Toboggan 2 par Bayon, libération du 15 novembre
Publié le 15 Novembre 2013
Bayon. Ah, Bayon... en pure Bayon. Et ses "lalalallalalananère j'ai tous les inédits et même plus", ceux que vous ne connaissez pas, et ses raccourcis "comprenne qui pourra" (dit-il en parlant de Murat)... Enfin, il aime ça. Enfin, je crois avoir compris ça.
http://next.liberation.fr/musique/2013/11/14/murat-dans-loi-du-cyclone_946978
Le chanteur folk-rock propose une annexe à son dernier album, «Toboggan». De l’art du court sur le long terme.
Assez Hamsun «vagabond» des volcans éteints, Murat poète païen profus, indian runner marathonien avec 62 ans et au moins trente-cinq albums depuis 1980 à son actif, est aussi homme de raid - d’EP, comme on appelle encore le moyen métrage CD.
On se rappelle à ce rayon certains meilleurs Murat : l’Au-delà (incluant le lustral Royal Cadet), Petite Fille (avec Tous les chanteurs sont malheureux dans notre bonne version), ou bien sûr le projet filmé 1993, Murat en plein air (Dordogne) - sans compter tant de N’attends rien, Un biplan de plus ou Au vent mauvais inédits par coffrets.
«Héron». La sortie du jour, Toboggan Spécial, sous illustration solarisant celle du dernier album gelé Toboggan (soulevé par le radieux Robinson au soleil noir), est de cette lignée. Soit cinq plages emmenées et hantées par Loï, qu’on veut voir d’abord comme un nom d’héroïne à la Lilith ou Philomène, ouvrant le ban - Loï étant finalement Murat en soi, surnommé ainsi enfant pastoureau. Loï en -14, titre exact de cette invocation d’ouverture («Loï en moins 14»), est une mélopée folk-rock. Le sujet, rond et doux-amer comme sa boucle arpégée, la mort du chanteur enfant, survenue «quatre ans après» le début de la fameuse boucherie d’Etat, confie-t-il dans le noir en concert (comprenne qui pourra), inspire au chanteur des inflexions vocales vaticinantes inédites, entre tête trouée et cœur étreint.
Du côté de «la queue du chien qui va mourir», dans les mêmes tonalités badines, le bestiaire reconvoque plus loin certain «héron» tutélaire familier (Mustango), deux fois. Très Manset de gloire au «cheval fatigué (/Qui traîne la patte, laissez passer)», ce chien courant mourant entre en scène dans le Michigan, troisième morceau du récital, de la veine épique, titre dylanien c’est-à-dire opaque en sens, martial et flamboyant dans l’arrangement. En complément de programme, dans ces mêmes tonalités de saga, l’Eau de la rivière, plage 5 et fin, brasse le remous d’eau de rock - guère limpide non plus mais tumultueux, en point d’orgue battant.
Passé le pont Mirabeau, cependant, en 2, pour rester dans les effets fluviaux, est une ballade vague d’abord, dans un entre-deux eaux où flotte volontiers l’inspiration maison, entre rumination plus ou moins sibylline, au sens antique, et oraison. L’occasion m’est venue, qui ne paye semblablement pas de mine a priori, s’enflamme bientôt en requiem trop serein, avec son thème élevé : celui d’un pilote de guerre - encore elle - que Murat se rappelle de «lorsque j’étais enfant», descendu en torche près d’un «lac», vers «Compiègne» : «L’occasion m’est venue / Et je suis mort hier»…
Rongée.«Là ou je vais je ne serai plus, là où je vais, vous non plus», a tranché il y a bien longtemps déjà un rêveur auvergnat parent en millénarisme du chanteur à la voix de bois… Un jour, Murat qui ne fredonne au fond que le trépas qui nous mord d’amour, aura vécu, et cette heure des comptes venue, les plus injustes conviendront de la vertu inexpugnable de son «œuvre au noir». Rien à peu près, ici, pour égaler ce chant grave, âpre et las, tendre et pierreux (comme on disait des «chanteuses du Néant» les Pierreuses), fervent et morose. Rien qui vaille cette figure indéchiffrable toujours même et déphasée ; qui tienne la comparaison de génération avec ce flux prodigieux à force d’airs par centaines, ce florilège de vitalité rongée.
Dans la lignée d’un Léo Ferré, si rébarbatif aussi à sa façon acerbe d’en dehors partagé de même entre férocité rimbaldienne et mignardise verlainienne, intime et force, légèreté et morbidesse, avec le temps, tant la vie demande à mourir et que tout s’en va, on finira par entendre que quelque chose d’un Jean-Loï Murat emmuré demeure.
Jean-Louis Murat CD (5 titres) : Toboggan Spécial (Scarlett / Pias). En concert le vendredi 22 novembre à la Gaîté lyrique, 3 bis, rue Papin, 75003. Rens. : www.gaite-lyrique.net