interview par la Grenouille...
Publié le 16 Octobre 2011
Du côté de FROGGYDELIGHT...
Rencontrer Jean-Louis Murat est une épreuve à laquelle on se prépare. Il est impressionnant d'une part en raison de son oeuvre et de chansons qui font de lui un des compositeurs/interprètes majeurs dans la chanson française de ces vingt dernières années, mais aussi parce qu'il a la réputation de ne pas avoir un caractère facile. Pourtant, c'est un homme agréable et chaleureux qui m'accueille, loin de l'image du chanteur torturé que je redoutais de rencontrer. Néanmoins, pour l'avoir vu de nombreuses fois en concert, je le sais capable de se fermer ou de se monter cinglant. Ainsi en rentrant dans la chambre de l'hôtel parisien où il enchaîne les interviews ("C'est quand même un métier moins dur que celui de maçon" me dira-t-il dans un sourire avant l'entretien), je n'ose pas faire de blague entre le lit défait et le titre de son single de 1991, "Le lien défait". Pourtant son dernier album, Grand lièvre, par la légèreté de ses mélodies et de ses arrangements, rappelle à bien des égards ses productions de l'époque. Rencontre avec un artisan passionné.
LA SUITE; http://www.froggydelight.com/article-10980-Jean_Louis_Murat
Excellente question à la fin:
Sur Grand Lièvre, on retrouve une des marques de fabrique des disques de Murat, à savoir certains passages parlés, parfois incompréhensibles, à l'arrière des chansons, ou des enregistrements de bruits de la vie. Quel est l'apport de ces ajouts ?
Jean-Louis Murat : Je sais que les auditeurs aiment bien suivre cela. Ça a un sens, mais je laisse à chacun la liberté de l'interpréter comme il le souhaite. Il faut laisser entrer la vie dans les chansons, et laisser l'esprit de l'auditeur travailler. Par exemple, sur "Rémy est mort", j'avais un long texte dont je n'ai gardé que quelques bribes. C'était un texte sur un officier américain qui arrivait à Dachau et téléphonait à son supérieur pour lui annoncer l'horreur qu'il avait découvert. Il ne reste que quelques bouts de phrases qui parlent d'infini et de désarroi. J'intègre ces passages dans mes chansons pour intriguer l'auditeur. Souvent ce sont des phrases que j'enregistre sur un dictaphone et que je glisse ensuite lors de l'enregistrement.
Ajouter ces morceaux de vie est aussi un moyen de lutter contre la technologie. Pour Grand Lièvre, on a enregistré sur un 24 pistes à l'ancienne parce qu'on voulait qu'il y ait du bruit de fond. La technologie numérique permet de gommer tous les bruits de fond, et paradoxalement aujourd'hui, c'est la musique qui est devenue un bruit de fond. J'aime le souffle et les craquements que produisent les disques vinyle, je trouve quelque chose de poétique à ce souffle qui enrichit l'écoute. Depuis 30 ans, il existe des micros qui coupent automatiquement les signaux trop faibles. Par exemple, dans le jazz, lorsqu'un saxophoniste est enregistré avec un micro de proximité, on ne l'entendra plus prendre son souffle et on n'entendra pas la note arriver de très loin. En perdant le bruit de fond, on perd aussi le fond et le sens des choses. C'est comme si dans la peinture, chez de Vinci ou chez Raphaël, on gommait l'arrière-plan du tableau. La signification ne serait plus la même.
De plus, il y a le format mp3 qui non seulement écrase l'espace, l'ampleur qu'on peut donner à la musique, mais qui aussi javellise l'ensemble. C'est-à-dire que tous les petit bruits, toutes les petites bactéries qui font la musique, disparaissent. Or ces petites bactéries, comme en biologie, participent de la vie dans la musique. Je peux m'enregistrer en guitare/voix, mais si je m'entends un mois plus tard en mp3, parfois je ne retrouve rien du tout de l'instant. C'est un format dégueulasse. La musique est déshumanisée et c'est, à mon sens, une des raisons du désamour des gens pour les chansons.
En dernière question, je voulais vous parler d'un disque que vous aviez réalisé et qui comportait beaucoup de bruits de fond, c'était les Rancheros. Après le volume 1 "Golden couillasse", le volume 2 qui était annoncé sortira-t-il un jour ?
Jean-Louis Murat : (rires) Alors là, en effet, il y avait du bruit de fond. Bien que les chansons du volume 2, "Silver connasse", existent, elles ne sortiront pas. C'était une blague. On avait même le titre pour un troisième album, "Platinium fucking". Il n'y aura eu que "Golden couillasse" finalement. (rires).