Interview dans le courrier Picard
Publié le 10 Mai 2013
C'est bien la première fois que j'ai 5/6 articles de retard et que je n'ai aucune excuse... J'ai tenu 3 ans! Enfin soit, avant de voir si je rattrape le retard, voici l'article tombé ce jour:
CHANSON |
« Si la modernité consiste à créer de la misère, arrêtons d'être modernes », dit-il dans l'entretien qu'il nous a accordé avant son concert à Amiens, le 16 mai.
Le chanteur Jean-Louis Murat donnera un concert à la Maison de la culture d'Amiens, le jeudi 16 mai, à 20 h 30. Et il vient de sortir un excellent album Toboggan. Rencontre à Paris.
Il est dit que vous détestez vous répéter. Qu'avez-vous souhaité apporter de nouveau avec « Toboggan », votre nouvel album ?
Plus de chansons, plus d'ambiances méditatives. La formule rock coupe la méditation et l'herbe sous le pied de la rêverie. Le rock peut devenir un hachoir d'émotions. Il y avait longtemps que je n'avais pas enregistré un disque seul. Je n'ai pas procédé à une recherche bébête de l'énergie, ni de l'efficacité. Il faut tout penser post-rock. Après les machines, quelque chose comme une BO de la crise. Aujourd'hui, j'ai parfois l'impression d'entendre la musique des traders. Cet album est doux et calme. Était-ce la couleur que vous souhaitiez lui donner ?
Avec l'âge, je ressens le triangle de la forme... La forme faisant usage de fond, si on veut changer le fond, il faut changer la forme... Moi, j'écris à la plume, avec de l'encre et un buvard. C'est très moderne de ne pas avoir de portable et d'écrire à la plume. Si la modernité consiste à créer de la misère, arrêtons d'être modernes.
J'ai lu que vous aviez fait le choix entre une quarantaine de morceaux. Vous composez très vite et beaucoup. Dans quelles conditions ce disque a-t-il été écrit ? Où ? Avec qui ?
C'est habituel chez moi. McCartney composait et apportait de très nombreux morceaux. Le studio, c'est trop cher ; c'est un lieu d'enregistrement. Pas de composition. J'aime enregistrer en une prise.
On dit que vous êtes un homme de contrastes. Insaisissable. Qu'en pensez-vous ? Et pourquoi ?
Cela me paraît bien naturel. Je procède en musique comme je fais avec les couleurs en peinture. J'utilise les couleurs primaires. Pas de couleurs secondaires, ni de couleurs tertiaires. Ma terre, l'Auvergne, est celle des contrastes : dans les basiliques, le soleil jaune sur la pierre volcanique noire... Ça forge un caractère et une sensibilité. Il faut les deux. Je suis assez contradictoire au quotidien. Je n'ai jamais voulu privilégier une façon d'être. Je suis à la fois tendre et très violent depuis l'enfance. J'essaie de faire au mieux avec ça. Faire des disques, ça me discipline...
Comment s'est passée la rupture avec Universal ? Et votre venue chez Pias, label belge à l'origine ?
En fait, il n'y a pas eu de rupture à proprement parler, mais bien un accord. Pour mon anniversaire, j'ai reçu un cadeau du responsable de chez Polydor. Il me confiait qu'il était fan et m'a souhaité le meilleur pour l'avenir. C'était un peu un hasard si je m'étais retrouvé chez Universal ; c'est parce qu'ils avaient racheté V2. Pias sont venus me voir en Auvergne. J'ai fait un disque un peu plus détendu. Travailler avec des labels indépendants, c'est dans ma nature ; ça me va bien. Ça correspond à l'image que les gens voudraient que j'aie. Dans la loge, récemment, j'ai vu tous mes anciens patrons (ceux de V2, de Virgin, de Polydor, etc.) Ils se sont tous retrouvés dans la loge. (Rires.) Ma réputation de mauvais coucheur est un peu idiote.
On lit dans votre biographie que si vous n'étiez pas devenu artiste, vous seriez devenu malfaiteur. Auriez-vous des prédispositions ou un goût pour cette dernière activité ?
Avant de faire des disques, je n'avais pas de limites. C'est une réalité. Je n'avais pas envie de m'intégrer. J'étais incapable de penser que j'aurais pu devenir un jour salarié et avoir un patron. Très jeune, j'ai ressenti cela. Aujourd'hui, je suis grand-père... N'empêche : quand on voit Bob Dylan, Keith Richards, Verlaine... on comprend que ce qui est le plus proche de la fonction d'artiste, c'est celle de malfaiteur. Si les artistes ne peuvent pas exercer leur activité d'artistes, ce n'est pas bon. Il ne faut pas les contrarier. Regardez Mao, Hitler, Staline... ce sont tous des artistes ratés. Il ne faut pas couper l'herbe sous le pied des artistes ; on ne transforme pas les loups en agneaux. Je refuse de tout penser comme un agneau. Un loup qui pense comme un agneau est mort.
Vous avez besoin du Massif Central, de La Bourboule. Qu'est-ce que ces lieux vous apportent ? Comment y vivez-vous ? Qu'y faites-vous ?
J'habite à cinq kilomètres de La Bourboule, dans une vieille ferme construite par un grand-oncle. J'ai refait le lien paysan. Je suis un pur produit de la paysannerie. Mes parents étaient devenus modernes ; ils ont habité en ville. Le lien avait été rompu. Je voulais refaire le lien. Mon retour en Auvergne a été pour moi une façon de me refaire des racines. J'étais perdu ; je ne savais plus où j'en étais. Il ne faut pas plaisanter avec ça. On ne peut pas avoir des individus hors sol.
Propos recueillis par
PHILIPPE LACOCHE"
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Jean-Louis Murat est l'auteur d'une des plus chansons du répertoire français : « Au Mont Sans-Soucis ». « En descendant le col de la Ventouse, j'ai dit à ma femme : " Excuse-moi, il faut que je m'arrête. " explique-t-il. « J'ai pris un papier, un crayon. J'ai écrit le texte en un quart d'heure. Ça m'est venu en conduisant ma voiture. » Normal, quand on sait qu'il est l'ami du grand compositeur Robert Wyatt. Et Kevin Ayers, l'ex-Soft Machine, vient de décéder, le connaissait-il ? « Je l'avais vu en concert à la fac de Clermont, dans les années soixante-dix. J'aime beaucoup cette époque. (N.D.L.R. : il cite Kevin Coyne, Procol Harum, etc.) Robert Wyatt écoute ce que je fais. Au cours d'une interview accordée à un magazine américain, il m'avait classé numéro un de ses préférences. Ce qui me touche chez lui, c'est ce côté ange paralysé. Sa voix est angélique. Il vit comme un pauvre ; il me sert d'exemple. Et sa confiance me donne de la force. »