Film pour les muratiens?
Publié le 10 Janvier 2010
Je ne l'ai pas vu... mais à la lecture de la critique de Télérama et à l'écoute du masque et la plume, je me suis dit que ça méritait peut-être d'en parler. "bright star", le nouveau film de Campion raconte un épisode de la vie du poète anglais Keats. Je pensais que c'était un des poètes dont Carla Bruni avait chanté des poèmes dans son deuxième album, mais ce n'est pas le cas, mais on peut trouver d'autres rapprochements.
Sur Wikipedia, il est dit de Keats: Chantre de la nature sauvage synonyme de liberté et de pureté (Ode to Autumn - Ode to a Nightingale) et revendiquant la primauté de la sensation (Ode on Melancholy), John Keats est aujourd'hui considéré comme un des poètes emblématiques du romantisme anglais. Il s'est attaché aussi à d'autres thèmes romantiques comme la solitude (Hymn to Solitude), le goût pour le Moyen-âge (Isabella - La Belle Dame sans Merci) et pour le folklore (The Eve of St Agnes) tout en conservant l'attachement aux mythes classiques.
Cette poésie de la sensation, ce chant de la nature, est bien sûr tout-à-fait conforme à l'inspiration de Jean-Louis Murat, même le "romantisme" n'est pas son "école " préférée. Le film tente apparemment avec des plans de toute beauté, de filmer ses sensations (nature en fleurs, course des saisons).
Le film raconte l'amour impossible de Keats et de sa voisine, impossible du fait des règles sociales.
Déjouant les pièges de la reconstitution historique, Jane Campion a réussi l'exploit de filmer la poésie de façon poétique. Chaque plan est composé comme un tableau aux touches légères. Peu à peu, sans jamais forcer le trait du fil narratif, la réalisatrice va accompagner l'éclosion des sentiments jusqu'au moment où les coeurs vont s'embraser portant l'amour à incandescence écrivent les échos (excellent journal de cinéma!). Il n'y aura pas d'amour physique, de sueur, comme parfois chez Murat... mais.... "joute verbale où la défiance apparente masque déjà, sans doute, le désir qui monte" (Télérama). Je pense là à l'utilisation du vouvoiement auquel tient tant Jean-Louis....
Autre point de rapprochement avec notre auvergnat dans le Télérama qui parle de la poésie de Keats: si musique il y a chez keats, elle est languissante, elle tend vers le silence. Incarner la mélodie et la beauté du rossignol tout en montrant combien elle affligle, voilà ce qui donne par exemple toute la la force et l'incroyable maturité de la fameuse ode à un rossignol entendue dans le film (Jacques Morice). Est-on tout prêt de la mésange bleue? Ce poème le-voilà:
Ode à un rossignol
(in Les Odes,
trad. Alain Suied, Éditions Arfuyen)
Mon cœur souffre et la douleur engourdit
Mes sens, comme si j’avais bu d’un trait
La ciguë ou quelque liquide opiacé
Et coulé, en un instant, au fond du Léthé :
Ce n’est pas que j’envie ton heureux sort,
Mais plutôt que je me réjouis trop de ton bonheur,
Quand tu chantes, Dryade des bois aux ailes
Légères, dans la mélodie d’un bosquet
De hêtres verts et d’ombres infinies,
L’été dans l’aise de ta gorge déployée.
Oh, une gorgée de ce vin !
Rafraîchi dans les profondeurs de la terre,
Ce vin au goût de Flore, de verte campagne,
De danse, de chant provençal et de joie solaire !
Oh, une coupe pleine du Sud brûlant,
Pleine de la vraie Hippocrène, si rougissante,
Où brillent les perles des bulles au bord
Des lèvres empourprées ;
Oh, que je boive et que je quitte le monde en secret,
Pour disparaître avec toi dans la forêt obscure :
Disparaître loin, m’évanouir, me dissoudre et oublier
Ce que toi, ami des feuilles, tu n’a jamais connu,
Le souci, la fièvre, le tourment d’être
Parmi les humains qui s’écoutent gémir.
Tandis que la paralysie n’agite que les derniers cheveux,
Tandis que la jeunesse pâlit, spectrale, et meurt ;
Tandis que la pensée ne rencontre que le chagrin
Et les larmes du désespoir,
Tandis que la Beauté perd son œil lustral,
Et que l’amour nouveau languit en vain.
Fuir ! Fuir ! m’envoler vers toi,
Non dans le char aux léopards de Bacchus,
Mais sur les ailes invisibles de la Poésie,
Même si le lourd cerveau hésite :
Je suis déjà avec toi ! Tendre est la nuit,
Et peut-être la Lune-Reine sur son trône,
S’entoure-t-elle déjà d’une ruche de Fées, les étoiles ;
Mais je ne vois ici aucune lueur,
Sinon ce qui surgit dans les brises du Ciel
à travers les ombres verdoyantes et les mousses éparses.
Je ne peux voir quelles fleurs sont à mes pieds,
Ni quel doux parfum flotte sur les rameaux,
Mais dans l’obscurité embaumée, je devine
Chaque senteur que ce mois printanier offre
à l’herbe, au fourré, aux fruits sauvages ;
à la blanche aubépine, à la pastorale églantine ;
Aux violettes vite fanées sous les feuilles ;
Et à la fille aînée de Mai,
La rose musquée qui annonce, ivre de rosée,
Le murmure des mouches des soirs d’été.
Dans le noir, j’écoute ; oui, plus d’une fois
J’ai été presque amoureux de la Mort,
Et dans mes poèmes je lui ai donné de doux noms,
Pour qu’elle emporte dans l’air mon souffle apaisé ;
à présent, plus que jamais, mourir semble une joie,
Oh, cesser d’être - sans souffrir - à Minuit,
Au moment où tu répands ton âme
Dans la même extase !
Et tu continuerais à chanter à mes oreilles vaines
Ton haut Requiem à ma poussière.
Immortel rossignol, tu n’es pas un être pour la mort !
Les générations avides n’ont pas foulé ton souvenir ;
La voix que j’entends dans la nuit fugace
Fut entendue de tout temps par l’empereur et le rustre :
Le même chant peut-être s’était frayé un chemin
Jusqu’au cœur triste de Ruth, exilée,
Languissante, en larmes au pays étranger ;
Le même chant a souvent ouvert,
Par magie, une fenêtre sur l’écume
De mers périlleuses, au pays perdu des Fées.
Perdu ! Ce mot sonne un glas
Qui m’arrache de toi et me rend à la solitude !
Adieu ! L’imagination ne peut nous tromper
Complètement, comme on le dit - ô elfe subtil !
Adieu ! Adieu ! Ta plaintive mélodie s’enfuit,
Traverse les prés voisins, franchit le calme ruisseau,
Remonte le flanc de la colline et s’enterre
Dans les clairières du vallon :
était-ce une illusion, un songe éveillé ?
La musique a disparu : ai-je dormi, suis-je réveillé ?
... Non, je ne vois pas trop d'influence dans l'écriture de Murat... même si le terme "lethé" est utilisé dans un "inédit"...
Autres pistes: mise à part le fait qu' un des acteurs était un de ceux qui jouait le rôle de Dylan dans le film 'i'm not there", Campion a comparé Keats à la fois à Nick Drake et à Kurt Cobain...
Enfin, autre élément qui m'a frappé... une séquence avec des papillons...
Fanny a capturé des papillons, comme pour emprisonner le bonheur du printemps. Elle s'enferme avec eux dans sa chambre, mais les insectes meurent, comme privés d'air. Image frappante, allégorie prophétique du chagrin à venir. On n'en dira pas plus, si ce n'est que les poètes n'ont pas forcément une espérance de vie supérieure à celle des papillons.
La force du film est de provoquer chez le spectateur une puissante empathie. S'agit-il pour lui, à la vision de Bright Star, d'éprouver les sentiments contrastés, joie puis désespoir intense, des deux protagonistes ? Ou, plus sûrement encore, de se souvenir à travers eux de son propre vécu, des enthousiasmes affectifs et des chagrins passés, de ces moments précieux d'hypersensibilité qui ont semblé décupler son rapport au monde ? Quel spectateur quittera la salle sans rêver de les revivre à nouveau ? Bright Star est un film qui rend irrésistiblement amoureux de l'amour.
http://www.telerama.fr/cinema/films/bright-star,385929,critique.php
Un film qui nous dit "il faut aimer"... ah, ça donne envie... Je cherche une babysitter!
Le lien (4) en plus:
- http://bibliobs.nouvelobs.com/20071017/1085/baudelaire-c-est-extra
Murat parle un peu de Baudelaire... et se lâche (au temps de Ferré-Baudelaire)... Comme quoi, il s'était déjà lâché à critiquer ferré et Brassens.
Et là:
http://www.lexpress.fr/culture/livre/qu-avez-vous-lu-jean-louis-murat_810102.html :
Par Baptiste Liger (Lire), publié le 01/05/2005
«Je crois que tous les livres ramènent à Marcel Proust! Il y a tout, chez lui, et tous les sens sont rassasiés. J'ai d'ailleurs passé une dizaine d'années avec un de ses livres à portée de main, et une bonne partie de ma bibliothèque lui est consacrée. Je traque toujours tout ce qui touche à lui. Je lis également beaucoup de poésie, mais je préfère les poètes secondaires, la poésie un peu bancale. Charles d'Orléans et Henri de Régnier me séduisent davantage que Rimbaud, Verlaine ou Baudelaire. La poésie du XXe siècle ne me touche pas tellement. Michaux ou René Char me tombent des mains! J'aime mieux me replonger dans la lecture des chansons de Pierre Jean de Béranger, dont je viens de faire un album de reprises. Il faut d'urgence rééditer ses textes! Au XIXe siècle, c'était une star, admirée par Victor Hugo, Goethe ou Lamartine. Il a été complètement autodidacte, comme moi, et il est devenu l'un des plus grands poètes du XIXe siècle. La richesse de son écriture n'a rien à voir avec le niveau de la chanson française d'aujourd'hui, qui illustre bien l'échec de l'Education nationale. Les textes ne disent rien, on remplit des cases avec des mots, comme s'ils étaient innocents...
Quand j'écoute la radio, je deviens dingue. On a l'impression de vivre pendant l'entre-deux-guerres, lorsque les vedettes de la chanson n'étaient autres que les pétomanes...
Le niveau du roman français contemporain, c'est pareil. Récemment, il n'y a guère que Philippe Muray et Renaud Camus qui m'aient semblé de vrais défenseurs de la langue française. Par contre, je ne lis pas beaucoup de littérature étrangère. J.M. Coetzee a été un choc de lecture, Jim Harrison aussi - même si, à mon avis, il n'est pas un écrivain majeur. Ah... j'oubliais Nabokov!»
Au bout du compte, et à la lecture de ses deux derniers articles... je me dis que j'ai peut-être fait fausse route en parlant de Keats et de Campion!
Je suis un pur produit de la passion pour la musique anglo-saxonne.