuil d'un complice de toujours, le multi-instrumentiste Christophe Pie, mort d'un cancer pendant l'enregistrement. Avec l'émouvant Rendre l'âme, d'une élégance très Burt Bacharach, Murat dit avoir voulu composer une idéale chanson de funérailles. Dans sa longue histoire – on réédite d'ailleurs pour la première fois en vinyle certains de ses albums majeurs, tels Dolores (1996) et Lilith (2003) –, Murat a maintes fois fréquenté les machines et affiché l'influence des musiques noires américaines. Mais jamais ce fin connaisseur de la soul music et du label Stax ne s'était approché aussi près du funk et du hip-hop. S'il se dit " vassal de la culture américaine ", le fan de Kendrick Lamar et de Frank Ocean ne serait pas ce qu'il est s'il ne continuait de tenter de marier " Robert Johnson à François Villon ", la musique populaire anglo-saxonne et la vieille culture européenne. Les influences californiennes et les clins d'œil aux westerns s'accommodent ici de multiples références à la littérature et au cinéma italiens (Silvana, avec la voix de l'actrice Silvana Mangano). Depuis qu'il se sent délaissé par le public français, le chanteur à l'humeur stendhalienne ne cesse d'ailleurs de traverser les Alpes pour passer du temps dans la baie de Naples, à l'instar, jadis, de Joachim Murat. On avait cru comprendre que le pseudo choisi par Jean-Louis -Bergheaud venait du nom du village de ses grands-parents, Murat-le-Quaire. Il affirme aujourd'hui qu'il doit autant à ce fils d'aubergiste devenu maréchal d'Empire. " La puissance romanesque de son destin m'a beaucoup marqué ", -affirme celui qui sème ainsi dans Il Francese quelques fragments de charges héroïques et souvenirs de " Murat aux portes de Naples " (Je me souviens). En même temps que son Kendrick et moi, le chanteur ne travaille-t-il pas d'ailleurs à la rédaction d'une correspondance imaginaire entre Murat et Caroline Bonaparte ? Stéphane Davet © Le Monde |
LE RAPPEL EN PLUS
Dès 1981, Murat disait à la regrettée Agnès Audigier (ex-Madame ATOMOS) qu'il aurait aimé être Joachim Murat. Spliff numéro 3
Merci Matthieu pour l'archive (on peut rêver d'autres vies, mais on ne peut pas changer le monde?).
LE CLIN D'OEIL EN PLUS
Ah, Là, Lààà, on ne souvient pas! On se souvient que du soleil de l'Italie... Mais moi, je me souviens bien: Joachim, c'était aussi Der Franzosich, mais bien-sûr, ça sonne moins bien, chanter le Rhin, la bière et la Kartofell! De 1805 à 1808 -je pense- il a résidé du côté de Düsseldorf en tant que Duc de Berg, dans une petite demeure de chasse, rose. Schloss Benrath, lieu de promenade fameuse en bord de fleuve grâce à son parc.
En novembre 2014, je me souviens de la saison, du vol qu'il fallait prendre en silence, et de celui des cendrées si bruyantes, le parquet en chaussons, et les pommes en strudel qu'elle mangeait. Je me souviens que je ne me voyais pas en allemand.
DIMANCHE SOIR
Et puisque les morts nous accompagnent ce soir, écoutons Michel (RIP), l'auteur de ces belles reprises ci-dessous. Malgré le retard, sincères condoléances à sa famille.