"les jours du jaguar" sont comptés au studio DAVOUT...
Publié le 17 Mars 2017
C'est sur le mur de Florent Marchet que j'ai appris la nouvelle: le studio DAVOUT à Paris (Montreuil) ferme ses portes. Cela a été vendu à la mairie de Paris pour faire un HLM, une crèche et une école... tout ça! Un article du PARISIEN rend hommage au lieu:
Il n’y aura pas de manifestation de musiciens, ni de chanteurs de variété ou d’ingénieurs du son devant le 73, boulevard Davout, au niveau de la porte de Montreuil (XXe). Pourtant, dans quatre semaines, ce sera la fin de l’un des temples de la musique française et même internationale. A cette date, Davout, le célèbre studio d’enregistrement, créé en 1965 par Yves Chamberland et Claude Ermelin, aura sa dernière séance d’enregistrement avec une cinquantaine de musiciens. « Philippe Rombi, le compositeur des films de François Ozon, a toujours été fidèle à notre maison. On devait fermer le 31 mars. Mais pour le symbole et pour lui laisser le temps de composer ses derniers morceaux, on a décidé de reculer la fermeture au 9 avril », précise Marc Prada, actuel gérant du lieu.
Boulevard Davout, il n’y a pas de plaque pour indiquer la présence de ce studio. Ancienne chiffonnerie du XXe arrondissement, ce bâtiment qui garde encore sa façade du cinéma de quartier des années 1950, était trop tentant pour la Ville : les 1 200 m2 du studio étaient convoités par la mairie depuis huit ans. Le propriétaire des murs n’a finalement pas pu résister à une préemption puis à une expropriation au nom de l’intérêt public. Ici, dans quelques années, la municipalité va créer une école élémentaire, une crèche de soixante berceaux et des logements. La grande force de Davout, c’est son studio A, avec ses 360 m2 capable d’accueillir 100 musiciens, son acoustique avec ses 9 m de hauteur sous plafond et sa console technique de 80 pistes. Un bijou d’une valeur d’1 M€ », assure Marc Prada. Les professionnels ont rapidement pris leurs repères ici. Plus de 1 000 musiques de films y ont été enregistrées en 52 ans. Vladimir Cosma y avait ses habitudes. Michel Legrand y a enregistré l’affaire Thomas Crown. Plus de 10 000 disques ont aussi été enregistrés notamment par les plus grands artistes de la variété française… sans compter les milliers de pubs!
Aujourd’hui, ce monument de l’industrie musicale est encore bien vivant. La musique du dernier film d’Albert Dupontel est en cours d’enregistrement. « L’écran de cinéma permet au chef d’orchestre d’être réactif avec les images », précise Marc Prada. La console du studio A est pourtant déjà en vente. De même que les enceintes Boxer de haute qualité qui encadrent le studio. « Mais nous gardons nos quatre micros Neumann U 47 des années 1950, d’une qualité unique ». Marc Prada, Alexandre Lebovici, le responsable technique, et Jean-Loup Morette, l’ingénieur du son maison depuis 1982 ne veulent pas perdre leur savoir-faire Davout. « L’aventure ne s’arrête pas là, nous envisageons de poursuivre l’activité dans un autre lieu. Nous avons des projets », assurent-ils en gardant encore leur secret.
Franck Ernould*, ancien ingénieur du son devenu l’historien des studios français, est affirmatif : « Davout était la référence. Tous les chanteurs de variété de l’âge d’or des années 1960 et 1970 sont passés par là ». La liste est longue des artistes français qui y ont eu leurs habitudes : Alain Bashung, Barbara, Brigitte Fontaine, Claude François, Dalida, Indochine, Patrick Bruel, Tété, Yann Tiersen…
Côté musique de film, l’histoire a commencé avec Un homme et une femme, de Francis Lai. Par la suite, Michel Legrand y enregistre Les Demoiselles de Rochefort de Jacques Demy (1967) et L’Affaire Thomas Crown (1968) qui a remporté l’Oscar de la meilleure bande originale.
« Au début, les étrangers sont venus pour des raisons fiscales. Et ils se sont vite rendu compte qu’il y avait ici toutes la qualités techniques voulues », ajoute Franck Ernould. On se souvient que Prince a loué les quatre studios pour une séance mémorable. Alpha Blondy, Chet Baker, Duran Duran, Eminem ou Grace Jones sont passés par là tout comme Pharrell Williams, les Rolling Stones ou U 2.
* Franck Ernould avait réalisé une excellente interview de Christophe Dupouy où il était bien sûr souvent question de Murat. Elle n'existe plus sur internet hélas.
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Le studio DAVOUT, dont le site internet s'ouvre sur la pochette du CODC, c'est Mlle Personne, 6 mois pour DOLORES, une partie de Mme Deshoulières, et de Lilith (ce n'est pas mentionné sur la pochette du cd), puis Mockba, a bird on a poire, le béranger (1829), une part de Taormina, le mix du Cours Ordinaire et de Tristan, et Morituri (enregistrement)
Puis encore une session acoustique pour des sites internets et blogueurs (dont Le Lien défait et même Mr TPE -pour ceux qui le reconnaitront) pour la promotion du Cours Ordinaire des Choses.. assurément un grand moment pour les quelques privilégiés qui découvraient l'album par un live acoustique!
Petit aperçu via les pochettes:
On sait que Murat a ses petites habitudes à Paris (hôtel...), comme s'il fallait qu'il ait ses repères pour affronter la ville... Avec la fermeture de ce lieu, il en perd un... Y était-il attaché parce que Davout est comme lui un Maréchal de Napoléon?
On peut se replonger dans l'interview de Stéphane PRIN qui nous parlait pour la première fois de tout le travail réalisé en ces lieux: à lire ici.
Il nous parlait notamment de la création d'un titre phénoménal et emblématique de Murat: "les jours du jaguar":
"Un jour, alors que l'album était presque fini et que Jean-Louis était derrière le micro pour enregistrer une des dernières voix, il prend sa guitare, la branche dans son ampli, le met à fond, et me dit de lui ouvrir une piste. Il enregistre d' un trait les jours du jaguar qu'il avait écrit la veille, sans prévenir quiconque. Stéphane Reynaud étant retourné en Savoie, Fred a joué là-dessus la basse et la batterie et en deux heures, le morceau était tel qu'il est sur le disque. J'ai essayé par la suite de le mixer trois fois sans jamais arriver à retrouver l'esprit qui se dégageait de la version ultra sauvage, faite hors de tout contrôle et toute prévision ce jour là. C'est cette version qui a été gardée finalement et qui se retrouve en outsider numéro 1 sur ce triptique vinyle qui résume assez bien, à mon goût, tous les talents de Murat".
Quelques propos sur les enregistrements:
Libération Septembre 2006:
Travail à domicile. Au début, avant Vénus (1993), c'était encore une ferme sentant les bêtes et le foin. Murat, qui avait quitté le col de la Croix-Morand, vivait dans une seule pièce, l'actuelle salle à manger, à côté du poêle. Il avait placé des micros dans la grange pour enregistrer Vénus. Avec Taormina, c'est la première fois qu'il reprend le travail à domicile. A part les rythmiques et quelques pianos à Paris, studio Davout, il a tout enregistré l'hiver dernier dans son atelier, avec Aymeric Létoquart, assistant sur les derniers albums, cette fois aux manettes. Il y a bien ici quelques guitares et banjos. Mais, rien à voir avec toute l'aile de la maison ouvrant sur la grange : là, des guitares (47 ou 48), claviers, préamplis, amplis, batterie, orgue Hammond, micros Neumann de 1967 et consoles vingt-quatre pistes de 1972 témoignent d'une fièvre collectionnite qui ne porte pas uniquement sur les éditions rares de Proust. «Je ne suis pas seulement chanteur, explique Murat. Je dois m'intéresser au matériel, organiser la production, en plus des chansons.»
La libre belgique août 2006 à propos de Gengis:
Au studio DAVOUT, où l’album a été produit, il y a un super piano Fazzioli. J’ai joué dessus le dernier jour pendant environ vingt minutes, comme ça. J’ai écrit les paroles après. Cette chanson là n’était pas du tout prévue au programme.
Chorus 41 automne 2002:
« J'y ai galéré comme c'est pas permis... A une période où j'étais particulièrement dans la dèche, j'ai fait les poubelles avec un copain, mort depuis d'une overdose, comme beaucoup trop. Aujourd'hui, quand je me rends au studio Davout, porte de Montreuil, et qu'à la porte, sur le trottoir, je vois des mecs vendre des trucs, je me dis: j'ai fait ça pendant deux mois... On vivait dehors. On vidait les poubelles de certains
Chorus 46 hiver 2003
Maintenant, j’ai un vrai lieu où je peux ranger toutes mes grattes, faire de la musique. Plus encore que pour Le Moujik, j’ai travaillé là. Tout seul. Installé dans des conditions de concert, avec la bonne guitare : j’en ai utilisé seize sur ce disque. Après avoir tout calé soigneusement, et sans avoir fait la moindre "démo", je suis passé chez le luthier pour qu’il règle les tirants, les trucs. Une fois arrivé en studio, j’avais tout dans la tête. J’étais archi prêt. On entre cabine et on y va... C’est à ce moment seulement que j’ai réellement découvert comment sonnaient mes chansons...
– C’est vrai que, pour une fois, tu as enregistré en studio...
– A Davout... Mais l’enregistrement des rythmiques a eu lieu à St-Ouen ; là, ça a été extra. En quatre jours, tout était en boîte...
– Pourquoi cette urgence ?
– La première prise, il n’y a que ça de vrai. Tout ce qui fait le charme d’une certaine musique anglo-saxonne est là. Dans cette sorte de vigueur, de générosité, de spontanéité. Moi, j’essaie de mettre en place le même genre de processus pour saisir ce petit quelque chose... [il hésite] Déjà, à la troisième prise tu ne l’as plus. Je ne sais pas quel nom ça peut avoir... C’est comme de l’eau entre les mains, quoi. Je fais donc tout pour capter directement cet état de grâce de la première prise. J’espère que c’est encore mieux passé dans Lilith que dans Le Moujik...