Un jour à Orcival, la mort et le réconfort
Publié le 31 Mai 2023
(archive 2016)
bonjour,
Voici le jour d'après d'après. Même si j'ai longtemps hésité presque jusqu'au bout, pour différentes raisons, je me suis rendu aux obsèques de Jean-Louis Murat. J'ai besoin de l'écrire pour me rendre compte. J'ai envie de citer deux raisons à mon hésitation : je ne sais pas comment retirer mes yeux de chroniqueur de la vie et carrière de Jean-Louis et être absent était plus facile. Et il me semble que Jean-Louis était parfois absent aux enterrements (il a été conté une anecdote à ce sujet au cours de la cérémonie), il était commode d'arguer de lui rendre hommage par mon absence, en lui dédiant ce que je pouvais, comme lui dédiait des chansons ou un album (à Anne-Marie Paquotte, Alex, Christophe...). Pour l'enterrement du journaliste Jean Théfaine, il avait fait parvenir un texte. Bon, Jean-Louis, lui, était gêné d'être reconnu, et je n'ai pas ce problème. Enfin soit, j'ai également pu covoiturer. L-C était fan au début des années 90 avec sa cousine, même si elles étaient enfants. A Paris, elles avaient pu rentrer dans la loge (sans doute lors de la première tournée)... et avaient chanté une de ses chansons au chanteur. L-C a gardé le souvenir ému d'un bisou de remerciement de la part d'une personne adorable. Avec nous, Henri qui a découvert Murat à son concert à la route du rock le 14/08/94, concert à 17h30 sur la grande scène, et ce fut leur première discussion, la première d'une longue série... sa collection de dédicaces est impressionnante.
On arrive après 9h30, les voitures sont un peu partout autour du village, mais finalement pas besoin du code secret qui nous est parvenu par plusieurs biais pour entrer dans la basilique, tout le monde trouve de la place, même Isa qui arrive en retard [running gag]. Chants religieux, cérémonie traditionnelle, le prêtre raconte un peu Jean-Louis, chanteur qui raconte et fait du bien, qui suit dans la mort de quelques jours sa maman, puis s'appuie sur "Lady of Orcival" et nous dit le texte. Marie dans la prière universelle évoque le Dieu des grands espaces, et d'autres expressions prises dans les textes. La famille proche prend la parole tour à tour, et chacun adresse un dernier mot à son papa, ou grand-père, insistant sur les valeurs qu'il lui a inculquées et promettant d'y être fidèle.
Un homme prend la parole ensuite, et j'en déduis vite qu'il s'agit de Bruno Bayon ("mon frère de laid" dit-il de JL). Je pense que beaucoup ne le reconnaissent pas. Une relation forte a existé avec Jean-Louis Murat depuis que Bruno est descendu le rencontrer en 1987 (cf ci-dessous), rue Jean l'Olagne, Clermont, dans un petit appartement au rez de chaussée sur cour. L'article sera illustré avec une photo du beau ténébreux... faisant la vaisselle. Le 3e article (un 2e avec plein de confidences est sorti le 15/02/88) avec la photo d'un Jean-Louis au saut du lit date de 89... et pose un oeil critique sur le disque cheyenne autumn en s'adressant à lui ("tout est à côté, il ne se passe rien", "musique débilitante"... en concluant quand même par un "tu me gagnes"). On devine déjà ce qu'est leur relation. Jean-Louis fait tout écouter à Bruno (dans son mot à l'église, il évoque les trésors restant à découvrir). Même s'il veut montrer à Marie qu'il veut faire mieux que Manset (prière pour M), c'est aussi vers Bruno, qu'il va se tourner ("qu'entends-tu de moi que je n'entends pas?" dans le Parfum d'acacia et "Bye bye Johnny" qui lui sont directement adressées).
En interview publique à la Fnac, en septembre 2006, Murat parle de Bayon : "C'est le premier journaliste qui se soit intéressé à moi, il m'a accouché… C'est mon ami, mon seul ami. Comme écrivain, personne ne lui arrive à la cheville en France, je ne suis pas le seul à le penser. C'est mon frère de lait. Si j'écrivais des romans, j'écrirais comme Bruno. Je pense que si Bruno faisait des disques, ils ressembleraient vaguement à ce que je peux faire. C'est très gênant de parler d'un ami. Je vous recommande d'acheter les livres de Bayon, si vous aimez mes chansons, en littérature vous serez bouleversés par ce que Bayon peut écrire."
En 2010, Bayon dit : "Murat est ma raison de vivre".. même s'il avoue que ce dernier n'est pas facile à vivre. De son côté, Jean-Louis regrette par moment que certaines infos aient été diffusées (le suicide, le problème de santé )
Je crois qu'il est possible que certains aspects du discours de Bayon aient pu mal à être mal pris si on ne connaissait pas ces éléments.
D'ailleurs, Bruno, avec l'aide d'un seul petit bout de papier, a débuté par le fait qu'on avait insisté pour qu'il parle. "Si ca ne tenait qu'à moi, je me serai contenté d'un long silence de mort". Ce préalable fait, il indique que toutes les chansons de Murat "absolument toutes, parlent de mort", et d'en citer une grande série. Il parle du patrimoine absolument énorme, inimaginable qu'il laisse, et des tonnes d'inédits qu'il reste à découvrir... et que ce patrimoine peut être considéré comme un champ de morts, de ruine... mais que c'est bien là le rôle du poète, l'aède. C'est celui qui descend, "ramasse l'esprit", et fait les allers-retours entre les deux mondes, il relie Murat à Nerval (citant "El desdichado" : "Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron / Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée / Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée."), Baudelaire ("c'est la mort qui console hélas et qui fait vivre"), cite encore un vers de Poe. C'est la charge du poète de parler de la mort, "il la prend sur son dos"... Il évoque ensuite les vierges noires qui sont importantes en Auvergne, bien que dans la basilique, elle ne soit pas ainsi, souvenir d'une discussion avec Jean-Louis, et dans la tradition, c'est Isis. Il indique qu'on ne trouve pas de référence à l'Egypte* dans l'oeuvre de Murat* (il cite alors l'Abyssinie, l'empire du nord, Taormina) mais que finalement, à Douharesse, entre les roches, on est dans une sorte de vallée des rois, où tel un Alceste, il a voulu "chercher sur la terre un endroit écarté / où d'être un homme d'honneur on ait la liberté", il a construit, creusé, une nécropole pharaonique, il cite sa chanson "ma demeure, c'est le feu". Et à travers les mots que maîtrisaient si bien Jean-Louis, avec la thématique du sacré qui traversait aussi son oeuvre, s'accomplissait un miracle. Même si Jean-Louis pouvait "être cruel envers lui-même, comme avec les autres, beaucoup avec les autres", il avait fait don de soi, et nous aidait à être épargné :"Toute cette mort paradoxalement traversée par ses mots devient consolation". Murat a accompli "sa mission qui n'est pas donnée à tout le monde", il a transformé la mort en quelque chose d'autres... "la perpétuation".
Bruno indique qu'il pourrait s'arrêter là, mais il a envie de raconter une anecdote un peu féroce, comme il l'était, "pour le ramener un peu à la vie". Il a "forcé cet animal" à l'accompagner dans le décès de son frère, c'était important pour Bruno, et Jean-Louis a fini par s'exécuter et traverser la France... et finalement, il était fou de rage,"comme je le suis aujourd'hui, contre lui, contre tout ça", il a refusé de rentrer dans l'église, "comme un mécréant qu'il était" prétextant qu'on l'a reconnu, et il a pesté au cimetière.. "Aujourd'hui, je suis là dans son église, je ne fais pas tant de simagrées, et je le remercie pour tout ça".
J'ai trouvé ces propos, que j'espère avoir restitués correctement, consacrés à l'artiste vraiment réconfortants et fidèles au Jean-Louis public, en plus de la mention du côté mécréant (même s'il venait chercher du recueillement dans la basilique, comme au bord du ruisseau). Bruno Bayon a pu donner une raison pour laquelle Jean-Louis comptait autant pour ses auditeurs, en le reliant aux grand poètes, et pour l'artiste qui doutait de son importance, de l'importance de la chanson, c'était un très beau dernier message à lui délivrer. Gageons, je l'espère, que nous aurons une suite (correspondance?) à ce "parce que c'était lui, parce que c'était moi"...
* Jean-Louis a eu un projet de disque enregistré en Egypte si je ne m'abuse.
Voici l'article signée Bayon dans le libé du 27/05:
En entendant le morceau «Si je devais manquer de toi» à la terrasse d’un café un jour de 1988, Bayon, ex-plume de «Libé», est comme foudroyé : toutes affaires cessantes, il part rencontrer le chanteur.
par Bayon
«La scène se passe un jour de 1987 ou 1988, vers midi au pied du journal de la République et des entrepôts briqués Germain-Pilon (du nom même de la rue où je vivais au septième d’un immeuble de passe pour hommes travestis à Pigalle). Il fait beau et doux à la terrasse du café-bar-cantine de circonstance donnant sur le square Béranger et ses canards.
Un air passe dans celui de l’heure, un peu oisif en pause déj songeuse, un timbre, une ombre d’ombre de nostalgie de nostalgie, une aubade inconnue familière, de déjà-vu verlainien – «Dans une rue au cœur d’une ville de rêve / Ce sera comme quand on a déjà vécu / Un instant à la fois très grave et très aigu / Ô ce soleil parmi la brume qui se lève…» Que se passe-t-il ?
Il se passe qu’instantanément, la voix qui fredonne sous l’auvent du lieu, en sourdine d’ambiance, idéale telle la mélopée, les mots vaguement perçus au vol, murmurant des choses comme «autant me priver pour toujours…», immédiatement, profondément, ineffablement, inéluctablement, ces «obscures paroles», ces notes, ces inflexions, me parlent une langue à nulle autre pareille, innée, intime, urgente.
Trêve de mouron. Vive Murat.»
L'assistance a donné un dernier signe d'amitié à Jean-Louis, alors que sa musique sonnait dans l'église. Sachez que vous étiez derrière moi, en moi, à ce moment-là, avec tous les messages que vous m'avez envoyés, tous les mots que j'ai lus... et l'immense gerbe organisée par Amparo vous représentait également "au berger de chamablanc, tes fans de toujours". En touchant le bois du cercueil, j' ai envie de lui renvoyer sa petite tappe amicale sur le ventre qu'il m'avait fait un matin en Belgique.
A la sortie du cercueil, il faut un courageux pour lancer les applaudissements... ils montent rapidement et ça dure longtemps... comme un rappel, et Phiphi n'a pas besoin de lampe torche, pour nous signaler que c'est bel et bien fini.
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Je salue quelques camarades, quelques personnalités (Olivier Nuc m'indique qu'il est sans doute le seul journaliste parisien, C. Basterra, est là, Alain Artaud lui me dit que ses anciennes maisons de disque sont présentes sauf Cinq7, Florent Marchet est entouré d'autres fans comme lui, Nicolas Comment venu avec son épouse, discret, Laetitia Masson, Eryk e., je fais une grosse bise à Stéphane Reynaud). Il y a bien sûr quelques anciens de la scène clermontoise (Jacques Moiroud...), et les fidèles (Denis, Morgane...).
On s'installe au bar, avec une dizaine de camarades... avant de basculer au Cantou pour une truffade. Un bout de Jean-Louis Murat est avec nous, avec la présence de Marco, son vieil ami du Sancy... Les anecdotes et souvenirs se succèdent... et Jean-Louis nous a réunis, et ce n'est pas la dernière fois. non.
Reportage de France 3 Auvergne le soir même
LE LIEN EN PLUS
J'ai ajouté le communiqué du ministre de la Culture à l'article précédent en disant que c'était bien de parler d'amour aussi (à aller voir), encore des hommages à l'article 1, mais soit... Pour rappel, voici ce qu'en avait dit Florence sur le sujet du jour...
Portez vous bien... Après avoir été presque à 100% depuis jeudi, je dois reprendre le cours ordinaire demain... On va continuer d'archiver les articles mais doucement...
BYE BYE JOHNNY
As-tu reçu mes nouvelles
Nouvelles chansons ?
Je n'ai pas fait de merveille
Je sais, Johnny
Hélas, Johnny
Je pars nettoyer la merde
Pour une O.N.G.
Je sais comme Kurt et sa cervelle
T'ont tout éclaboussé
A quoi bon se servir de filets dérivants
Quand il n'y a plus grand chose à dire ?
Hélas, Johnny
Johnny
Feras-tu visiter l'Auvergne à ton ami chinois ?
Embrasse ton eurasienne
Embrasse-la pour moi
Le vélo a eu raison de mon ventre rond
Pas de quoi faire une chanson
Hélas, Johnny
Bye bye Johnny