Le moujik et l immigré : Murat et Taha
Publié le 15 Septembre 2018
devant la coopé
C'est en lisant un petit commentaire de inénarrable suissesse Barbara (après avoir pris connaissance de la tristesse de Mme Bergheaud sur un réseau social), que je me suis rappelé qu'on avait eu connaissance des bonnes relations entre Murat et Rachid Taha : c’était au Paleo en 2007, où ils ont (petit-)déjeuné ensemble, ce dernier était déchaîné et mettait l’ambiance sur la terrasse.
Peut-être s'étaient-ils déjà croisés sur Lyon au début des années 80? Vécu quelques nuits avec Alain Bashung? Ils partageaient le même goût pour John Ford et Tarkovski.
Marie Audigier était un point de liaison. Voici ce qu'elle a posté :
Rachid taha est parti ...Crise cardiaque dans son sommeil. Il avait trop donné trop aimé trop tout . Ma première grosse ITW en tant qu artiste il y’a longtemps: RTL j étais terrorisée
Rachid a été un amour m a réconfortée encouragée. Puis je l ai retrouvé chez naïve il y a trois ans quand je suis arrivée comme DG. Quel immense artiste! On t aime rachid
Mais tu vas tellement nous manquer. Fais nous le couscous !
En tout cas, les commentaires de ceux qui l'ont connus sont nombreux et très touchants (Burger, Eno...). J'ai sélectionné celui de F. DORDOR:
"Ma dernière photo de lui. C’était à Bath dans le studio de Peter Gabriel pour l’enregistrement de son ultime album Zoom. Une partie de ma vie vient de disparaître. De ma première rencontre à Lyon avec Carte de Séjour début 80 où il m’avait fait découvrir Oum Kalsoum , la chanteuse de génie derrière le mythe , et aussi la chorba dans un bouiboui de La Croix Rousse, au voyage avec Kertekian à Beyrouth au moment de Ya Raya où il fut accueilli comme le Roi qu’il était. Et tant d’...autres souvenirs... Rachid l’unique, Rachid l’étoile insolente, Rachid l’arabe du futur. Je crains qu’il ne soit honoré comme il se doit, comme l’immense artiste qu’il était, qu’outre manche par des fans aussi illustres que Brian Eno, Robert Plant ou Mick Jones de Clash qui ont su reconnaître en lui le défricheur, le transgressif, le passeur de cultures, celui dont chaque geste, chaque parole, chaque note, avait un sens et une portée politique. Mais n’oubliant jamais de donner à tout ça un air de fête. Et je mets quiconque au défi de trouver un mauvais album dans sa discographie, ou un moment faible. Sauf qu’après le succès de Ya Raya et l’anecdotique 1,2,3 Soleil avec Faudel et Khaled il y a eu le 11 Septembre et plus question de passer de chansons en arabe sur les ondes. Son adaptation de Now or Never aurait du faire un carton dans un pays qui ne soit pas peuplé de sourds et de racistes. Dommage collatéral ou pas, la France est passée à côté d’un talent hors norme même si lui même n’est pas exempt de reproches. N’empêche ça va faire vide sans lui, pas seulement pour la zique, pour les discussions sur le cinéma, la littérature où il me prenait toujours à contre pied ( l’adulation qu’il vouait à Jean Genet , à Tarkovski et à...John Wayne!!! ) pour la finesse de ses analyses, la curiosité jamais éteinte, la vigilance politique. J’aimais beaucoup la lueur qui s’égaillait alors dans ses yeux , comme une espièglerie qui lui restait de l’enfance. Au fond, c’était un personnage à la Truffaud , un Antoine Doinel beur, qui a fait les 400 coups, et en a bu 400 000. En vieillissant on est chaque jour un peu plus seul. Mais ce soir, c’est beaucoup plus".
J'ai apprécié aussi celui de PADOVANI, qui lui ose parler des problèmes de Rachid, parce que j'imagine qu'ils ont été nombreux à essayer de l'aider (même s'il disait "on ne fait jamais assez d'excès") :
J'écrivais ça en 2006. dans mon livre Secret Policeman.
"En France, j’adore Rachid Taha. Pour moi, c’est peut-être le seul rocker français. Évidemment, quand je dis rocker, je parle de ceux qui vivent dans le monde que j’ai exposé plus haut. Rachid en fait partie. Et je sais que les journalistes de rock en France se demandent encore s’ils peuvent et doivent faire des interviews avec lui ! Le genre de mecs qui s’intéressent à Rachid Taha, c’est plutôt Mick Jones des Clash ou même Robert Plant et Brian Eno… mais pas les Français ! L’autre jour, avant son concert au Bataclan, il a
donné une interview au Monde. Bien sûr, le journaliste lui a posé une question stupide :
— Chanteriez-vous avec un chanteur juif ? Il y a qu’en France qu’on peut poser cette question.
Et elle était tellement bête qu’elle méritait une réponse intelligente, une réponse que seul un mec comme Rachid pouvait donner :
— Bien sûr, mais je choisis mon chanteur juif, je prends Lou Reed ou Iggy Pop !
Qu’est-ce qu’il espérait ce scribouillard du Monde ? Rika Zaraï ?"
Il est des journées difficiles. Quand on perd un frère, comme Rachid pouvait l être pour moi. J avoue que je suis encore sonné par la nouvelle.
Bien sur que Rachid avait décidé de bruler la corde par les 2 bouts. Bien sur qu il n avait besoin de personne pour le faire et se laisser entrainer. Et la tristesse est aussi là. De savoir que cet amour de frère avait cette faiblesse en lui, un mal qui creusait en lui une force qu il n avait pas.. La tristesse de ne pas avoir pu être chaque seconde avec lui quand ça allait trop loin... Et quand bien même... Je préfère me rappeler que Rachid était avant tout quelqu un de profondément humain, comme peu peuvent l être, qui a aimé les gens plus que les gens ne l ont jamais aimé et compris, ou voulu le comprendre, et de supérieurement intelligent. Un très grand. Irremplaçable. Et la tristesse de se dire que aujourd hui on parlera enfin de lui parce qu il n est plus. Toute sa vie, en France, il aura porté sa croix tout seul, lui l arabe, et il aurait tellement aimé qu on lui dise tout le bien qu on pensait de lui quand il était encore là, que les medias et surtout les medias rock en France admettent son importance dans la musique qui nous passionne, son influence, son impact, son originalité, sa classe et l importance de son message!! Et que sans lui, le rock en France serait orphelin. Et je pèse mes mots. Les medias étrangers, et surtout les anglais, eux l ont toujours compris. En France, il devait en faire 10 fois plus que tout le monde, vraiment comme un étranger. Et ça ne suffisait pas. Et pourtant on parle de musique... argh...
Bref, y a du boulot. A ce demander si même la musique perd de son pouvoir unificateur et fraternel dans ce pays qui nous abrite. C est une vraie question.
En tous cas, j espère que Rachid, en ayant décidé de partir et de faire parler de lui comme jamais on aura parlé de lui, nous a fait un dernier cadeau, celui de se reposer cette vraie question.
Un dernier témoignage, celui de Gérard Bar-David, celui qui a connu Murat dès le début des années 80 en Haute-Savoie et qui a écrit le texte promo du EP Murat: Il a aussi connu Taha dès ses débuts: à lire sur son blog
Tout le monde parle des collaborations avec Eno, de M. Jones, mais on oublie Michel Zacha, réalisateur justement du EP Murat,qui a réalisé la même année le disque EP de Carte de Séjour avec le titre "Zoubida". (J'ai essayé de joindre Michel pour un mot, il me répondra peut-être -il m'a donné de ses nouvelles il y a peu: il coule une retraite heureuse-).
Alain Maneval était lui aussi bien triste:
J'allais peut-être le voir aux abattoirs à Bourgoin qui l'avait programmé cet automne.
LA MORTE EN PLUS En passant
- Murat « Le premier concert de Bob MARLEY à Paris, c’était incroyable, je me souviens de Marvin GAYE, James BROWN, je me souviens de Bob SEGER dont je n’avais jamais entendu parler, c’était un concert sensationnel. Je me souviens d’Aretha FRANKLIN seule au piano
- A propos du "Parfum d'acacias": texte promo
Parce que le premier album du Velvet Underground a été enregistré en 24 heures et qu'Aretha Franklin passait rarement plus de deux jours en studio. Pas besoin de plus quand les morceaux sont en place, et libre à eux d'évoluer ensuite sur scène ou à l'occasion d'une autre captation.
LA CHRONIQUE EN PLUS
Rolling Stones a aimé le disque de Chloé Mons et surtout le duo avec Murat
Allez, courage, plus que 13 jours avant la sortie d'El Francese! Puisque je vous dis tout, je vous avoue que je l'écoute déjà... mais je n'en dis pas plus.