et une deuxième interview, plus excitante!
Publié le 20 Mars 2013
Le petit bulletin de Grenoble nous propose une interview nettement plus excitante... On en apprend plus sur la tournée: duo confirmé, multiples guitares, avec cette fameuse surprise de mise en scène (des vidéos dont Murat peut gérer la diffusion), et sur l'album... Et je suis tout-à-fait emballé! Vite, la semaine prochaine!
Merci AUX 3 GAULES, excellent resto lyonnais pour l'info.
A lire sur leur site en priorité merci:
Murat semble oublier TRISTAN... qui avait déjà été fait à la maison... Il est vrai qu'il a fait d'autres projets entre temps (BO...). Il révèle également qu'il a ou effectue en ce moment une résidence à Chateau rouge à Annemasse et travaillera encore sur Grenoble ensuite. Il ne faudrait pas qu'il oublie de lancer ces fameuses vidéos alors qu'il se concentre sur sa guitare ou son chant... En tout cas, plaisant de lire "je me suis vraiment éclaté à faire ça"... Murat a encore de l'énergie et de la vitalité artistique! Et on aura droit encore à un album différent!
UN chronique de l'album accompagne l'interview: http://www.petit-bulletin.fr/grenoble/musique-soirees-article-45242-Descente+d%E2%80%99orgueil.html (on avait déjà croisé l'auteur au cours des campagnes précédentes).
À deux jours de la résidence qui marquera le début de sa tournée, Jean-Louis Murat, posé et aimable, réfléchissant à haute voix plus qu'il ne s'explique, évoque pour nous les grandes lignes et les courbes de Toboggan, son dernier album : ses envies de changement, le quant-à-soi destructeur de son double Moi, le long hiver auvergnat, l'amour, la mort et le vélo, un peu. Propos recueillis par Stéphane Duchêne.
Pour cet album, Toboggan, vous avez radicalement changé de manière de travailler...
Jean-Louis Murat : Oui. Sur les derniers albums, je travaillais en groupe avec quatre ou cinq musiciens. On bossait dans la même pièce en live. Et puis on partait en tournée. J'ai dû enchaîner quatre ou cinq disques comme ça. Celui-là, je l'ai enregistré tout seul, chez moi... Avec un ingénieur du son quand même. C'est un peu comme si j'avais fait un album solo après avoir longtemps fait partie d'un groupe.
Pourquoi avoir cette methode d'enegistrement à laquelle vous sembliez tenir? Ne serait-ce que pour la spontanéité qu'elle permet ?
C'est un peu le hasard. Je me suis à enregistrer des démos, je ne sais pas pourquoi. D'habitude, je ne fais jamais de maquette et là je me suis dit (il rit) « tiens je vais faire des maquettes ! ». L'idée d'enregistrer seul est venue ensuite. Ca m'a paru logique. Quelque part, ça s'est fait en se faisant...
N'était-ce pas une manière de vous recentrer ?
Si, mais surtout de me secouer. J'aime bien, à chaque album, prendre un peu de risque, me fixer un pari. Voir les choses différemment, sortir de mes habitudes, de ma routine. Le principe de base, le plus important, c'était « surtout ni guitare électrique, ni basse, ni batterie ». J'en avais un peu marre de ce schéma. Après, ma foi, il faut que les gens écoutent pour savoir ce qu'ils en pensent mais j'espère avoir gagné en intensité et en personnalité.
Beaucoup de cris d'animaux, de bruits environnementaux sont intégrés aux morceaux de Toboggan. Souvent même, ils sont placés très en avant... Comme si vous aviez voulu plonger l'auditeur dans votre environnement immédiat, développer un rapport plus intime...
J'ai toujours beaucoup pratiqué ça. Bon, peut-être pas à ce point. C'est une manière de rendre compte de ce que j'entends tout les jours, de tout ce qu'on peut entendre quand on enregistre à la campagne : le vent, le bruit des bois, les cris d'animaux. S'il y a du vent quand on enregistre eh bien, on met du vent. J'aime faire participer les éléments naturels à l'ambiance de mes disques. Il y a toute une technologie qui nous incite à toujours enlever les bruits de fond, moi, je suis plutôt partisan de les mettre très fort. Ça donne une âme au son.
Comment allez-vous retranscrire cet album si particulier sur scène, pour la tournée qui débute ces jours-ci ?
Ca risque d'être un peu différent : je serai en duo avec un batteur-percussionniste et j'aurai plusieurs guitares sur scène. Ce qui va un peu changer, c'est qu'on aura trois écrans derrière nous. J'ai tourné pas mal de petits films et on sera pris dans les images, sans signification, mais qui participeront à l'ambiance des chansons. C'est moi qui les choisirait avec un pédalier, selon l'humeur du moment, suivant que j'ai envie que la chanson soit comme-ci ou comme-ça. Je vais découvrir cette installation en résidence à Annemasse.
Pour revenir à Toboggan, vous a également livré un travail particulier, surprenant et remarquable sur votre voix, systématiquement doublée, harmonisée, parfois filtrée... Ce n'était pas le cas auparavant, où vous vous contentiez de chanter plus à l'instinct, sans forcément jouer les chanteurs, d'ailleurs.
En groupe, je me suis toujours retenu de faire ce travail. Quand on enregistre dans les conditions de la scène : en général j'ai une voix lead et il n'y a pas d'harmonies. Mais ça fait aussi partie de la musique d'harmoniser les choses et de ne pas rester trop brut. J'adore faire des harmonies vocales, je ne le fais pas assez sur mes disques d'habitude. Sur celui-ci, je me suis vraiment éclaté avec ça.
Il y a un morceau où ce travail vocal prend tout son sens, c'est Amour n'est pas querelle, où vos « deux voix » se répondent distinctement dans ce qui semble être un règlement de comptes entre Bergheaud [son nom à l'état-civil – NDLR] et Murat. En 1990, en promo de Cheyenne Autumn, vous confiiez à Laurent Boyer, être en perpétuel conflit avec vous même : une partie de vous trouvant l'autre prétentieuse et pas à la hauteur. Aujourd'hui, vous êtes donc toujours prisonnier de cette dialectique ?
Ca, j'ai bien peur que ce soit à vie. J'ai un Moi particulier qui fait des disques, qui répond aux questions, qui est aussi un peu une création. Et puis un autre Moi, beaucoup plus naturel et beaucoup plus apaisé. Alors, forcément, entre les deux, souvent, il y a du tirage. Parfois, Murat j'en ai un peu ras le bol, et inversement.
Et pourtant ce texte ressemble aussi à un dialogue amoureux...
Oui, oui, aussi. (Il réfléchit) C'est-à-dire, il faut bien s'aimer... Si on ne s'aime pas, c'est là que commencent les pulsions guerrières. Quand on ne peut plus se saquer, on déclenche des guerres mondiales. Les gens qui ne s'aiment pas sont toujours des êtres très dangereux.
L'autre dualité de cet album, c'est l'opposition hiver/printemps. Vous faites beaucoup référence à l'hiver et, à travers lui, au printemps qu'on attend ou qui arrive.
Alors là, je peux vous dire que là où je vis, loin de tout, les saisons je les vois passer. C'est toujours assez fendard, d'ailleurs, quand on vit à la campagne, en montagne, et qu'on est sous la neige cinq mois par an, de voir Paris bloqué par trois centimètres de neige. C'est un peu la comédie du monde moderne dans ce qu'elle a de plus ridicule. Ici, en hiver, on compte les jours, on compte les heures. Et puis, avec l'âge, l'été semble toujours plus court et l'hiver de plus en plus long. J'ai enregistré en novembre-décembre... Il neigeait (rires).... Ca a dû influencer pas mal le disque. Même si j'aime beaucoup l'hiver, j'attends toujours avec une grande impatience le printemps qui reste ma saison préférée. Alors très certainement, l'enregistrement se faisant en hiver, sous la neige, il y avait une aspiration à voir arriver le printemps. Il arrive toujours très en retard chez nous.
L'hiver c'est aussi une métaphore de la fin d'un cycle, de la mort, encore très présente sur ce disque...
C'est-à-dire qu'à part l'amour et la mort il n'y a pas grand chose. C'est ce qui nous inspire le plus. On cherche l'amour et on attend la mort. C'est comme ça depuis la nuit des temps et moi je reste assez simple et assez basique, classique (rires). Je suis un petit mec en France qui voit disparaître la campagne, les paysans. La disparition des gens, la disparition de soi et l'amour qu'on peut avoir pour les autres, ce sont les deux mamelles de la créativité. On peut bien sûr s'intéresser à d'autres choses mais il n'y a rien d'aussi inépuisable.
Vous y pensez quand vous écrivez ou est-ce quelque chose qui vous échappe ?
J'écris beaucoup chaque jour mais ça m'échappe un peu. En plus en général, je tricote paroles et musiques en même temps et comme je n'aime pas laisser les chansons en plan, je les termine assez rapidement et je passe à autre chose. Après, le disque sort, les gens écoutent, on me dit : « tu parles de ci, tu parles de ça ». J'entends les commentaires, je me dis : « ah oui, c'est vrai, ah oui, c'est vrai ». Mais sur le coup, je ne me rends compte de rien. J'écris, j'écris, j'écris et tous les deux ou trois mois, je me replonge là-dedans, je réécoute ce que j'ai pu faire, j'essaie de me faire une opinion... (il s'interrompt). Enfin voilà, c'est un style, et le style c'est l'homme, non ?
Pourquoi ce titre, Toboggan ?
C'est un joli mot, je trouve. C'est un mot indien en plus (dérivé de l'Algonquin, peuple « natif » du Québéc et de l'Ontario, il désigne, encore aujourd'hui au Canada, un traîneau, NDLR). Avec les deux « g », ça a de la gueule. La qualité esthétique, sonore, du mot me plaît. Et puis, bêtement, c'est aussi la sensation du toboggan. J'ai l'impression que tous les gens autour de moi sont dans ce cas : personne ne sait trop où il va, on est un peu ballotté, comme quand on est enfant et qu'on se laisse glisser. On ne contrôle rien. Le monde est sur un toboggan : il dévale à une vitesse folle et on ne sait pas où ça va finir. Il faut attendre que la glissade soit terminée.
Sur la pochette, on vous voit sur un vélo. Vous roulez toujours [Murat est un grand amateur de vélo et de champions cyclistes – NDLR] ?
Oui, beaucoup. Vous savez quand on est à la campagne, on fait du sport. Je cours quasi tous les matins, là j'attends que la neige fonde un peu pour reprendre le VTT. Je fais aussi beaucoup de vélo de route. (Impatient, élevant la voix) J'attends que le printemps arrive ! Pour reprendre l'entraînement et préparer le Tour de France, comme tous les ans (rires).
A l'eau claire ?
Hé, hé, à l'eau claire, oui".
L'article accompagnant:
En sortie d'une résidence à Annemasse et d'un festival marseillais, Murat entame à Meylan la tournée de son 20e album (selon la police) : l'hypnotique "Toboggan". Un disque affranchi des habituels oripeaux rock de l'Auvergnat, où Jean-Louis Murat et Jean-Louis Bergheaud (son véritable nom) se livrent à un fascinant huis-clos hivernal et cotonneux, dans l'attente d'une éclaircie. Ou de la fin de la descente. Stéphane Duchêne
L'esprit de contradiction chevillé au corps, Murat est capable, on le sait, de dire tout et son contraire. On ne s'étonnera donc guère de constater que sous la pochette de Toboggan – où on le trouve, plein soleil, « à bicyclette », chapeau pouilleux vissé sur la tête – se cache un disque hivernal. Un album d'hibernation : d'entrée, comme en écho hasardeux à une actualité météorologique imprévue et paralysante, JLM constate, comme regardant par la fenêtre : « Il neige / Il n'y a place que pour le silence / Au couteau sur ta chair blanche / L'état de mon cœur est de tout savoir ». En son ouverture, on jurerait entendre le cri déchirant du loup du Nightcall de Kavinsky, « gorge de loup dans la ténèbre ».
« Ici [les montagnes d'Auvergne, où il vit – ndlr], le printemps est toujours en retard, souffle Murat, et avec l'âge, l'été semble toujours plus court et l'hiver de plus en plus long. J'ai enregistré en novembre-décembre... Il neigeait.... Ça a dû influencer pas mal le disque. » De fait, la musique résonne, à l'étouffée, sourde comme un paysage recouvert du linceul hivernal. C'est que pour ce disque Murat a voulu enterrer ses principes : du trépied rock guitare électrique / basse / batterie, sur lequel il avance en moine-soldat depuis une tripotée (auvergnate) d'albums enregistrés live, il ne reste rien ou presque. Guitares nylon, claviers, cuivres, cordes, sitar, Murat a tout enregistré chez lui, seul, cerné par les éléments et les cris d'animaux, instruments et ingrédients à part entière de ce mille-feuilles sonore. Un renversement « esth-éthique » complet qui rappelle, en touches impressionnistes, certains passages de Mustango (1999), les plages les plus calmes de Lilith (2003) ou même Cheyenne Autumn (1989), sans le poinçon 80's.
Règlement de comptes
Surtout, Murat s'est « éclaté » à donner de la voix comme rarement : « Quand on enregistre dans les conditions de la scène, en général, j'ai une voix lead et il n'y a pas d'harmonies. Mais ça fait aussi partie de la musique d'harmoniser les choses. J'adore faire des harmonies vocales, je n'en fais pas assez sur mes disques d'habitude. » Ici, doublées, filtrées, harmonisées, vocodées, les voix de Murat sont multiples mais pas impénétrables.
Mieux, elles éclairent au ras la psyché muratienne, comme sur Amour n'est pas querelle, à classer parmi les pics musicaux du massif auvergnat : chanson de Roland version Jean-Louis où le cor dans la vallée sonne la reddition en règlement de comptes de Bergheaud et son double Murat, déclaration dialoguée d'amour vache. Manière de dissiper un malentendu tenace qu'il a pourtant souvent contribué à entretenir : Murat n'en veut à personne, si ce n'est à lui-même. Il ne se supporte pas, se collerait des beignes. Murat maudit Bergheaud, ce médiocre, qui ne peut pas sentir Murat, ce matamore.
Voilà l'escarpe dialectique sur laquelle cheminent l'homme et le musicien depuis toujours ; comment la bête à deux dos se balance d'un pied sur l'autre, ne cherchant l'amour et la paix, ce vœu pieu, que dans le regard de l'être aimé. S'accordant, parce que « les gens qui ne s'aiment pas sont des êtres dangereux », quelque trêve vite rompue.
Ulysse à la con
Cela, il l'évoquait déjà, il y a presque un quart de siècle, à la sortie de Cheyenne Autumn, sur le plateau de Laurent Boyer (on a connu Murat moins bon client !), et ça ne l'a pas quitté : « J'ai bien peur que ce soit à vie. J'ai un Moi particulier qui fait des disques, qui répond aux questions, qui est aussi un peu une création. Et puis un autre Moi, beaucoup plus naturel et beaucoup plus apaisé. Alors, forcément, entre les deux, souvent, il y a du tirage. Parfois, Murat j'en ai un peu ras le bol, et inversement. »
Plus tard, en écho, sur Agnus Dei Babe : « Trop noble pour moi / Ta légende, babe, je n'en veux pas (…) Ce dont nous souffrons vient de ton nom ». Emmuré dans ses sons, attifé de ses mots, empesé de ses maux, Murat/Bergheaud se cherche, à tous les sens du terme, s'invective : « Quel pauvre Ulysse à la con / Quel déboussolé » (Extraordinaire Voodo) ; excelle à ne se trouver qu'en Robinson égaré de jour comme de nuit « sous un ciel sans aucun abri ».
Et alors pourquoi Toboggan ? Parce que sensation de glissade, disque d'un « petit mec de France », ballotté comme un enfant, qui a « démoli [ses] nerfs à chanter l'amour passé », hanté par l'hiver de sa vie, la disparition de soi, de la campagne, des autres : « Le monde est sur un toboggan, on dévale à une vitesse folle et on ne sait pas où ça va finir. Il faut attendre que la glissade soit terminée. », risque-t-il en guise d'unique espoir de délivrance. En attendant la fin du parcours, Over and Over, guettant pour patienter le retour du printemps, que faire qu'il n'ait toujours fait ? S'oublier en « Neverland » musicaux comme sur le psychotropical Extraordinaire Voodoo, « faire semblant d'être un autre / Seule façon d'exister ». Aussi pesante soit-elle".