L'interview de MAGIC! en ligne...
Publié le 15 Octobre 2011
Bon, ça me console de ne pas encore avoir trouvé le magazine... UN ARTICLE ESSENTIEL... si on veut enfin ouvrir les portes de la perception... des titres du GRAND LIEVRE.. Ceux qui veulent garder le mystère ou leur propre interprétation ou les promoteurs de "l'intentionnalité de l'oeuvre" passeront leur chemin! Un grand plaisir de découvrir un Jean-Louis qui se confie...notamment sur son désintérêt du titre "les rouges souliers"!
MERCI MAGIC, toujours fidèle à Murat depuis le début...
http://www.magicrpm.com/a-lire/interview/jean-louis-murat/track-by-track-14-10-11
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Track by track - 14/10/11 Franck vergeade
Deux ans après un détour mémorable à Nashville, Le Cours Ordinaire Des Choses (2009), Jean-Louis Murat a retrouvé sa fidèle section rythmique pour signer un treizième album massif et déjà central dans discographie, l’irrésistible Grand Lièvre. Où le natif de Haut Arverne réaffirme autant son endurance que sa difficulté à se placer sur la carte de la chanson française, tout en professant quelques conseils paternels. [Interview Franck Vergeade].
Qu'Est-Ce Que Ça Veut Dire ?
Jean-Louis Murat : Comme souvent, en promotion, je me retrouve en décalage puisque je dois parler d’un album qui va sortir alors que j’ai déjà écrit le suivant. Laisse-moi me remémorer un peu les conditions dans lesquelles j’ai fait Grand Lièvre. Pour ce disque et en particulier cette chanson d’ouverture, je voulais aborder le sujet de la perte de mémoire, qui touche de plus en plus de gens dans mon entourage, mais pas seulement. Aujourd’hui, on ne peut que constater que notre pays a la maladie d’Alzheimer. J’aurais d’ailleurs pu intituler cet album Alzheimer. Je dis parfois aux musiciens qu’on va organiser un Alzheimer Tour. Comme ça, si un soir je n’ai pas envie de monter sur scène ou si je m’arrête en plein milieu d’un morceau, j’aurais un bon prétexte… Depuis Le Cours Ordinaire Des Choses (2009), j’ai passé des mois en tournée avec Fred (ndlr. Jimenez, le bassiste) et Stéphane (ndlr. Reynaud, le batteur), donc on ne peut vraiment parler de retrouvailles entre nous même si nous n’avions plus enregistré de disque ensemble depuis Taormina (2006). La vraie nouveauté, c’est l’arrivée du pianiste Slim Batteux, un musicien sensationnel. C’était une idée de Laure (ndlr. Bergheaud, sa femme), qui l’avait vu sur scène. Slim a aussi bien accompagné Percy Sledge que Ray Charles, Johnny Hallyday que Michel Jonasz – le gimmick de La Boîte De Jazz, c’est lui –, il est également spécialiste de la culture indienne. Connaissait-il Murat ? On n’en a pas parlé, mais franchement, ça m’étonnerait. Il doit être un peu comme moi, c’est-à-dire qu’il n’écoute jamais de disques français. Il n’a pas de temps à perdre.
L’album a été enregistré à La Fabrique, à Saint-Rémy-de-Provence, au milieu de la plus grande collection au monde de vinyles de musique classique. C’était très impressionnant de se trouver face à l’histoire de cette musique, et l’endroit est magnifique. En une petite semaine, sur vingt-quatre pistes et avec du vieux matériel, l’affaire était pliée. Le mot d’ordre était simple : “On ne touche à rien”. À l’arrivée, on avait quinze titres, mais dix suffisent amplement. Comme du temps des Beatles, on pourrait revenir aux enregistrements d’une demi-heure. Au-delà d’une quarantaine de minutes, je décroche à l’écoute d’un album. La durée trop longue des disques fait d’ailleurs partie de la crise actuelle. Il devrait y avoir une loi qui oblige les artistes à enregistrer dix chansons. Pour ce qui me concerne, je ne pense publier trop d’albums. Ce sont les professionnels qui le pensent, pas le public. Je peux comprendre les personnes de ma maison de disques, qui se demandent ce que je vais pouvoir raconter aux médias d’une année sur l’autre. Elles courent après les nouvelles têtes. D’ailleurs, les journalistes ont été dressés dans la soif de nouveautés. Ils cherchent le chef-d’œuvre par semaine, qu’ils auront oublié quinze jours après… Fort heureusement, mon public est réceptif à ma sortie discographique annuelle. Je voudrais aussi dire un mot sur Alain Artaud, qui a récemment été viré de Polydor et avec lequel je travaillais depuis plus de vingt ans. Ensemble, on faisait déjà la pochette de Cheyenne Autumn (1989), avec la photo de Jeanloup Sieff…
[sympa le mot sur Artaud! l'inter-ViOUS d'ALAIN ARTAUD http://www.surjeanlouismurat.com/article-inter-vious-et-murat-n-10-alain-artaud-75198522.html ]
Sans Pitié Pour Le Cheval
La guerre 14-18… Bataille de la Marne… Mon nom d’état civil n’est pas le mien : j’ai celui d’un arrière grand-oncle, qui se prénommait également Jean-Louis. On m’a donc redonné le nom de Jean-Louis Bergheaud. Étant le premier garçon à être né, je me suis retrouvé dans la famille en charge de l’hérédité imposée d’un combattant héroïque de la guerre 14-18, qui meurt d’ailleurs en 1918. Sans faire de la psychologie à trois balles ou de la schizophrénie de comptoir, j’ai toujours eu du mal avec mon identité. Ainsi, je suis resté sensible à la guerre 14-18, où je suis donc mort une première fois. D’où cette chanson Sans Pitié Pour Le Cheval. J’en ai quelques-unes sur les chevaux et la manière dont les animaux sont traités depuis lors. Moi, j’ai eu la chance de jouer aux cowboys et aux Indiens avec mes enfants, en partant dès l’aube à la montagne avec un poney chacun. On faisait des cavalcades effrénées. Les êtres humains ont perdu le rapport aux animaux. Je regrette le temps où les hommes circulaient à cheval. Il y avait une noblesse qui n’existe pas dans une Clio ou un Picasso… (Sourire.)
Rémi Est Mort Ainsi
Là encore, la résistance a été un élément essentiel dans notre famille. J’ai appris à lire et à écrire dans un manuel dont les deux héros s’appelaient Rémi et Colette. Ces deux prénoms me sont revenus en écrivant Rémi Est Mort Ainsi. Comme je te le disais, Grand Lièvre est un album axé autour de la mémoire et de la perte des choses. Pour ce disque, j’ai arrêté l’écriture à quarante-quatre chansons. J’en ai choisi dix. Donc j’ai envisagé plein de thématiques différentes. Il y avait des titres sur les cavalcades du Far West, un autre sur Cortés, un autre encore que j’ai posté sur mon site, Ne T’Attends Qu’À Toi Seul. J’aurais donc pu faire un album entier sur l’homme à cheval ou la guerre, mais je prends au final les chansons les plus solides. Je n’attache pas une importance très grande aux textes. Selon moi, la musique forme un tout : la mélodie, les paroles, la production. D’ailleurs, je fais tout en même temps. Mon pire cauchemar, c’est d’avoir une musique sans texte ou un texte sans musique. La ligne mélodique et les mots sont tellement imbriqués. C’est comme si un maçon bâtissait un mur en parpaings et mettait le ciment après. (Sourire.)
Pour les textes, je dispose bien souvent de trois fois la matière que j’utilise. Si je me laissais aller, je pourrais faire des chansons d’un quart d’heure, alors je coupe dans le vif et saute ce qui est faible. En concert, les gens se demandent pourquoi il m’arrive de ne pas dire certains mots, mais c’est parce que j’en ai marre de les chanter. Je les zappe parce que je ne m’y reconnais plus. Notre métier relève tellement de l’art du mensonge que j’essaie d’éviter d’en rajouter. J’ai beaucoup insisté auprès du label pour joindre avec l’album ce Live À La Coopé, enregistré à Clermont-Ferrand le 7 avril 2010. C’est un concert directement sorti de la prise stéréo de la console, puis je l’ai apporté à la gravure – mes musiciens et techniciens sont devenus dingues. Ils voulaient que ce soit mixé. À l’inverse, je tenais à publier un live comme dans les années 70. Cela ne sert à rien d’enregistrer un concert en multipistes. Plus personne ne sort de disque live aujourd’hui.
Alexandrie
De son vrai prénom Alexandrie, Alex était une amie très chère, qui est décédée dans un accident de moto avec le bassiste de Clara, mon premier groupe. Ils sont morts dans la nuit sur une Harley Davidson il y a quelques années. Je leur avais dédié l’album Taormina (2006). C’était très émouvant de faire ces chœurs “Alexandrie/Alex” en pensant à elle. Elle devait avoir vingt-trois ans lorsqu’elle est morte. Encore une chanson sur la mémoire, la disparition, le passé…Ce n’est pas l’approche de la soixantaine qui me fait avoir ces pensées. Dans Suicidez-Vous Le Peuple Est Mort (1981), j’étais déjà là-dedans…
Haut Arverne
Ma chanson préférée et celle qui me colle le plus à la peau. Il n’y a pas un poil de cul de jeu : elle est réglée comme une voiture de Formule 1. D’après le nouveau patron de Polydor, c’est même le single de l’album. Moi, j’habite donc dans le haut de l’Auvergne. “L’homme captif a besoin d’aide”… “Amour et nous peu de sommeil/Jamais l’âme ne rejoint le sang”. Le texte est d’une telle noirceur. C’est d’ailleurs l’une de mes surprises avec ce disque, je pensais avoir fait du goudron, et tous ceux qui l’ont écouté trouvent cet album léger. (Sourire.) À l’origine, je voulais d’ailleurs l’intituler Haut Arverne, mais j’ai finalement décidé de ne pas en remettre une couche sur l’Auvergne. Alors j’ai choisi Grand Lièvre comme titre, en souvenir d’une chanson dont j’ai malheureusement perdu le texte. Depuis, j’ai changé de méthode : j’écris sur des cahiers, ce qui évite que les enfants jettent des feuilles volantes avec des paroles par inadvertance. J’ai encore les images en tête : un grand lièvre dans des herbes hautes, perdu dans la nuit après avoir été jeté d’une famille et donc condamné à mort.
Je Voudrais Me Perdre De Vue
Ma dépression du moment d’écriture de l’album. J’étais au fond du trou… J’étais tellement mal que je m’en suis rendu malade. (Sourire.) J’ai fait deux passages aux urgences. La deuxième fois, j’ai sincèrement cru que ma dernière heure était arrivée. J’ai ainsi passé de longues nuits sans dormir à l’hôpital. À poil aux urgences et sous morphine, ça te remue pas mal. Sans parler de la cohabitation avec tous les malheureux de la Terre. Une expérience néanmoins intéressante. Suis-je toujours hypocondriaque ? De moins en moins, car j’ai tellement peur que les enfants le deviennent. On change grâce aux enfants. Ce sont eux qui nous éduquent. Ainsi, on finit par stopper ces comportements infantiles, ces petites concessions ou lâchetés à soi-même. Si tu veux bien élever tes enfants, commence par changer, sinon ils vont devenir comme toi puisqu’ils scannent tes moindres faits et gestes. Ils projettent tes défauts en 3D. Je suis devenu un sage, comme tu peux le remarquer.
Vendre Les Prés
Je parle là de l’exode rural, et pas seulement français. Selon les dernières prévisions, sur sept milliards d’individus, il y en aurait la moitié en villes. C’est complètement fou. Le monde moderne ne veut plus d’agriculteurs, de paysans, de montagnards. Le dernier peuple le plus haut, c’était les Tibétains, mais le Tibet est désormais occupé par 60% de Chinois. Je l’ai souvent abordé dans mes chansons, mais je n’ai jamais compris l’acharnement des gens des plaines et des villes à vouloir tuer symboliquement les peuples des montagnes. Chez nous, il y a de moins en moins de troupeaux, les forêts poussent, le paysage n’est pas entretenu. Un beau jour, comme au Japon, on va devoir subventionner des jeunes pour redevenir agriculteurs. C’est le monde à l’envers.
Le Champion Espagnol
Lequel champion espagnol ? Bahamontes, “l’aigle de Tolède”, mais j’aime tous les champions. Ils sont irrésistibles, les grands champions sont des futurs héros. C’est comme si j’avais l’occasion de voir Achille ou Ulysse en action. D’ailleurs, j’avais transformé Platini en Achille À Mexico (ndlr. un titre figurant sur la compilation Amour Foot, 1998). J’aurais aimé être champion. Cette année, je suis encore allé voir le Tour de France, qui ne passait pas loin de chez moi. Mes enfants chantaient à tue-tête “Cadel Evans est un suceur de roue”…(Sourire.) Cadel Evans est le vainqueur du Tour 2011, mais pas un champion. Le dernier grand champion, ce fut Lance Armstrong. C’est pour cela que la lutte antidopage m’énerve intensément. Ou alors il n’avait qu’à contrôler la testostérone chez DSK. Au moins on aurait gagné du temps. Les champions ne sont pas là pour porter la moralité à la place des hommes politiques. La lutte antidopage est une spécialité française portée par les inventeurs du dopage intensif – c’est-à-dire les communistes. Ça me dégoûte que cette connasse de Buffet ait transformé des apparatchiks du PC en récupérateurs de pipi de champion. J’aime les héros : saint Anquetil, saint Hinault, saint Lance (qui n’est autre que l’abréviation de Lancelot).
Les Rouges Souliers
Ça me surprend encore que ce soit le premier single de l’album. Car j’ai mis cette chanson sur l’album sur l’insistance de tout le monde. Si je m’étais écouté, elle n’y figurerait pas. Je n’ai donc pas grand-chose à en dire. Une chose est certaine, je ne l’écrirai plus aujourd’hui. Je trouve le texte un peu trop facile et cynique à mon goût. Musicalement, en revanche, elle me plaît beaucoup.
La Lettre De La Pampa
Comme je le dis souvent, je ne sais pas où me mettre. J’ai l’impression qu’il n’y a pas de lieu approprié sur Terre. Je suis à l’Ouest, voire au Sud-Ouest ou dans la pampa. Artistiquement ou musicalement, je ne sais pas où me situer dans le paysage français. Depuis que je suis tout petit, il n’y a jamais eu de place nulle part pour moi. Il n’y pas un siège avec mon nom écrit dessus. C’est un peu l’idée de la chanson. Je tenais aussi à commencer et finir l’album en parlant du travail. La valeur travail est une notion essentielle. Les premiers mots du disque sont : “Manier du bout des doigts/Sa raison en travaillant” et je chante, dans La Lettre De La Pampa, “Toutes les sensations viennent de mon travail”. Le travail est finalement mon seul lieu de séjour. En dehors de ça, j’ai toujours l’impression d’être un étranger. Et ce n’est pas à un âge canonique que cela va changer.