Je commence à avoir une petite collection de livres de souvenirs de journalistes (Barbot, Bigot...) et c'est bien parce que c'est vous - chers lecteurs - que j'en fais l'acquisition... même si je garde quelques bons souvenirs (notamment de celui de Manoeuvre - mais qui pour le coup ne parlait pas de Murat).
LA JOLIE COUV EN DOUBLE PAGE
Et en cette rentrée littéraire, c'est François Armanet qui y va du sien, après avoir épuisé (en film et en livres) le sujet de la bande du drugstore dont il a fait partie... Epuisé ? Pas tout-à-fait car il en est encorequestion plusieurs fois dans ce nouvel ouvrage (pour Dutronc avec une anecdote amusante, Gainsbourg - les deux chanteurs ont cité "les minets" ou le drugstore dans des chansons - ou encore à propos de Godard). Cela révèle que l'exercice est comme prévu un peu nombriliste.
Passé par Libération et le Nouvel-Observateur, F. Armanet n'était pas un journaliste spécialisé "musique". D'ailleurs, il l'indique en démarrage, c'était les "rencontres" qui l'intéressaient, et ses fonctions lui ont permis de s'en réserver de très belles... lui qui est proche de Manset. D'ailleurs, ce dernier, Bashung, Christophe, Murat c'est ses "4 mousquetaires". Et c'est pour ça notamment que le blog a déjà eu l'occasion de parler du journaliste, avec la rencontre (à relire ici) qu'il a organisée avec Raphaël (lui aussi proche de Manset).
C'est d'ailleurs ceci qui lui permet de nous raconter sur deux pages une anecdote particulièrement savoureuse sur les 4 1/2 consacrées à Murat (un des chapitres le plus court). Où on le retrouve dans son rôle favori de duelliste... mais au sens propre ! François avait convié Jean-Marie Périer (un autre copain de la bande des années 60) pour immortaliser la rencontre avec Raphaël pour le Nlle-Obs. Clic-clac, c'est dans la boite... mais le lendemain, l'attachée de presse, puis le directeur du label l'appellent pour lui demander de ne pas publier la photo qui ne plaît pas à Murat... quitte à renoncer aux quatre pages dans le grand hebdomadaire ! François décide d'appeler lui-même Jean-Louis Murat qui ne veut rien entendre ("j'ai le droit de ne pas aimer ma gueule", "j'envoie des autoportraits à la place"...) mais Armanet ne veut pas faire d'affront à son pote photographe et ne cède pas... pas plus que Murat. Le journaliste imagine le chanteur jubilant de ce petit clash... François clôt le discussion en provoquant en duel le Maréchal Murat ! "- Ok, tu choisis les armes, nous aurons un même témoin Bayon, cela simplifiera les choses"... (Bayon qui a écrit un livre avec lui - tout comme E. Quin, on est entre muratiens - et mari et femme -je le découvre-).
Armanet publiera la photo... Plus tard, ils se retrouveront en loge, grâce à Bayon... et s'enlaceront chaleureusement.
La photo du courroux :
Air fatigué effectivement... même si on peut aussi penser que s'afficher avec le jeune premier dans son dos prêt à faire son Ravaillac ne lui plaisait pas non plus.
Le reste des quatre pages évoque joliment Murat, mais sans grande surprise. Extrait :
Armanet nous annonce le roman d'un journaliste, un titre accrocheur, mais on n'échappe pas à quelques longues reprises d'interview sur plusieurs pages, sans parfois de réelle valeur ajoutée, même si les propos sont souvent de qualité et on une dimension patrimoniale (Elli Medeiros et sa rencontre avec le punk anglais...). Les autres chapitres sont plus faits de souvenirs et de propos (biographie ) sur les artistes ou des mouvements / tendances (punk par exemple). Un peu inégal, même si on retrouvera bien-sûr quelques anecdotes.
Le livre ne parle pas seulement de musiciens, il est aussi question d'une rencontre entre Déon et Jim Harrison, de Jackie Chan, Crumb, Godard, Le Carré, Tournier...
Côté musique, on retrouvera le récit de F. Hardy sur son amoureux éperdu : Bob Dylan.. mais aussi Cohen via D. Issermann, des rencontres avec Jagger, Rotten, Madonna... On pouvait s'attendre à des pages intéressantes sur Manset, mais c'est un peu décevant (la rencontre avec Bashung avait déjà été contée il me semble). Il est question du RouteManset (avec Murat) dont Armanet est un des acteurs avec Bayon et Bigot. Je retiens la mention : " de quoi parle-t-on? [...] jamais de "sexe" (tabou)"*.
Pas sûr que les spécialistes y apprennent grand -chose, mais peut y prendre plaisir, comme on en prend à la lecture d'un magazine ou d'un mook, plus exactement.
*A mettre en parallèle avec l'évocation d'un fameux chanteur culte par Franck Maubert dans Les uns contrelesautres (chez Fayard)... mais là, c'est un vrai roman...
- A Avignon, Chloé Mons croisée au spectacle d'Alain Klingler nous parlait de son prochain livre dans lequel il sera question de Jean-Louis Murat (il avait accepté de chanter un duo sur son album Hôteldel'univers en 2018). Le livre s'appelle Spacing, c'est pré-commandable. Date de sortie : 18/10 (éd. Mediapop).
Les souvenirs sont des bulles.
Des mondes indépendants irisés, évoluant dans la mémoire sans loi ni ordre.
Spacing, c’est cet espacement, quand le temps et l’espace se dilatent, quand les visions du passé s’étirent comme les nuages, en perpétuelle mutation.
Ainsi, ce livre est un voyage dans l’espace et dans le temps, un voyage dans les voyages de ma vie, quelle que soit leur forme : intérieurs ou extérieurs, intimes ou géographiques,
artistiques ou amoureux. Parfois carte du tendre,...
- Frederic Couderc, auteur de Horsd'atteinte, roman, qui vient de sortir en poche (POCKET) nous signale que Jean-Louis Murat est en épigraphe du livre ("je me souviens")... ce dernier étant son "idole absolu".
Merci à Pierre Krause... qui nous propose dans le même temps un sujet de dissertation: Voici ce qu'il affirme sur babelio"J'aime tous les gens qui aiment passionnément Calvin & Hobbes comme j'aime tous ceux qui aiment Bob Dylan ou Jean-Louis Murat dans la musique ; Audrey Hepburn au cinéma ou Peter Falk à la télévision. Il existe quelques communautés informelles et invisibles qui ont plus de sens que les relations physiques, amoureuses ou amicales".
Même si j'évoque régulièrement la communauté muratienne, c'est au fond "plus que de raison", mais l'affirmation de Pierre Krause tend à expliquer peut-être ce qui s'est vécu aux "Week-end Murat"...
Revenons-en à l'ordinaire de l'actualité... en 5 points et quelques sous-parties.
1) INDOCHINE (suite)
Voici un bout de pochette qui indique la dédicace à Jean-Louis Murat sur le dernier album.
Ils ont par ailleurs indiqué sur RTL (après la trentième minute) qu'ils n'étaient pas responsable du titre généré par IA qui aurait été fait par des fans, mais je les trouve un peu mal à l'aise devant Flavie Flament (qui clame son amour pour Jean-Louis, "mon idole absolue"). J'ai un peu pensé au clip "Comme un cow-boy à l'âme fresh" qui a été mis sur un compte bidon, pour éviter sans doute des problèmes de droits sur les images.
J'ai un peu constaté dans les commentaires autour d'Indochine qu'un certain nombre de personnes leur en voulaient de faire trop de politique dans leur disque et d'avoir refusé de jouer à Perpignan. Cela a contribué à me les rendre sympathique... Et cela me permet de rappeler l'engagement de Jean-Louis Murat en faveur du Sous-marin, salle rock de Vitrolles fermée par B. Megret.
2) Une étape
On n'a pas eu énormément d'infos sur les questions posées par la "succession" de Jean-Louis Murat, si ce n'est la volonté de Yann Bergheaud de jouer pleinement son rôle d'ayant-droit (avec les autres enfants). Mais voici un élément qui indique que cela est en train d'avancer, même si c'est un peu triste... moi qui utilisais le terme "Scarlett" pour parler de la petite entreprise muratienne, et de ses quelques acteurs... Donc, voilà : Scarlett s'est fini, au moins pour la partie éditions... La société créée avec Marie Audigier, puis gérée par Laure, a vendu son fond de commerce à une maison d'édition "indépendante", Premier music Group (qui fait néanmoins partie d'un groupe international : Wise).
Pendant ce temps-là, dans la nouvelle et belle maison de Laure, on n'oublie pas Jean-Louis... Voici la 3e version live de Jeanne Cherhal sur "La maladie d'amour" (après celle at-home il y a plus de 10 ans et celle donnée en mai dernier à la Coopé).
3) Petit tour au Québec
Karkwa étaient en France pour quelque dates... et Louis-Jean Cormier s'est rebaptisé "Jean-Louis Murat" au moment de se présenter (à Paris, comme à Orléans).
merci à Antonin pour l'info. Et hop, on en profite pour partager son montage des différentes vidéos sur sa prestation du week-end Murat, yes sir en juin dernier:
4) On reste sur le thème "Murat - influence" :
- Toujours au Québec avec un article sur le duo Gustafson’s : "Il y a quelque chose de très « français » dans cet album, que ce soit dans la manière de chanter d’Adrien Bletton, qui rappelle un peu Jean-Louis Murat, une référence au cinéaste Gaspar Noé ou l’ambiance qui évoque parfois un vieux film de Claude Lelouch" (Vos étincelles).
Et avec deux noms déjà croisés :
- les alsaciens de SINAIVE qui avaient repris "Perce-neige". Gonzai en fait "les dignes héritiers de Phil Spector, de Jean-Louis Murat et de Neu!" et Les Inrocks les décrivent "s'inspirant d'un mélange entre le son de Broadcast et The Telescopes, avec une touche à la Jean-Louis Murat".
- La Suissesse Mila (découvert ici avec une reprise de "L'au delà"). Un article de La Tribune de Genève nous permet de lire le nom de JLM : "Aujourd’hui, la playlist Spotify de Milla confirme que les Beatles ne font plus la loi. Presque exclusivement de la chanson française, Jean-Louis Murat, Alain Souchon, Yves Duteil (!), Delpech et Cabrel..."
5) Collaboration avec l'animal et les animaux
Vous avez lu l'article précédent signé Florence? Ce n'est pas trop tard... Je fais le lien (avec aussi son article sur les animaux) avec l'univers d'un artiste qui a croisé la route de Jean-Louis en réalisant le clip "French lynx" Jean-François Spricigo, "grand nom de la photographie contemporaine"... qui célèbre le vivant.
Ses sujets de prédilection sont la nature et les animaux. Selon le photographe, ils "ont participé à [le] réconcilier" avec l’humain. "Les animaux ont particulièrement participé à m’apaiser face à ce que je percevais comme des injustices, l’évidence de leur présence et leur ancrage spontané m’ont donné accès à une respiration plus sereine" (France info avec une vidéo pour voir les oeuvres)
Exposition Toujours l’aurore – Palais synodal, 135 rue des Déportés et de la Résistance à Sens Jusqu’au 30 septembre – Tous les jours de 10h00 à 12h30 et de 14h00 à 18h30 – Entrée gratuite
THE LIEN INTER EN PLUS UN RIEN RÉCURENT
Récurrent car on a déjà parlé de la mention de Jean-Louis Murat dans des billets de Tanguy Pastureau... dans lesquels Murat est convoqué pour incarner le spleen absolu. La preuve, cette fois, c'est pour parler de notre premier ministre.
"Lors de la passation de pouvoirs avec Gabriel Attal, il a été cassant, c’était un octogone verbal, j’ai cru que le petit allait fondre en larmes. J’ai failli ouvrir une cagnotte en ligne, « Des sous pour Gabou », pour qu’Attal puisse acheter une palette de Xanax, parce que c’est ce qu’il faut quand tu croises Barnier. Sur son visage, on lit l’état de la France, ce mec est l’antithèse de David Guetta. Vous le foutez à Ibiza, il mixe tout l’album Mustango de Jean-Louis Murat avec Les Roses blanches de Berthe Sylva, et les clubbers chialent".
Au printemps dernier, en haut de la Puy de la vache, nous avions pour mission de parler de l'ancrage de Jean-Louis Murat avec une journaliste. De cette cogitation est née l'envie chez Florence d'aller plus loin. Son amour pour l'Auvergne est plus ancien que celui pour Murat, mais les deux sont désormais intimement liés. On le devinera aisément à la lecture de ce texte, qui nous permettra de patienter en attendant la thèse universitaire promise sur le sujet.
Photo : V. Jeetoo
Jean-Louis Murat en sa contrée
D’une œuvre aussi ancrée dans un territoire, il est tentant de faire un but de visite, de promenade. Monter à la roche Vendeix, regarder couler la Dordogne, saluer la Dent de la rancune, passer le Col de la Croix-Morand, découvrir la Tuilière et la Sanadoire depuis le puy de l’Ouire, et désormais déposer un bouquet de fleurs des champs sur un portail fermé à Douharesse…
Puy de l’aiguillier
A les écouter chantés, ces lieux nous semblaient familiers, et pourtant, alors que leurs formes s’offrent au regard, on les découvre. Ils étaient un nom, un horizon, un espace ouvert : on avait fait le reste. Pas d’image précise, de tableau à mettre en regard avec la réalité, comme on en trouverait sur les chemins d’Etretat ou de Saint-Rémy de Provence. On en avait rêvé comme on rêve sur une carte. Ils se dévoilent, tout neufs. Mais on les reconnaît. Les lumières, le climat. La façon dont ils sont habités, par les hommes et les bêtes. Le rapport à cette terre, ce ciel grand ouvert, ou enserré dans le brouillard et les nuages.
Et si, comme le dit Julien Gracq, « tout grand paysage est une invitation à le posséder par la marche », très vite le parcours balisé devient flânerie, au gré des chemins de traverse, des perspectives qui s’ouvrent à chaque virage, derrière chaque col, après chaque sommet. Alors arrive la joie de découvrir par hasard d’autres lieux-dits, hameaux, sources dont le nom résonne, d’avoir mis sans le savoir ses pas sur des chemins familiers. De faire connaissance avec un paysage déjà tant de fois arpenté en imagination.
« L’Auvergne, je m’en fous complètement !» avait pourtant lancé Murat, jamais avare de paradoxes et de provocations, et fatigué sans doute de lire les éternelles périphrases l’enfermant dans cette spécificité du chanteur régional. « Le barde auvergnat », « le troubadour arverne »… Nous voilà sur un terrain déjà largement labouré. Au-delà du relevé patient des lieux qui émaillent les chansons, de leur cartographie minutieuse, reste toutefois à essayer d’examiner comment dans cette petite forme de la chanson, Murat dessine tout un monde, comment il rend à ce point sensible son territoire familier, et ce qu’il y a en effet d’injuste ou paresseux à le réduire à l’artiste du terroir, « le chanteur AOC » souriait-il.
Les travaux et les jours
Le paysage auvergnat chez Murat, c’est d’abord celui du quotidien, un territoire façonné par ceux qui y vivent, y travaillent, y aiment. Leurs gestes et leurs préoccupations le dessinent, au rythme du temps et des saisons : dans les chansons de Murat, « il fait grand beau partout on fane », « d’estive rentrent les troupeaux », on soigne le veau dans l’étable, il faut couper les genêts, on s’inquiète du bois pour l’hiver ou du manque d’eau… On va pêcher dans le ruisseau des grands moulins, dormir dans la bruyère, fêter la Saint-Jean, ou regarder le taureau bander. « L’almanach amoureux » égrène de dicton en dicton l’année des paysans, avertit, enjoint, s’exclame : « mieux vaut chien enragé que chaud soleil en janvier », « Si tu veux bien moissonner, voilà l’heure de semer », « Nom de Dieu déjà septembre, fainéants peuvent s’aller pendre »… Cet almanach amoureux, Murat le file dans bien d’autres chansons, où l’amour se vit lui aussi dans la succession des saisons : dans « Sévices amoureux » par exemple : « L’hiver vient contrarier nos jeux Dès novembre et décembre tu retrouves tes collants bleus… L’automne passe la main, mets au chaud le bout de tes seins… Vive le printemps prochain ces jupes libèreront tes reins », ou encore « J’ai fréquenté la beauté », « tout un mois de juillet », et « tout un mois de janvier, Nuit et jour il neigeait autour ». Dans « Pluie d’automne », il promène sa mélancolie « en forêt... peine vaine, bois mort et genêts », dans le souvenir de l’amour passé « jachère brûlée, terre fière, nature de juillet ». L’hiver donne lieu dans plusieurs chansons à des peintures mélancoliques ou inquiètes. « L’Ouire est blanc il a neigé… tous les skieurs sont enchantés… Mais peu me chaut » chante Murat. La sagesse populaire de l’almanach amoureux a beau signaler que « An de neige sera toujours un an de bien », cet hiver interminable est, Murat l’a dit en interview, un des inconvénients « d’être né quelque part, entre Tuilière et Sanadoire ». « Il neige », répète inexorablement la chanson éponyme, qui peint un cadre familier recouvert peu à peu d’un manteau uniforme, comme soumis à une divinité cruelle, enterrant toute vie et refermant tout horizon. Tableau en blanc, noir et rouge, la chanson isole des silhouettes et des ombres inquiétantes, « chasseur accroupi dans la neige, gorge de loup dans la ténèbre », et fait pressentir la violence qui couve dans ce grand ennui de l’hiver : « il n’y a place que pour le silence, au couteau sur ta chair blanche ». Alors, le printemps même devient une perspective fragile et incertaine. « Dis Valentin, est-ce que le printemps revient » s’inquiète « L’almanach amoureux ». Même souhait dans « Le chat noir » : « Que l’espoir laisse au printemps, chanter la grive passer le givre, Que l’espoir laisse au printemps passer la neige en tourbillonnant ».
Chaudefour
Tous mourus
Âpre vie dans ces montagnes, et ce paysage est celui d’un mode de vie qui peu à peu s’efface. Certes, vaille que vaille continue à survivre un rapport ancestral au lieu, au temps, à la terre : à Chamablanc, indifférents à l’avion qui les survole, s’accomplissent encore les gestes anciens, « Cuire la rhubarbe pour le petit, qui a toussé toute la nuit », « soigner le veau de l’enragée ». « Nous avons d’un courage constant maintenu notre vie d’avant » chante Murat dans « Entre Tuilière et Sanadoire ». Pourtant le constat parcourt nombre de chansons : chaque jour amène un suicide (« Tous mourus »), « il faut vendre la terre, il faut vendre les prés », « c’est la fin du village », « méconnus les rires d’enfants (...) dans ce pays qui n’est plus qu’un mouroir ». Cette désaffection se lit dans le paysage, lorsque « faudrait nous couper les genêts » qui gagnent sur les champs et les prés, ou que ne restent que « les ronces », puisque les vieux s’endorment, on n’arpente plus la montagne. Les chansons se font alors lieu de mémoire, où se conserve cette « vie d’avant ». Le film En plein air, tourné dans la chapelle de Roche Charles, s’ouvre sur des phrases en patois, la voix de la grand-mère de Murat. Il explique : « Elle raconte une journée type de sa jeunesse : le fenaison, etc. Ces derniers temps, je remplis des cassettes entières avec ces souvenirs. Avec elle, c’est toute une époque de la paysannerie qui disparaîtra ». Soucieux de conserver des traces de ce temps et de cette langue qui s’effacent, Murat a également enregistré « Le pastrassou dien sa tsabano » (Le berger dans sa cabane »), sur un texte de Joseph Canteloube. Dans Babel, il donne à un des sommets de l’album un titre en patois, « Mujade Ribe », et fait entendre le parler et les préoccupations des paysans de Chamablanc : « Martin vient nous aider demain, Il sera tôt si le temps nous tient... Y a si peu d’heures à ramasser ».
“Le pays premier”
« Dans le pays où je suis né » scande cette chanson. En effet ce territoire est celui de son enfance, les « pays premiers » dit Marie-Hélène Lafon, avec lesquels elle entretient « un rapport nourrissant, charnel, vital ». Dans une passionnante interview croisée avec Jean-Loup Trassard, Murat affirme de son côté : « Le paysage de l'enfance se décalque à l'intérieur, sur l'âme. ». Ilqualifie la vallée du Vendeix, où il a vécu petit, de « berceau », et rappelle – il le dit dans « Montagne » - que sa famille était appelée Bercail. Ses souvenirs irriguent ses chansons, la plupart du temps sous forme d’allusions ou d’images, « Le Mont Sans Souci » étant une des rares exceptions qui le voit céder à la tentation du récit. Murat évoque dans au moins deux chansons le Ciné-Vox de la Bourboule, ou parle dans « Fort Alamo » de « La Belle Ozo », un des poneys qui transportait les enfants des touristes. Les « clarines bleues » de « Chagrin violette » le renvoient à l’enfant malheureux qui s’enivrait de leur chant. Le temps se retourne, les chagrins resurgissent, et avec eux des voix du passé : le petit garçon qui vivait auprès des vaches, qui demande « Dois-je donner aux bêtes » et réclame « Garde-moi la peau du lait », mais aussi des phrases en patois dans « Mujade ribe » et « Le voleur de rhubarbe ».
Arpenter les lieux, c’est donc remonter le temps, plonger dans les souvenirs. « Le voleur de rhubarbe » déroule, entre Lusclade, la Compissade, le Rocher de l’Aigle et la Fontaine salée les rêveries du « petit Bertzo ». Devant la Dordogne, comme au cours de la promenade avec Aurélie Sfez pour l’émission A la dérive, son « cœur étonné revit ses étés au Vendeix ». L’image de la maison d’enfance dans Babel amène avec avec elle le souvenir du « sang noir », la « viande crue », déjà présents dans « Perce-Neige » et « Accueille-moi paysage ». Les interviews de Murat sont également riches de souvenirs et de réflexions sur le lien entre paysage et mémoire. Dans sa conversation avec Jean-Loup Trassard, elles découlent d’un mot : « Vous ne trouvez pas aussi que le mot de remembrement est drôlement vicieux ? Il y a la remembrance, le "remember" anglais, le souvenir. Donc, la racine de remembrement est le souvenir, alors que le mot dit le contraire. Comme vous le dites, le souvenir et l'émotion passent beaucoup par la reconnaissance intime d'un paysage. Dès l'instant où on y touche, on bouleverse nos souvenirs. »
Epaisseur du temps
Le passé qui persiste, souterrain et têtu, c’est aussi celui des contes et légendes. Les lieux dans les chansons de Murat sont souvent traversés de récits ou empreints de spiritualité. En 2008, au cours d’une conversation avec les lecteurs de Télérama, il parlait de sa « foi rurale, campagnarde, primaire » : « Je crois en Dieu un peu comme je crois en les cerisiers, les fourmis ou les bêtes à bon Dieu, pas toi ? (rires) ». Jean Théfaine raconte comment, au cours d’une de leurs rencontres, il l’a vu ramasser une croix en granit, de celles qui jalonnent les chemins et les carrefours de sa région, pour la mettre près de sa maison. Lui qui disait admirer chez Bob Dylan sa quête spirituelle, qui affirmait sur FR3 en 1993 : « Je maintiens que la vraie chanson a une vocation de prière », il a chanté la vierge d’Orcival, investi la chapelle de Roche Charles pour l’album En plein air, et revient dans son œuvre vers des pôles qui semblent l’aimanter. Dans « Col de la Croix-Morand », devenue emblématique, il évoque ce point de passage battu par les intempéries, balayé par les tempêtes de neige, et particulièrement dangereux puisqu’« à la Croix-Morand il faut un homme tous les ans » dit le dicton. Il représente un lieu de solitude et de dénuement extrêmes, auquel il s’identifie dans la mort même : « Quand à bride abattue les giboulées se ruent, Je cherche ton nom. Oh je meurs mais je sais que tous les éperviers sur mon âme veilleront… Dans mon âme et mon sang col de la Croix-Morand je te garderai ». 23 ans plus tard, il y consacre une autre chanson dans Babel. Sous son autre nom de « Col de Diane » (Dyane dit la carte) il devient alors le théâtre d’une quête érotique et mystique désabusée : « au col apercevoir la dame », « en forme noire embrasser Diane », « Au pont de la mort trouver son âme »…. « faut pas y compter ». Passant par le col, si on va de Pessade à Courbanges, on descend vers un autre lieu hanté : le lac Chambon, dominé par la Dent du Marais ou Saut de la pucelle. La légende dit que, pour échapper à la poursuite d’un seigneur, une jeune fille a sauté du rocher. Arrivée au bas saine et sauve, elle est allée se vanter du miracle, et a sauté à nouveau – chute mortelle, cette-fois ci, Dieu l’ayant récompensée pour sa foi et sa vertu mais punie pour son orgueil. Le souvenir de ce saut hante le marcheur de « La petite idée derrière la tête », et « Noyade au Chambon » dans Babel en reprend les motifs : elle raconte comment une jeune fille saute dans le lac pour échapper à un jeune Allemand qui voulait lui faire violence. Cette chanson semble d’ailleurs exemplaire de l’épaisseur du temps chez Murat : dans un disque où il arpente son territoire familier, et convoque son passé, il raconte un fait divers qu’il situe pendant la guerre (quand « Le maquis tenait Bozat, tenait le château des Croizat »), et qui semble une réécriture de la légende. La forme même de la chanson, rythme et orchestrations, l’associent à un conte ou une ritournelle populaire.
Magie des noms
Habité, hanté, parcouru de récits et de souvenirs, ce paysage paraît donc extrêmement sensible, et même charnel à l’auditeur. Et pourtant, on peinerait à trouver de réelles descriptions dans les chansons. Il semble que Murat pourrait souscrire à cette phrase de Philippe Jaccottet dans Les Semaisons : « Je ne veux pas dresser le cadastre de ces contrées, ni rédiger leurs annales : le plus souvent ces entreprises les dénaturent, nous les rendent étrangères ; sous prétexte d’en fixer les contours, d’en embrasser la totalité, on les prive du mouvement et de la vie ; oubliant de faire une place à ce qui, en elle, se dérobe, nous les laissons tout entières s’échapper ». La vue d’ensemble du pays de Murat, on la saisit vraiment sur la carte qui accompagnait la sortie de Babel :au centre, la Bourboule et le Mont-Dore, tout autour des puys et massifs grossièrement griffonnés, des traits et flèches comme pour marquer les chemins ou les points d’arrivée et, principal élément structurant, deux épais traits bleus pour le Vendeix et de la Dordogne.
Dans ses chansons, pas plus soucieux de topographie ou de peintures précises, Murat procède plutôt par notations ponctuelles, et joue sur les changements de point de vue et de perspectives. Il dessine de vastes espaces, des lignes générales, la terre, le ciel, les horizons : « la prairie », « mille hectares de forêt », « les foins, les genêts », « les champs, les forêts », « les monts », « la large plaine »… Dans ces étendues, il isole des éléments, points de repère, traits saillants, ou silhouettes, ouvrant parfois, de façon métonymique, à tout un espace : « le rocher », « nos roches » « le château », « le cerisier », l’« abreuvoir », « les cornes des bœufs », « un troupeau, un enfant », « cavalier sous la pluie »... Avec la justesse de celui qui le connaît intimement, il dit aussi son paysage par ceux qui le peuplent, animaux et végétaux : narcisses, myosotis, reine-des-prés, camélias, jean-le-blanc, chardonneret, faucon cendré, milan noir, ferrandaises, renards ou mouflons. Finesse du regard de celui qui peut appeler tous les oiseaux par leur prénom, mais aussi belle confiance en la magie de la langue et la puissance d’évocation de ces noms (la reine-des-prés, tout de même !) Et que dire des noms de lieux, constamment présents, Courbanges, Les Longes, Chamablanc, la Dent de la rancune, l’Ouire, l’Aiguillier, Lusclade, le Crest, qui à eux seuls ouvrent tout un monde ? Nommer : faire entrer avec lui, de plain pied, dans son univers familier. Ouvrir grand l’espace de la rêverie. Tout un monde en germe dans cette petite forme de la chanson, qui se déploie dans l’imagination de celui qui écoute.
« Le printemps me sert de lieu » 1
Faire imaginer, faire sentir : Murat rend aussi sensible le paysage par les sensations qu’il procure, parfois dans une dimension synesthésique, quand il parle du « chant des clarines bleues », la nuit. Un vers, une notation, et voilà posé un climat - y compris au sens météorologique du terme - quand le lieu est d’abord une présence physique : dans la « pluie du matin », le « printemps pluvieux et chaud », le « vent chaud » venu d’Espagne, la nuit qui « nous tient en ciel d’orage »... avec la fièvre qui saisit quand embaument « les senteurs de juillet », le « parfum d’acacia au jardin » ou l’odeur de la femme aimée au verger… les mains trempées dans l’eau à Fonsalade par un mois de mai brûlant, le « ventre nu sur le gazon », la saveur du « lait au goût de réglisse et d’airelle » ou la première framboise à savourer… ou à écouter le « grand silence de printemps », la « drôle de chanson » du coucou en haut d’un hêtre. Parfois d’ailleurs on l’entend, cet univers familier, chants d’oiseaux, clarines, aboiements de chien dans Toboggan, Mockba, Le Manteau de pluie. Morceaux atmosphériques, où la musique, les arrangements, le chant murmuré nous immergent dans des espaces singuliers. « Le lait des narcisses » nous entraîne même sur des pas qui crissent sur un chemin, alors que coule goutte à goutte l’eau de ce que j’ai toujours imaginé comme la neige qui fond au soleil. Et surtout, Murat porte une attention constante à la lumière, à la qualité de l’air : « pleine lune au mois de mai », « dernière étoile s’enfuyant vers le Fohet », « gorge de loup dans la ténèbre », « les soirs illuminés entre les cornes des bœufs ». Le « ciel rougeoyant en soirée », le soleil qui « se lève ensanglanté », « la pénombre de juillet », « l’ombre épaisse de la tour », « la nuit des forêts ». Le brouillard qui « déjà (...) noie les grands moulins », les Combrailles qui s’embrasent au loin, ou la lumière (sans doute surnaturelle, celle-là) qui s’est posée sur une fille dans « Mujade ribe »...
« Apprends à trouver le chemin »
Poète du monde sensible plus que topographe, Murat n’en peint pas moins des espaces orientés, parcourus de lignes de forces, le cours des ruisseaux ou les pas du marcheur. Sans cesse le paysage est saisi dans le mouvement de celui qui l'arpente : il s’agit de partir dans la direction du Crest, prendre par Lusclade, marcher de Courbanges à Pessade, suivre le chemin des poneys, aller au Servières se rafraîchir, fréquenter la beauté par les champs les forêts, marcher dans la montagne en ce joli mois de mai, y courir et siffler le renard, apprendre à savoir s’orienter... Les lignes directrices sont également dessinées par les ruisseaux et rivières, omniprésents : d’abord le Vendeix et la Dordogne, lieux de rêveries de l’enfant, de méditations de l’adulte, mais encore le Chavanon, le ruisseau des grands moulins, le Sioulot… Les cours d’eau matérialisent aussi les forces souterraines qui traversent le territoire : la Dordogne de la chanson éponyme gronde au sein des profondeurs de la terre d’être « crachée sur terre », « du fond de l’enfer » ; des sources jaillit une eau « salée », ou avec laquelle on soigne les enfants malades aux thermes de Choussy; elle sort brûlante de la « Faille » gardée par « la fée des eaux ». Le vent court lui aussi sur les plaines et le long des vallées, comme « le vent d’ecir sur la Limagne » dans « Les hérons »; dans « Mujade ribe », « en souffle d’homme sur la Dordogne qu’il remonte en courant », il annonce l’orage qui déjà « gronde au Chavanon ». Murat dit la violence, le feu qui peut traverser son pays, lui qui évoque souvent l’orage (et disait aimer sortir sous le déchaînement des éclairs). Il rappelle même les puissances géologiques qui l’ont façonné, lorsqu’il parle de « l’empreinte du glacier » dans « Le voleur de rhubarbe ». Prenant à rebours la métaphore convenue attachée à la source et au ruisseau, il qualifie de « vieux » le cours d’eau qui « part en chantant » dans « Le jour se lève sur Chamablanc ». [NDLR : sur le thème de l'eau]
Au dedans de moi
La Dordogne : « Fureur muette au cœur de mon être ». La puissance de cette terre fait écho à une violence intérieure, le paysage est le reflet de celui qui s’y mire, et Murat reprend toute la tradition poétique du paysage état d’âme – à moins que ce ne soit l’inverse. Quelques exemples, mais on pourrait les multiplier : il compare son âme triste à la jachère dans « Perce-neige », peint dans «Démariés » le paysage glacial et inquiétant des adieux : « Jeune fille s’en va dans sa pluie de flocons bleus / Vers le dernier ravin où s’aventurent les loups ». Il souhaite dans « Je voudrais me perdre de vue » « pouvoir regagner la prairie avant la tombée de la nuit », se demande dans « La tige d’or » « Qui a fait ce fond de ravin dans ma verdure ? » ; ou encore, marchant de Douharesse au Guéry, de l’aube au couchant, il se retourne sur sa vie dans « Le chant du coucou ». Après une course vive, qui le voit fouler « d’un pas moderne le chiendent et le mouron », insulter le coucou chanteur, il finit par se « baigner nu, dans l’eau noire des regrets ».
"L'Indien" - photo: V. Jeetoo
Mais lorsque les courbes et les reliefs dessinent des visages et des corps, le paysage s’anime et palpite de désir. Véronique Jeetoo raconte que Murat appelait « L’Indien » le profil de la Sanadoire vu depuis Douharesse ; Roger, son ami d’enfance lui montrait depuis le col de la Croix-Morand l’horizon du Guéry comme un corps de femme. Car ces montagnes, ces vallées sont avant tout féminines, et Murat les peint avec une extrême sensualité. On y fait l’amour, sous un séquoia au parc Fenestre, au Mont sans souci, ou « nu parmi les genêts ». Elles sont parcourues d’eaux courantes, sources, ruisseaux et rivières, élément féminin chez Murat comme chez Elisée Reclus qu’il admire. Comme le Rhône et la Saône se mêlent s’étreignent les amants, « ventre contre ventre » dans « Pluie d’automne ». Et c’est au cœur du chemin creux que Murat trouve la fontaine dans « Au dedans de moi » : « Au-dedans de moi ta rivière, Au-dedans de moi ta liqueur, Au-dedans de moi ta fontaine, Au-dedans de moi tes merveilles, Par le chemin creux ta fontaine ». Sexuelles aussi, les fleurs. Murat parle de « se cueillir en narcisse », évoque dans « Colin-maillard » le désir impatient de voir « le grand lys au fond de la vallée », veut « sucer la fleur secrète ». La femme aimée est « reine des bois, des ronces et des genêts », le contentement de la lady est « anémone du soir », ou « rond comme un pommier ». Encore une fois, le jeu avec les noms opère aussi ce déplacement, parfois avec malice, lorsque Murat chante « Montboudif lui dit plus trop », ou qu’il indique avec un aplomb imperturbable au réalisateur de son clip : « Col de la Croix-Morand ? Col de l’utérus ! » Le Mont-sans-souci, centre équestre sur les hauteurs de la Bourboule où il situe ses amours avec une jolie infirmière, est aussi (d’abord ?) le sexe féminin.
Au-delà encore de cette projection, il montre un paysage qui le façonne, et avec lequel il finit par se confondre. La Dordogne est « source de (s)a vie » ; il se dit montagne dans Vénus: « Oh ! Vois, j'ai dans les yeux le bleu de l'eau des montagnes, dans ma voix l'accent des gens de montagne ». C’est l’espace de son « âme », mot qui revient de façon obsessionnelle dans « Col de la Croix-Morand ». De cet accord entre l’âme et le paysage, il passe par la suite à une véritable fusion. Dans « Parfum d’acacia au jardin », le mort n’est plus sous la garde des oiseaux, mais emporté avec eux : « j’ai su que mon tombeau serait une hirondelle ». Et dans Babel, l’âme n’est plus cette entité vague, ce mot employé de façon un peu convenue, elle a un lieu, est un lieu : « Le siège de l’âme c’est la forêt, sans les larmes, sans pitié… Le siège de l’âme c’est la forêt, le brouillard, les genêts ». Dès « L’ange déchu », il demandait : « Fais de mon âme une branche, de mon corps un talus » Comme le notait Agnès Gayraud au Fotomat, c’est dans la nature, le paysage que semble finalement se trouver toute transcendance. Le mourant appelle d’ailleurs à s’y fondre : « Accueille-moi paysage, accueille mon vœu, Fais-de moi paysage un nuage aux cieux ».
Rêveries géographiques
Dans cette façon singulière de présenter son paysage, elliptique et précise, rêveuse et puissamment évocatrice, dans son appel constant à l’imagination et la rêverie, Murat compose une œuvre solidement ancrée dans un territoire, et qui simultanément s’ouvre à tous les horizons et les imaginaires, du présent vers le passé, d’ici vers l’ailleurs. Grand voyageur, il reconnaît loin de chez lui des paysages amis, qu’il comprend intimement. Dans Taormina se mêlent et parfois se confondent les paysages siciliens et auvergnats, tous hantés par la mélancolie et l’omniprésence de la mort, à l’ombre des volcans. « Caillou » ouvre l’album : « Tout ce qui mène au tombeau ici bas devient beau, fait la mélancolie des gens de mon pays », et « Taormina » répond en écho : « A Taormina, je mesure ma peine ». Les vastes plaines, les horizons lointains s’élargissent aux deux pôles entre lesquels naviguent son œuvre et ses sources d’inspiration, l’ouest américain et l’est des moujiks. Murat, grand amateur de westerns, donne à un de ses premiers albums le titre d’un film de John Ford, et les grands espaces américains parcourent toute sa discographie, du « Troupeau » à « Géronimo », avec un déplacement notable des cow-boys vers les Indiens auxquels il s’identifie. Dans Cheyenne Autumn, on entend aussi la voix d'Andreï Tarkovski; les grandes étendues, ce sont aussi celles des steppes, pour celui qui se rêve en moujik, ou de l’immense forêt de la taïga chantée dans Le cours ordinaire des choses : dans l’hiver interminable, la neige qui tombe sans cesse, s’élève la plainte du « monde d’en bas », pour implorer le retour de la lumière. Les espaces se chevauchent régulièrement, lorsqu’il voit par exemple « une mêlée d’Indiens » au milieu des narcisses et jasmins dans « La Chanson du cavalier », et l’Histoire s’invite bien souvent au détour des chemins. Dans « Michigan » se mêlent ainsi les massacres des Indiens et l’épopée napoléonienne : « je vois nos os mêlés à la prairie », « est-ce que je vois l’armée de Napoléon ? ». Ouverture enfin, choc fécond, ses références et modèles. « La plus haute tour » de « La chanson du cavalier » convoque Rimbaud, dans la « noire Sibérie » de « La surnage dans les tourbillons d’un steamer » surgit un vers de Louise Labé, « La fille du capitaine » rend hommage à Pouchkine… Même Babel, son « disque AOC » disait-il, est né d’un ailleurs géographique et temporel, la lecture à ses enfants de L’Île au trésor de Stevenson. Enfin c’est sur une musique anglo-saxonne qu’il chante ses territoires intimes : « John Lee Hooker à la sauce Cropper résume à merveille toute l’inspiration de Murat, tantôt funky, tantôt blues », écrit Antoine Couder dans Foule romaine. « Un folk avec des échardes, boueux » nous disait joliment Agnès Gayraud lors de sa conférence au Fotomat. Et en effet, la langue de Murat est volontiers rugueuse, elle saute joyeusement du très littéraire au très trivial, ce qui l’éloigne là encore de la littérature régionaliste telle que la définit Hélène Lafon : « le roman de terroir joue à l’évidence sur la corde nostalgique ; on y subit des épreuves, on les affronte, et on est finalement consolé, caressé, le tout dans une langue bien écrite, pas trop ébouriffée. ». La nostalgie est certes loin d’être étrangère à Murat, elle revient à longueur d’interviews, mais c’est plutôt de la mélancolie qu’expriment ses chansons, avec la conscience aiguë du caractère éphémère de toute chose. Et il me semble bien le retrouver dans ce travail au corps-à-corps que raconte Marie-Hélène Lafon : « je ne pouvais pas manger de ce pain-là ; il y avait trop d’âpreté première, native et définitive, à étreindre, à affronter, mâchouiller, ruminer... »
Puisque les noms donnent un tel élan à l’imaginaire, comment Murat a-t-il rêvé les siens ? Bergheaud-Murat, son âme de berger, enraciné dans son pays d’enfance, son bercail... Murat-Bergeaud, qui se rêve en maréchal d’Empire, et par la magie de cette racine bergh étend les siennes jusque vers le grand nord et la Sibérie...Voilà qui excède décidément toute clôture géographique et temporelle !
1- «Le printemps me sert de lieu»: citépar Martin de la Soudière dans son ouvrage Arpenter le paysage
photo : F.Loriou
Merci à Didier Le Bras et Pierrot, au site Muratextes, à Patrick Ducher et Florence Couté pour leurs précieuses transcriptions d’interviews, Jean-Louis Murat, le ramasseur de myrtilles, à Agnès Gayraud, pour sa conférence au Fotomat le 22 juin, à Arpenter le paysage de Martin de la Soudière, au Pays d’en haut, de Marie-Hélène Lafon et Fabrice Lardreau.
Florence D.
--------------
Un grand merci à toi, Florence! Merci pour ce "corpus" que tu constitues.
De l'actualité s'est invitée, mais reprenons avec nos souvenirs du dernier week-end Murat, yes sir!
Vendredi 21 juin, on a drôlement bien fêté la musique au Fotomat, c'était vraiment un moment fort pour moi, de plaisir égoïste et solitaire de spectateur, mais aussi plaisir de programmateur de voir une salle pleine et... conquise.
Et la soirée avait commencée par Alain Bonnefont. Il n'avait pas forcement beaucoup chanté son répertoire ces derniers mois et il y avait quelque chose de spécial devant ce public ("de qualité"), sans doute de par ce qui nous relie à lui, et lui à Jean-Louis... Et Alain a tenu à nous faire des nombreux "cadeaux" ou "surprises"... Après avoir passé quelques heures sur ce set pour monter les vidéos, je suis plus que jamais sous "le charme". Certains airs me restent en tête depuis plusieurs jours. Si on attend des inédits de Jean-Louis, perso, je vais me mettre à attendre ceux d'Alain aussi...
Pour en revenir aux cadeaux de cette soirée, en premier lieu, un texte de Jean-Louis Murat sur une chanson inédite sur disque. Alain l'avait partagée en vidéo il y a une dizaine d'année et... je l'avais oubliée.
Voici "au dos des filles".
- Les vidéos sont toutes avec le son enregistré à la console par le maitre Théophane Berthuit.-
La version originale (et son illustration visuelle qui peut expliciter un peu le texte... dans lequel figure une nouvelle mention géographique auvergnate: Mirefleurs!)
AU DOS DES FILLES
Je n'ai pas le moindre fil
Pas la moindre automobile
Avant de quitter le nid
Pas la moindre envie
Je n'ai pas la moindre peau
Pour couvrir l'avoine folle
Je voudrais du fond du coeur
Redevenir chanteur
Accroché nu dans le vide
Au dos des filles
Pas la moindre cartomancienne
Pas d'ortie, pas d'asphodèle
Où peut-on franchir le pont ?
Où est la chanson ?
Pour retrouver le moteur
Il faudrait changer de coeur
A Mirefleurs, que des absents
Au bonheur des grands
Accroché dans le vide
Au dos des filles
Au dos des filles
----------------------
Autre petite surprise en début de set, un autre inédit disque, LINCOLN texte de Robert Basquin. Celui-ci avait envoyé des textes à Jean-Louis qui les avait appréciés, et proposés à Alain.... et cela a donné notamment ceci:
Basquin a notamment écrit pour... Renaud Hantson (le "jimmy" de la comédie musicale de Berger)... et...et... on en reparle en fin d'article... parce que je ne veux pas interrompre le set d'Alain.
- Autre inédit sur disque:
La soirée du vendredi s'appelle "Influences Murat?", et Alain nous a proposé deux nouvelles chansons, la première "qui parle de chez moi, au pied du Puy de Dôme"... et la 2e où il est question de Borvo (la Bourboule) et de chansons "qui nous jettent à Borvo" (j'ai eu quelques loupés de captation... d'où le petit montage vidéo). Toujours magnifique!
Autre évocation "par la bande" de Murat, avec un texte de Marie Möör. L'égérie de Bayon est venu travailler à Douharesse sur le projet Svoboda, Denis, Alain participaient... et quelques chansons ont vu le jour ensuite pour Alain (c'était avant que Marie n'apparaisse sur un disque de Christophe). Svoboda ici ou là et encore Là aussi, c'est une chanson inédite sur disque.
La prochaine n'est pas inédite (elle figure sur "mirabelle au réveillon" de 2009) mais Alain nous dit que c'est la première fois qu'il la chante en concert:
Et en rappel, voici "le Charme", sa chanson reprise par Murat. Elle figure sur son disque "Amaretto" (Les Disques du Crépuscule - 1992).
Un immense merci à Alain. On le retrouve avec Jérôme caillon chez Jeannette (à Riom) le 14/09. On peut retrouver sur ma chaine leurs 4 reprises lors du week-end Murat.
ET VOILA LE LIEN EN PLUS SUS-ANNONCE LE MONDE EST PETIT
On faisait donc le lien entre Murat et Renaud Hantson via Robert Basquin via Alain Bonnefont... Et la boucle est bouclée: Renaud va reprendre du Murat sur son prochain disque "ceux que j'aime". Bon, il ne fait pas dans l'original, comme Julien Doré ("l'ange déchu" en novembre), il proposera "si je devais manquer de toi".
Cette petite vidéo sur fb de l'enregistrement (sans la voix) fait assez envie!
LE LIEN EN PLUS POUR ETRE EXHAUSTIF
Un petit article paru dans divers journaux fin août:
24 Heures (Suisse), no. 22717
Thierry Coljon
« Le Soir »
Un an après sa disparition, il hante encore la chanson
Trois livres rendent hommage au chanteur auvergnat Jean-Louis Murat, décédé l'an dernier.
Sa mort subite dans son sommeil, à 71 ans, le 25 mai 2023, a été un véritable choc. Il a fallu du temps pour nous remettre de cette perte immense pour la chanson française de qualité aux allures blues et country. Jean-Louis Murat était le poète rural du désespoir, un auteur et compositeur exceptionnel, à la fois exigeant et séduisant. Au lendemain de sa mort, malheureusement, les réseaux sociaux n'ont retenu que son caractère particulier et son sens de l'humour souvent incompris.
L'homme aux yeux clairs et au franc-parler était devenu, au fil des ans et de ses rares apparitions à la télévision, le bougon de service, le Jean-Pierre Bacri de la chanson, le râleur s'en prenant à tout ce qui l'énervait: les modes, les inepties, le superficiel, l'esprit parisien. Oui, il pouvait se montrer parfois dur et cruel, mais c'était là son humour et son intelligence: il savait donner aux médias ce qu'ils attendaient de lui. Ce jeu de massacre en règle cachait surtout une grande sensibilité. Il n'y avait pas homme plus cultivé et plus attaché à sa terre que lui. Ses valeurs étaient celles des hommes sensés, simples et pas du tout prétentieux.
Sa musique, ses disques, heureusement, lui survivront et on n'a jamais cessé depuis sa disparition de l'écouter et de redécouvrir les perles livrées durant plus de quarante ans.
Le 1er anniversaire de sa mort a été célébré le 25 mai de cette année sur la scène de La Coopérative de Mai à Clermont-Ferrand, à l'initiative de Denis Clavaizolle, son complice historique. Une vingtaine d'artistes ont chanté Murat (Morgane Imbeaud, le Delano Orchestra, Alex Beaupain, Frédéric Lo, Laura Cahen, l'écrivain Eric Reinhardt, Florent Marchet, la réalisatrice Lætitia Masson, Elysian Fields, Jeanne Cherhal, JP Nataf)... Des proches et des fans avant tout, plutôt que des stars, ce que Jean-Louis Murat, là où il est, a sans doute apprécié, le connaissant.
Les jours du jaguar
Trois livres, ensuite, viennent parfairecette célébration ô combien méritée. Ceux-ci arrivent après la réédition chez PIAS, le 24 mai dernier, en triple vinyle, en un tirage limité de 500 exemplaires, de « Parfum d'acacia au jardin » , sorti en DVD à l'époque. En attendant sans doute le disque posthume d'inédits dont il parlait déjà en 2020. Aux « Inrocks » , il avait confié: « J'ai écrit un disque sur la situation sociale du pays. Mais il ne sortira qu'après ma mort, je laisserai mes enfants gérer ça. Mais tu verras, c'est du sévère. »
Le premier de ces livres, « Les jours du jaguar » , par le journaliste clermontois Pierre Andrieu (préface de Jennifer Charles d'Elysian Fields), est un grand format illustré et cartonné réalisé avec l'aide de La Coopérative de Mai et la Ville de Clermont-Ferrand. On y retrouve de nombreux témoignages de proches et des photos resituant l'œuvre de l'Auvergnat dans son biotope, cet environnement et ces paysages qui l'ont tant inspiré.
Le deuxième livre, intitulé « Le lien défait » , est signé par Franck Vergeade, journaliste aux « Inrockuptibles » , fidèle du chanteur, qui revient sur sa carrière à travers ses nombreuses rencontres avec lui. Le troisième ouvrage, « Foule romaine » , est un essai d'Antoine Couder, de France Culture. Il revient sur l'importance de cette chanson qui est une des plus streamées de Murat, tirée de l'album « Le moujik et sa femme » , de 2002. L'auteur revient sur la chronologie qui a précédé la sortie de ce disque. Selon lui, « Foule romaine » est certainement la chanson qui cristallise au mieux l'idée de gloire et d'inquiétude qui traverse l'œuvre de Jean-Louis Murat ».
Après la mauvaise blague/hommage de mai dernier, et la prestation de Nikola Sirkis à la soirée "te garder près de moi", voilà la grande sortie du disque d'INDOCHINE (avec un gros show - concert privé- ce soir sur TMC).
Et on apprend que l'album est dédié à Jean-Louis Murat (et à Erwin Olaf, photographe). Même si Nikola a chanté "j'ai fréquenté la beauté" à la coopé, on ignore si le titre du disque est là pour faire une référence direct à Jean-Louis, "Babel Babel" est en tout cas une chanson sur Zelenski. On peut rappeler que Babel est une référence assez commune (même si Gabriel Yacoub, lui que Murat appréciait, s'était un peu plaint du "plagiat"de Murat . Faut-il rappeler que Murat faisait lui référence à St-Babel même si "tour de Babel" se prêtait bien à cette immersion sur les hauts plateaux?)
Il y a la mention de Jean-Louis Murat dans l'article web du Parisien (réservé abonnés) ce jour, celle-ci ne figure pas sur l'édition papier !
Plusieurs titres évoquent la mort, le deuil. Dans « Annabelle Lee » vous dites : « C'est l'année des parents qui s'en vont ». Ce sont vos parents ?
N.S.Ça reste du domaine de la vie privée. Mais oui, on devient orphelin... L'éternité que nous offrait le rock n'existe plus. On perd des parents, des amis. Cet album est dédié à Jean-Louis Murat (qui a écrit une chanson pour Indochine) à Erwin Olaf (photographe qui a réalisé la pochette du précédent album du groupe). La vie avance. Et, je ne l'accepte pas.
Vous avez peur de la mort ?
N.S. Non. Quoique... Ça me fait chier. On vit dans une sorte d'intemporalité avec Indochine. À 65 ans, faire du rock, c'est complètement fou, mais il faut rester les pieds sur terre. Et parfois, c'est assez violent.
Pour rappel:
Karma Girls, texte de Murat, a été entendu par 477 999 spectateurs sur leur dernière tournée
Ca me fait penser que je n'avais pas partagé les prestations de la soirée du 25 mai: Sur celle-ci (et ils en existent plusieurs captations), on dépasse un petit peu -légèrement- le nombre de vues des autres covers...
LE LIEN EN PLUS
On a déjà parlé de ce tribute et de ce dernier concert. La presse locale et le public se sont mobilisés:
Le Progrès (Lyon)
Edition du Jura
Actu | lons et région, dimanche 1 septembre 2024 249 mots, p. LCHJ18
Ruffey-sur-Seille
Un concert dédié àJean-LouisMurata fait salle comble
La salle de concert de l’association de La Grange a affiché complet ce jeudi 29 août pour le concert de Bertrand Plé, accompagné à l’harmonica par Nathan Cambruzzi, en hommage à l’artisteJean-LouisMurat, décédé en 2023. Beaucoup d’émotion dans la salle et sur scène car Bertrand, qui vit actuellement à Lyon, est un enfant du pays. Plus exactement de Bletterans, où sa famille réside. Beaucoup de personnes dans le public le connaissaient.
Bertrand (voix et guitare) a étudié à Lyon la trompette, le jazz, les musiques actuelles, l’histoire de la musique et la musicologie, l’harmonie et la composition. Il écrit ses propres musiques, mais à Ruffey-sur-Seille, c’est le répertoire deJean-LouisMuratqui a été à l’honneur avec des textes poétiques où la personnalité peu consensuelle et au grand cœur deJean-LouisMurata été révélée, avec douceur et classe, par les deux artistes. Ces derniers ont échangé, à l’issue de leur prestation, avec le public enthousiaste et les bénévoles de l’association.
On en avait eu vent suite à une indiscrétion "off"... mais cette fois, l'indiscrétion est publique: Grégoire Bouillier, écrivain, vend la mèche avec France Inter.
Il y aura une soirée Jean-Louis Murat à la maison de la poésie à Paris en novembre. Ne cherchez pas: ce n'est pas encore annoncé officiellement.
On avait déjà parlé de Grégoire Bouillet ici (ou là)et même, sur les ondes de Europe1, pour impressionner M. Moix. En effet, il avait déjà parlé de Murat sur FIP (dans le cadre d'une émission jazz) et toujours de "muragostang".
Actualité : Grégoire Bouillier participera en novembre à une soirée en hommage à Jean-Louis Murat, donnée à la Maison de la poésie à Paris.
Choix musicaux de l’invité : Grégoire Bouillier attire notre oreille sur le titre "Washington" de Jean-Louis Murat, dans l’album liveMuragostang(2000).
Je n'ai pas suivi de très près mais j'ai peu vu de référence à Alain Delon sur les réseaux muratiens à l'occasion du décès de ce dernier. C'est vrai que le lien n'est pas le plus évident (on est loin des occurrences : Neil Young, John Ford, Dylan...) mais par acquit de conscience et parce que l'article nécrophage est un de mes jeux favoris, j'ai quand même décidé de jeter un œil (comme je l'ai fait pour Daniel Darc, Gainsbourg....).
Et on ne va pas le jeter très loin... et s'arrêter à BABY LOVE... où l'on va trouver certains journalistes incluant DELON dans le "panthéon de Jean-Louis Murat" à côté de Tony Joe White (plus évident).
Et oui, en effet, dans "Réparer la maison", il est question d'Alain.
Comment faire ? Indigène
Faut réparer la maison
Comment dire cimetière
Faut réparer la chanson
Surtout si de ton père
Tu connais même plus le nom
Pour moi l'amant d'ma mère
Fut le jeune Alain Delon
Il faut réparer la maison
Il faut réparer la maison
Comment dire ? Comment faire ?
Faut réparer le chagrin
Croix de bois croix de fer
Faut réparer dès demain
Par le chant phacochère
File arracher le chardon
Le Guépard et ses frères
Tiens j'pense à Alain Delon
Comme le temps nous prépare de sale façon...
Ce n'est pas comme je l'avais pensé une référence à une idole de sa mère, il en fait un père fantasmé, qui l'aurait rattaché, rien que ça, à l'Olympe, comme il le disait dans les inrocks:
"Dans le disque, tout est grec, même Alain Delon. Je pense que Delon est une création de la culture grecque, un demi Dieu. Ce mec ne s'appartient pas à lui-même. D'ailleurs, il parle de lui-même à la 3e personne. A mon avis, c'est Hermés et Dionysos qui jettent un oeil sur ce qui se passe chez nous, de temps en temps. J'aurais aimé être un fils Delon, j'aurais eu une filiation avec l'Olympe".
Et dans cette chanson où il faut réparer une maison, un couple, un monde qui se délitent, il cite deux films de Visconti, le Guépard et Rocco et ses frères où des univers, des valeurs, des traditions se perdent et se meurent.
Ainsi, même si Murat n'a à ma connaissance jamais cité de films de Delon dans ses goûts, il n'était donc pas insensible à ce personnage.
Amusons-nous avec quelques rapprochements:
- La beauté : Si l'un a incarné la beauté masculine dans le monde entier, en assumant ce rôle, Jean-Louis a aussi eu l'image du ténébreux séducteur, mais il a affiché sa timidité et sa sensibilité, et rapidement fuit cette image médiatique. Séducteurs, mais qui tous les deux savaient garder l'amitié et l'amour de leur ex. S'ils étaient tous les deux un fauve, Jean-Louis en jaguar s'imagine avoir du mal à attraper un coq ou à garder des oies.
- La relation à la modernité: On en parlait plus haut avec l'explication de la chanson. "Je hais cette époque, je la vomis" a dit Delon, on fera le lien facilement avec Murat, mais ce dernier était sans doute plus "séculier" (son ouverture vers toutes les musiques dont le rap). Cette détestation de l'époque était un marqueur de l'homme de droite Delon, mais la comparaison s'arrête là avec Murat: malgré certains propos (à contextualiser), certains goûts littéraires (Bloy...) de l'auvergnat, tout rattachement à l'extrême-droite n'est que pure récupération. Il faudra un jour faire un article à ce sujet, je le note. Le vrai lien sur ce thème tient sans doute aux blessures d'enfance, même si Murat porte un regard nostalgique sur cette période.
- Delon a commis quelques disques dont un duo avec Shirley Bassey, ce qui n'aurait sans doute pas déplu à Jean-Louis.... et même chanté avec F. Hardy pour laquelle ce dernier a écrit "memory divine". Dans ce monde, d'autres partenaires auraient pu permettre une rencontre : Carla Bruni (Delon a fait partie d'un voyage officiel du président en Chine, où il a côtoyé Carla), et Patricia Kass dont l'acteur a été proche après une rencontre sur le plateau de Drucker (Murat lui a proposé des chansons via je pense son ami éditeur Luigi - sous réserve).
A noter que Delon a chanté "comme au cinéma" (en 1987) avant que Murat ne sorte une chanson éponyme en 93. En , il connaissait un succès international avec Dalida avec "paroles paroles". Ce n'était pas pour le coup une référence pour Murat:
Qu'as-tu pensé de la campagne européenne de Cohn-Bendit ?
(Il réfléchit longuement)... Un peu faux cul, non ? C'est comme si tu avais un grand frère que tu vénérais en pensant qu'il n'écoute que Jimi Hendrix et les Sex Pistols et puis qu'un jour, profitant de son absence, tu vas fouiller dans sa discothèque et tu trouves un disque de Dalida, Parole parole, en duo avec Delon (rires)... C'est bizarre, mais c'est l'effet que ça m'a fait, comme une espèce de trahison. Une trahison de discothèque, la pire de toutes ! (murat en amérique, 1999)
- Pour rester dans le domaine de la musique, deux petits clin d'œil :
Delon est sur la pochette d'un des grands disque du rock "The queen is dead" des Smiths. C'est raconté par les Inrocks. Et Jean-Louis apprécie the Moz:
« Lui, je l’aime beaucoup, et depuis très longtemps. Et autour de moi, tout le monde le détestait. Pour moi, c’est l’un des artistes essentiels. Et puis, j’aime bien ce goût de la mortification. Je l’ai un peu ça, j’aime bien me mortifier. Ca me plaît assez … Je déteste qu’on dise du mal de MORISSEY ! C’est l’Anglais le plus intéressant au niveau des textes. Et puis cette façon de chanter inimitable. Ces deux dernières années personne n’est arrivé à le détrôner, et ce n’est pas faute d’avoir essayé ». (…) « C’est le roi« . (…) « Il sera là encore dans vingt ans » (jv 92)
Une photo célèbre incarne l'effet Delon, avec Marianne Faithfull et Jagger. On peut penser qu'assis sur le canapé, Jean-Louis se serait lui intéressé à Mick, même si c'est au groupe entier des Rolling Stones qu'allait son affection il me semble.
- Murat, héros de cinéma, il en a peut-être rêvé avant de voir que ce n'était pas pour lui. Aurait-il rêvé de jouer dans une adaptation d'un livre de Proust? Delon lui en tout cas s'y est risqué: en 84, il joue le baron de Charlus dans Un amour de Swann (Volker Schlöndorff). C'est moins marquant que sa période italienne... qui a dû plus intéresser Jean-Louis, citant Visconti par exemple:
L’Italie, c’est aussi l’émoi adolescent en voyant Silvana Mangano au Ciné Vox de son village. Ce qui a donné les chansons « Ciné Vox » et « Silvana » : « Elle était splendide dans tous ses films. Avec Pasolini, Visconti, De Sica... Elle était toujours admirable. C’était une Romaine mais dans L’or de Naples, elle était sensationnelle. On a beaucoup parlé de l’âge d’or du cinéma italien mais on devrait dire européen. Les historiens, s’ils veulent une définition de l’Europe, devraient se pencher sur ces comédies sociales des années 50, notamment italiennes. »
Voici quelques idées trouvés vite fait... Je vous invite à m'en donner d'autres en commentaires! Et grande pensée à Baptiste Vignol, grand muratien, et grand spécialiste et amoureux de Delon (biographe, créateur du site "dans les yeux d'Alain Delon" pour lequel Jeanne Cherhal avait écrit une chanson dédiée à l'acteur).
Après le vinyle - et oui, faut pas faire en même temps pour faire marcher le commerce-, voilà qu'il est tombé en prévente sur les sites marchands le CD PARFUM D'ACACIA AU JARDIN!
Pour la première fois en double CD
« Parfum d’acacia au jardin », filmé dans les conditions du direct et en une seule prise par Don Kent est sorti uniquement en DVD en 2004 . Le voici enfin disponible pour la première fois en double CD.
Simplicité et retour aux bases, en compagnie de son groupe déjà présent sur Lilith : Fred Jimenez / Stéphane Reynaud, sa désormais section rythmique fidèle. Son vieux complice Christophe Pie en appoint guitare/clavier, et Camille en contrepoint féminin.