inter-vious et murat

Publié le 21 Mars 2023

30e inter-ViOUS et Murat-, et pour une occasion spéciale, le WEEK-END MURAT, yes sir!  En effet, JACK DAUMAIL (et le groupe ARCWEST) rejoint la liste des participants au tribute le samedi 24 juin au cours duquel on retrouvera plus de 30 chansons de Jean-Louis Murat! Et ce n'est pas fini : un nouveau nom sera dévoilé très vite! Mais pour cette heure, faisons connaissance avec JACK. Avec  Elvinh  (Vincent Rostan) et Stéphane Mikaelian, c'est un autre "historique" du rock à Clermont que l'on retrouvera. Comme eux, il  a eu droit à son interview dans le livre de P. Foulhoux  50 ans de rock à Clermont, méritée avec plus de 40 ans de scène  avec des multiples groupes, dont  les fameux "jack et les éventreurs". Inarrêtable quand il s'agit de faire de la musique, il a mené des projets solo mais se glisse aussi comme guitariste pour jouer avec les amis.  On l'a également retrouvé aux côtés de Cocoon (et pas seulement en tant que papa de Mark Daumail).  On revient sur tout ça dans l'interview où l'on découvrira en outre un auditeur attentif de Murat depuis 1981.

 

- Dans un document regroupant plus de 500 groupes de rock clermontois, vous occupez presque une case entière, avec vos groupes successifs, sous le nom "Succursale mozacoise» (Murat, Clara et les jeunes de Plexiglas occupent eux une case Bourboule). Vous n'avez pas de mal à vous dire clermontois (à la différence de Murat ou de certains autres…) ? Comment ça a commencé?

Jack Daumail : En effet je n’ai aucun problème à me dire clermontois, j’ai vécu à Clermont toute mon enfance et j’ai commencé à faire de la musique très tôt, j’avais déjà une guitare entre les mains à l’âge de 12/13 ans, et j’ai fait mes premières compos à cette époque (même si c’était loin d’être concluant…).

À l’âge de 14/15 ans, avec mon meilleur ami  Nicolas Stoufflet [natif de Chamalières] aujourd’hui présentateur du « Jeu de Mille Euros » sur France Inter) nous avions créé une radio indépendante où nous affirmions nos goûts musicaux. Notre émetteur n’était pas d’une grande puissance, mais ce fut une expérience intéressante.

Lorsque j’avais 16/17 ans, (fin des années 70) je suis allé enregistrer quelques unes de mes premières compos pour la première fois en studio, au studio Magic Productions à Riom (là où enregistrait également JLM) avec Patrick Vacheron, mon père m’avait fait ce cadeau.

En 77, à mon retour d’un séjour en Angleterre (où j’avais croisé de nombreux punks dans la rue notamment à Londres) j’ai participé à une émission sur France Inter,  invité par José Artur, avec notamment Bernard Lenoir (dont j’étais un fidèle auditeur) et Marcel Dadi, le fameux guitariste de picking, (à l’opposé des punks londoniens…) .

Ils m’ont demandé de jouer une ou deux de mes compos, j’étais loin d’avoir son niveau évidemment, mais c’est un joli souvenir.

Par la suite j’ai pu venir assister (à la Maison de la Radio à Paris) plusieurs fois à l’émission « Feed Back » de Bernard Lenoir.

Un premier duo, devenu trio, puis différentes formations, notamment Jack et les Éventreurs (répertoire moitié compos/ moitié reprises). Nous jouions souvent au Pocoloco à Clermont, et c’est à cette époque que j’ai rencontré Jean-Louis, car il venait parfois faire des « bœufs » sur des reprises des Kinks, des Clash ou autres Stones…

Nous nous sommes croisés d’autres fois, notamment pour le concert pour la Pologne à la Maison du Peuple, ou pour des premières parties. Il faut dire que Denis Clavaizolle est un ami de longue date, pratiquement un ami d’enfance, ce qui me liait un peu plus à la carrière de JLM.

J’ai également joué dans d’autres formations clermontoises, avec les Pale Riders (Rivets Sauvage), les Coyotes, des membres de Folamour …

 

Comment se retrouve-t-on chez José Artur à la sortie de l’adolescence ? Les bandes de Riom avaient circulé ?

 

Jack Daumail : L’émission de José Artur s’appelait « Avec ou sans sucre »,  elle était diffusée à l’heure du café, ouverte à qui postulait en écrivant une lettre de motivation, ce que j’ai fait sans trop y croire, et j’ai été le premier étonné d’y être invité. 

Je me suis retrouvé à déjeuner au côté de José Artur et Bernard Lenoir, très sympa, nous avons évidemment parlé musique, il m’a parlé entre autres d’un jeune groupe qui venait de sortir son premier album : Dire Straits avec notamment « Water of love » et « Sultans of swing »… Puis Marcel Dadi est arrivé avec sa guitare ( J’ai quelques photos de ces moments).

Les enregistrements de Riom n’ont jamais circulé, mais j’ai toujours gardé les bandes, il faudrait que je trouve un magnétophone capable de les lire… ou sans doute est-ce mieux de les oublier dans un tiroir…? 

 

-Je voulais aborder votre premier vrai concert à Riom, avec Chaos, dont faisait partie Christophe Pie, et Tachycardie... de M. Papelard ?

Jack Daumail : Ce concert a eu lieu en juin 82 me semble-t-il.

Je découvrais alors la scène locale, Tachycardie avait  déjà une certaine réputation et Chaos était impressionnant en effet, très influencé par les Clash ou les Sex Pistols à mon avis.

De mon côté je jouais dans un trio sans bassiste (sic…), les Mongols, en clin d’œil au « Mongoloïd » de DEVO, j’avais revêtu pour l’occasion le manteau de fourrure de ma mère, et nous nous étions peint le visage. Nous proposions à l’époque nos premières compos…

 

A ce moment-là, que saviez-vous de Murat ?

Jack Daumail : J’avais son premier album, dont on parlait beaucoup dans le milieu musical clermontois, surtout avec la pléiade des musiciens présents sur ce disque. Sinon j’avais entendu parler de Clara, jamais vu, mais j’ai  connu les musiciens plus tard. Il y avait ce disque, Suicidez vous le peuple est mort, avec la pochette de Mondino, qui avait fait  grand bruit également, j’avais réussi à me le procurer.

En fait j’ai commencé à vraiment apprécier Murat avec Cheyenne Autumn.

 

- C’était l’époque Spliff, label, fanzine... Que diriez-vous de cette période-là ?

Jack Daumail : Le label Spliff est né peu après la disparition de « Sirènes » le magasin de disques tenu par Bertrand Casati.  C’était un peu l’équivalent de « Mélodie Massacre » à Rouen, disquaire très actif, de renommée très rock, Lionel Hermanni ayant fait émerger les Dogs. J’ai personnellement bien connu Lionel qui invitait les groupes de Clermont sur Radio France Puy de Dôme. J’ai d’ailleurs tenu une chronique sur la bande dessinée (dont je suis passionné) pendant une douzaine d’années dans l’émission de Lionel.

C’est Gilbert Biat, sympathique et excellent disquaire chez Spliff, qui m’a fait rencontrer Michel « Mick » Moreau, qui nous a rejoint au sein de Jack et les Éventreurs (guitare/chant).

Je collaborais également à quelques fanzines étudiants clermontois à l’époque, La Gazette des Gazelles, entre autres, en tant que dessinateur bd (sous le nom de JED)…

 

- J avais partagé les mots de votre fils sur Gilbert Biat dans  l'article qui était consacré à ce dernier.  : "J'avais 15 euros par semaine, j'achetais le disque du siècle de la semaine" à Spliff. C'était comme le cd des inrocks, c'était un peu la bible ce disque. J'achetais aussi des trucs obscurs... je découvrais tout ça à Spliff".

Malgré ce rock en français bien présent, de votre côté, vous avez toujours choisi l’anglais ?

 

Jack Daumail : J’ai toujours choisi l’anglais pour plusieurs raisons. C’est la langue qui colle le mieux avec notre style de musique je pense, de plus j’écoute essentiellement de la musique anglo-saxonne. Par contre nous envisageons un projet en français avec Arcwest, nous avons commencé à composer quelques titres.

 

 

- Ah, sacré nouvelle après 40 ans d'anglais…    En préparant l'article, je suis retombé sur une mention des bœufs au POCO LOCO sur le blog, j'avais oublié... Pouvez-vous nous en dire plus sur ces soirées ? Et sur le Poco loco cher à votre cœur de rocker? C'était scène ouverte ?

 

Jack Daumail : Le Pocoloco n’était pas une scène ouverte, Philippe Grand avait « ses têtes », il était bougon et grande gueule, mais il faisait tourner son établissement, incontournable à l’époque. Nous y jouions régulièrement, il y avait donc des habitués, c’était deux soirs de suite (vendredi et samedi), les concerts ne commençaient pas avant minuit…

Il y avait du monde et parfois ça bougeait beaucoup, au point que certains copains comme Topper se plaçaient devant nous pour éviter que l’on se prenne des coups de micro dans les dents tellement ça « pogotait »….

C’était souvent les mêmes groupes qui tournaient au Poco, outre les Eventreurs, nos amis de Last Orders, les Pale Riders, Folamour…

Jean-Louis venait parfois, sans prévenir, nous jouions des standards, c’était très festif et j’en garde d’excellents souvenirs. Il a sûrement dû venir chanter avec d’autres groupes, je ne m’en souviens pas… en tous cas je ne l’ai jamais vu se produire sous son nom au Poco.

 

- Vous partagez encore la scène lors d'une soirée pour la Roumanie en 86, dont Matthieu Guillaumond nous  a parlé ( avec une quinzaine de minutes de votre prestation visionnable ci-dessous) . Des souvenirs ? On voit que votre préférence comme Murat va au Rolling Stones.…

 

Jack Daumail : Ce concert réunissait pas mal de groupes très actifs sur la scène clermontoise, des Flying Tractors aux Real Cool Killers… avec JLM en tête d’affiche évidemment. Notre ami Jacques Moiroud en était l’instigateur me semble-t-il. Jeff Caron, l’ex batteur des Real Cool Killers, jouait avec nous à cette époque (guitare / chant), il avait même composé un morceau, très stonien, les Stones nous ont énormément marqués…

                                                                 1992

Nous avons fait une tournée (sous le nom original des « Touristes ») dans le sud de la France (Hyères, Le Lavandou, La Grande Motte…) en proposant beaucoup de reprises de standards et quelques compos. C’était une façon de se faire plaisir tout en passant des vacances au soleil. Mon fils Mark nous avait rejoint quelques jours avec sa mère, nous passions la journée à la plage, et les soirées en concert sur des terrasses de cafés ou sur les scènes de grands campings…

 

- Vous êtes là également pour la soirée franco-kurde en 96, où cette fois Murat, christique en barbe et long pull blanc, participe en son nom...  et avec moins de succès en terme d'affluence...

Jack Daumail : J’ai personnellement peu de souvenirs de cette soirée, moins d’affluence sans doute, pourtant Murat était encore plus connu… Je me rappelle qu’on est allé boire un café Jean-Louis et moi, en attendant une conférence de presse avec les médias régionaux pour ce concert, j’avais alors sorti un album de Paul Westerberg des Replacements Eventually  que je venais de m’offrir et Jean-Louis avait approuvé cet achat… 

 

- Vous évoquez les compositions (membres) des groupes qui changeaient régulièrement. Et quand on voit le nombre de groupes dans lequel Pie, Bonnefont, ou vous-même, ont joué par exemple, je me dis que c'est peut-être remarquable... Est-ce que c’est le signe d’une scène clermontoise unie et bouillonnante, un attachement rock à la notion de groupe ?

Jack Daumail : Il n’y avait pas pléthore de groupes dans la scène clermontoise durant les années 80, du moins en centre-ville et sur le « plateau central » comme on disait, on se connaissait  bien entre musiciens, certains s’évitaient volontiers, il y avait des histoires de jalousie ou de styles qui créaient des « clans », mais également de belles histoires d’amitié (ce qui, pour moi, primait avant tout…). Mais en effet il y avait une sorte de noyau dur en centre-ville, peut-être grâce à Spliff (?). Buck [NDLR: chanteur des real cool Killers] m’avait d’ailleurs « adoubé » à notre retour de Londres en 88, lorsqu’il avait écouté « She interrupted me » que nous avions enregistré dans la capitale britannique…

Je me souviens de toutes premières sessions à la guitare début au des années 80, avec Marc Verne (il s’est rapidement tourné vers le jazz, excellent batteur aujourd’hui !!) car il habitait dans mon quartier.

 

- Je ne veux pas vous fâcher avec certains mais quels sont les musiciens clermontois qui vous ont le plus marqué artistiquement ? Amicalement ? Celui qui n'a pas eu le parcours au niveau de son talent ?

 

Jack Daumail : Les musiciens clermontois qui m’ont le plus marqué artistiquement, m’ont souvent marqué amicalement également. Au début il y a eu Jack et les Eventreurs, avec Philo B Jones (Philippe Moinard); Mick (Michel Moreau); Bruno Chabrol (qui a monté 6 Tone Records), une véritable amitié qui perdure.

Depuis quelques années nous vivons une très belle histoire dans ARCWEST, avec Philippe « El Drummo » Ramirez, Thierry Chanselme, Fred Roz  [Le Tremplin de Beaumont] et Laurent Berthon [qui joue notamment avec Adèle Coyo].

Avec Denis Clavaizolle, mon ami de toujours, nous avons pas mal joué ensemble, et toujours actuellement pour différents projets ponctuels. C’est également Denis qui a permis à Cocoon d’émerger, il a beaucoup aidé et guidé mon fils Mark à ses débuts [avec Sophiane Production].

Joël Rivet, rencontré lors d’une fête de la musique alors qu’il jouait avec les Guêpes, m’a directement invité à monter sur scène alors qu’on ne se connaissait pas, nous avons rapidement joué ensemble avec son frère Christophe, François, Bruno Sauvage, puis Christophe Adam.

                [Joël Rivet dont M. avait gardé l'anonymat dans son article sur le festival de La Bourboule en 78... "Je me rappelle avoir chanté peut être sweet little 16 accompagné par Jean Louis qui en avait fait un arrangement inédit, c'est vague..."]

 

Dominique Auger, « Rocky », excellent chanteur charismatique des Coyotes, avec lesquels j’ai joué également.  [on voit Jack dans l'assistance de ce concert]

Philippe Metenier avec qui j’ai joué pendant une dizaine d’années dans Seven Seas. J’étais très fan de Folamour.                                              [Philippe, frère de Guillaume pour lequel Murat a chanté « la ballade de Mélody Nelson » ].
 

 

Dominique Cartier, de Folamour également, avec qui j’ai commencé un projet pendant les confinements de ces dernières années, projet en suspens actuellement.             [NDLR: Dominique qui joua dans Les salles gosses et CLARA et qui se dispute parfois en Haute-Savoie.. ]

Il y a beaucoup d’autres musiciens qui m’ont marqué, surtout amicalement, c’est assez compliqué de répondre à ces questions.

Pour celui qui n’a pas eu le parcours à la hauteur de son talent, je pense à Philippe Masoch, bassiste, avec qui j’ai joué pendant plusieurs années (nous avons représenté l’Auvergne avec les JACKS, au Printemps de Bourges en 95). Il a joué dans de nombreuses formations, LAST ORDERS entre autres, et côtoyé JLM d’ailleurs . Il est toujours resté dans l’ombre et nous a quittés il y a deux ans.

 

- J'ai un peu cherché mais je n'ai pas trouvé de lien entre Philippe et Jean-Louis...

Jack Daumail :  Philippe Masoch a joué dans « Steve Mc Queen » avec Alain B. et Stéphane M., mais il me semble qu’il avait joué avec Jean-Louis…  En tous les cas,  ce dernier lui avait offert une jolie guitare acoustique cordes nylon, mais je ne me souviens plus en quelles circonstances.
 
 

- Murat a parfois parlé des "jobs à côté" (en opposition avec ceux qui se consacraient entièrement à la musique), mais j'ai l’impression que cette distinction n'a jamais vraiment eu une grande importance dans le microcosme clermontois ? (on parlait avec Yann Pons des nombreux profs) Qu'en pensez-vous?

Jack Daumail :  Cette distinction entre « amateurs » et « professionnels » de la musique n’a jamais eu grande importance à Clermont  je pense. J’ai davantage senti un clivage entre les musiciens de jazz et les rockeurs. Mais également une sorte de chauvinisme entre les Clermontois et les gens de l’Allier, du Cantal, ou même de Riom… Cela s’est plutôt estompé avec le temps je pense.

 

- Vous avez évoqué le printemps de Bourges, l'enregistrement à Londres, ce sont des moments où vous avez pensé signé sur un label / avec un tourneur ?

Jack Daumail : Un petit label parisien nous avait contacté, nous faisant miroiter des alouettes… Nous nous étions déplacés à la capitale pour rien, car au final nous devions investir au moins la moitié des frais d’enregistrement et de production, alors que nous n’en avions ni l’envie ni les moyens.

 

- On en arrive à la période Coopé, Kütü folk, Cocoon... Un changement musical que vous avez pu un peu analyser comme lié à l’embourgeoisement de la ville... Mais en tout cas, la coopé vous soutient et vous faites encore des belles premières parties…

Jack Daumail : La naissance de Kütü Folk (2008) peu après l’émergence de Cocoon (2006) a donné un renouveau à la couleur de la ville, longtemps cataloguée (voire auto-proclamée) «Capitale du rock » de manière plus ou moins gratuite selon moi. La Coopé m’a seulement soutenu pour le premier e.p. (solo) d’Arcwest en 2008. J’ai pu faire quelques premières parties (Sarah Lee Guthrie reste un excellent souvenir). Mais les plus belles premières parties de cette période en solo sont celles offertes par mon fils Mark : la toute première au Ninkasi Kao à Lyon, puis La Cigale à Paris ont été des moments forts, puis en invité sur des festivals à Bruxelles (Brussels Summer Festival), Toulouse (Garorock), Paimpol (Chants de Marins) avec parfois des scènes fantastiques devant plus de 20 000 personnes. Ces concerts m’ont mis une belle claque, surtout pour un musicien régional habitué aux petites salles…

 

- Est-ce qu'il est déjà possible de faire un constat sur l'époque actuelle, l'après Veillault ?  Malgré les problèmes au Tremplin, le manque de curiosité, j'ai l’impression qu’il existe toujours une offre importante, des lieux d'accueil, comme le Fotomat qui va nous accueillir ?

 

Jack Daumail : Il m’est difficile de faire un constat sur l’après Veillault, je ne suis pas suffisamment proche de la Coopé pour juger quoi que ce soit. Je ne suis pas certain qu’il existe plus de lieux d’accueil à Clermont qu’il y a quelques années.

Le Fotomat est un lieu incontournable, mais pas aussi adapté que le Tremplin par exemple, qui est une salle spécialement conçue pour les concerts, au niveau du son, de l’accueil et avec une vraie scène… 

 

Duo avec Morgane Imbeaud:

 

- Pour revenir à Cocoon, il faut noter aussi votre participation à l'album de 2007    et le très joli duo avec Morgane (un an après Charles et Léo) en 2008. Je ne crois pas que vous vous soyez tourné vers la production comme Denis, Christophe Adam... Ce n'est pas quelque chose qui vous intéresse ?

Jack Daumail : Participer à cet album a été un plaisir et une fierté évidemment, tout comme le concert à la Coopé. Morgane et Mark ont participé au premier E.P. d’Arcwest, ils sont également venus me rejoindre sur scène (très beau souvenir du concert avant Sarah Lee Guthrie).

Des concerts également avec Cocoon dans la grande salle de la Coopé en tant que guitariste et l’émission Taratata en 2008 avec Denis à la basse et son fils Yann à la batterie, nous avons joué « On my way ».

  [Taratata visionnable ici     -   famille cheveux courts et famille cheveux longs,  manquait le papa Philippe!

 

Je ne me suis jamais vraiment intéressé à la technique en général en matière de musique (mis à part pour la guitare), en revanche j’ai toujours participé à la production de nos enregistrements. Mark me sollicite régulièrement pour savoir ce que je pense de ses nouvelles compositions et mes idées de production. Mais je ne suis absolument pas technicien et suis incapable de me servir des logiciels de musique.

Avec ARCWEST nous venons d’enregistrer 4 nouveaux titres avec Éric Toury (qui a enregistré les derniers albums de JLM). Le mixage est presque terminé.

 

- Est-ce que vous pouvez nous parler un peu plus de Denis?

Jack Daumail : Nous faisions partie du même groupe d’amis avec Denis, j’ai le souvenir de grosses fêtes dans les années 80, nous faisions parfois de la musique ensemble, même si nous n’étions pas dans la même catégorie, j’ai toujours été amateur. Denis est venu jouer avec nous,  nous avons fait quelques concerts et enregistré un album. Et puis plusieurs fois j’ai enregistré quelques  titres intimistes en solo (qui ne sont jamais sortis… un jour peut-être ?).

Musicalement nous avons vécu de belles choses avec Denis, l’Olympia pour Cocoon et les grosses scènes étaient un aboutissement, c’était incroyable de voir cette évolution assez fulgurante.

Denis n’est pas seulement un ami, c’est un excellent musicien évidemment et un grand professionnel.

On a évoqué les musiciens restés injustement dans l’ombre, je pense que Denis en fait partie. Il a été le compagnon de route idéal pour Jean-Louis, tant par son adaptation que par son talent d’arrangeur et de producteur. Il faut je pense lui rendre cet hommage.

 

- C'était avec quel groupe que vous avez joué avec Denis?

Jack Daumail : Denis a joué dans les « Jacks », avec Philippe Masoch et Bruno Chabrol.
Nous avons enregistré l’album Smiles  dans le studio de Cournon, Denis en tant qu’ingé son et musicien (claviers, guitares…).  À cette époque le dessinateur de bandes dessinées  Jean-Pierre Gibrat, que j’apprécie beaucoup, également guitariste, était venu dîner à la maison et nous avions joué toute la soirée… J’en avais profité pour lui demander d’illustrer la pochette de cet album.
 
Récemment nous avons joué et enregistré quelques titres pour le projet d’un ami commun, mais cela reste privé pour l’instant.
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

- Dernier petit clin d'œil : Murat qui s'est essayé à la peinture chante parfois le paysage... Votre ancrage, à vous, passe par les aquarelles de votre Bretagne maternelle et l’Auvergne ?

Jack Daumail : Je suis très attaché à la Bretagne, mais également à l’Auvergne du côté paternel. Peindre ces deux régions est un plaisir, mais j’envisage également de consacrer une expo au sud-est, dans le Var, où j’ai des attaches.

L’aquarelle est une passion depuis pas mal d’années, c’est une technique beaucoup plus complexe que l’on pourrait imaginer et je suis encore loin d’en maîtriser toutes les possibilités. Certains peintres me portent et me poussent à expérimenter de nouvelles façons de faire.

Je ne savais pas que JLM s’était essayé à la peinture, Denis également.

 

- Vous avez écouté Murat dès ces débuts... Est-ce que pour autant vous avez continué à écouter ses productions annuelles ?

Jack Daumail : J’écoute toujours Murat, son dernier album est très réussi, j’aime moins le précédent.  Il fait partie des rares auteurs français  à avoir une écriture érudite, variée et originale.  Ses compositions montrent des influences éclectiques allant du folk à la soul (on pense parfois à Dylan, Cohen jusqu’à Otis Redding par exemple) en passant par le rock et la pop. Plutôt intemporelles, les anciens albums se réécoutent sans problème.

 

- J'ai des questions rituelles :  est-ce que vous avez un album préféré de Murat ?  3 chansons préférées ? Et mises à part les scènes partagées, est-ce que vous avez un souvenir d'un de ses concerts?

Jack Daumail :Je n’ai pas d’album préféré de Murat, j’ai beaucoup aimé Mustango (je suis très fan de Calexico), mais je trouve que Jean-Louis a fait encore mieux par la suite ; j’écoute souvent Grand Lièvre, Le cours ordinaire des choses, Taormina… Je suis très fan du jeu de Stéphane Reynaud, sa caisse claire sonne fabuleusement bien ! 

La voix de Jean-Louis ne change pas, il s’est même amélioré, tout comme dans son écriture.

Trois chansons préférées c’est difficile, JLM est vraiment pluriel dans ses styles musicaux … « Ginette Ramade », « Je voudrais me perdre de vue », « Caillou », « Si je devais manquer de toi » … il y en a tellement…

J’ai vu Jean-Louis en concert de nombreuses fois, rarement déçu, à part une fois au Sémaphore à Cébazat où il était arrogant et provocateur, il donnait une mauvaise image de lui comme ça lui arrive parfois dans les médias. C’est très dommage car je pense que c’est quelqu’un d’hyper sensible et très cultivé.

- Oui, le fameux concert qui lui a valu d’être black-listé par le maire furieux… Matthieu nous avait raconté ça

-  Jack Daumail : Si je peux rajouter un mot, je voudrais dire qu’une de mes plus grande fierté est d’avoir transmis l’amour de la musique à mes trois enfants :

Mark, mon fils aîné, que l’on a déjà évoqué avec Cocoon entre autres.
 
Marie, qui joue de la guitare et du piano, et chante et compose dans Wio (avec Christophe Petit un ami d’enfance…). 
Marie nous a rejoint plusieurs fois sur scène avec Arcwest, et a participé à certains enregistrements.
 
Loïc, qui joue de la batterie et de la guitare. Il compose également et vit depuis quelques années à Nashville (Tennessee). 
J’ai eu la chance de le rejoindre l’année dernière, il m’a fait découvrir sa ville. Dès le soir de mon arrivée nous sommes allés voir un excellent concert dans un bar de Broadway. Il a la chance de voir d’excellents concerts là-bas ( The Black Keys, Spoon, Hermanos Gutiérrez…).

 

Salutations à la 2e génération qui continue l'histoire du rock à Clermont et en France (chez les Clavaizolle, Mikaelian, Rivet, Izoard...et Daumail!)

Un grand Merci Jack, et on se retrouve le samedi 24 juin! 
BILLETTERIE week-end Murat!

Programme complet  (vendredi : le film "mlle personne", et concerts,  samedi : conférence, tribute)

 

- Pour continuer avec l'histoire du rock à Clermont: 
http://www.surjeanlouismurat.com/article-une-histoire-du-rock-a-clermont-le-livre-et-le-concert-121327492.html

Page de ARCWEST    bandcamp avec 3 albums

Page des RIVETS SAUVAGES

Jack a aussi joué(après les éventreurs, et Jacks) dans Cheese  (Chroniques par Pierre Andrieu)

 

Et on termine en musique:

Session complète au feu "Satellit'café" de Roanne, où j'étais allé voir le Voyage de Noz:

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Rédigé par Pierrot

Publié dans #2021 Aura aime Murat, #inter-ViOUS et MURAT

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Publié le 8 Mars 2023

       

                Le Flegmatic sera notre invité inter…régional lors du WEEK-END MURAT, YES SIR! du 23 et 24 juin au FOTOMAT à Clermont-Ferrand.  Le chanteur originaire d’Albi  a accepté de faire le déplacement de  sa vallée d’Aspe dans lequel il est désormais installé… pour témoigner de son affection pour l’oeuvre de Jean-Louis Murat. Et on est très fier d’avoir avec nous “ L’une des plus fines plumes françaises actuelles. » (Pop, Cultures & Cie) à la musique à “l’impact mélodique et harmonique jamais démenti." (Rock & Folk).  C’est donc naturellement que nous lui avons proposé, en plus de sa participation au TRIBUTE samedi, d’interpréter quelques chansons personnelles le vendredi, dans une très belle soirée CHANSONS, en co-plateau avec ALAIN KLINGLER (qui lui nous fera découvrir des chansons de son 6e album à paraître…. dont une chanson dédiée à Murat “larbin de personne”).   [avant cela, nous aurons visionné le film “mlle Personne” et écouté Soleil Brun avec un peu de Murat]

            On attendait de pouvoir vous annoncer tout ça pour publier un article prêt depuis quelques mois… C’est “l’affaire Murat”...

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              Fin octobre 2022, par messages, Thomas me débriefait une interview sur France Inter,  un peu navré. Ce qu’il me racontait méritait un article et je lui ai alors proposé de coucher tout cela sur le papier… et il a immédiatement accepté. Il faut soigner le mal par le mal? 

             Après l’interview de La Fille de la côte qui était elle aussi une immersion dans les affres de la création (ou au cœur de la sensibilité d'un artiste), je suis à nouveau très fier (vraiment!) de vous partager ce texte qui nous interroge  sur les influences, les étiquettes telles le sparadrap du capitaine Haddock  et les blessures d’un artiste dont on ne reconnaît pas  la singularité. 

               En tout cas, nous on aime beaucoup son 3e disque et on n’est pas les seuls, comme vous l’avez vu (notons aussi que Benoit Crevits -Magic- l’a  classé dans son “top dix 2022”).  Alors, on a eu envie de vous proposer beaucoup de  lecture (avec à la suite, une chronique du disque le jour la nuit le jour, et une archive inédite...) mais pour commencer la parole à Thomas Boudineau, dit Le Flegmatic.

 

« L’Affaire Murat »

  

« Un possible héritier de Murat », a écrit Rémi Boiteux à mon sujet dans Les Inrocks. C’était en 2019, pour mon album Ruines Nouvelles, et c’est une référence qui revient souvent à mon sujet, ou plutôt au sujet du « Flegmatic », mon double de fiction dans la chanson. Une influence que je ne renie pas, et une filiation qui n’est pas pour me déplaire, même si, sans fausse modestie, il est difficile, voire périlleux, d’essayer de se glisser dans le sillage tant du chanteur, de l’auteur, que du performeur dans les talk-show.

Je n’ai curieusement jamais cherché à entrer en contact avec Jean-Louis Murat. Sans doute parce que j’ai cauchemardé, une nuit, qu’il me jetait hors de sa loge en me traitant de petite merde… Et aussi parce que je suis quelqu’un de timide et de réservé. Je ne me vois pas toquer à sa porte, mon album sous le bras, bonjour, on dit que je serais votre possible héritier… Ça fait un peu antiquaire qui viendrait renifler l’état des vivants tout en évaluant les meubles.

Comme Murat, j’adore Dylan et Leonard Cohen. Je l’ai d’ailleurs découvert avec “Avalanche”, sa fantastique et libre adaptation de Cohen pour une compil des Inrockuptibles, grande époque. Et comme lui, je chante le français doucement, car je sens, c’est physique, que c’est une langue qui se murmure, alors que je chante l'anglais à pleine voix.

Cet album précédent, Ruines Nouvelles, était clairement sous influence Dylan, et c’était assez naturellement que la silhouette de Murat traînait au studio de Luis Mazzoni*. Luis avait d’ailleurs travaillé avec lui à Clermont au milieu des années 90 (pour les fans, il est crédité sur un CD, mais je ne  me souviens plus duquel). Mon titre “À Découvert”, une chanson hantée par la crainte d’une guerre civile que France Inter a diffusée durant presque trois mois, est de loin la plus muratienne de mes chansons, dans le groove, le blues, le velouté, et une certaine gravité, même s’il y a aussi du Chris Isaak — ma voix n’ayant malheureusement ni le velours, ni les élans d’ange maudit de l’un comme de l’autre.

Mais quand j’ai envoyé Le jour la nuit le jour, mon nouvel album, à France Inter, la première réaction du programmateur fut de dire « Murat, sors de ce corps flegmatique ! » Ça m’a fait rire avant que je ne comprenne qu’il y avait quelque chose de définitif dans cette réponse. C’était un genre de non. Une porte fermée. Ce fut le début d’une assez longue série de portes closes pour ce disque, avec, pour raison, une trop grande proximité avec Murat, sans qu’on ne m’explique si ce qui dérange est une ombre tutélaire jugée trop envahissante, ou la suspicion d’un nouveau polémiste romantique — quand ça ne laisse pas carrément planer le soupçon du plagiat. 

L’ombre de Murat n’était pourtant pas avec nous, cette fois-ci, au studio. Je n’ai d’ailleurs pas retravaillé avec le même producteur. Bien sûr, je pensais à Cohen. J’ai commencé à écrire ces nouvelles chansons après avoir redécouvert l’album Ten New Songs. C’est cet album qui m’a montré le chemin. Le déclic de la création d’un album peut venir de n’importe où : une musique sortie par la fenêtre d’une voiture, un disque écouté chez des amis, à un moment où vous êtes, sans le savoir, à l’affût du rebond, d’un signe, du signal qui donnera la direction.

À bord du train qui me menait à Paris pour une interview dans l’émission Côté Club, je reçois un mail de la nouvelle chroniqueuse chanson de Télérama transféré par mon attaché de presse : « Trop Murat, désolée, je ne peux pas ». Je commence à serrer les dents. Valérie Lehoux, l’ancienne chroniqueuse du magazine, avait jusque-là parfaitement aimé et compris mes albums, sans doute mieux que moi-même. « Poète apocalyptique de la France d’aujourd’hui », avait-elle écrit. Mon attaché de presse me dit qu’il faut que je trouve un truc, une parade dès que le sujet Murat déboule sur la table.

 

 

 

 

 

Dans les studios, l’émission est à peine commencée que Laurent Goumarre me lance : « Jean-Louis Murat, on vous le fait souvent ? » Plutôt, oui… Je m’en suis sorti in extremis en imitant JLM : « Non mais c’est quoi cette question de merde ?… » Je suis assez bon imitateur. Ça a fait rire tout le monde, et m’a sans doute un peu sauvé. Mais cette histoire de ressemblance, d’inspiration, d’association est revenue à plusieurs reprises à l’antenne comme hors-micro. Il semble que ce soit ma chanson « À l’Ananas Café » qui crée la confusion : dans le phrasé, la ritournelle, et sans doute une forme de nonchalance. On a fini par conclure, avec Christophe Conte, autre invité, qu’il était finalement assez naturel de dire qu’untel nous en rappelle un autre. Belin semble avoir avalé Bashung — et ça ne dérange personne —, qui lui-même s’inspirait d’Alan Vega et de David Bowie. Bach trépignait avant l’arrivée de la diligence qui transportait les partitions de Vivaldi. Murat et Belin s’inspirent fortement de Dylan, jusque dans leurs costumes de scène… Dylan qui piquait tout à tout le monde, et ce dès le début en jouant une copie conforme de Woody Guthrie…

Au sujet de Murat, j'aurais aimé dire que la tournée qui a donné Innamorato m’a offert l'un des meilleurs concerts que j'ai vu, qu'il écrivait toujours des chansons immenses, que sa voix était plus belle encore aujourd’hui, qu’il était parmi les derniers musiciens à ne pas faire de la musique un spectacle… Mais je me suis retenu, de peur d’aggraver mon cas, de nourrir ce soupçon d’artiste sous influence, et de toute façon, dans ces émissions, tout va toujours trop vite.

J’ai pu voir Murat au moins quatre fois en concert ces vingt dernières années. Période Moujik, et puis ce dernier concert au Bolegason de Castres, après la sortie de Il Francese. Sur scène, tranquille, dans une salle à demi-pleine, il n’hésite pas à arrêter un morceau parce que le tempo ne lui convient pas ce soir. La musique semble s’inventer, se dérouler devant nous, et nous soulève. Il donne des versions différentes des chansons que j’ai pu voir en vidéo au cours de la tournée sur le facebook de ce blog. Je pense à Dylan, évidemment, capable de se retourner vers son band juste avant d’attaquer une chanson : « Ce soir on va la prendre en si bémol et en boogie !… » Bon courage, les gars. C’est de la musique live. C’est un concert. Ce n’est pas un spectacle vitrifié. Une approche assez jazz du live.

À la sortie du concert, je croise quelques copains, venus par curiosité : « Je ne m’attendais pas à ça », « Je pensais que j’allais me faire chier », etc…

 

Il reste que « L’Affaire Murat », comme je l’appelle aujourd’hui en rigolant, aura bien plombé ma sortie de disque, et m’aura surtout laissé avec cette incompréhension, ce truc que je ne m’explique toujours pas. Ça me donne un peu l’impression d’avoir été recalé au bac. J’aurais rarement entendu : « Ça me rappelle Murat, c’est cool ! ».

Il m’arrive de réécouter l’album dans ma voiture et de me demander, mais où trouvent-ils une si grande filiation ?… Et quand bien même : where is the God Damn problem ?

J’aime le blues, j’aime la folk américaine, j’aime l’ironie, j’aime les dandy qui ont l’élégance de se faire détester. Mes disques de chevet sont des albums de Neil Young, de Cohen, de Randy Newman… Je suppose que tout cela nous rapproche.

Moi qui rêvais d’ouvrir ma gueule dans les talk-show, je n’aurais sans doute jamais l’occasion de dire ce que je pense de certains sujets de sociétés, et c’est sans doute tant mieux : je me méfie de ce que je pense.

Il ne manquerait plus que Murat m’appelle pour me traiter d’usurpateur… Mais je rêve secrètement, et éveillé, de lui raconter tout ça autour d’une bonne bouteille de côtes roannaises, et j’en connais d’excellentes.

                                                                                                               Thomas

 PS: Pierrot me demande mes 3 chansons préférées alors:

“Les voyageurs perdus”, dans une version live filmée par un membre d’un groupe Facebook, très lente, divine. “Over & Over”, pour le groove tranquille et incandescent, l’élégance sensuelle des arrangements. Et “Je me souviens”, parce que c’est l’une des plus belles.

 

*NDLR: Sur Luis Mazzoni, je n’ai pas trouvé le crédit. Dans sa bio, il indique  avoir  travaillé en 1992 au studio des Amandiers (ensuite appelé MBS). Il s’agit du studio de P. Vacheron, qui indique chez Didier qu’il était fermé en 1990.  Luis a pu participer à Vénus ou à divers projets que Murat avait à l’époque (Moor, Dassin, Jeanne Moreau…).

 

LIEN POUR ECOUTER "COTE CLUB" sur France inter (à 5 minutes,  20'30), avec Christophe Conte qui sort : ""Le Flegmatic me fait penser à Murat, mais à l'époque où Murat savait encore écrire des chansons"

Sur RADIO CAMPUS (La souterraine): live à 41'30, et 1'09'46  propos sur Murat et qq vers chantés de Murat

Site personnel   et     facebook.com/theflegmatic

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J’espère que comme nous vous avez été touché par ce texte… et que vous êtes offusqués de ce “trop Murat!” d’Odile de Pias…  Pour y répondre, on serait tenté  de faire une longue liste d'artistes à guitare interchangeables… sans parler des chanteuses dont j'ai du mal à discerner les particularités. Le plus important est de savoir s'ils font des bonnes chansons et Le Flegmatic en a réussi beaucoup dans son dernier disque. Je vous propose une chronique signée Florence qui a écouté l’album sans idées préconçues… et plusieurs fois (pour moi, les albums folks et doux nécessitent plusieurs écoutes afin de rentrer dans les ambiances, les mélodies. Une journaliste chroniqueuse prend-elle ce temps?).

 

CHRONIQUE "le Jour la nuit le jour"(label We are unique/Ugarit 2022)                     

 

                         Pas d’idée préconçue ? Peut-être tout de même celle née du nom Le Flegmatic, dont je me demandais s’il était vraiment programmatique… Mais il apparaît très vite  que l’album déborde ce cadre : une belle intensité couve derrière la douceur et la mélancolie, et on découvre aussi des morceaux plus dynamiques, comme « Le yin et le yang » ou « Qu’attends-tu de moi ». Tout cela invite à y revenir, encore et encore, et pas uniquement par conscience professionnelle…

                   Flegmatique, Thomas Boudineau l’est face à un monde sur lequel il pose un regard désabusé, parfois ironique. Par de brèves notations, ou la chute brutale de “Le Yin et le Yang”, il épingle les travers de notre époque et le mal de vivre contemporain. Pourtant ce tableau de la France d’aujourd’hui est dans cet album relégué au second plan. L’album présente d’abord le portrait d’un amoureux moins flegmatique que malmené et désorienté, qui dit avoir perdu jusqu’au goût du péché. Beaucoup de chansons sont adressées à un tu, indifférent, disparu, ou devenu étranger : celle qui s’est laissé adorer parce qu’elle s’ennuyait, de qui il a tant appris, à ses dépens, dont il ne sait plus qui elle est … 

                    Face à ce réel, le personnage se cogne, tombe, se perd. L’album est parcouru de chemins qui changent sans cesse et ne mènent nulle part, de murs auxquels il se heurte. 3 titres sur 9 sont des questions, dont deux adressées à la femme aimée. Et de la perte de repère à la perte tout court, tout se dissout dans le rêve, les ombres, une atmosphère parfois fantomatique. Il est question de vivants qui s’effacent, de vaisseau fantôme, et même Maria la jolie serveuse de “L’ananas café”, désormais fermé, semble n’avoir jamais existé…

                   Car elle est là, la grande réussite de cet album et de cette écriture : peindre une atmosphère, la donner à voir, à sentir, par touches délicates, faire exister dans chaque chanson un monde - petit ou très vaste -, hors du nôtre ou à côté, oublié, disparu, rêvé ou inventé... « Les Travers » (une de mes préférées) rappelle même ces auteurs américains que Thomas Boudineau affectionne : un feu de camp, un loup qui rôde, et le personnage « les pieds dans la rivière, le cul sur une souche, à regarder le cosmos sortir par (sa) bouche. » L’attention constante à la couleur, à la texture du ciel, à la qualité de la lumière rend infiniment sensibles ces univers esquissés, paysages extérieurs tant qu’intérieurs - le cœur dans “Qu’attends-tu de moi” est un “ciel à la Turner”…

                Alors, quid de l’affaire Murat ? Il y a en effet parfois dans le ton, la diction, la langueur, une influence évidente – “L’ananas café” est même assez remarquable à cet égard dans son phrasé suave et un peu nonchalant. Thomas Boudineau - il le dit très bien dans son texte - est lui aussi un

“murmurant”, et Murat ne renierait sans doute pas le credo de “Le Yin et le Yang” : “Ivre de rêve et de murmure, vivre de fiction”. Il y a aussi dans l’écriture un goût du choc fécond entre le quotidien et le poétique : “le ciel est insaisissable, j’ai une mine épouvantable” chante-t-il dans “Qu’attends-tu de moi” ou encore “le ciel s’est déchiré au-dessus de moi /toujours cette voiture devant chez toi” dans “Le jour la nuit le jour”. Cet auto proclamé flegmatique dit également très bien l’exaltation amoureuse, la tentation de l’absolu. Le “pour une fille” qui donne son titre à une chanson devient dans le refrain “pour la beauté”, cette beauté qui l’a conduit à tout laisser, à quitter le monde des hommes… cette beauté que Murat a fréquentée le temps d’une saison dans Babel. Comme son aîné encore, il jongle entre les images très visuelles et concrètes et les maximes générales, les constats souvent désabusés : “Tout n’est que poussière, tout n’est que vanité”, “les hommes mènent une vie distraite”… Il aggrave enfin son cas quand il dit à Laurent Goumarre dans Côté Club que les deux morceaux qu’il a choisi de diffuser ont été écrits très rapidement ! Mais pourquoi lui reprocher ce qui fait aussi le charme et la réussite de cet album - et la marque de son talent d’auteur et de mélodiste ? Et, à sans cesse le ramener à cette influence, laisser croire qu’il ne pourrait être qu’un suiveur énamouré ou un imitateur maladroit ? L’album, très harmonieux et cohérent dans ses motifs, son imaginaire, son ton, révèle un tempérament, une sensibilité - dans une écriture plus resserrée, plus limpide que celle de Murat. Les mélodies trottent durablement dans la tête, les formulations frappent régulièrement par leur justesse, les images donnent à voir un univers qui lui est propre. Il y a bien ici une voix, qui ne perd pas de sa singularité de s’être nourrie des autres - l’admiration est ici généreuse et créatrice !



Merci Florence! 

 

 

L'ARCHIVE EN PLUS INEDITE

Je connais Le Flegmatic depuis 2015, après son repérage par la Souterraine (comme Tristan Savoie, Gontard…). Après son 2e album, on avait commencé une interview.. et jamais terminé. Ça arrive... Peut-être que Thomas avait peut-être déjà senti le piège d'être rattaché au bonhomme d'Orcival? Je connais cet écueil des "Inter-ViOUS ET MURAT"... avec cette référence "Murat" un peu lourde, mais j'espère que l'effet n'a jamais été de réduire les artistes dans ces comparaisons. Voici ce que Thomas avait commencé à me dire en mai et juin 2017 ...

 

-  Quel est votre parcours musical? (apprentissage, découverte, premiers groupes...)

Le Flegmatic: J ’ai  toujours écrit, ou pensé à écrire, et bidouillé des choses. Pris des notes à la volée, dans des carnets ou des dictaphones. J’ai toujours voulu chanter dans une aventure qui soit la mienne, mais je suis un tardif… 

Mes premières incarnations de musiciens, c’est au trombone. Mon premier instrument. L’année du bac, j’accompagnais des bluesmen toulousains, dont Jeff Zima. Je me sentais parfaitement à ma place avec ce bonhomme de la Nouvelle-Orléans. J’ai essayé de m’approcher du jazz, mais je suis trop désinvolte. J’aime le blues. J’ai tenté une école de jazz à Toulouse, mais je me suis vite rendu compte que mes préoccupations n’étaient pas du tout les mêmes que celles de mes camarades. J’étais entouré de vrais musiciens, obsédés par le timbre de leurs instruments, et la virtuosité. Je me sentais misérable à leurs côtés, à la traîne.Sans parler des cours d’administration pour t'apprendre à monter un dossier d’intermittent... A ce moment Murat causait pas mal à la radio. J’ai compris que mes questions étaient plutôt du côté de ceux qui écrivent et chantent leurs textes que du côté de la virtuosité instrumentale.

 

J’ai chanté mes premières chansons en français en 2001. J’ai gagné quelques tremplins, mais j’ai trouvé le milieu de la chanson étriqué et convenu. J’ai tenté d'enregistrer quelques bidouilles mais je trouvais ça très mauvais. A cette époque j’écoutais des américains : Songs Ohia, Calexico, Low, mais aussi Marc Ribot, Tom Waits, Jonathan Richman. Une certaine culture du son des grands espaces et de la matière noire pour les uns, du jeu avec les genres et de la parodie, pour les autres… Ajoutez à cela Katerine et Jean-Louis Murat sur chaque épaule... J’ai assez vite compris que je n’étais pas mûr pour assumer mon propre chemin. J’ai rangé ma guitare et repris mon trombone suite à une rencontre extraordinaire : Angil & The Hiddentracks. Les chansons (en anglais) étaient parfaites, la musique très libre, affranchie… Je me suis fondu dans cette aventure et dans la musique de quelqu’un d’autre sans aucune forme de renoncement, avec sérénité. Accompagner quelqu’un est une expérience vraiment délicieuse, presque métaphysique. On s’oublie. On se fond. On peut atteindre une forme de grâce.

Ce n’est qu’en 2012 que je me suis remis à écrire. J’ai trouvé ma voix, au sens propre : le timbre, la diction, les tonalités dans lesquelles j’étais à l’aise et le style d’écriture, ce que j’avais envie de me raconter, et de raconter aux gens… C’est là, à 32 ans, que commence l’aventure « Le Flegmatic ».

  

2)  Est-ce que votre formation de Tromboniste  a une influence sur vos compositions? Et de la même façon, votre intérêt pour le jazz et le blues, est-ce qu'il en reste quelque chose? 

 

Le Flegmatic: Je n’en suis pas sûr. La seule apparition du trombone dans mes deux disques c’est un solo sur la chanson Peter Falk. J’ai tout de même fait une poignée de concerts où je samplais la guitare ou le piano pour faire un solo de trombone, mais j’ai vite trouvé ça artificiel. Je ne suis pas très fan des loop. Je trouve que ça met de la distance avec le public. Du coup, je fais comme « l’autre » : harmonica autour du cou, et en piste !

J’ai replongé en profondeur dans le blues récemment, en plongeant, justement, dans Dylan. Il t’y ramène en permanence. Du coup je pique une phrase de temps en temps à Robert Johnson… Mais au-delà du genre même je crois que Le Flegmatic c’est une forme de blues. C’est du spleen francophone. C’est du blues, mais sous une autre forme… Avec Benjamin Caschera, de La Souterraine, on parle de bleu, du coup. Je compose en ce moment des chansons très bleues sur des patelins que l’on va appeler les « Bleus de France ». C’est un jeu qu’on a mis en place avec la campagne de souscriptions Microcultures pour Bouleversement Majeur : les participants pouvaient me commander une chanson sur une ville ou un village… 

3) Peut-être un point de rapprochement avec Murat alors... cette idée de chanter les villages français?  (j'en profite pour saluer Travis Burki qui faisait lui aussi des chansons à la demande)

 

Le Flegmatic: J’aime chanter le paysage, la route. Les cartes topographiques m’inspirent, les rivières, le parcours des rivières… un village ou une ville. J’ai très vite adoré ça, chez Murat, cet attachement au paysage. Et curieusement la chanson et ce qu’elle porte en deviennent universels, ça parle à tout le monde. 

 

4) Un des rapprochements avec Murat que je voyais, c'était la bossa nova. Tu as dit en interview que tu avais trouvé ton style aussi en jouant ce style [sur des reprises de Radiohead)? La bossa est-elle aussi du "bleu"?

 

Le Flegmatic:  La bossa, le saudade… J’en ai une approche assez nonchalante. J’en écoute très peu, je connais mal. Mais j’aime l’esprit et les couleurs qui s’en dégagent. Ce rythme, la façon de jouer les accords à la guitare classique laissent beaucoup de place à la mélodie, au chant, au son de la voix. On peut alors raconter une histoire, poser une atmosphère avec très peu, et jouer avec. Quand les gens se retrouvent dans une ambiance familière, quand la chaleur est installée, alors on peut commencer à glisser, à surprendre et se surprendre, se laisser dériver… La bossa c’est du blues, du bleu, et j’aime bien y raconter des choses d’un quotidien cru, des choses pas jolies sur des mélodies délicieuses..

 

5) Autre point commun : le nom d'artiste... Pour le coup, le tien colle  assez bien à ton univers... Comment tu te sens dans cette peau? Est-ce qu'elle ne pourrait pas être un peu réductrice? (Je me demande si on peut écouter ta musique avec une idée préconçue du coup)...  Et par extension, est-ce que tu pourrais être énervé musicalement?

 

Le Flegmatic: C’est vrai que j’ai parfois peur que cette identité, cette « incarnation » me bride… Ça fait 20 ans que je cherche mon double… D’ailleurs sur FIP comme sur la plupart des articles qui ont été écrit sur l’album, on parle de « Thomas Boudineau ». Je crois que c’est un peu foutu, du coup… 

Quant à m’énerver musicalement... J’ai déjà essayé de chanter comme Neil Young ou Robert Plant : c’était épouvantable… Je n’exclue pas de monter un jour un band de blues histoire de me dérouter et d'apprendre… Mais j’ai grandi avec Chet Baker et Louis Chédid...

Ceci-dit l’album que nous préparons est plus resserré, plus tendu, presque crépusculaire. Ça risque de trancher, un peu. Je me suis posé la question de le sortir sous mon nom, mais je n’en ai pas encore fini avec Le Flegmatic.

 

Terminons par du live... avec accompagnement guitare, comme on devrait le retrouver lors du Week-end Murat, Yes sir! au Fotomat- ! (Clermont-ferrand)   Set solo le vendredi 23/06 et covers de Murat lors du tribute samedi 24 (avec Belfour, Elvinh, Stéphane Pétrier, Alain Klingler, Coco Macé, Tristan Savoie, Marjolaine Piémont, Dory4, Eryk e, Sébastien Polloni, Soleil Brun + guest).

BILLETERIE ici    Attention Jauge limitée!

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Rédigé par Pierrot

Publié dans #2021 Aura aime Murat, #inter-ViOUS et MURAT

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Publié le 14 Novembre 2022

Après Bertrand Louis, en cette fin d'année, encore une nouvelle interview! On a passé à La Question Yann Pons, de La Fille de la Côte  (le duo qu'il forme avec sa compagne Cécile).

Désormais expatrié, le natif de Clermont avait annoncé un album «un peu particulier», dont la conception a pris une dizaine d’années, et qui le ramenait en Auvergne… Avec la collaboration habituelle de musiciens du cru (les anciens des The Delano Orchestra dont le regretté Christophe Pie, et des Marshmallow, Olivier Lopez de Garciaphone), et leur participation à Aura aime Murat, c'était donc inévitable que l'on prenne un peu de temps avec Yann.

 

Comment j'ai fui la campagne avec une fille que j'ai trouvée sur la route (ouf!) est sorti le 25/10/2022 un peu en catimini (sortie numérique) alors que le prochain disque (Bikini maximum) est déjà en cours de mixage et annoncé pour 2023, et devrait faire l'objet d'une promo plus large. Qu'est-ce que cela signifie ? Qu'il s'agit d'un album d'outcasts? bootlegs? un side-project? Pas du tout! Hors de question pour cet artiste exigeant de faire ce genre de choses. C’est au contraire un projet maturé, retravaillé sur plusieurs années, avec "la marque" de La Fille de la Côte : «l’unité de lieu» qui peut faire la signature du groupe (après le Brésil, la Normandie, la Riviera, ici Calexico) et le mélange pop/bossa/folk mâtiné ici de western... Mais cette fois, on devine un fond très personnel, c’est presque un message à certains… plus codé que le regard de Pierre Jourde sur son village cantalien certes. Cela n'empêche pas Yann d'être adepte du franc parler sur son parcours et ses rencontres… On y revient assez longuement, en préalable, car je voulais revenir un peu sur son histoire avec Clermont-Ferrand, notamment à ses débuts en tant que Yann Seul (il ne figure pas dans les personnes interrogées dans le livre de  P.Foulhoux sur l'histoire du Rock à Clermont).

Voici donc une rencontre avec un artiste tout-à-fait singulier, et pas seulement car il se refuse à faire des concerts… un «j'ai un job à côté» pour reprendre l’expression de Murat mais avec une vraie vocation, une mission : produire "une «centaine de chansons dont je me satisferai. Je ne vois pas d’ambition plus excitante que celle-ci. C’est un sujet qui me mobilise entièrement et me rend totalement déraisonnable".

 

Bonjour Yann!

- Avant de revenir plus en détail sur votre parcours discographique : quelle est votre formation musicale et qu’est-ce qui vous a amené à devenir auteur-compositeur-interprète?

Y. Pons : J’ai commencé à jouer de la guitare à 19 ans en 93 et j’ai tout de suite acheté un 4 pistes à cassettes pour m’enregistrer. J’avais pris beaucoup de retard en ne faisant pas de musique jusque là parce que je n’y avais pas pensé. Donc j’étais  pressé d’apprendre à écrire des chansons comme on peut apprendre le deltaplane ou le judo.

 

- Étonnant...  Est-ce qu’il y a eu un déclic particulier? Et cela veut dire que vous êtes un pur autodidacte ou vous avez pris quand même des cours? Vous étiez de quel milieu? De Clermont?

Y. Pons : Un copain m’a appris deux ou trois accords en 93 et j’ai appris à jouer de la guitare comme ça, comme la plupart des gens qui en jouent.

J’habitais avec ma mère dans un appartement rue Blatin [NDLR: une artère importante donnant sur  la place de Jaude. Pensée à Marceline de Blatin...] qui a brûlé il y a 4 ou cinq ans, ce qui a provoqué un gros incendie dans tout l’immeuble.  Vous avez peut-être vu ça à l’époque. Pour ma part, j’en suis parti en 1996. Ma mère était secrétaire et bipolaire. Je savais seulement qu’elle était secrétaire. 

Tant que j’étais un enfant, je ne faisais pas la différence entre le deltaplane et la chanson. Il n’était pas question de faire l’un ou l’autre parce que je n’y pensais pas.

 

- Le deltaplane, une activité à risque... vous dites ça à dessein?       Il n’y a donc pas eu un choc artistique ou un événement particulier? (Murat a raconté qu’une nuit, il avait rêvé du groupe Family par exemple, d’autres d’un concert…)

Y. Pons : Pour le deltaplane, je crois que cette comparaison me vient parce que ça ne sert à rien, que c’est dur à maîtriser et ça peut devenir un mode de vie. S’il y a eu un déclic, c’est dans un cinéma à Londres en 97 où j’ai vu Good Will Hunting avec la BO d’Elliott Smith. Et là j’ai eu l’impression de m’entendre, moi. C’est difficile à expliquer. C’est la seule fois de ma vie où j’ai communié sincèrement.

 

- 10 ans après avoir touché une guitare, vous sortez un album. Que pouvez-vous me dire de cette décennie?

Y. Pons : Pendant ces dix ans j’ai écrit une cinquantaine de chansons mais je n’avais aucun bagage technique et j’avais très peu joué avec d’autres gens mis à part un groupe avec lequel on ne jouait que des reprises de Neil Young (on a fait deux concerts oubliables). Donc je gravais des CD de mes chansons avec des pochettes et tout, puis je les donnais à des amis qui ensuite ne m’en parlaient pas par charité chrétienne.

J’ai vécu deux ans en Angleterre à ce moment là et je me rappelle de l’instant précis, dans un bar à Londres, où j’ai décidé de consacrer ma vie à ça et de devenir bon un jour. Et puis aussi de le faire dans ma langue maternelle.

 

- Vous êtes prof d’anglais, vous êtes en Angleterre, Elliott Smith est la révélation, tous les folkeux de Clermont chantent en anglais, et vous, vous décidez de chanter en français... A priori, rien d’évident... sauf pour vous?

Y. Pons : Parce que j’ai vécu en Angleterre, je sais que je suis français et ce que ça implique. Je sais que je ne suis pas de culture américaine même si je m’en gave comme beaucoup de monde. Je pense que nous vivons dans le mensonge à ce sujet. Une partie de nous rêve d’être un peu dans la position du colonisé d’un point de vue culturel. Je crois que c’est un piège. Je crois aussi que la gauche conformiste, autrement dit les jeunes et les vieux immatures, sont les premières victimes de ce phénomène. Il suffit de voir comme les élèves d’aujourd’hui mettent de l’anglais partout quand il parlent français (presque autant que l’inverse).

Ce que je trouve étonnant, c’est d’écrire puis de chanter dans une langue étrangère tout en espérant apporter sa personnalité au corpus monstrueux et inégalable qui existe déjà en langue anglaise. Pour résumer, je sais que je suis en division 2 et je ne joue que le maintien.

 

- Ce qui m’a intéressé dans votre parcours, c’est aussi les gens que vous croisez, et le premier est peut-être Franck Dumas, un des « parrains » de la Scène Clermontoise, avec Denizot d'Arachnée concerts, Murat, Adam... Pouvez-vous nous parler de lui?

Y. Pons : En 2002, j’étais prof d’anglais à Marseille et Franck Dumas m’a appelé. Il avait entendu un de mes CD. Il m’a tout de suite parlé d’Elliott Smith. C’est ce qui m’a convaincu d’enregistrer chez lui. Il m’a poussé à faire des concerts, ce qui peut paraître logique mais je l’ai toujours fait à contre cœur et donc assez mal. J’ai d’abord fait des mauvais concerts avec des musiciens marseillais qui ne collaient pas avec ce que je faisais. Puis je suis revenu vivre à Clermont en 2006 et j’ai fait des mauvais concerts avec des musiciens clermontois qui collaient parfaitement avec mes chansons. Je n’ai jamais eu envie de monter sur scène. Je l’ai fait six ou sept fois dans les deux salles de la coopérative de Mai et je préfère de loin le dentiste.

Mes rapports avec Franck n’étaient pas bons, il me trouvait mauvais sur scène et je le trouvais mauvais en studio. Mais aujourd’hui je sais que j’ai pas fait tout ça pour rien. Ça m’a permis de rencontrer les Marshmallow, les Kissinmass, les mec du Delano Orchestra, Garciaphone… Plein de gens avec lesquels j’allais pouvoir enregistrer par la suite et surtout grâce auxquels je continue à progresser.

 

- Franck Dumas était votre manager officiel? Vous avez fait des premières parties importantes à la Coopé? (J’ai retrouvé une chronique de concert de Pierre Andrieu plutôt bonne, même si votre réputation de ne pas aimer la scène semble connue).

Y. Pons : Franck Dumas était le propriétaire du label Magnolia chez qui j’ai enregistré un album qui est sorti en 2003. On n’a d’ailleurs jamais signé de contrat lui et moi, il ne me l’a jamais proposé. D’ailleurs ce disque on l’a co-produit, j’en ai payé une bonne partie. Bref, j’étais vraiment un bleu. Je n’étais jamais défrayé pour les concerts. Globalement, je crois que la démarche de Frank n’était pas motivée que par des valeurs comme la sincérité et l’honnêteté qui sont pourtant essentielles quand on veut faire de la musique.

Par ailleurs, Frank avait le chic pour extirper toute notion de plaisir lors des enregistrements dans son studio. Diriger des enregistrements demande des qualités humaines qu’il n’avait clairement pas.

 

- Pour la petite histoire peut-être, on retrouve sur ce premier disque Sébastien Marc qui est crédité sur Murat en plein air et le titre « a woman on my mind » ainsi que sur le disque d’Alain Bonnefont aux disques du Crépuscule (ainsi que sur un Da Capo, participant d’AuRA aime Murat d’ailleurs). Ce n’est pas un nom que je connaissais à vrai dire.

Y. Pons : Sébastien Marc était l’ingénieur du son du studio de Franck qui s’appelait Factory (référence assumée à Andy Wahrol, la vision en moins). Sébastien était très sympa et faisait son boulot. Je trouvais qu’il mettait trop d’effets sur toutes les pistes et que ça donnait un son un peu « mouillé » sur les morceaux. Ça nuisait au naturel des enregistrements. Mais ça c’est une question de goût. J’ai simplement eu du mal à imposer les miens à l’époque. Mais ça n’a aucune importance parce que je n’étais pas prêt à faire un bon disque.

Je crois que Sébastien a travaillé avec pas mal de groupes depuis, en concerts, notamment à la Coopé.

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NDLR: Sébastien est le fils de BOUDU, l’icône clermontoise de la nuit, avec sa discothèque d'Orcines: le Phidias... cité par Murat dans Belgrade, et qui a fait également l'objet d'une chanson par Yazoo. Jérôme Pietri citait Boudu dans son interview: il chantait avec lui dans le groupe de bal "culte"de la scène 70 (notamment pour Denis Clavaizolle et Alain Bonnefont)  :  SOS. 

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-  Ce premier album on peut se le procurer d’occasion, mais il n’est pas disponible en streaming. Est-ce que c’est un album que vous « reniez » ? Il était en tout cas distribué (comme l’album de Rogojine) par un beau label indé Pop Lane qui a fait faillite rapidement ensuite... 

Y. Pons : Je crois que Pop Lane savaient qu’ils allaient fermer avant de distribuer les disques de Magnolia (pas tous, mais au moins deux ou trois). Ça nous a permis d’avoir un peu de presse (Inrocks entre autres). Je ne renie pas ce disque mais tout ce que j’ai sorti jusqu’en 2015 relève du brouillon dans mon esprit. Et même une partie de la suite.

Peu de temps après, j’ai appris que Frank vendait son studio et arrêtait le label. J’ai attendu qu’il m’en parle. Il l’a fait plus de six mois plus tard, quand tout était bouclé. Ou plutôt, il ne l’a pas fait et m’a dit qu’il ne bosserait plus avec moi. Que je n’étais pas assez bon sur scène. Tout le monde savait qu’il fermait la boutique mais il n’a pas pu me le dire.

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NDLR : Franck Dumas a un an d'écart avec JL Bergheaud, et ils se sont sans doute croisés au lycée Blaise Pascal, mais  lui se lance immédiatement dans la musique (Bateau Ivre dans les années 70, Tokyo transformé en Blue Matisse signé chez Warner dans les années 80, avec Denis Clavaizolle. Problèmes contractuels, il récupère du label une grosse somme d'argent  après procès. Il peut se lancer dans le management avec un studio (dont Subway, F.Echegut...). Autour des années 2000, il produit "la manivelle" de Yazoo. Carton! Plus tard, il fonde le magazine Zap qu'il vient de vendre tout récemment à Centre France (la Montagne).  Anecdotes muratiennes:  on sait que les Rogojine (Pie et Caillon) s'étaient tournés vers lui pour payer le pressage de leur disque… mais également, quand Murat commence à débaucher Denis en 1984, que Franck et Jean-Louis sont à la limite de se « foutre sur la gueule ».  Denis à droite sur la pochette... Mais reprenons l'interview... 

 

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- En 2003, un blogueur rapporte que vous lui dites : "en Auvergne il y a deux clans : les pros et les anti-Murat, et pour les premiers Murat a un rôle de mécène". Où est-ce que vous vous situez à cette époque?

Y. Pons : Je ne me rappelle pas avoir dit ça. Si je l’ai dit, j’ai fait semblant d’être informé. Je sais que Dumas passait son temps à cracher sur le dos de Murat mais c’est tout ce que je sais d’eux et de leur époque. Il faut dire que Frank passait son temps à cracher sur tous ceux qui avaient un peu de succès.

 

- Dominique A vient encore de rappeler une nouvelle fois le déclic qu’a été pour lui Cheyenne autumn. A la fois sur l’aspect synthétique, mais aussi sur la  « voix murmurée ». Vous pourriez faire partir de cette école-là?

Y. Pons : J’ai commencé à écouter Murat avec Mustango et Le Moujik mais j’ai surtout adoré A Bird on a Poire. Je connaissais un peu Fred Jimenez et ce qu’il faisait sans Murat était beaucoup moins bien à cause de sa voix et des tonalités qu’il choisissait mais c’est un super compositeur. Ce disque est ce qu’on a fait de mieux en France depuis Melody Nelson à mon avis.

 

- Pour en rester sur Murat, sur AuRA aime Murat, vous choisissez pourtant un titre plus obscur même s’il a été choisi comme single : « Marlène » sur Tristan. Vous ne pouviez pas toucher à A Bird on a Poire?

Y. Pons : A Bird on a Poire était beaucoup trop intimidant. J’aime bien « Marlène », surtout la fin, quand les cuivres arrivent. C’est leur mélodie qui m’a donné envie de chanter le refrain un peu différemment, en les imitant un peu. C’est une chanson qu’on pouvait reprendre à notre façon sans trop se creuser la tête. Je trouve qu’au final, il y a trop de basse sur notre version. C’est dommage. Je l’aime bien sinon. Je ne savais pas qu’elle était peu connue . En écoutant par la suite les premiers Murat, je me suis rendu compte que je préférais sa voix de jeune homme. Plus simple, plus humble sûrement aussi. Ça c’est une source d’inspiration.

NDLR: Pour la petite histoire, Yann a demandé que le mastering du disque prenne en compte ce besoin de réduire les basses, mais ça n'a pas été possible. Personnellement, je ne ressens pas cela... Et vous?

- Dès le premier album, on trouve un duo avec une certaine Cécile. Le troisième album est déjà en duo : Yann seul et Juliette Gamay.... avant la transformation en La fille de la côte. Comment s’est nouée cette relation artistique sur laquelle on reviendra... puisque vous chantez « Madame Gamay » sur le nouvel album?

Y. Pons : Cécile et moi, on vit ensemble depuis 1998. On a décidé de former un duo autour de 2012. Auparavant, on avait fait deux ou trois tentatives. Sur les deux premiers albums de La fille de la côte, dont je compte sortir une version modifiée dans deux ans, c’est sa voix qui sauve la plupart des chansons. A cette époque, je cherchais une nouvelle voix et sur certains morceaux, je suis à côté. Mais quand je mourrai, les gens ne pourront écouter que des versions qui me conviennent. Ça me rend presque impatient.

Sur les deuxième et troisième albums de la période « brouillon » il y a de bonnes chansons, mais des chansons de jeune homme. Un jeune homme moins capable que Murat jeune par exemple. Je compte aussi les refaire le moment venu.

Sur le troisième, À l’anglaise, j’étais à côté de la plaque, j’ai voulu tout faire seul sauf les batteries et je me prenais pour Gainsbourg. C’est raté. Mais c’est là que j’ai rencontré Christophe Pie, qu’on pourra écouter sur une quinzaine de nos chanson dans des versions satisfaisantes quand je serai mort.

 

‌- Je pense un peu à Manset avec cette idée de vouloir retoucher sa discographie... Mais de votre côté, il y a semble t-il toute une autre dimension : sur votre site, vous annoncez même vouloir sortir un nombre assez précis de disques. Comment envisagez-vous les choses ?

Y. Pons : Retoucher sa discographie en faisant disparaître des albums des plateformes de streaming et de téléchargement, aujourd’hui c’est possible quand on ne bosse pas avec des intermédiaires (distributeur surtout). Je considère que c’est ce qui va me sauver au bout du compte parce j’ai mis 20 voire 25 ans à régler tous les problèmes qu’ont pu avoir nos chansons entre 2002 et 2018 : textes approximatifs, trop d’instruments, instruments, rythmiques jouées par moi, voix défaillante, mixage fait par moi, mastering inadapté.

Maintenant je sais à qui faire appel et je sais juger mes chansons, je crois. Il me reste entre dix et quinze ans parce qu’après 60 ans, tout le monde compose moins bien, à commencer par les meilleurs. Donc j’aimerais bien arriver à une dizaine d’albums. Une centaine de chansons dont je me satisferai. Je ne vois pas d’ambition plus excitante que celle-ci. Désolé d’être aussi long. C’est un sujet qui me mobilise entièrement et me rend totalement déraisonnable.

 

- Dans le texte promo du premier album il me semble (on retrouve l’info dans un Télérama), vous aviez indiqué que Cécile avait été votre psy... C’était une vraie info?

Y. Pons : Si j’ai dit ça c’était un mensonge. Pourtant je ne mens pas dans mes interviews.

Elle est devenue psychiatre en 2006. On était ensemble depuis longtemps. Et il est hors de question qu’elle s’occupe de mes névroses en étant rémunérée.

On a enregistré un disque qui sort dans un an qui et s’appelle Rose Morose. Ça se passe à Los Angeles, la capitale des névrosés où je me sens chez moi. Olivier Perez a commencé à le mixer.


- C’est monsieur François Gorin qui rapporte ce qui serait écrit  sur la carte promo du disque de l'époque...  Je tente une petite devinette : si je vous dis 24/09/2000?

Y. Pons : Oui j’ai pas mal menti sur cette carte promo.

Le 24/09/2000, c’est peut-être Elliott Smith à la Coopé?

 

- C est bien ça, Ellioth à la Coopérative, événement qu’on dit fondateur pour la Kutu Folk... Label dont vous serez un des derniers "cousus main"... Quelle est votre histoire au sein de cette Histoire? J'ai trouvé l’existence d’un show case place Terrail à la boutique... Ça a été votre dernière prestation live ? [NDLR: en 2020, Yann date d'un concert de 2007 à la Baie des Singes son "adieu à la scène": "ça s'est très bien passé car je savais que c'était le dernier"]

Y. Pons : Oui, moi j’ai vu Elliott Smith la veille je crois, à Paris. Je n’étais pas au concert de Clermont. Je ne savais pas à l’époque que ça avait marqué les esprits là-bas mais justement le fait que nous ayons tous été marqués par ce concert, dans des villes différentes, en dit long sur l’influence inestimable d’Elliott Smith. Un jeune homme qui a beaucoup souffert et qui est devenu un porte parole sans le vouloir. En tout cas c’était le mien. Moi j’étais au premier rang juste devant lui. Je ne l’ai pas lâché du regard pendant deux heures. J’ai vu dans ses yeux qu’il me trouvait étrange, qu’il pensait que j’en faisais trop. Parce que j’en faisais trop.

J’ai reçu un appel d’Alexandre de Kutu vers 2015. Je le connaissais à peine. Il m’a proposé de vendre une partie de nos albums dans son magasin. J’ai dit oui.  Ensuite il m’a un peu forcé la main pour jouer devant le magasin. Un moment difficile malgré la trompette de Julien Quinet qui rendait la chose plus digeste. Mais seul, ou presque, avec une guitare, je suis extrêmement inefficace. Dumas était là, qui est venu me dire que mes chansons étaient bien d’un air désolé. On ne m’y reprendra pas. Mais ça valait le coup encore une fois parce que c’est à cette occasion que je me suis rapproché de Matthieu Lopez, puis de Christophe Pie qui avait joué sur mes chansons en 2008 et enfin d’Olivier Perez qui a enregistré et mixé trois disques avec nous  depuis (dont deux ne sont pas encore sortis).

 

                                                                   Au supermarché place de Jaude :

 

‌- Donc, on peut dire que vous n’avez pas été partie prenante de cette histoire... Par contre, Clermont capitale du rock (un truc de journalistes peut-être mais qui s’appuyait sur du concret : les tournées Kutu aux TransMusicales, Cocoon, le travail de la Coopé...), ça vous inspire ou vous inspirait quelque chose?

Y. Pons : Clermont ville du rock, c’était une campagne de marketing de la Coopé en gros, pour une fois de plus se sentir un peu Mancuniens, avec tout un tas de groupes anglophones mis en avant. Ça me fait penser à leur concours pour créer l’hymne de l’ASM (j’avais participé), c’était pour copier ce qui s’était passé à Manchester où les gens ont spontanément adopté une chanson d’Oasis comme hymne de leur club. Mais le problème c’est justement qu’un hymne ou une réputation de ville à la pointe dans tel ou tel domaine, ça ne se décrète pas, ça s’impose tout seul dans l’opinion des gens, spontanément.

Ce qui est vrai en revanche c’est qu’il y avait beaucoup de bons musiciens à Clermont. Par exemple, j’étais assez copain avec les Marshmallow et trois d’entre eux ont joué sur mes chansons entre 2006 et 2018.

 

-  La rencontre avec Christophe Pie : comment s’est-elle passée?  Pouvez-vous nous parler de lui et de son jeu?

Y. Pons : Christophe Pie, je l’ai embauché pour des enregistrements en 2008 et puis il a joué sur tout notre album, Le deuxième soir non plus, en 2018. C’était un mec râleur et attachant, un peu rustre mais on rigolait bien avec lui et puis surtout il jouait bien et avec Matthieu Lopez, ils formaient un super duo. Avec Julien Quinet à la trompette et Guillaume Bongiraud au violoncelle, j’avais une bonne partie du Delano Orchestra sur ce disque. 


Christophe à la batterie sur ce titre (et ça ne sera donc pas sa dernière apparition discographique...):

                                  Yann avec les deux Christophe : Pie et Adam (Caveau de la Michodière)

- Pouvez-vous nous parler du talentueux Olivier Perez (Garciaphone) ?

Y. Pons : Olivier est un mec très talentueux qui joue de plein d’instruments, qui joue juste, qui ne fait jamais semblant, qui a appris à mixer en autodidacte et qui est capable d’obtenir de faire sonner de manière inespérée des enregistrements faits avec très peu de moyens.

Mais toutes ces compétences n’existeraient pas s’il n’avait pas les deux qualités majeures pour ceux qui ont  l’ambition de faire de la musique : c’est quelqu’un de très humble et de très honnête.

----NDLR: Échange d'amabilités. J'ai interrogé Olivier...  "je peux te dire ce qui me vient en premier à l'esprit : c'est un plaisir de travailler avec Yann. On a enregistré deux albums ensemble, que j'ai aussi mixés. C'est quelqu'un d'exigeant sur l'enregistrement et la mise en forme des chansons. Il sait exactement ce qu'il veut et ses indications sont toujours très précises. Et le résultat est que les chansons sont toujours mises en valeur par ses choix d'arrangements et ses idées pour le mixage. Et c'est un excellent songwriter et parolier". ----

 

- Vous évoquiez le sport... J’en profite pour faire le rapprochement avec Murat : vous avez tous les deux  écrit sur l’équipe de France 84/88,  vous , un titre « lettre à Battiston » dans une compil initiée par Johan Micoud, et Murat  sur 88, « Achille in Mexico. » Le fait de faire un hymne au rugby c’était un exercice de style?  Ou il y a un vrai goût pour le sport? (C’est vrai que je ne vous attendais pas là dessus... ).

Y. Pons : Écrire sur le sport ne m’intéresse pas vraiment mais c’était des occasions de faire parler de nous. « Lettre à Battiston » ne sonne pas très bien mais nous a quand même rapporté 6000 euros en droits d’auteurs donc pas de regret.

 

‌- Ah oui! Une belle somme déjà pour l’époque!

Après La Riviera, la Normandie, le Brésil, votre nouvel album a de nouveau un ancrage... mais quand vous m’en avez parlé la première fois, vous disiez qu’il était différent. Est-ce qu’il est plus personnel?

Y. Pons : Oui il est plus personnel. Au départ c’est un disque fait uniquement avec des chansons qui n’ont jamais été finies au cours des quinze dernières années. Au final, c’est un enchaînement de messages personnels assez frontaux. Ça fait du bien. Le prochain qui sort dans un an se passe en Californie, et fonctionne sur le même principe que les précédents : une destination et plein de petites histoires, d’amour mais pas seulement.

 

- On peut être surpris que ce soient des chansons écrites au fil des ans, mais c’est bien le signe qu’il y avait une récurrence dans l’inspiration et on a au final un vrai album « concept ». Si les autres albums évoquent les vacances et le voyage, sur celui-ci, c ‘est le départ et même la fuite d'un lieu étouffant et d’une communauté archaïque. C’est ce que vous inspire l’Auvergne ou votre milieu ?

Y. Pons : Les enregistrements ont pris quinze ans mais les textes et souvent même les mélodies ont été refaites ces trois dernières années. J’ai tendance à confondre les Auvergnats que j’ai côtoyés et l’Auvergne. Je sais que c’est pas bien. En l’occurrence, ce disque s’adresse à une vingtaine de personnes au total. Ils se reconnaîtront tous. Les autres n’ont pas de raison de se sentir offensés.

 

- Pourquoi avoir choisi le terme Calexico pour désigner l’Auvergne?

Y. Pons : Calexico c’est une ville frontière. Une fois passés les barbelés, il faut courir vite. C’est un endroit sec et hostile mais pas très loin de ce qui semble être le paradis.

 

- Vous vouliez quand même que ça nous fasse penser au groupe ou à l’univers de Mustango ?

Y. Pons : Non.

 

- Pouvez-vous nous parler de cette chanson un peu pivot « Les sauvages de Calexico »? J’ai l’impression que vous racontez un rêve? Ou un conte?  Il y a dans l’album des termes forts, vous êtes presque dévoré, vomi... des bouchers vous enferment... Et malgré tout, vous indiquez que vous pourrez revenir... alors que dans une autre chanson, l’adieu est définitif...

Y. Pons : Effectivement c’est un cauchemar. Mais c’est aussi un peu du vécu. La personne qui parle dit qu’elle reviendra quand elle le voudra. C’est à la fois une réponse à une formule de politesse et, dans son esprit, un sous-entendu très clair. 

 

- A côté de ça, et je dirais quand même avant tout, c’est une belle histoire d’amour... comme l’indique le titre de l’album... Même si « Aloha », le dernier titre, est un peu énigmatique par sa mélancolie et l’expression « pauvre de toi ».

Y. Pons : Oui c’est une belle histoire d’amour. Et d’ailleurs, c’est la mienne. « Aloha », c’est aussi une chanson d’adieu mais toutes les chansons de cet album disent adieu aux mêmes personnes. A ceux qui n’ont rien compris parce qu’ils sont toujours sûrs de comprendre. Et parce que ceux qui s’en vont préfèrent le faire dans la nuit, pendant que la forêt brûle, que tout le monde est bourré et que les sauvages dorment tranquillement. « Pauvre de toi », c’est assez bienveillant étant donné les circonstances.

 

- Vous sortez l’album en numérique, sans campagne promo, comme si vous vouliez juste faire passer le message à certains destinataires? Ou dans une démarche cathartique ? Ou vous le trouvez trop personnel ?

Y. Pons : Non, rien de tout ça. Ces dernières années, on fabriquait encore des CD dans le but d’obtenir le plus d’articles possible dans la presse ou de passages à la radio via un attaché de presse. Mais on ne peut pas le faire à chaque fois pour des raisons financières. D’autant moins qu’on va sortir un album par an dans les années qui viennent et de toute manière, la promo telle que nous l’avons financée ces dernières années, ne permet pas de nous faire connaître suffisamment pour justifier de telles dépenses. Je préfère donner le plus d’argent possible aux gens très compétents qui nous aident à enregistrer nos disques.

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Interview réalisée par mail du 26/09 au 5/11/2022.  Merci à Yann pour la disponibilité, et les photos du 6-3 (issues de ses archives personnelles)      (et à  Florence D. pour le travail de l'ombre). 

 

http://www.lafilledelacote.com/textes

Pour écouter Comment j'ai fui la campagne avec une fille que j'ai trouvée sur la route, rendez-vous sur vos plateformes, par exemple:  https://www.deezer.com/fr/album/370331227 ou Spotify

Première chronique parue dans Magic:

 

Je vous dis aloha! Et à très vite, avec encore un artiste attachant... et "attaché" à Murat.

On a parlé de Guillaume Bongiraud dans cette interview, j'en profite pour parler de son disque/livre commandable sur sur site, avec la participation de Morgane Imbeaud:

https://www.guillaumebongiraud.com/

"Murmuration” est un livre-album entièrement acoustique. Il a été enregistré comme un voyage, dans huit lieux différents de ma région de naissance, de cœur et de résidence, le Puy-De-Dôme. Munis de microphones et d’appareils photo, nous avons, Morgane Imbeaud et moi, croisé la route de huit lieux chers à mon cœur, des lieux empreints à la fois de nature sauvage et d’humanité.De retour avec la matière sonore et visuelle, Daphnée Autissier, à partir des photographies, laissera son crayon imaginer et s’entremêler avec les images. A la manière du patrimoine qui s’inscrit dans la continuité du paysage, du son du violoncelle qui vagabonde sur le chant de la nature".

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Publié le 17 Octobre 2022

                                                                              @Agnès Dherbeys

 

Bonjour,

Plus de 20 ans de carrière pour Bertrand Louis, ponctués de Prix Félix Leclerc, de "Coup de cœur" de l'académie Charles Cros, et de succès critique... sans parler de ses interviews pour le blog de Pierrot : en 2013 sur son premier essai, très réussi, de mise en musique de Philippe Muray, (ce qui était un temps un projet de Murat), puis en 2015 quand il était venu participer à une soirée "Livre Unplugged" sur le chanteur auvergnat. Pour son dernier opus, il a choisi un recueil tardif de Verlaine, Chansons pour elle, 25 poèmes amoureux et érotiques, où, dans une langue à la fois triviale et lyrique, se dévoile l’intimité d’un couple, avec ses vicissitudes, mais surtout la tendresse, le désir toujours vivace, et la joie des corps…

C'est un album très pop, avec un vrai groove sur certains titres ("Chemise de femme")  et facile d'accès, brillamment orchestré par Laurent Bardainne (Pony Hoax...), avec la participation de Mareva Galanter, dont la voix parlée fait des merveilles sur "Que ton âme soit blanche ou noire".  C'est aussi un Bertrand Louis plus tourné vers le soleil et qui affirme clairement que l'amour et le couple restent une valeur "refuge" pour celui qui porte un regard pessimiste sur le monde. Mais avant de lui causer de ce dernier disque, on en a profité pour revenir sur son album autour des Fleurs du mal, qui le glissait encore aux côtés de Murat.

Bertrand Louis sera en concert à PARIS les 7 novembre et 5 décembre prochains. Il faut aller le découvrir sur la petite scène de la Manufacture CHANSON. Dans ce cadre intimiste, où comme dans le désordre d'un boudoir traînent des voiles blancs et des chaussures de femmes, avec le recueil des poèmes, le chanteur  au piano, accompagné de programmations très soignées, fait résonner les mots de Verlaine, et tour à tour joue de toute la sensualité de sa voix pour dévoiler d'autres poèmes érotiques, ou scande un appel à l'abandon au plaisir.  Billetterie

 

 Interview menée par Pierrot et Florence (d.)

 

 

 - Avant de passer à l'actualité, on va quand même revenir un peu à l'épisode précédent. En 2013, vous nous parliez d'un désir secret de mettre en musique Baudelaire, en faisant  le lien avec Muray, mis en musique à ce moment-là, sur l'opposition aux valeurs modernes. Du désir secret à la réalisation, vous avez mis 5 ans. C'était plus difficile d'(y) arriver après Ferré-Murat ?

B. Louis : Cela m’a pris du temps effectivement pour plusieurs raisons. Déjà, le spectacle sur Muray me plaisait beaucoup et j’ai eu du mal à en sortir. Ensuite j’ai beaucoup lu et je me suis beaucoup documenté sur Baudelaire avant de me lancer. Puis il y a eu les éternelles questions d’argent. Et enfin, je me suis un peu perdu dans mes arrangements car je voulais tout faire tout seul. Je n’ai pas eu de problèmes particuliers avec Ferré-Murat puisque j’avais dès le début l’intention de faire autrement (électrique, vampirique…).

« Electrique et vampirique » : en effet, les premiers titres notamment donnent la couleur de l’album, et une atmosphère inquiétante. La photo de la pochette elle-même est hantée… Mais pourtant, l'album offre  des nuances (invitations à partir, morceaux plus apaisés), alors que pour  Verlaine, vous avez peut-être plus construit un récit dans votre sélection de poèmes. Parmi tous les poèmes des Fleurs du mal, comment avez-vous choisi ces dix ?
 
B. Louis : Oui je me suis fait happer par quelques grands classiques baudelairiens. Il y a évidemment ce côté apaisé chez Baudelaire aussi. J’aime beaucoup « La Mort des Pauvres » qui est quasi-religieux. Je ne choisis pas vraiment les poèmes que je mets en musique, je les lis et des musiques me viennent, ou pas. J’avoue que j’ai eu la tentation de tout faire et il reste quelques inédits… Je regrette de n’avoir pas réussi à faire quelque chose qui me convienne sur « À celle qui est trop gaie», que j’aime beaucoup, peut-être trop… Et c’est vrai que pour Verlaine, j’avais envie « d’unité ».
 
- Sur votre site, vous faites part de lectures. Comment  nourrissent-elles votre travail ? Est-ce qu’elles ont orienté vos choix ou modifié vos intentions de départ?  
 

B. Louis : Oui surtout pour Baudelaire j’ai énormément lu. J’avais envie d’immersion, d’approcher au plus près de son personnage, même si je savais que c’était impossible. J’ai lu par exemple chez Walter Benjamin que Baudelaire était une juxtaposition de l’antique et du moderne, ce qui m’a donné l’idée de mélanger la harpe (la lyre antique) avec un groupe de post-punk. J’ai réussi à glaner également quelques indications sur le son de sa voix: "...il nous récitait d'une voix précieuse, douce, flûtée, onctueuse, et cependant mordante, une énormité quelconque, le Vin de l'assassin ou la Charogne". Le contraste était réellement saisissant entre la violence des images et la placidité affectée, l'accentuation suave et pointue du débit.
Pour Verlaine, j’ai pris le contre-pied et je n’ai quasiment rien lu. Je viens de me rendre compte que le mardi 20 août 2013, j’avais écrit dans le journal de la genèse du Baudelaire « Chansons pour elle de Verlaine »… L’idée devait me trotter dans la tête depuis un moment donc !

 
- Encore une question sur Baudelaire pour ré-inciter les muratiens à écouter : je trouve qu'il y a une dimension supplémentaire pour eux dans la comparaison avec Charles et Léo, et évidemment avec les titres communs, très différents, comme « L’héautontimorouménos ». Vous êtes-vous frotté à « L'examen de minuit » (un de mes meilleurs souvenirs de concerts, pour le coup électrifié) ? Et est-ce que ce n'était pas une contrainte compliquée de vous priver du piano, votre instrument de prédilection... et de composition ?  
 
B. Louis : Non cela ne m’a pas trop gêné de ne pas jouer de piano (peut-être un peu pour l’enregistrement où je me suis senti un peu « dépossédé ») …d’ailleurs pas mal de titres sont composés au piano et ensuite retranscrits pour la harpe. Et pour « L’Héautontimorouménos » je me suis inspiré d’un morceau de métal (je ne sais plus lequel). Et non je n’ai rien fait sur « L’examen de minuit » que je viens de relire et d’écouter par Murat. Belle version ! Toujours cette dualité perverse dans le poème «… Insulté ce que nous aimons/ Et flatté ce qui nous rebute… » et l’on sent bien les classiques descentes harmonico-mélancoliques de Ferré dans la musique… Bizarrement je n’ai jamais trop ressenti de mélancolie chez Baudelaire… à part peut-être dans « Harmonie du soir »… il doit y en avoir d’autres mais cela ne me revient pas.
 
-"Harmonie du soir" est sans doute le poème parmi ceux que vous avez choisis en effet le plus mélancolique, et lyrique y compris dans sa musicalité tellement travaillée, avec ces effets de boucle un peu enivrants. Mais c'est aussi celui pour lequel vous composez un morceau uniquement instrumental. Pour quelle raison ? Et qu'en était-il dans le spectacle, entendait-on le texte ?

 
B. Louis :  Pour « Harmonie du soir », j’ai eu l’envie de composer la musique à partir du texte, et uniquement du texte. C’est-à-dire que j’ai établi une grille de correspondances entre les syllabes et des notes (ou des sons), entre les consonnes et des percussions… etc., avec aussi l’alexandrin qui implique un mouvement ternaire (valse mélancolique). C’est un peu comme si c’était Baudelaire qui avait composé la musique. À la fin du travail, ajouter la voix parlée par-dessus devenait complètement inutile. Et pareil pour les concerts.
J’avais fait une vidéo pour décrire cela :

 

- Passons à Verlaine : vous vous demandiez dans votre journal de bord sur Baudelaire pourquoi "Chanson d'après-midi" était intitulée "Chanson". Ça semble plus clair avec les Chansons pour elle de Verlaine. Est-ce que c'est d'abord cette forme qui vous a donné envie de travailler sur ce recueil ? Ou son caractère très ramassé, son unité thématique ?


B. Louis : J’ai remarqué que lorsqu’un un poète utilise le terme « chanson » dans un titre, c’est toujours louche, enfin cela veut dire que pour lui, il rentre dans un registre plus léger. Sauf pour Baudelaire évidemment. Comme j’ai tendance à toujours changer radicalement à chaque album (je ne capitalise (!) pas assez, qu’on m’a dit), j’ai eu envie de plus de simplicité cette fois-là. Mais c’est surtout le fond (l’amour qui dure) et la forme (la variation) qui m’ont séduit dans le recueil de Verlaine.

- A l'écoute, par rapport à Baudelaire, je n'aurais pas vraiment remarqué que les textes sont du 19e, même s'il fantasme sur une chemise de nuit. C'est plus contemporain.  La langue est poétique mais aussi triviale (ce qui n'est pas sans évoquer Murat… Et pour le clin d'œil, Verlaine dans le recueil cite Béranger (cf 1829)... mais c'était la star de l'époque).  C'était une façon de remonter un peu dans le temps et "à la surface" (après les abîmes baudelairiennes)?

B. Louis :  Oui c’est tout à fait ça ! Il y a une sorte de fluidité pop dans ce recueil et je l’ai vraiment utilisé comme des textes de chansons bien écrits. Effectivement, il y a quelques décalages…  la chemise par exemple…mais j’ai essayé d’imaginer autre chose… une élégante et longue chemise avec une large ceinture… enfin, chacun son fétichisme… Il y a aussi des mots qui ont changé de sens comme « baise » par exemple « Viens ça, chère, que je te baise… ». Je me suis aussi permis de remplacer « zut » par « merde » à un moment…  « Et merde au monde qui jasait… »

 

-  Puisqu'on évoquait « Chemise de femme », dans le clip, on aperçoit nettement un recueil de Jérôme Leroy Sauf dans les chansons. Pouvez-vous nous en parler ?

B. Louis : J’ai beaucoup aimé le roman  Vivonne  de Jérôme Leroy, qui parle d’un poète que l’on ne voit jamais et qui a le pouvoir de transformer le monde. Science-fiction, effondrement, critique de notre monde, tout y est. Cela m’a donc intéressé de lire sa poésie et le titre « Sauf dans les chansons » m’a interpelé. Il apparaît dans le clip car je le lisais à ce moment-là, c’était une manière ironique de signifier que je chantais de la poésie…

- Vous nous parliez pour Sans Moi de la nécessité de trouver tout de suite un style, des arrangements pour coller vraiment à l’univers poétique, c'était aussi le cas pour Baudelaire... Mais là, vous avez laissé travailler Laurent Bardainne. Est-ce que le cheminement artistique a été différent ?


B. Louis : À vrai dire, je suis sorti du Baudelaire complètement lessivé. Je m’étais dit que j’allais arrêter de mettre des poètes en musique, et puis il y a eu quelques accords, quelques mélodies qui sont venues, tout s’est passé très vite et j’ai composé la quasi-totalité des chansons en deux ou trois semaines. Je me disais que ces chansons étaient des parenthèses mais elles se sont imposées petit à petit. J’ai commencé à essayer de les maquetter comme d’habitude et à trouver des arrangements mais vraiment, j’étais fatigué de moi-même. Alors j’ai enregistré des maquettes piano, basse et batterie programmés et je suis allé voir Laurent Bardainne, un musicien que j’aime beaucoup (je suis très fan de Poni Hoax et j’aime aussi sa formation jazz Tigre d’Eau Douce). On a tout de suite été en phase et je lui ai laissé quartier libre pour les arrangements et le choix des musiciens. C’est une autre manière de faire mais ça m’a fait beaucoup de bien. Je ne suis pas sûr que cela vienne du sens du texte mais plutôt encore une fois de prendre le contre-pied de l’album précédent.

- Philippe Barbot dans son texte promo parle des compositions toutes en ré mineur (citant les Variations Goldberg  de Bach, le mineur censé être plus sombre et triste) . On est nul au solfège, mais on va tenter une question : C’est venu naturellement ou c’était une contrainte (pour l’unité du disque) ?

B. Louis : En lisant le recueil de Verlaine, on remarque tout de suite qu’il dit quasiment tout le temps la même chose mais de manière différente. Cela peut se rapprocher de la technique de variation en musique. Je suis un grand fan des Variations Goldberg de Bach (que je joue un peu) et j’ai eu l’envie de faire un peu pareil, en moins strict toutefois. Des accords, des motifs mélodiques reviennent tout au long du disque et toutes les chansons sont donc en Ré mineur, tonalité un peu triste effectivement, mais ceci est tempéré par l’emploi de septièmes et de neuvièmes qui donne un caractère plus mélancolique. Toute la variation se fait donc par les tempi, le rythme et la façon de chanter.
Est-ce venu naturellement ou était-ce une contrainte ? Je ne saurais dire…

- Est-ce que vous connaissiez les autres « mises en musique » de Verlaine (finalement assez nombreuses, Ferré encore par exemple)  ou vous y êtes- vous intéressé ?  On vous sait aussi fan de Gainsbourg, est-ce que le « Comme dit si bien Verlaine »  vous a emmené vers cet auteur?

B. Louis : Non, contrairement à mon travail sur Baudelaire où j’avais voulu tout écouter, je ne connais aucune mise en musique de Verlaine. Il faudra que je m’y mette. Et non je ne pense pas que ça vienne de Gainsbourg, mais je me suis rappelé plusieurs fois pendant l’enregistrement du « Comme dit si bien Verlaine ».

 

- Pour Sans Moi encore, vous disiez : "Il est évident aussi que cet album s’inscrit dans la continuité de mon travail, ce n’est pas pour rien que j’ai choisi Muray. Un esprit critique, une forme de détournement mais dans un sens créatif, pas forcément « révolutionnaire »". On comprend aussi le lien avec Baudelaire... Verlaine, c'est un petit pas de côté ? Ou : vous changez,  Bertrand Louis ? (Je me prends pour Laure Adler)

B. Louis : Je dirais : ni l’un ni l’autre…mais j’avais vraiment besoin d’air après mes 3 derniers albums. Je me suis juste concentré sur un seul thème, un peu comme je l’avais fait pour mon album Tel quel. Et j’ai mis de côté les guitares, mais ce n’est pas définitif.

 

- En fait, je voulais peut-être vous amener à parler d'amour... La relation amoureuse, l'intime, parcourt votre travail, mais toujours ou presque tissée avec d'autres fils, et notamment le regard critique, sarcastique. Dans ce disque en revanche, vous avez par le choix des poèmes représenté la force, la joie de cet amour, en écartant ceux par exemple qui faisaient référence de façon assez triviale à l'âge des deux amants (elle avec sa beauté un peu fanée, lui qu'on soupçonne de n'être plus si vigoureux), à l'alcoolisme, aux disputes violentes, gifles et autres mornifles… Et par ailleurs, contrairement à Baudelaire (et à d'autres recueils de Verlaine), il y a dans ce recueil une acceptation entière et sereine, sans tension, de l'appel de la chair, d'une existence sensuelle, affirmée, revendiquée même dans la comparaison avec les animaux et les plantes - et formulée très nettement dans le poème dit par Mareva Galanter. Et c'est effectivement ce que je trouve beau dans cet album, l'affirmation de la valeur refuge de l'amour et du couple.
 
B. Louis :  Oui sur ce disque je me suis concentré sur ce sentiment et uniquement sur lui. Dans le recueil de Verlaine, il écrit aussi sur les revers, les disputes, l’alcool, la violence etc… Au départ je voulais mettre en musique également ces poèmes-là et j’avais commencé mais ça m’a dégoûté (ça fera quelques inédits…). C’est encore une fois un album concept et je l’ai voulu comme un refuge. Il y a une sorte d’humilité, de simplicité, de total lâcher prise envers l’être aimé dans ces poèmes et c’est ce qui m’a séduit. Finalement je lui trouve un côté confiné… J’avais composé les chansons avant mais il a été réalisé pendant le confinement…
 
- Le choix sur la guitare était une option dès le départ ou a été décidé avec l’arrangeur ?
 
B. Louis : Je n’avais pas mis de guitares sur les démos pour laisser de la place à l’imaginaire du réalisateur et il a trouvé que c’était une bonne direction pour les arrangements. Pour le côté tendre. Même si les guitares peuvent être tendres.
 
 
- Est-ce que, en confiant les arrangements à un autre, vous avez été  étonné  du résultat sur certains titres par rapport aux démos ?
 
B. Louis : Avec Laurent Bardainne, on était en phase depuis le début donc je n’ai pas eu de grosses surprises. En revanche, je pense que sur pas mal de titres, je n’aurais pas fait comme lui et c’est tant mieux ! J’ai pris un immense plaisir à voir les titres évoluer, surtout au moment de l’enregistrement avec le batteur David Aknin et le bassiste Marcello Giuliani qui ont planté le décor, c’était magique. Il y a eu aussi une belle journée de synthés et d’orgues Hammond où Laurent a quasiment tout improvisé. Je me souviens aussi de l’enregistrement du piano où il a beaucoup insisté pour que je joue moins fort ; du solo de saxophone sur « Compagne savoureuse » qui m’a fait douter un peu (je pense que c’est un traumatisme du solo de sax années 80) mais que je trouve vraiment très beau ; et pour finir, de ce titre « Je ne suis plus de ces esprits philosophiques » qui s’est révélé à la toute fin du travail…
 
- Est-ce que vous avez conçu le spectacle de manière particulière ?  Des guests sont annoncés en décembre... C'est un secret?


B. Louis :  Pour l’instant, je fais des concerts en piano/voix solo avec quelques programmations…C’est la première fois. J’ajouterai peut-être un ou plusieurs musiciens plus tard. Oui en décembre je vais essayer d’inviter quelques personnes qui ont participé à l’album, ou pas. Je n’en dis pas plus car je n’ai pas confirmation.
 
- Est-ce que le fait de monter sur scène pour chanter un auteur vous conduit à travailler davantage la mise en scène, un peu comme au théâtre ?
 

B. Louis : Oui, le fait d’interpréter les textes d’un poète implique une sorte de théâtralité qui me plaît bien. Il y a aussi ce problème du piano qui oblige à être de biais. Et aussi je pense ma personnalité, ma manière de communiquer, qui préfèrent les liens secrets plutôt que le rapport frontal (enfin pas toujours…).

 

- Est-ce que vous avez cette envie d’être plus direct ?

B. Louis : Je suis en train d’écrire mes propres textes à nouveau et l’envie d’être plus direct me travaille, comme quoi il doit y avoir un lien.

 

- Concernant les programmations (je pense notamment à Eicher, un des pionniers du seul en scène avec machines),  est-ce que ce n’est pas un cadre qui contraint énormément l’interprétation ? 


B. Louis : J’essaie justement de varier les plaisirs pendant le concert. Le piano/voix me lasse sur la longueur ainsi que les programmations, donc j’alterne. Mais je ne trouve pas forcément que les machines limitent l’interprétation quand les chansons sont écrites d’une manière plutôt rythmée.

 

- On lit souvent des remarques sur Murat concernant le fait qu’il ne parle pas au public (parfois). C’est toujours votre cas ?


B. Louis :  OUI !! Mais, comment dire, cela va bien avec le côté mise en scène (et avec ma personnalité).

 

- Je vous propose d’élargir un peu la discussion. D’abord, sur le paysage musical français, est-ce qu’il y a des disques, des chanteurs qui vous ont interpellé depuis disons 10 ans ?  

B. Louis : J’avoue que je n’écoute pas beaucoup de musique depuis quelque temps. Je joue Bach, Debussy, John Cage… tous les jours au piano et en plus de mon travail sur mes propres chansons, cela me suffit. J’ai acquis récemment une platine vinyle, donc ce sont les « classiques » qui y passent en premier : Songs for Drella  de Lou Reed et John Cale, les vieux Gainsbourg… J’écoute aussi du rap US avec mon fils (Pop Smoke, Juice World…). J’ai bien aimé le dernier Feu Chatterton, surtout les premiers titres où ils parlent d’écrans, de Bluetooth… J’ai beaucoup aimé le dernier Bertrand Burgalat Rêve Capital.

 

- Murat expliquait qu’il faisait des reprises pour « comprendre »  ( "J’ai fait une reprise de la Ballade de Melody Nelson de Gainsbourg en chantant exactement comme lui, juste pour comprendre – du boulot pour moi, quelque chose que je ne sors pas. Dès qu’il y a un artiste que j’aime vraiment, je ne reste pas ébahi devant son œuvre et je le reprends, pour voir de l’intérieur.")
Est-ce que le « livre unplugged » lors duquel vous avez chanté Murat a été enrichissant peut-être à ce titre ? Et par extension, ces trois derniers albums avec les mots des autres, a-t-il fait évoluer votre art/artisanat ?

B. Louis : C’est très intéressant ce que dit Murat par rapport à la reprise, je vais lui piquer l’idée (pour voir de l’intérieur). Le travail que j’avais fait pour le live unplugged de Murat m’a beaucoup apporté je pense, même si c’était un sacré challenge (une dizaine de reprises !). Il y a des arpèges et des rythmiques que j’avais trouvés en le reprenant que j’ai utilisés sur le Verlaine. Je ne sais pas encore si mon travail avec les mots des autres m’a fait évoluer. Comme je compte écrire à nouveau pour le prochain, on verra… En tout cas, je ne compte pas être « poétique »…

 

- J’ai été frappé par ce que vous disiez en 2015 : « Effectivement ce qui est particulier avec Murat, c'est que le texte, le groove et la voix sont très intimement liés et que parfois, enlever un ingrédient fait chanceler l'ensemble ». Au milieu des critiques positives,  c’est une remarque qu'on a eue pour le disque Aura aime Murat.  J’ai tendance à dire : on voit une grande chanson par sa capacité à vivre sans son auteur… mais je pense que vous ne serez peut-être pas d’accord (à la lumière de votre top 10 des chansons que vous avez voulu écrire – dans le livre de Vignol-). Je me trompe ?


 B. Louis : Je ne me souviens plus des titres de ce top 10… mais je confirme ce que je disais sur Murat. Il est intègre. Et je pense qu’il a aussi écrit quelques grandes chansons qui pourraient (pourront) vivre sans lui.

 

- Est-ce que vous avez continué à suivre Murat et ses productions récentes ?

B. Louis :  Non j’avoue malheureusement (j’ai honte…). Mais cette interview m’en redonne l’envie, je vais m’y atteler. Je reste tout de même un fan inconditionnel de Mustango.

Merci Bertrand!

Interview réalisée par mails par Pierre et Florence (d.) du 13/09 au 28/09/2022

http://www.bertrandlouis.com

 

 

PS:  Laurent BARDAINNE et tigre d'eau douce chez nos amis des Abattoirs de Bourgoin-Jallieu ce jeudi 20/10!

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Rédigé par Pierrot

Publié dans #inter-ViOUS et MURAT

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Publié le 13 Juin 2021

Il faudrait peut-être que je pense à créer une catégorie spéciale d'articles pour rassembler tout ceux consacrés au VOYAGE DE NOZ... et aux interviews de Stéphane Pétrier, leur chanteur-auteur-leader-rarement à l'heure (mais pas si râleur). Voici je pense la 5e que je vous propose... 5 pour 35 ans de carrière (since 1986), je ne vous inonde pas non plus... Il faut dire que le groupe prend généralement son temps en chaque album. Généralement car cette fois, c'est assez rapidement que "le début-la fin-le début" voit sa suite arriver (à l'échelle des Noz, pas de Murat)... et qui plus est un double album!

"IL SEMBLERAIT QUE L'AMOUR FUT" est une nouvelle fois à ranger du côté des albums "concepts" ou opéra rock, la marque de fabrique du groupe, surtout après le sublime "Bonne Espérance" (conte fantas-celti-mystique).... ou "L'homme le plus heureux du monde" dans lequel Stéphane Pétrier devenait Esther appertine, chanteur à succès dans la tourmente. Et finalement, 10 et 20 ans plus tard, on retrouve de ses deux albums dans cette dernière production, et pas de doute, on est bien chez les NOZ. Parfois habitué à une production dans la douleur et la tension, il semble que le disque malgré la période, a été réalisé dans une ambiance sereine et facile... si bien que le groupe n'a pas peur d'affirmer qu'ils ont fait là leur meilleur album.  L'arrivée d'un nouveau guitariste Marc Baujard n'y est peut-être pas pour rien, lui qui a su se fondre dans le groupe dont il était fan tout en apportant son énergie.  Et pourtant, Stéphane Pétrier s'était lancé à nouveau dans un sacré défi: traiter du mystère du couple.

Après deux ou trois écoutes, j'ai fini par être complètement addict du disque, malgré tant de choses qui auraient tendance à m'agacer, mais voilà, les Noz  et Stéphane Pétrier assument, osent (par exemple chanter "Quitter les sentiers minés de l’amour"),  avec encore quelques hymnes que l'on est  impatient de découvrir sur scène, des belles chansons pop, et à l'instar du "bagdad disco club" sur le dernier disque, ou encore "eash uisge" (sur Bonne espérance),  le titre Nazca (en deux parties), un titre hors-norme dont je ne me suis pas remis.

Je ne m'éternise pas: on a été bavard, comme d'habitude... 

                                                        https://www.levoyagedenoz.com/  CD/vinyle

 

Bonjour Stéphane!

- 3,5 ans seulement nous séparent du dernier album!!! Votre record de rapidité (non, on ne se moque pas, M. Murat)  et dans le même temps, vous avez été très présents aussi ! Donc, on peut dire que si la période précédent "Le début la fin le début" a été laborieuse et compliquée (7 ans), celui-ci arrive je dirais "de manière fluide". Où est-ce que vous étiez après ce "début, la fin, le début"?  Et quel bilan tu dressais de la situation après celui-ci?

S. PETRIER : Je vais commencer par la deuxième partie de ta question. Comme je te l’avais dit dans notre précédent échange, "le début - la fin - le début" a été un album éprouvant et compliqué à accoucher. Après le départ d’Eric [Clapot], on était épuisé physiquement et moralement mais l’album était là et il n’était pas question qu’on lâche l’affaire. Il fallait tourner, faire des dates pour le défendre ce putain de disque… On a pas mal réfléchi avec Alex, Pierre et David notre manager. Il nous semblait déjà évident que Nath (qui intervenait jusque là en «additionnelle») allait intégrer le groupe à part entière. Il fallait donc trouver un guitariste capable de remplacer Eric, chose ô combien compliquée. On avait prévu d’auditionner un certain nombre de personnes, mais nous n’en avons pas eu besoin. Marc est arrivé.

Marc, c’est quelqu’un que je connaissais depuis l’époque «Exit» Il venait nous voir en répétition. Je savais que c’était un très bon guitariste. Je savais qu’il aimait beaucoup le groupe. Je savais aussi et surtout que c’était humainement un mec super. Au moment de commencer nos recherches, son nom trottait dans un coin de ma tête… et là Alex, m’appelle en me disant « Et pourquoi pas Marc ?». Là-dessus je vais voir son profil facebook et je me rends compte qu’il connaît très bien Pierre [Granjean, bassiste] avec qui il a déjà joué… et qu’il était en classe avec David! Je l’ai appelé. Il est venu une fois en répétition en ayant bossé quelques vieux titres… Deux heures après c’était évident pour tout le monde qu’il était le nouveau guitariste du groupe.

Il est clair que l’arrivée de Marc et de Nath a apporté un sacré souffle à l’histoire. On s’est remis à répéter comme des ados. A rire et à aller boire des coups ensemble aussi… Choses qu’on avait un peu oublié les derniers temps… Bref, le voyage était reparti.

 

- Le bilan de ce disque‌ "ld-lf-ld":  les fans toujours là qui répondent présents et contents de retrouver les VDN ? 

S. PETRIER : Personnellement je considère «le début - la fin - le début» comme un album de transition. Sans doute pas notre meilleur mais avec quand même quelques putains de bonnes chansons dedans je crois. Il y avait un petit goût d’inachevé. Il manque sans doute un ou deux titres pour que le truc se tienne vraiment et ressemble à ce qu’on avait dans la tête mais bon, par moment il faut savoir avancer. Quant au bilan humain, il était carrément bon. On avait retrouvé le goût de jouer, l’énergie, la foi… On a fait pas mal de date pour roder Marc (et nous roder aussi). Le public répondait présent. Et puis il y a eu notre participation au projet hommage à Hubert Mounier qui a permis de tester le nouveau line-up sur un travail de studio. C’était vraiment une chouette expérience. Un beau projet mené par Stardust avec des gens bien, des belles rencontres... et tout ça s’est terminé par un concert sur la grande scène du Transbordeur. Pour moi, c’est ce soir-là qui marque le début des choses, vraiment.

C’était un concert un peu particulier. On ne jouait que deux titres. C’est le genre d’expérience plutôt casse-gueule. On a pas le temps de se chauffer que c’est déjà terminé. Là, en plus, on a eu des problèmes techniques. La basse de Pedro pas branchée au début. La caisse claire d’Alex sans timbre… Je me souviens que l’on s’est regardé avec Marc et qu’on s’est dit «Putain c’est la merde, mais on y va…». Et on y est allé… Et je crois que nous n’avons jamais été aussi bons que ce soir-là. Ou en tout cas, je n’ai jamais ressenti une tel force dégagée par le groupe. Tous les cinq. Je nous sentais invincibles. Après un truc comme ça, tout devient plus facile.

"le capitaine" live à revoir ici.

‌- Oui, prestation intéressante, avec une affirmation rock qui détonnait... Quand tu te faisais tirer un peu l'oreille pour participer à "aura aime Murat", tu ne m'avais pas dit que Place Hubert Mounier avait eu un tel impact interne au Voyage de Noz! Sur la période, il y a eu ensuite la sortie en vinyle de la "cassette bleue" («les chants de l'aurore») qui circulait sous le manteau dans les lycées lyonnais autour de 1990, avec Simplex Records cette maison qui a pour objet de sortir en vinyle des raretés et inédits de la scène lyonnaise... Ses deux dernières sorties (notamment Ganafoul et Fooflash) ont fait l'objet d'une belle presse nationale… Bon, vous ne courrez plus après ça? Ce regard sur le passé, ça a joué un rôle aussi?

S. PETRIER : Oui, ça a été une période assez chargée. D’abord on a été très flattés que Christophe Simplex souhaite que l’on soit sa première référence sur son très beau label Simplex Records qui depuis marche très fort - plus grâce à Ganafoul qu’à nous faut l'avouer :)). La sortie des «Chants de l’Aurore» en vinyle c’était l’occasion de ressortir du placard ces enregistrements de nos débuts qui avaient eu leur petit succès à l’époque (on avait vendu 1000 cassettes je crois). Et puis on en a profité pour rééditer notre premier album «Opéra» qui fêtait ses trente ans… Ça nous a permis de nous retrouver «entre vieux», avec Eric, Manu, Alex et Thierry pour un concert où on a rejoué uniquement les titres de cette époque. En plus, on partageait la scène avec nos potes d’Aurélia Kreit (deuxième référence de Simplex Records) qui rejouaient ensemble pour la première fois depuis les années 80... Même si je ne suis pas vraiment du genre nostalgique et que j’ai plus envie de regarder devant que derrière, c’était un joli moment, avec le public, mais aussi entre nous.

 

- Dernier élément de cet entre-deux: l'édition à ton compte de ton livre, un petit délice pour ceux qui suivent "l'histoire" depuis un moment même si ça amenait aussi ailleurs. Tu avais parlé de tes doutes, de tes pannes d'inspiration, est-ce que le bon accueil de tes lecteurs a pu te libérer un peu? peut-être aussi simplement en libérant ce tiroir?... d'autant qu'on n'est pas très loin de la thématique du dernier disque...

S. PETRIER : Mon roman, «Kill the dog», c’était une petite récréation plutôt sympa et vraiment sans la prétention de devenir un "auteur". Au départ, c’était surtout un challenge : savoir si moi, qui ai l’habitude du format court de la chanson - j’allais être capable de me tenir à un tel projet, d’aller au bout. Quand j’ai tapé le mot "fin", j’étais vraiment heureux. Ensuite, je l’ai laissé au fond d’un tiroir pendant plusieurs années. Ce sont des amis à qui je l’avais fait lire et qui l’avaient aimé qui m’ont poussé à le sortir. Et je ne le regrette pas. Les retours ont été assez positifs et je suis plutôt content du résultat. Je suis en train d’écrire la suite «Kiss the monkey», qui me semble plus maîtrisé et surtout, je crois, plus drôle. Tiens, voilà un truc que je ne connais pas trop avec Noz :) et qui me procure un vrai plaisir : réussir à faire rire. Quand j’ai des retours de gens qui me disent qui se sont poilés en me lisant, ça fait un bien fou au mec qui a la réputation d’écrire des chansons déprimantes depuis 35 ans.

Après est-ce que cela m’a «libéré» au niveau de l’écriture, je ne sais pas. Ce qui est sûr, c’est que - même si la forme et l’esprit sont bien différents - mes livres racontent plus ou moins la même chose que mes textes, ou en tout cas, ils complètent le puzzle. Il y a des passages secrets de l’un à l’autre. Dans Nazca, à la fin du dernier album, je dis "C’est toujours la même chanson depuis le début»… Voilà...

 

- A propos de ta dernière phrase, est ce que tu ne nous aurais pas donné une des clefs du disque?

S. PETRIER : Oui, sans doute, cette phrase est une des clés. J’ai vraiment eu l’impression, quand j’écrivais, quand on a composé, qu’il y avait comme l’âme de tous les autres albums ("Bonne-Espérance" et "L’homme le plus heureux du monde" en particulier) qui transpirait dans ce que nous faisions. Mais pas comme une redite. Plutôt comme un aboutissement. Vraiment avec la sensation qu’on arrivait à l’essence des choses. Ça me fait un peu penser - toutes proportions gardées - à un peintre qui passe sa vie à faire le même tableau et qui un jour, trace juste deux traits et se dit «Oui, c’est ça.» C’est drôle, moi qui doute tout le temps, ce coup-là je n’ai pas peur de dire que je pense que c’est notre meilleur album. Je nous sens vraiment plus forts qu’avant. Je pense que j’ai écrit là mes meilleurs textes aussi. Et bizarrement, ça n’a jamais été aussi facile. Je suis bien incapable de dire pourquoi… juste l’impression que cette année 2020, les planètes étaient bien alignées.

 

- A propos de libération, j'avais exposé ma théorie dans une interview précédente d'un VDN -tout en cultivant son univers singulier- qui s'imprégnait un peu de l'univers musical du moment: new wave, noisy etc... Depuis le précédent, j'ai l'impression que vous devenez votre propre catégorie, et surtout un peu plus en déconnexion des modes ( même si le parlé chanté est plus présent maintenant par exemple et que finalement, l’album est très «générationnel» et séculier). Est-ce que vous vous sentez finalement libéré de vos influences éventuelles? Et au delà de ça, malgré le groupe qui évolue, avec le départ des guitaristes historiques, on a plus que jamais votre identité qui s'affirme...


S. PETRIER : Je crois qu’on ne se libère jamais de ses influences. Mais elles évoluent. Le fait que - cédant à la pression insistante de mes garçons - je me sois mis à écouter (et à aimer!!!) pas mal de rap ces dernières années a forcément eu une influence sur ma façon d’appréhender les textes, dans ma façon de faire sonner ou groover les mots. J’ai aussi l’impression que ça a élargi mon champ lexical, que je me suis autorisé de nouvelles choses, que j’ai exploré d’autres lieux. Marc est arrivé lui aussi avec ses influences qui ont apporté de nouvelles choses à l’ensemble. Sa culture musicale, c’est avant tout le rock 90’s/2000, des groupes qui envoient du bois comme Placebo, Linkin Park, Soundgarden… C’est aussi un grand fan de Jeff Buckley. Tout ça a joué dans cet album, forcément. Le fait d’utiliser beaucoup plus la voix de Nath est aussi une nouvelle couleur sur notre palette. Mais en effet, ça reste du Noz. Je crois qu’on a notre pâte. Le truc qui fait qu’on nous aime ou pas. La grosse différence avec avant c’est surtout qu’aujourd’hui on est très tranquilles avec ça. On assume. Sans complexe.  Et puis aujourd’hui la « mode » musicale part tellement dans tous les sens qu’on serait bien con d’essayer de se raccrocher à un wagon, quel qu’il soit.

 

- Tes garçons, ce sont les deux geeks que tu cites sur le disque? La question des enfants est peu abordée sur le disque, les chansons «le pont» et «quelque chose bouge» avaient traité le sujet dans la thématique?

S. PETRIER : Ah non… les deux geeks du «Café de Paris»… Je n’y avais pas pensé… Mais peut-être qu’inconsciemment je pensais à eux en effet. La chanson cite aussi 2Pac que j’ai découvert grâce à un de mes fils. J’avais envie de placer le personnage dans un monde un peu décalé par rapport à sa culture et à son âge. Et c’est en effet un peu ce qui se passent avec mes garçons. Je sens que grâce à eux je me confronte à des univers que je ne serais pas aller explorer de moi-même. Alors oui, les kids sont sans doute un peu dans ce «Café de Paris»...

Quant au thème des enfants, c’est vrai qu’à part «Quelque chose bouge» qui était une chanson sur la peur de la paternité, je n’ai jamais abordé le sujet. Je dois avoir peur d’écrire des niaiseries un peu trop sucrées… Après, ce n’est que moi… Mon copain Jean-Philippe Fayet (du groupe Dory4 qui participe aussi au projet d’album hommage à Murat) a écrit deux magnifiques textes sur ses fils dans leur dernier album. Mais je ne me vois pas faire ça. Et puis j’ai une pudeur à géométrie variable: ça ne me gêne pas de montrer mon cul sur scène mais par contre ça ne me viendrait pas à l’idée d’étaler mon intimité familiale sur facebook ou de chanter mes enfants.

 

- Musicalement, du coup, est-ce qu'il y avait quand même un axe particulier sur cet album? Et est-ce que vous êtes partie de zéro? (d'après nos précédents contacts, je pense qu'il y avait encore des musiques dans les cartons peut-être depuis bonne espérance)

S. PETRIER : Non. En général sauf cas de force majeur, perso je n’aime pas trop aller piocher dans la collection de l’année précédente. Y’a toujours un côté réchauffé qui me dérange. Et puis là, on était tous à fond, on avait plein d’idées, on arrivait plus à s’arrêter. Limite, cette fois-ci, c’est moi qui ai du freiner pour que ça ne se transforme pas en triple album.

Quant à la direction artistique, musicalement, au départ, on n’a pas trop réfléchi. Nous avions 5 ou 6 titres à l’automne 2019, dont trois qui ont fini sur l’album (Le plan B, Mathématiques modernes, Cache-cache) mais on naviguait un peu à vue. En revanche on avait une petite idée de «charte sonore», que l’on avait déjà un peu testé sur la reprise du « Capitaine ». Celle-ci reposait bien sûr sur le son de guitare de Marc, l’utilisation de la voix de Nath, l’envie d’avoir des rythmiques assez puissantes, et puis côté claviers, l’utilisation d’un petit joujou dont nous avions fait l’acquisition : le Microfreak, de chez Arturia. Un petit synthé/groovebox, avec des filtres analogique qui permet de bidouiller des trucs bizarres et qui a vraiment coloré le son sur certains titres.

Au niveau du concept et des textes, j’avais ma petite idée depuis un moment. Mais les événements extérieurs, le confinement, ont donné une autre dimension à l’histoire. Je ne me suis mis à écrire qu’en mars dernier.

 

- Tu nous ramènes à mars dernier, et donc la Covid… Évidemment, la référence est assez évidente, même si je me disais aussi que le thème est déjà présent depuis longtemps via le Sida "que la fête commence" et "hôtel terminus", la situation de crise du dernier album aussi. Comment toi et le groupe avez vécu les événements? IL y a dans le disque mention d'interdictions, de choix politiques (premier titre) et la référence à la résistance... Est-ce qu'il y a un message politique?

S. PETRIER : Un message politique, ah non. Je m’en sens bien incapable. Ça reste un album sur l’amour hein… Mais il se trouve que quand j’ai commencé à écrire les textes je lisais des bouquins sur la débâcle de 1940. C’était au moment du premier confinement où personne n'en menait bien large et - on l’a un peu oublié - on avait l’impression de vivre quand même un truc de dingue. Nous, nous avions fui dans notre campagne bourguignonne. Et plus je lisais des trucs sur 1940, plus je voyais des parallèles avec notre situation. La panique face à l’inconnu, l’impression que ça ne pouvait pas nous arriver à nous, le caractère des gens qui se révèle dans les moments critiques… Ça résonnait aussi, évidemment avec ce dont je voulais parler en priorité : l’amour, le désamour, les couples qui se défont et qui souvent n’ont « rien vu venir », se croyant bien à l’abri derrière leur petite ligne Maginot… Ça a donné « Rejoindre la zone libre »… et un peu le ton de l’album…

Quant au groupe, plus globalement, je crois que ce confinement a été pour nous une bénédiction. On était frustrés de ne plus pouvoir faire de musique alors on se parlait beaucoup par vidéo, par whattsap, tous les 5 mais aussi avec David et Patricia (nos papa et maman-managers)… Des échanges à n’en plus finir et des grosse poilades surtout… On commençait à avoir des idées de titres. Un jour on s’est dit «Et si on créait un morceau uniquement en s’envoyant des fichiers, comme ça, pour voir…». Alex a dit «Ok je vous envoie une batterie"… Quelques jours plus tard Marc revenait avec une instrumentation et une structure qui avaient une sacrée gueule. Ça sonnait super bien. Je crois que dans la journée même j’ai fait le texte de «il semblerait que l’amour fut». Là, on s’est dit qu’on tenait quelque chose…

 

Bon, on sait qu'il y a de nombreuses lunes, un des tes textes avait plu à quelques lyonnais extrémistes (sculture lente, je pense qu'on en avait parlé, les chansons doivent faire leur route, mais c'est bien de les guider quand même)... alors c'était bien de repréciser.

S'il n'y a pas de message politique, est-ce que la société actuelle est néanmoins présente et influe sur les relations amoureuses? Murat a parfois un peu ce discours sur les nouvelles relations hommes/femmes. Tu me parlais pendant la pub de la chanson "Christine"..

 

S. PETRIER : Là je vais enfoncer des portes ouvertes. Mais c’est évident qu’entre nos vies par procuration sur les réseaux sociaux et la crise sanitaire, l’amour a pris un sacré coup dans la gueule. C’est compliqué aujourd’hui de «rencontrer quelqu’un». «Christine» c’est en effet une chanson qui parle un peu de tout ça. De la distanciation sociale. De la peur de l’autre. De la contagion. Et puis, plus profondément, j’avais envie de parler des filles de 40-50 ans (d’où ce choix de prénom «vintage») qui ont - en tout cas pour un certain nombre que je vois autour de moi - un vrai problème avec l’amour. J’ai pas mal de copains célibataires qui voudraient refaire leurs vies. Les garçons, en général, sont plutôt open, prêts à retenter quelque chose, à s’ouvrir, à faire confiance, au moins à essayer… En revanche, les filles gardent une sorte de carapace, un blindage… quelque chose qui semble dire « on m’a bien niquée par le passé, cette fois, on ne m’aura pas… ». Et quand tu gardes cette carapace, c’est forcément compliqué de reconstruire quelque chose de sain… C’est un peu «genrée» comme conversation ça, non ? On va pas se faire taper sur les doigts ?

 

- Mais non, mais non, sur un blog sur Murat, on ne va pas se choquer pour si peu... tant qu'on ne parle pas du physique, ou que je ne t'interroge pas sur l'incongruité de sortir un album hétéro en 2021! Pas intéressé par un bon bad buzz? Plus sérieusement j'en profite: autour de de la sortie du disque, pas de stratégie de communication ou coup prévu? Quand tu disais qu'il n'y avait pas de calcul chez les noz, c'est aussi parce que selon moi, du fait de votre statut, vous auriez pu capitaliser sur «Lyon", écrire deux, trois titres à la Biolay sur le crayon, un ou deux hymnes... j'ai un peu en tête ce qui peut se faire en Allemagne, par exemple à Cologne, avec des chanteurs et groupes qui incarnent la ville(dans un pays si différent par son absence de centralisme), il n'y a jamais eu cette tentation de faire ces concessions-là?

S. PETRIER : C’est drôle que tu me poses cette question parce qu’elle m’a été posée il y a peu par des gens qui suivent le groupe. C’était juste avant la sortie du titre «il semblerait que l’amour fut» où je cite à peu près la moitié des villes de la planète… mais pas Lyon. En effet, je n’ai jamais écrit sur Lyon, ni même évoqué cette ville, que pourtant j’adore, dans une chanson. Peut-être justement parce que je l’adore. Je crois que j’ai trop peur de faire «carte postale» et office du tourisme. Parler du crayon et des traboules, très peu pour moi… En même temps, je me dis que ce n’est pas un hasard si le groupe s’appelle «Le voyage de Noz». Il y a cette envie de raconter un ailleurs. Parler de Lyon, c’est peut-être pour moi revenir au banal, au quotidien… Et paradoxalement j’adore quand Murat me fait la visite touristique de son Auvergne et évoque des lieux qui lui sont chers. Ça a un charme fou. et quelque chose de très mystérieux aussi… peut-être parce que je ne suis pas Auvergnat.

Pour parler plus largement stratégie de communication, c’est un domaine où nous n’avons pas beaucoup progressé. Comme toujours, on navigue un peu à vue, avec nos petits moyens. Par contre, on a plein d’idées  de vidéos, pour les chansons de l’album. Si on trouve des réalisateurs motivés et si on arrive à débloquer un peu de budget, on fera des images, c’est sûr… Pour le reste, on espère surtout pouvoir refaire des concerts...

 

- Pour moi, on avait quelques évocations de Lyon quand même : 30 avril sur les quais (bon un instru, Devant la cathédrale sur le dernier album)... (Pour les fans : quand j‘écoute « retour vers la case départ », je vois toujours le roadtrip vidéo diffusé lors des concerts de l’époque).

Pour rester dans la géographie, l’album nous envoie en Allemagne, peut-être le Danemark... Plus sérieusement, une raison particulière pour avoir choisi cette direction ?  Mes questions sont de plus en cons mais vu que tu trouves toujours des choses intéressantes à nous dire…

S. PETRIER : Sur ce coup-là, je suis pas sûr d’être intéressant… Il n’y a pas de vraie raison. Le truc s’est fait à l’instinct. J’ai mis mes personnages dans un van et il fallait partir. Instinctivement vers le nord (le nord c’est une direction souvent citée par les héros de notre premier album « Opéra », j’ai sûrement dû penser à ça). Pour la suite, on en revient un peu à la question d’avant. Peut-être que j’ai choisi cette direction parce que ce sont des endroits que je ne connais pas. Je n’ai jamais foutu les pieds à Lubeck ou à Rostock. Encore moins en Scandinavie. Ce sont des coins qui m’attirent. J’ai beaucoup travaillé avec Google map. Je me suis baladé dans des villes, dans rues de villages, sur des plages de la mer baltique… J’ai regardé des itinéraires aussi en partant de Lyon. Pour savoir par où pouvaient passer mes personnages… J’adore faire ça… Et puis peut-être que s’il faut chercher une explication plus « psy », il y a sans doute dans un coin cette idée qu’avec le réchauffement climatique, la violence de notre monde, le salut se trouve plutôt par là-haut, dans des grands espaces encore un peu vierges… en tout cas dans des endroits où il y a moins d’être humains...

                                                                            road-trip sur le canapé (Berlin 2015)

- J ai la chance que ça m évoque des choses concrètes : j’ai pris le bateau à Lubeck, ou rouler en Allemagne en m’interrogeant sur l’amour… Parle moi, après le contexte et les lieux, du casting... Pour la première fois, tu prêtes ton micro! Et le disque m a évoqué "un film chorale"...

S. PETRIER : Chorale, oui sans doute, car au-delà des héros, il y a une galerie de personnages et d’histoires d’amour (ou de désamour) parallèles. C’est vrai que j’ai pensé moi aussi aux films d’Inarritu (Babel en particulier). Je crois aussi avoir pensé à des films de zombies, «World war Z», des films coréens du même genre… Ne me demande pas pourquoi… Le côté fuite... Le privilège de faire partie d’un petit groupe de rescapés… Je fais souvent des rêves comme ça où on est plus très nombreux et poursuivis par les méchants… Quelque part entre Jean Moulin et Walking Dead.

Mais là je m’éloigne… Pour en revenir au casting, c’est vrai, pour la première fois il y a deux chansons où ce n’est pas moi qui chante. Je crois vraiment que c’est dû à l’ambiance qu’il y a dans le groupe depuis quelques temps. On se sent tous assez libérés. Prêts à tenter des trucs. Quant à moi, j’ai l’impression que le fait de me sentir encore plus en confiance, mais aussi d’être plus sûr de moi, m’a paradoxalement donner l’envie de lâcher le micro.

Pour Nath, ça me semblait assez évident qu’elle devait chanter. Pierre avait composé un truc à la guitare (ça aussi c’est une première chez nous) un petit thème avec une super ambiance, quelque chose que j’ai trouvé très féminin, je ne sais pas pourquoi. Je lui ai piqué et j’ai développé l’histoire, avec un refrain, pour en faire quelque chose pour Nath. Ça a collé tout de suite. Et le texte est venu très vite aussi… Je te l’ai déjà dit, tout a été assez facile dans cet album. Le titre chanté par Marc, c’est très différent. Un jour Marc m’envoie une démo qu’il avait faite. Il chantait en yaourt dessus. Sa mélodie de voix était vachement bien. Et sa voix aussi d’ailleurs. Quand on faisait des chansons avec Eric ou Manu, ils m’apportaient des thèmes, plus ou moins développés, mais c’est toujours moi qui écrivais les mélodies de voix. Non pas qu’ils n’en soient pas capables mais je pense qu’ils n’ont jamais trop osé. Les mélodies de voix c’était mon truc. Marc lui, jeune béotien, ne connaissais pas cette règle tacite. Et puis il a beaucoup travaillé tout seul avant. Il a cette capacité à apporter un titre pratiquement fini. C’était le cas de ce morceau. C’était tellement bien avec sa voix que j’ai fait le texte en français et je lui ai dit «C’est toi qui va la chanter celle-là». Il a fallu un peu le violer au début mais en fait je crois qu’il aime bien ça (chanter hein… pas qu’on le viole…). J’aime beaucoup ces deux titres. Je trouve qu'ils amènent une autre couleur tout en restant «Noz». Par contre, il faut que je fasse attention à pas trop lâcher les rênes quand même parce qu’un jour, si je ne suis plus indispensable, ils vont finir par me virer.

 

- Quand tu parles de mélodie de voix, dans l’élaboration des chansons, ça passe toujours par une phase de yaourt ?

S. PETRIER : On va dire 9 fois sur 10. Il y a de temps en temps un texte qui s’impose au départ et autour duquel je vais chercher une mélodie. Ça m’est arrivé pour «J’empire» par exemple ou pour «J’aimerais bien que tu sois morte». Ou dans «Nazca – part 2» pour cet album. Le reste du temps il y a toujours un petit passage par le yaourt que j’essaye de rendre de plus en plus court. Je crois qu’on en avais déjà parlé. Quand on reste trop longtemps avec une mélodie en yaourt, c’est dur de s’en sortir.

- On pense du coup aussi à un groupe en tournée, avec la thématique musique, et ça représente bien ce renouveau du groupe. Au delà des voix,  toi même tu interprètes plusieurs "personnages"?

S. PETRIER : Le groupe en tournée… Je t’avoue, mais tu le répètes pas, que ma toute première idée pour cet album, c’était en effet de raconter en gros la même histoire mais dont les 5 personnages (dans le van du «Plan B») auraient été les vrais membres du groupe : Alex, Pedro, Marc, Nath et Stef… Mais je n’ai pas eu les couilles d’aller au bout… Ça demandait de mettre dans la bouche des gens, sous leur nom, des choses par moment un peu difficiles à assumer. Dans «Le patient zéro», j’enfile, sous mon nom, le costume d’un personnage incapable d’aimer, un peu comme je l’avais fait dans "Kill the dog". Perso, ça ne me gêne pas, au contraire, je trouve ça plutôt rigolo. Par contre, c’était compliqué de faire assumer aux autres des trucs de ce genre avec mes textes… J’ai donc renoncé à l’autofiction sur ce coup-là.

Résultat, j’endosse donc le rôle d’un certain nombre de personnage, dans des histoires plus ou moins glorieuses… Il y a ceux qui vont «rejoindre la zone libre» et d’autres qui vont rester sur le quai.

 

                                       Aldo Perrin, Marc, Stéphane, Nathalie, Pedro (Pierre)   

- Est-ce que tu peux caractériser et différencier le jeu des différents guitaristes de Noz : Manu, Erik et maintenant Marc? Éventuellement distinguer leur apport respectif...

 

S. PETRIER : D’abord ce sont 3 excellents guitaristes. A force d’être avec les gens tous les jours, on peut parfois l’oublier, finir par trouver ça normal. Mais non. C’est une sacré chance de pouvoir jouer avec des musiciens comme ça.

Manu, c’est un jeu un peu inclassable, avec des doigtés très particuliers. Avec Alex et Eric on se foutait souvent de sa gueule quand on essayait de refaire ses plans. Souvent, on cherchait des positions super compliquées et on se rendait compte qu’en fait Manu faisait un truc tout simple avec deux doigts… C’est une sacrée feignasse. :) Mais surtout quel talent pour trouver des riffs ! C’est un des musiciens les plus originaux que je connaisse.

Au premier abord Eric a un jeu plus classique, plus rock’n roll, mais il a aussi été capable de sortir un paquet de bons riffs et de beaux thèmes pour Noz. C’est comme Manu un musicien très complet, capable de faire de la production, et qui a beaucoup d’idées d’arrangements. Et puis surtout c’est quelqu’un avec qui j’ai toujours adoré travailler en binôme. Quand on bosse à deux, il se met vraiment au service de la chanson, il me fait confiance, tout en sachant défendre ses idées.

Marc c’est quelqu’un qui est capable de pratiquement tout jouer. Il s’est adapté au groupe à une vitesse vertigineuse. Le fait qu’il connaissait et aimait le groupe depuis longtemps a sans doute joué, mais ça nous a quand même bluffé. Dès les premières répètes il réussissait à reprendre parfaitement tous les plans, que ce soit ceux de Manu ou ceux d’Eric. Depuis il a pris sa place à lui et apporté sa personnalité mais tout en sachant garder l’ADN du groupe. C’est un perfectionniste. Il a des idées très précises de ce qu’il veut au niveau son. Il est capable de bidouiller des heures ses pédales et ses amplis pour obtenir ce qu’il veut. En studio, il peut être très chiant parce qu’il n’est jamais satisfait et qu’à certains moment on est obligé de lui dire « C’est bon Marc, elle est nickel ta prise, on arrête maintenant, il faut aller se coucher… ». Mais on lui pardonne parce qu’il a vraiment apporté un vent de fraîcheur dans notre musique. C’est aussi un très bon compositeur. Et un très bon arrangeur. Alex m’a dit une fois que c’était comme si Marc avait toujours fait partie du groupe. C’est très vrai.

On est super content de voir que Manu développe son beau projet « Tilda & Dad » avec sa fille Mathilde. Ce sont des personnes que l’on aime beaucoup, qui ont beaucoup de talent et dont nous sommes très proches, et pas seulement parce que Manu est le frère d’Alex (Mathilde travaille son chant avec Nath). Un jour ou l’autre, je suis sûr que ça va cartonner.

Et on est tout aussi heureux de voir qu’Eric, après avoir mis sa guitare au placard pendant un an, a ressorti le matos. Il est en train d’enregistrer un album-concept qu’il a composé pendant le confinement et dans lequel il y a une multitudes d’invités. On retrouve Carol Le Blanc, bien sûr, sa chérie (et ex bassiste de Noz) et plein de copains. J’ai écrit quelques textes pour le projet et j’ai même poussé la chansonnette sur deux morceaux. Les titres que j’ai entendu sont vraiment tops. Ça va faire un très bel album.

[le morceau acoustique Erik/Manu live:  "un 30 avril sur les quais"]

 

- Revenons à l’album : il y a ce titre "le passeur" sur une très jolie mélodie, où tu t'amuses avec des noms d'albums, jouant sans doute aussi du terme "passeur" ("prescripteur")... Tu as choisi d'évoquer des "gros" (rolling stones, beatles, radiohead...) et pas forcement, tes goûts plus personnels…

S. PETRIER : Oui, dans l’histoire celui qui est censé aider les héros à passer en zone libre tient un magasin de disques. J’aimais surtout la symbolique du fait que ce soit la musique qui puisse aider à "passer du bon côté »... à être plus libre. Et c’est vrai que les albums cités ne sont pas forcément mes disques préférés (Quoi que « Ok Computer… »), ce sont plutôt des « classiques », des disques et des artistes « importants » ou en tout cas que j’estime importants, qui ont marqué mon adolescence pour la plupart, et aussi dont le titre avait du sens dans l’histoire (Achtung baby, Let it be, Exile on main Street, Closer…). C’est une chanson assez old school, plutôt nostalgique. Je me souviens l’avoir écrite après avoir fait un rangement de mes vieux vinyles. Ça a fait remonter des souvenirs, la sortie du mercredi avec un billet de 50 francs pour aller s’acheter le 33 tours qu’on attend depuis des mois… C’était une époque où acheter un disque était un moment important et merveilleux, avoir l’objet dans les mains, passer l’après-midi sur la pochette à lire les paroles, tout ça… Ça y est, je suis en train de faire le vieux con...

 

 

- Tiens d’ailleurs, à ce propos… Avec tout ça (l album), et aussi dans mon contexte muratien Babylove, à l écoute, on a quand même tendance à se demander comment ça va dans ton couple?! (rires).

Je me rappelle de bout de discussion au moment de bonne Espérance déjà, tu as vécu un peu des choses par procuration ? 

 

S. PETRIER : Procuration, je ne sais pas… ça dépend des chansons :)) En tout cas, je raconte des choses qui me touchent ou qui touchent des proches, des choses que j’ai vues autour de moi… Je crois surtout que si, dans la vie, en vieillissant et en prenant de la bouteille, on arrive à y voir plus clair et à gagner en expérience sur plein de sujets, dans le domaine de l’amour, les choses restent toujours compliquées. L’amour c’est un combat permanent. Tout peut s’écrouler ou devenir merveilleux à tout moment. Il n’y a pas de formule magique. Pas de règles. Pas de répit.

 

- mince, c’est donc l album de la maturité (running gag)… Tu parlais de chansons tristes, sur une chanson où on perçoit une sortie positive… ton héro dit «je me dirais presque heureux». Chanter le bonheur, c’est impossible?

 

S. PETRIER : Ah non, ça a l’air d’être tout à fait possible parce qu’il y a plein de gens qui font ça merveilleusement bien. Moi, j’ai beaucoup plus de mal… Mais je me soigne…et je progresse un peu… par moment… «Le train» est en effet le morceau de l’album qui ouvre vers une issue positive. La phrase «je me dirais presque heureux»… c’était justement cette impression d’avoir écrit quelque chose de pas trop désespéré… Ce mot «heureux» qui arrive à la fin de la chanson, pour moi c’est déjà un exploit. Ça fait du bien. Franchement j’aimerais bien réussir à écrire les moments ensoleillés de nos vies. On va dire que c’est mon challenge pour les 10 prochains albums.

 

- Pour parler d amour, vous avez choisi de faire entendre un extrait de Jules et Jim. On retrouve aussi une séquence en anglais qui me dit quelque chose mais je n ai pas identifié...

S. PETRIER : Oui. l’extrait de Jules et Jim (la scène de la course où c’est Jeanne Moreau qui gagne…) ça faisait bien le lien entre la chanson de Marc qui est une histoire de triangle amoureux et "Cache-cache", le titre d’Alex, qui raconte l’histoire d’un garçon incapable d’échapper à une fille. Et puis un petit extrait de Truffaut entre deux chansons, ça fait tout de suite un peu bobo intello-chic non ?

 

- Y a encore du taf avant de ressembler à Delerm…

S. PETRIER :  Les autres extraits sonores, c’est sur le final de «La Chambre d’hôtes», la chanson de Nath. J’imaginais les deux personnages, dans le lit, en train de zapper devant leur télé. Ça commence par un passage de Star Wars (dont parle la chanson), ensuite, il y a des petites choses qui me tenaient à cœur : Greta Thunberg (citée également dans une autre chanson), un reportage animalier sur les loutres, le professeur Choron et Pollac qui s’engueulent dans un vieux «Droit de réponse», le monologue d’Edouard Baer dans Astérix Mission Cléopâtre… J’anticipe un peu : oui, j’aime beaucoup les loutres.

 

 

Ah, ce petit flow est rempli de loutres? (censuré par le comité de lecture).

Sur le vers sur le jedi, j’avoue que je demandais ce qu il venait faire là...Tu peux nous expliquer ?

 

S. PETRIER :  Ça parle de ces films qu’on revoit 100 fois à la télé. Et on reste devant au lieu d’éteindre et de faire quelque chose de plus intelligent. Parfois on pique un peu du nez. Comme les vieux. C’est un peu déjà ce que racontait «Empêche-moi de dormir». Notre fainéantise quotidienne, notre propension à aller vers la facilité. C’est contre ça que se révolte l’héroïne de «La chambre d’hôtes». Le choix du film... ben ce soir-là y’avait que ça ou Columbo. Plus sérieusement, Star Wars c’est la rébellion face à l’Empire. On va dire que c’est pas déconnant par rapport au thème de l’album. Quant au jedi, il se fait dégommer pendant que nous on bulle devant la télé, au lieu d’aller se battre… Pas collabos, mais pas résistants non plus… On en revient là aussi à des thèmes déjà explorés. Et puis Star Wars c’est quand même une belle mythologie. Chez les Pétrier en tout cas, ça parle... 

 

- Tu me disais il y a quelques années : Je ressens les personnages de nos histoires comme des amis que l’on quitte et qui reviennent dans l’album suivant.   Est-ce que tu as glissé beaucoup de clins d’œils volontairement ? glenmorengie, je ne suis pas encore mort, je sais qu’un fantôme me suit… Il y a même chez moi des mots qui sont connotés : mots/ mains sales, (la fête) s’achève, « combien de nuits » me renvoie à « chaque nuit »….

S. PETRIER :  Non, très peu cette fois-ci. Le nouveau line-up, cette impression d’être des ados qui montent un nouveau groupe, ça ne m’a pas donné forcément envie de coller des références anciennes de partout. Les petits clins d’œil, ils sont plutôt sur la pochette. C’est quand l’enregistrement a été terminé qu’on s’est rendu compte que cet album n’aurait pas existé sans les précédents. Il y a des liens évidents, narratifs mais aussi musicaux avec ce que nous avons fait avant.

 

- Sur le titre "patient zéro?" (« musique militaire »...), je pense beaucoup à Florent Marchet: le talk-over, la partie instrumentale cosmique proche de son dernier album, et certains vers qui colleraient bien à sa chanson "les cachets" (sur Rio baril), est-ce que tu connais?


S. PETRIER :  Je n’ai pas pensé à Florent Marchet en écrivant ce texte mais c’est quelqu’un que j’aime bien, et en particulier l’album Rio Baril. Alors il est fort possible que ça m’ait influencé à l’insu de mon plein gré. Marc avait ce titre qui envoyait, très rock 90’s, et je trouvais intéressant de la casser avec un break halluciné et très 70’s pour le coup… Je crois que j’ai plutôt pensé à Ange et à certains délires de Christian Descamps en le faisant. J’aime bien le résultat, et le redémarrage derrière qui envoie vraiment. Ça fait partie des trucs que j’ai hâte de faire sur scène.

 

‌- Pour parler des trucs qui envoient... Parlons du gros morceau NAZCA. Dans la partie 1, avant l'envol, on quitte le nord pour un rêve un peu étrange. Tu as essayé le peyotl ou bien?

S. PETRIER :   Non, je n’ai pas essayé le peyotl mais, en revanche, j’ai vraiment marché sur les lignes de Nazca… Et je me suis fait engueuler par le guide parce que c’est strictement interdit.

Je ne suis pas particulièrement mystique mais il faut avouer que se retrouver sur ces dessins immenses plantés au milieu du désert et de la poussière depuis des centaines voire des milliers d'années, c’est une expérience qui m’a marqué. Après, la chanson raconte en effet le rêve amoureux que fait l’un des personnages de l’histoire. Et comme tout les rêves, c’est assez difficile à expliquer…

 

- Sur le texte, ses échecs ? ou encore un hymne à nos compromissions? une suite à "j'empire" (single 2006)…

S. PETRIER : Oui, un peu tout ça. Mais par rapport à « J’empire » il y a une phrase à la fin change la donne : «J’en ai fait des dégâts, avant toi ».

C’est l’idée qu’il peut y avoir une rédemption. Que l’on peut changer. Ou tout du moins s’améliorer. Que certaines personnes, ou l’amour, peuvent te tirer vers le haut.
C’était déjà le thème du "Mont Saint-Esther » et plus globalement de l’album « L’homme le plus heureux du monde ». Toujours la même chanson…

Globalement je suis quelqu’un qui croit profondément à l’idée que l’on peut changer, évoluer, dans nos vies. J‘ai beaucoup de mal avec les gens qui disent « Je suis comme ça et je ne changerai pas ». Cette sorte de pseudo-romantisme à vouloir se complaire dans ses défauts, et à graver des choses dans le marbre, pour l’éternité, je trouve ça d’une tristesse infini. Nous sommes des êtres perfectibles. Enfin j’espère.



- Tu avais déjà l'idée de relier les deux textes ? Comment s’est construit le morceau avec cette rythmique de folie?

S. PETRIER : Non, ça s’est plutôt construit façon «A day in a life»… toute proportion gardée… Nazca 1, c’est une musique de Marc. On a commencé à travailler le titre avec le groupe et on ne savait pas trop comment le finir. Moi j’avais composé la deuxième partie dans mon coin et je me suis dit que les deux enchaînés, ça ferait un beau final d’album. Quant au texte, la deuxième partie était pour moi comme une sorte de réveil brutal du héros après son rêve de Nazca. Le catalogue de tous ses échecs. Nazca, mais avec les lignes qui auraient été effacées...

Rythmiquement, Alex et Pedro avaient trouvé cette rythmique bien groovy. Et l’idée c’était de faire monter le truc le plus possible jusqu’au bout. Avec Nath on voulait un final avec les voix presque «comédie musicale». Et je tenais aussi que ça sonne comme une sorte de pendant à «Il semblerait que l’amour fut» qui ouvre l’album. Henri Dolino (qui a travaillé sur la prod additionnelle aux côté de Xavier Desprat) a alors eu l’idée de réutiliser les samples et les percus qu’il avait utilisé sur « l’amour fut ». C’est ce qui donne ce son assez énorme à l’ensemble je crois.

 

-  Est-ce que cela renvoie aussi au vers un peu étrange "Je ne commets jamais les crimes que j’avoue"?  (dans le Patient zéro)

S. PETRIER : Oui. Autant parfois on peut avoir envie de cacher nos crimes, autant, à d’autres moments, on est tenté de jouer les bad boys et d’avoir l’air plus horrible qu’on ne l’est en réalité. C’est peut-être un petit complexe que je traîne depuis l’adolescence où j’étais plutôt un garçon sage, bon élève et obéissant. Au fond de moi j’enviais les vilains garçons. Ceux qui faisaient des conneries et qui faisaient l’admiration des filles. La musique m’a permis d’être au moins en apparence un peu « à la marge »  mais au fond de moi je suis toujours quelqu’un de plutôt banalement « mainstream » à plein de niveaux. Et il m’arrive parfois de regretter d’être aussi raisonnable, de ne pas être un vrai « écorché », de ne pas être capable d’aller « à la limite »… 

 

- Comme sur Bagdad disco club, le petit regret devant ces titres hors-normes et tubesques, c'est que tu n’aies pas posé un vrai chant dessus. Je ne sais pas si c'était possible....

S. PETRIER : Ah si c’était possible. Au départ j’avais une mélodie sur Nazca 2. C’était pas mal. Mais je reste persuadé que le phrasé "parlé" de la première partie était le bon choix. C’est peut-être mon goût pour le rap, mais dans nos chansons en tout cas, le talk-over n’est jamais un choix par défaut. Quand je l’utilise c’est vraiment parce que je pense que c’est ce qu’il faut faire à ce moment-là. C’est vrai que sur cet album, il y a plusieurs morceaux traités ainsi (le planb B, l’Amour fut, Nazca…) et je crois que j’aime de plus en plus ça. C’est passionnant à faire. Ça a quelque chose d’organique. Et ce n’est pas une solution de facilité. Ça demande une grande exigence au niveau du flow et je trouve que ça met en valeur les parties chantées. Il ne faut pas, bien sûr que ça devienne systématique mais maintenant, ça fait partie des options que j’ai quand on commence un titre.

                             Presque heureux on vous dit!!!

 

- Tu as parlé d'Henri Dolino, qui a été un bassiste de la formation durant un moment et qui a aussi un petit gars du new Jersey dans son cv pour compléter (il était derrière la console lors du concert du boss à l’auditorium de Lyon)... Pourquoi avez- vous voulu sa participation? (ps: il n'est plus au Canada?)


S. PETRIER : Si, il vit toujours à Montréal. C’est le parrain d’un de mes fils et surtout un immense ami. Il a toujours continué à faire de la musique, et du son, au Canada et il y a trois ans, il a sorti un album avec une chanteuse québecoise dont il était le réalisateur et que j’avais trouvé vraiment intéressant.


Quand on a réfléchi à la prod de l’album, au printemps 2020, il nous a rapidement semblé évident que nous allions travailler avec Xavier Desprat, notre ingé son concert depuis plus de 15 ans, qui avait déjà mixé "Le début-la fin - le début » et qui fait lui aussi partie de la famille. Mais ça nous titillait quand même quelque part d’inclure Henri dans la réalisation. On a commencé à en parler et comme on savait qu’humainement ça se passerait bien et qu’il n’y aurait pas de problème d’ego entre eux, on leur a proposé de collaborer. En gros, Xav gardait la main sur le mix mais Henri était là pour, selon les morceaux et selon son inspiration, apporter des idées de prod. A l’automne dernier, une fois les enregistrements terminés, on a donc commencé à s’envoyer des fichiers d’un bout à l’autre de l’Atlantique… Et on est vraiment très content du résultat. Non seulement parce qu’Henri a eu de super idées sur certains titres mais aussi parce qu’il nous a par moment secoué dans nos certitudes. Xav a fait un boulot énorme. 18 titres, tant au niveau des prises que des mix, avec des casse-couilles comme nous, c’est plus qu’un exploit, c’est un sacerdoce. Et à l’arrivée, il nous a donné le meilleur son que nous n’avons jamais eu. Mais je reste persuadé que la présence d’Henri l’a poussé dans ses retranchements et forcé à se dépasser.

 

 

- Encore un petit mot à nous dire sur le disque, je te sens bien lancé…

S. PETRIER :  Sur l’enregistrement, on a passé le mois d’août 2021 dans notre maison dans le Brionnais. Ça faisait longtemps que je rêvais de pouvoir enregistrer comme ça, à la campagne, en prenant le temps, en mettant des micros dans des endroits pas possibles, en cherchant l’endroit qui a le bon « mojo »… et puis, au-delà de la musique, de partager des vrais moments, les petits déjeuners, les soirées un peu arrosées, jouer de la guitare dans la jardin… bref avoir du temps ensemble. Il y avait vraiment une ambiance incroyable, entourés de gens qu’on aime : Xav, Floriane qui l’assistait aux prises de son, Dav et Patricia, Stéphane Thabouret (qui a fait les photos de la pochette), Eric Martin (du Radiant-Bellevue)…

C’est un album particulier aussi dans l’investissement de chacun. Par le passé, Noz a souvent été un groupe à deux (voire trois) vitesses. Avec des leaders qui prenaient beaucoup de place et des gens plus effacés qui suivaient. Cette fois, que ce soit Nath, Alex, Marc, Pedro… tout le monde a vraiment apporté sa pierre à l’édifice. Les idées fusaient de toutes parts, c’était même parfois un peu le bordel à gérer mais c’était vraiment jouissif.

 

- Pour finir, tu peux nous parler du titre (ou des titres?) que tu as choisi de reprendre pour le projet Aura aime Murat?  Pourquoi ce choix? Qu'est-ce que cette chanson t'évoque?

 

S. PETRIER : Pour "AURA aime Murat", d’abord j’ai beaucoup hésité à dire oui parce que je ne voyais pas trop comment apporter une valeur ajoutée à l’œuvre du bougon auvergnat. Quand on a participé au projet d’hommage à Hubert Mounier l’année dernière, je n’avais pas ce genre d’hésitation. L’univers de Louis Trio était quand même loin du nôtre et je sentais qu’on pouvait faire quelque chose de personnel et qui nous ressemblerait sans trop trahir - j’espère - l’œuvre originelle.

Avec Murat, c’était plus compliqué parce que j’aime déjà les chansons telles quelles, et que je trouve que Murat chante beaucoup mieux que moi. Déjà on a décidé de ne pas impliquer Le voyage de Noz dans l’histoire. Nous savons par expérience que ce genre de projet est quand même chronophage et nous avions besoin de nous consacrer vraiment à notre nouvel album. J’ai donc plongé tout seul, sans vraiment savoir artistiquement ce que ça pouvait donner, mais juste parce que j’aime bien Murat, que ça fait partie des trucs que je prends plaisir à jouer chez moi les longues soirées d’hiver, aussi parce que le courant passe bien avec Stan Mathis et Stardust qui organisent le bouzin … et surtout parce que j’avais envie de rejouer avec mon ami Jérôme Anguenot, le guitariste de Nellie Olson, que j’ai embarqué dans l’aventure.

 

Pour le choix des titres on a pas mal hésité. On a failli s’embarquer dans des trucs ambitieux ("Royal Cadet" notamment…) et puis on est revenu à du plus basique. Il y a d’abord « Petite luge », qui n’est pas un titre 100% Murat puisque composé par Fred Jimenez pour l’album « A bird on a poire » mais qui reste incontestablement mon titre préféré. Et puis un classique « Perce-Neige », que j’adore dans sa simplicité.

« Petite luge » c’est une chanson très érotique, un hymne à l’amour physique, tout du moins je l’envisage ainsi. L’enchaînement d’accords et la mélodie sont d’une finesse que j'adore. Quant aux mots… il y a ces phrases venues de nulle part, où l’on ne comprend pas forcément tout, mais très évocatrices. Erasme, « L’origine du monde", de Courbet, le petit grain d’encens sur le cochon… c’est un peu le bordel, mais j’imagine très bien la pièce où la scène se déroule….

 

"Perce-Neige" on est chez un Murat qu’on connaît mieux, le terroir, les origines, tout ça… Et aussi les questions que se pose l’artiste sur son travail « Je fais des chansons comme on purgerait des vipères… ». C’est magnifique. C’est aussi une sorte d’éloge de la lenteur. C’est quelque chose chez Murat dont je suis très admiratif. Cette façon de maîtriser les rythmes très lents, de savoir jouer avec le silence… Je crois que depuis que je commence à délaisser la ville pour la campagne, que je passe des heures à regarder les vaches, je suis de plus en plus sensible à ce genre de choses.

 

Merci Stéphane Pétrier!

Interview réalisée par mails du 17/04 au 10/06/21

Double vinyle 
Edition limitée à 300 exemplaires
40 Euros (+ 7,35€ frais de port)

Digipack 2 CD / Livret 24 pages
22 Euros (+ 6,35€ frais de port)

https://www.levoyagedenoz.com/

https://www.facebook.com/Le-Voyage-De-NoZ-Officiel-874977172545874

Sortie 18 juin en numérique et plateforme (En attendant 4 titres en écoute sur le site internet)

Concerts:

9/07 : Fête de la musique, jardin de l'institut Lumière

24/07: Concert au Vieux Moulin, Lieu-dit Le Vieux Moulin - 71220 Marizy - Coordonnées GPS : 46.5454/4.4006

Dates à venir (automne 2021)

LE VOYAGE DE NOZ- INTERVIEW 2021 pour "Il semblerait que l'amour fut" (nouvel album)

Je suis dans le cadre! Ci-dessous aussi, avec Nathalie et Marc au premier rang...

LE VOYAGE DE NOZ- INTERVIEW 2021 pour "Il semblerait que l'amour fut" (nouvel album)

Tilda and Dad ont été évoqués dans l'interview:

LA MUSIQUE EN PLUS

Je vous remets le single du moment, avant quelques morceaux plus anciens

et on termine par la fin de Bonne Espérance...  Pour moi, un sommet...

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Rédigé par Pierrot

Publié dans #inter-ViOUS et MURAT, #2021 Aura aime Murat

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Publié le 21 Janvier 2021

 

      A l'occasion de la ressortie en vinyle en décembre dernier d'A BIRD ON A POIRE (disponible au shop) après Fred Jimenez dans l'article précédent, voici donc l'interview exclusive et inédite de Marie-Jeanne Serero.

      Un peu à l'ombre (dans  "la chronique muratienne"),  d'un certain Dickon Hinchliffe, plus connu des critiques rock (par son travail avec les Tindersticks et crédité  dans Lilith et Mockba), on ne l'avait guère mentionnée pour l'instant. Et pourtant, elle figure  comme arrangeuse cordes de plusieurs titres d'A bird on a poire et de Mockba (7 titres) et son travail y illumine la production muratienne. Même si elle se consacre surtout maintenant à la musique de films et théâtre ("Guillaume et les garçons, à table"...), elle a un CV long comme le bras dans la pop... De Noir Désir (one trip/one noise), Aubert,   à Stomy Bugsy, Diams ou Passi, en passant par Pagny et Zazi, ou Era, elle s'est mise au service de toutes les musiques et de leurs messages, ou quand il s'agit de théâtre ou de films, avec l'intime conviction que sa musique était vecteur du message. A un moment où il est question d'activité non-essentielle, ce discours m'a touché.  C'est  une belle rencontre, émouvante, sensible, avec une personne humble, qui n'est pas tournée vers le passé: elle ne réécoute jamais ce qu'elle a a fait  - l'arrangeuse ne m'a donc pas donc arrangé pour l'interview mais on a  composé avec!-. Au bout du compte,  j'ai peut-être réussi à lui donner envie de le faire... Je lui réserve une petite surprise de deux témoignages en fin d'article (l'un d'entre eux est porteur d'une belle annonce pour les clermontois, pour Didier Varrod et les amateurs de chansons tout simplement...).

Mais pour vous rafraîchir la mémoire, presto commençons par écouter du Bergheaud/Serero/oiseaux (alla fine), avec ce contraste entre une guitare très résonnante et métallique et les cordes douces du violon… 

- Encore une fois merci de m’accorder un peu de temps.

M.J. SERERO : Ça me fait très plaisir de revenir là dessus, mais je ne savais pas que c’était en 2004. Cela fait si longtemps … 2004 vous m’avez dit, c’est fou. [2004; sortie du disque, peut-être même 2003 pour l'enregistrement]

 

-Alors je ne demande pas de vous présenter, et je débute donc directement sur votre intervention dans « a bird on a poire ». C’est a priori Marie Audigier qui vous propose. Est-ce que vous la connaissiez bien ? Vous aviez déjà travaillé avec elle ?

M.J. SERERO : Oui, je pense. J’avais déjà fait des albums avec elle avant même qu’elle aille chez Naïve peut-être. Je faisais beaucoup d’arrangements à l’époque. On s’entendait bien.

[NDLR: Nous avions eu un premier échange la veille par téléphone, et je lui ai donné des nouvelles de Marie au Congo, de Jean-Louis Murat. Elle me demande s'il lira ses propos, elle l'espère. J'en profite pour signaler que Marie Audigier était très fière cette semaine d'annoncer qu'elle était nommée Chevalier dans l'ordre national du mérite. Félicitations à elle. Jean-Louis est lui chevalier des arts et lettres]

- J’ai vu que vous aviez notamment travaillé pour elle avec Marie-Jo Therio qui était une de ses protégés… C’était sans doute à ce moment-là, l’album sort en 2005.

M.J. SERERO : Oui, Marie-Jo… mais c’est loin.

- Comment s’est fait la rencontre avec Murat ?

M.J. SERERO : Je pense que Marie a dû donner mon numéro de téléphone à Murat, il m’appelle et me demande de passer au studio dans lequel il travaillait. J’étais bien sûr très contente et je réponds favorablement. Je travaillais beaucoup et comme il me disait qu’il était en studio toute la journée, j’ai dû passer deux ou trois heures après. Je n’y suis pas allé dans le quart d’heure qui suivait. Et je crois que je l’appelle, je m’en souviens maintenant, et l’accueil a été un peu...glacial. Il me dit comment ça se fait d’être aussi en retard. Bon, on avait dû mal se comprendre, mais ça a commencé comme ça et j’y suis allée mais en étant un peu raidie, un peu embêtée… alors que je m’en faisais une joie. Et bon, quand j’ai pu écouter les titres, on a parlé, la communication a été tellement formidable, douce et fluide, sans heurts, on s’est détendu et on a compris qu’on était tous les deux des êtres fragiles, tout débordant d’envie de faire de la musique. Donc, je pense qu’on était un peu gêné de tout ça… Enfin, voilà, c’était pas banal comme rencontre. Ça a démarré un peu comme ça de façon un peu intense, comme ça pour rien.

 

- Est-ce que vous avez travaillé sur des bandes démos ou à partir du matériel enregistré ? Murat a l’habitude de dire qu’il travaille beaucoup avant le studio. Est-ce qu’on vous donne des consignes particulières ?

M.J. SERERO : Oui, je pense, pas forcement, pas les voix encore, ou juste les textes sur les guitares… mais non, je ne me souviens pas très bien. Mais il avait à cœur de me montrer l’univers. Et puis, j’entendais, ressentais la fragilité de son univers et ça me parlait énormément. Et Frederic était là, je parlais avec lui de façon plus technique, plus concrète, et avec Jean-Louis c’était complètement dans la poésie de ce que véhiculait ses textes et son univers. Ça se passait de mots et c’est ça qui me plaisait. Et après, ils sont venus dans mon appartement tous les deux, Jean-Louis est arrivé avec un immense bouquet de fleurs, c’était tellement gentil, tellement incroyable. Et puis, j’étais au piano, j’avais un tout petit bureau à l’époque avec mon synthé, un ordinateur. Je leur ai joué ce que j’avais imaginé, les arrangements au synthé, les cordes. J’ai senti qu’ils étaient heureux. Et moi aussi forcement. Ça s’est passé très vite. C’était une évidence.

 

- Vous vous rappelez combien de temps vous y avez travaillé ?

M.J. SERERO : Je mets très peu de temps, je vais très vite… Enfin, je vais très vite ou… c’est que ça ne fonctionne pas. Mais quand je dis oui, c’est que je sais que ça peut faire. D’un autre côté, je dis que je travaille vite, mais il y a tellement d’années de «travail», d’écoutes et d’univers dans la tête avant. Et avoir fait le conservatoire, on analyse vite. Après, c’est simplement se câbler sur l’essentiel: ce qui ne se comprend pas théoriquement, mais sur le plan du sensible et c’est ça qui me fait le plus plaisir, et qui m’a fait plaisir chez Jean-Louis et Frederic, c’est que cette chose-là a marché. Techniquement, je savais que je pouvais faire les choses, mais ce n’est pas là où on m’attend.

 

                  Pause musicale:  A bird on a poire,  les cordes arrivent tout en douceur à partir du trentaine de secondes, pour accompagner la guitare (on a du mal à imaginer que ce n'est pas celle de Jean-Louis, bravo Fred) et finissent par entourer les amoureux de toute leur douceur. L'amour du matin m'évoque forcement cette grande chanson d'un autre suisse: Prière du matin avec des cordes elles aussi magnifiques.

- Et est-ce qu’on vous donne un budget qui vous permet de dire :  j’écris pour trois, quatre, huit… violons, un orchestre… ?

M.J. SERERO : Je pense que pour cet album, on avait 10 cordes, ce qui était quand même beaucoup déjà. [8 violons et alto], mais je n’ai jamais eu besoin de beaucoup de monde. J’ai toujours pensé qu’un petit bateau va plus vite. Ce qui compte, c’est d’écrire, et même si j’écris pour 45 musiciens, ou qu’on est peu, ça n’a pas d’importance. Je n’ai pas la folie du grandeur par rapport à tous ça.

 

- Mais là, donc, si vous avez 8 musiciens, c’est qu’avant, on vous a dit : vous avez tel budget ?

M.J. SERERO :   Oui, à l’époque, il y avait du budget*, mais si on m’avait dit qu’il n’y a que 4 musiciens, j’aurais écrit exactement la même chose…

                                                                 *""un demi-budget" disait Fred, financé par JL en partie, mais avec la volonté donc d'en faire un maximum. Ça fait donc de ce disque le premier que Murat autofinance (même si juridiquement ce n'était pas une "licence", comme c'est le cas désormais.

- Est-ce qu’il y a quand même une question de puissance, de force qui nécessite un certain nombre de cordes? Vous avez arrangé plutôt des morceaux lents, est-ce que des chansons avec plus de tempo, nécessiteraient plus de musiciens peut être ?

M.J. SERERO : Non, peut-être que ça aurait nécessité d’avoir moins de monde pour plus de précisions. Plus on est nombreux, plus on peut écrire des choses romantiques, plus on a besoin de rondeurs dans le son, mais si c’est des choses plus pop, plus rythmiques ou plus sèches, moins on est, mieux on se porte. Avec des bons rythmiciens, des petites sessions, plus serré, c’est mieux.

 

- Sur mockba, vous avez juste un quatuor alors que l’autre arrangeur a 14 musiciens…

M.J. SERERO : Oui, ça dépend des titres.

 

- Mais lui a des chansons plus rythmées.

M.J. SERERO : Ça dépend. On peut aussi avoir beaucoup de musiciens et n’en faire jouer que la moitié. C’est un luxe qui est parfois nécessaire, mais qui parfois ne sert pas la musique. Donc c’est titre par titre qu’il faut imaginer. Parfois, il y a une écriture avec des cordes divisées où il faut 8 notes par accord et d’autres où il faut juste une note avec des unissons auquel cas il vaut mieux que quelques instruments. Vraiment, ça dépend. Quand il s’agit de ne faire qu’un raie de lumière très aigu on peut faire jouer à plusieurs V1 ou plusieurs V2...V1, V2, même s’il y avait une dizaine, une douzaine ou 14 musiciens pour faire une ligne, ça peut être intéressant. Parfois, c’est juste un solo, parfois un duo, parfois c’est un quatuor. Ça c’est vraiment l’étude de l’orchestration qui permet d’affiner le discours en fonction des titres, de ce qu’on a écrire. On m’a souvent demandé : c’est quoi ton effectif ? Et bien, ça dépend de ce qu’on a à écrire. Mais je n’ai pas d’effectif type. C’est juste ce qu’on apprend à l’orchestration. Ce n’est pas les musiciens qui font la musique, c’est la musique qui implique un nombre de musiciens. Que ce soit pour Jean-louis, ou pour toutes les musiques qu’on peut faire. Et moins il y a de musiciens, plus c’est dure. Parce que quand il y a beaucoup de musiciens, c’est plus facile de faire sonner qu’un petit ensemble où tout voix compte, doit être à nue.

 

- Excusez en tout cas mes questions très candides, je ne suis pas du tout musicien.

M.J. SERERO Non, non, au contraire, c’est moi, peut-être que je suis trop technique, mais je suis professeur vous savez, et j’adore ce métier, et j’adore expliquer, et m’expliquer à moi-même comment les choses se font, parce que je les étudie et j’enseigne l’orchestration, donc tout ça me passionne.

 

- Oui, très bien, d’ailleurs, n’ayez pas peur d’aller les choses techniques pour les passionnés comme vous, même si ça sera du chinois pour moi !

M.J. SERERO : Oui, mais après ce qu’il faut retenir de ça, c’est qu’il n’y a pas de règles. C’est la musique qui implique un effectif et pas l’inverse.

 

- Donc pour poursuivre sur mes questions candides, je me demande parfois en écoutant certains titres si les cordes sont faits par ordinateur et synthés ou s’il y a des vrais instruments, est-ce qu’on peut s’y tromper ?

M.J. SERERO Oui, oui, on peut s’y tromper, d’autant qu’à notre époque, en fait, on fusionne les deux. Il n’est pas rare d’avoir la maquette mélangée à des vrais cordes. On met les cordes un peu plus au dessus de façon à humaniser le son qui pourrait être un petit peu droit, et puis certains maquettent tellement bien que parfois, c’est même mieux… mais très souvent, notamment dans les musiques de film, on fusionne les deux. Et puis, il y a des musiques où le fait d’avoir un vrai son n’est pas intéressant parce que ça apporte quelque chose d’humain qui n’est pas nécessaire, c’est au contraire une musique qui nécessite une distance et un son très droit, un peu sans vie, un son blanc, un son plat et donc des cordes en skaï sont presque mieux que des cordes vivantes. Ça dépend des propos.

 

- C’est bien que ce ne soit pas qu’une question de budget...et on aura toujours besoin de vrais musiciens.

M.J. SERERO : Oh, oui, j’espère, j’espère et évidemment, mais je pense qu’on peut arriver aujourd’hui à mêler les deux. L’un n’empêche pas l’autre. L’un peut arranger l’autre. Avoir des fausses cordes permet d’apporter de la rondeur, comme un fond synthétique un peu large et le fait de rajouter devant des cordes avec des gens qui jouent, avec leur sensibilité, le timbre, le vibrato, le fait de mélanger les deux, ça peut être très intéressant. D’ailleurs, ce n’est pas que ça peut être intéressant, c’est ce qui se passe.

 

-Vous écrivez vous même avec un synthé et un ordinateur ?

M.J. SERERO : Oui, oui… enfin, j’écris avec le crayon, mais je maquette beaucoup aussi. Je fais les deux. En fait, je maquette avant de faire écouter au réalisateur, au producteur, et une fois qu’il valide, je peux faire jouer puisque tout est écrit, et je peux aussi me servir de la maquette en complément. Ça dépend des projets.

 

- Les sessions étaient au studio davout aujourd’hui disparu. Est-ce que c’était un studio particulier ?

M.J. SERERO : Oh oui ! Oh oui ! C’était absolument extraordinaire, d’abord, parce qu’il y avait DES studios, y avait du bois, il y avait du marbre, ça dépendait des endroits, il y avait celui du haut qui était un peu marbré et brillant, où tout était, oui, très brillant et une acoustique très vive, qui réagissait comme ça, très vite, et celui du bas qui était en bois, très grand, très spacieux,donc pour des musiques plus larges où on pouvait écarter les musiciens ou au contraire les resserrer. C’était passionnant. Il y régnait une atmosphère…

 

- Je crois que Michel Legrand l’aimait beaucoup..

M.J. SERERO Oh oui… On était toujours là-bas. IL y avait Olivier Kowalski qui administrait et Marc Prada qui était là, et on sentait beaucoup d’amour. Ils nous entouraient du plus vif intérêt, comme s’ils se faisaient un point d’honneur que tout marche bien pour nous, que les projets soient bien amenés à bon port. C’est rare de sentir ça. Ce n’était pas simplement un studio où on passe et on s’en va, il y avait toute une vie, on y mangeait, on prenait du thé, on s’installait, on discutait, on vibrait, on avait le trac, oui, je me souviens, il se passait beaucoup de choses. C’était tellement intense. C’était une époque. Je pense qu’on était conscient de l’importance de créer, de faire, d’être heureux dans ces moments-là et on l’était vraiment. Je dis ça au passé, ça ne veut pas dire que c’est fini mais aujourd’hui il y a le covid, ça ralentit les choses… Et puis après il y a eu beaucoup de choses, avec graines de star, Star academy où tout d’un coup, on crée un produit, on fait sortir des gens qui vont durer un an, deux ans… et Jean-Louis c’était quelqu’un qui « était là » pour toujours et qui avait encore pleins de choses à dire. Il y a les grands et l’éphémère, et tout le travail des grands qui donnaient leur vie, voilà c’était ça qui se jouait dans ces endroits-là. J’ai vu ce carrefour, j’étais là… J’ai vu aussi l’arrivée du rap, j’étais là, en 91/92, où les gens disaient : ça va passer… Mais non, ça n’est pas passé, c’était un vrai combat, un vrai sujet d’actualité. D’un côté il y avait Jean-Louis, avec les textes, la poésie, le beau français… Tout ça s’est côtoyé.

 

- Oui, vous figurez dans des disques de rap français célèbres…

M.J. SERERO : Oui, j’étais au début des rappeurs, avec DJ Medhi , et il y avait une vraie passion, on n’avait pas peur d’aimer fort et de le dire et de le partager.

 

- Est-ce qu’il y a d’autres studios que vous avez aimé ? J’ai vu le Guillaume Tell ?

M.J. SERERO : Pas celui-là en particulier, plutôt Ferber et surtout le davout, c’était les deux grands, mais Davout j’ai dû faire 20 ans là bas, et Ferber, j’y suis allé un petit peu moins. Je suis une fidèle vous avez, maintenant, je vais à Ferber. G. Tell, je n’ai pas eu d’attachement particulier. Et sinon, il y avait pleins de petits studios.  

 

- Vous n’êtes pas à proprement parlé une spécialiste des «cordes», violoniste...

M.J. SERERO : Oui, je suis pianiste mais formé à l'orchestration. j'ai fait le conservatoire, les classes d'écriture, l'harmonie, le contrepoint.

 

- Est-ce que le travail spécifique sur les arrangements corde est particulier pour vous ? Dickon Hinchliffe est formée au violon  par exemple. Vous partagez avec lui les arrangements corde du disque suivant « mockba ».

M.J. SERERO : Non… Disons que dans la pop, à moins de faire du big band comme j’ai fait parfois, il n’y a pas beaucoup d’arrangement de bois, très peu. Quand on veut arranger, ça peut être ou des chœurs, et dans la pop, c’est souvent 3 nanas qui vont chanter et harmoniser, j’ai pu le faire comme pour Diams ou pour des rappeurs, mais dans le symphonique, on va plus souvent me demander des cordes que des bois. Et les cuivres, bon, c’est souvent sur les big band ou des sessions de 3 musiciens qui en général harmonisent très bien ensemble, sax, cors, trombone ou trompette, en voicing, un petit peu en impro. Ça m’est arrivé d’écrire, par exemple, pour les Lilicub, on est allé à Pragues, ils avaient besoin d’un symphonique, ils avaient quand même besoin de sax, on avait un quintet [en écoute ci-dessous]. Moi, dès qu’il y avait un symphonique, j’étais présente, mais dans la pop, on demande surtout des cordes.

Inter-ViOUS ET MURAT-ET FRED-ET JENNIFER n°2:  MARIE-JEANNE SERERO

- Est-ce que ça vous a amené quelque chose dans votre travail de prédilection ces emplois dans la pop, la variété? Et c’est vrai que vous avez fait beaucoup d’extras dans la variété, avec des produits dont vous parliez : L5,   Eve Angeli ? Vous pouvez me dire que c’était alimentaire…

M.J. SERERO : Oui, j’aurais droit de le dire, mais je pense que j’ai eu une formation très classique, je suis rentré au CNSM à 12 ans, et avant à 6 ans dans un conservatoire, j’ai tellement bossé dans le milieu classique, je n’avais qu’un rêve, celui de s’émanciper et de découvrir d’autres musiques, les musiques du monde, que ce soit de la variété, rap, word music, toutes sortes de musique . J’avais l’impression d’avoir été frustrée de ne pas pouvoir « voyager ». Je me disais : le conservatoire de Paris, c’est génial mais si ce qu’on y apprend me sépare de toute un monde culturel et social, alors j’ai l’impression que quelque chose me manque. J’ai eu envie de prendre un bain, de partager des sensations et de ne pas être séparée dans une cage dorée, comme la musique savante, classique peut le faire. J’étais formée de cette manière là mais mon cœur est plus libre et plus ouvert que ma formation. Et c’était un cadeau pour moi que de gens venant d’un autre univers que ma formation vienne vers moi pour arranger leur musique et même un honneur, et je pense que eux de leur côté ils se disaient, oui c’est quelqu’un qui a fait le conservatoire mais qu’ ils n’ont pas vu chez moi la raideur. J’espère leur avoir fourni quelque chose qui pouvait magnifier un petit peu par endroits modestement leur musique et j’étais heureuse que mon savoir puisse aller aussi dans ces endroits-là. C’était comme si j’enlevais les frontières sociales de la culture populaire et de la culture dite savante et connotée bourgeoise. Il y a un peu de ça. J’essaye d’analyser. Et finalement, je n’ai jamais senti qu’il y avait de fossé quand j’arrange pour Jean-Louis ou pour d’autres, je sentais que ça fonctionnait bien. Si un rappeur me demandait d’écrire pour un orchestre symphonique, ou AARON d’aller à Bruxelles pour enregistrer un grand symphonique, quel bonheur [en écoute ci-dessous]… et je n’ai pas l’impression d’avoir écrit du Beethoven ou du faux Schubert derrière leur musique mais vraiment avoir essayer de se lover, c’est vraiment le mot, dans leurs harmonies, leur énergie qui me parlaient vraiment. Et j’ai eu l’impression que j’ai eu plus de problèmes au conservatoire en ayant cette capacité de passer dans d’autres mondes que l’inverse. Ça a gêné beaucoup plus le conservatoire que je m’ouvre à d’autres, ils trouvaient ça suspect et moi, c’était tellement normal, tellement un cadeau.

 

- J’ai vu que vous aviez travaillé sur un disque de DUTRONC, Jeanne Balibar et Rodolphe burger

M.J. SERERO Oh oui, formidable rencontre, oohh!

-  Avec derrière la vitre le célébre Ian Capple qui a enregistré un des plus grands albums de pop française : fantaisie militaire de Bashung.

M.J. SERERO Extraordinaire !… Je pense que c’est Marie Audigier qui m’avait fait rencontrer Rodolphe… Extraordinaire rencontre. Bouleversante pour moi. Et avec Ian Capple. Il était venu à la maison, avait mixé extraordinairement, on avait enregistré dans une église* un quatuor à cordes, c’était toujours l’orchestre de Radio France et c’était génial. On travaillait dans la ferme de Rodolphe, dans les Vosges, ça a été extraordinaire.  [*NDLR : peut-être l'Eglise où Jean-Louis a  chanté invité par Rodolphe Un live de kat Onoma y a été aussi enregistré]

- Est-ce qu’il y a eu d’autres rencontres marquantes ?

M.J. SERERO : Non, là avec Rodolphe, vous pointez du doigt une rencontre qui m’a bouleversée. Et après les autres rencontres fortes, ça a été dans le monde du théâtre. C’est autre chose. Et pourquoi le théâtre, parce qu’il y a des textes. Et moi, je vois là le fil conducteur.

Pause musicale : écoutons du coup le fruit de cette belle rencontre, ici, les cordes sont plus discrètes. Cet album avait été un beau succès avec 30 000 exemplaires vendus et selon certains, avait suscité une vague de disques d'actrices (ah, bein, bravo!)

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On a cité le nom de Dutronc? De Dutronc, passons à Françoise Hardy: dans ses 3 chansons favorites de Murat en 2010 (interview ici), elle citait : "Elle était venue de Californie"!  Signée Murat/Jimenez et Serero! Et on peut dire qu'elle connait la chanson, isn't it? '

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Reprenons!

 

- Et dans l’univers du classique, dans votre CV, il y a un très grand nom: celui de Rostropovitch? Vous l’accompagniez au piano durant combien de temps ? Que pouvez vous nous dire de cette rencontre ?

- J’avais 22 ans, à l’abbaye de Fontenay, il m’avait demandé de l’accompagner pour un concert pour Marc Meneau, le cuisinier, un gastronome extraordinaire. Il y avait 800 personnes et moi, j’accompagnais Rostropovitch. C’était une rencontre déterminante. Après il m’avait demandé d’être chef de chant au festival d’Evian, je faisais travailler les chanteurs d’Opéra sous sa baguette, car j’étais aussi chef de chant pour l’opéra. Je l’avais rencontré lors d’une audition où j’avais accompagné une cinquantaine de chanteurs et à l’issue de l’audition, il m’avait demandé d’abord d’être chef de chant dans ce festival, et j’étais renversée, enfin, vous imaginez, à 22 ans, c’est fou. Mais je me rendais pas du tout compte. Et après, j’avais aussi pu rencontrer son luthier, Vatelot, je crois qu’il est mort maintenant… Ça remue, des moment de vie. Vangelis, aussi, avoir enregistré, mixé là-bas [NDLR:  Orchestration pour le concert donné par la cantatrice Montserrat Caballé et l’Orchestre Symphonique d’Athènes (composition Vangelis)]. Franchement, c’est sur qu’il y a des listes que je revendique pas, qui sont alimentaires, je ne veux pas citer de noms. Par contre l’exercice d’arranger, j’ai toujours mis toute mon implication pour le faire, même si le support, je le trouvais limite. Bon, disons pour Eve Angeli, je ne me rappelle pas de la chanson, mais je suis sûr que j’ai pris du plaisir et j’ai dû m’appliquer à faire quelque chose de joli, même si c’était alimentaire, mais sans mépris. Arranger, c’est comme une invitation à faire une jolie décoration dans une maison qui a été pensée avant. Ce n’est pas un sous-métier et ça m’a permis de découvrir pleins de milieux.

- Entre le monde de la pop, de la variété et celui du classique, du cinéma ou du théâtre, est-ce que vous voyez des différences fondamentales chez les « créateurs »  que vous rencontrez? Je me disais qu’il y a peut-être plus d’humilité dans le classique par le travail quotidien qui est nécessaire… ou bien quelque que soit le milieu, il faut un ego tout à fait particulier pour émerger ?

M.J. SERERO : Non, L’égo, il est omniprésent et peut-être qu’il est nécessaire, parce que c’est extrêmement dure, et que l’égo, l’orgueil ou la vanité sont des moteurs. Pour moi, il me semble que c’est la passion, et je revendique tellement toutes ces années de travail par rapport à mon crayon, il est mis dans cette passion que j’ai mis et que je continue à mettre, et quand il est entendu ou un petit peu reconnu, rien ne peut me faire plus plaisir.

 

- Mais vous, vous vous mettez au service de quelqu’un…

-M.J. SERERO : Oui, et même la composition, ou au service d’un film… et cette humilité, je pense que dans le classique, on l’a parce qu’ on travaille sur un texte, et même si c’est un film, ou une pièce de théâtre, on travaille sur un texte, et la musique doit le magnifier. Et en tout cas, on n’est pas seul sur une île déserte, à exprimer quelque chose avec un ego qui pointe, on est toujours en relation. Si je peux définir ce que j’ai fait tout le temps, c’est d’être en relation avec, et il n’y a que ça qui m’intéresse, c’est de me dire que la musique elle est là pour tirer un trait de jonction, un lien avec autrui, un lien vers une autre œuvre d’art. C’est un art appliqué, en ce qui concerne le théâtre ou le cinéma. Je n’ai pas eu envie d’écrire pour être jouée salle pleyel et que les gens viennent pour écouter la musique de Marie-Jeanne Séréro. Je n’ai pas cet égo là. Par contre, faire une musique d’auteur à auteur humblement, en relation avec un sujet et d’être portée par le sujet, voilà la continuité avec l’arrangement. Pour moi, c’est exactement la même dynamique. Alors que peut-être qu’un compositeur a 100 % des droits, et quand on est arrangeur 10 ou rien du tout, mais mentalement, on part d’un texte, d’une composition, idem pour un film, on part d’une époque, on est soumis à une direction, que ce soit la direction des images, ou d’un ressenti du réalisateur, ça ça m’intéresse. Vous voyez bien le lien qu’il peut y avoir entre les deux.

 

- Pour en revenir à Murat, quelques mois plus tard, Murat fait de nouveau appel à vous pour Mockba ?… en partageant les orchestrations avec Dickon Hinchliffe…Vous le connaissez? 

M.J. SERERO : Oui, de nom.

- Vous arrangez toujours sur les morceaux les plus doux.  Et sur cet album-ci,  c'est sans doute l'album où les cordes sont le plus présente. Votre travail est remarquable..  Après le grand cinéma de Dickon sur la fille du capitaine et son grand orchestre, Votre quatuor accompagnent la guitare et la voix de Murat notamment sur la fille du fossoyeur, sans basse, ni batterie, et Murat leur laisse aussi une grande place : avec des intro d’une vingtaine de chansons. Est-ce que vous vous rappelez de ce travail ?

M.J. SERERO : Non, je ne l’ai pas réécouté. Je ne réécoute pas le passé (silence). C’est comme ça. Je le réécouterai peut-être…

 

- En tout cas,  dans l’œuvre de Murat, / et on voit aussi toute l’importance de ces cordes dans les titres orchestrées de Beranger par rapport aux chansons très nues figurant dans l’album suivant.

M.J. SERERO : En tout cas, je le remercie de les avoir mis à l’honneur et de m’avoir fait cette petite place.

 

- Murat disait que les compositions de Fred étaient complexes (je cite avec des diminués et des septième) par rapport au sienne qui n’utilise que 2/3 accords… on sent du coup que peut-être cela vous laisse plus d’options ?

M.J. SERERO : Ça m’est égal. Je dirais que moins il y a d’accords, plus il y a du challenge pour développer, trouver des idées. C’est aussi peut-être ce qui m’a plu dans le rap. Il n’y a souvent que deux accords pendant 7 minutes. C’est long pour faire du développement. Et je crois qu’on a trouvé un système de juxtaposition, en kit, avec des éléments, pour créer des développements.  Mais non, ça me dérange pas que la grille soit simple, ça me challenge davantage.

 

- On voit sur l’almanach amoureux, une rengaine très répétitive que tout le sel musical est apporté par les cordes…C’est vraiment très beau.

M.J. SERERO : Ah, super, je vais réécouter. Ça me donne envie de réécouter.

 

- Votre actualité ?  [on pourra se reporter à son site personnel pour plus de détails]

M.J. SERERO Je suis à la fois chanceuse parce que j’enseigne au CNSM pour l’orchestration, aux métiers du son, et j’enseigne la composition à l’image et j’enseigne au Conservatoire international. Je suis des jeunes qui ont une vingtaine d’années. J’ai une quarante, cinquante étudiants dont je m’occupe en visio quasiment tous les jours de ma vie. C’est une grande chance, j’espère pour eux et en tout cas pour moi. J’ai toujours enseigné… Et à côté de ça, les pièces de théâtre que j’ai pu faire, les 3 ont été interrompus, mais pourront peut-être reprendre en avril et en septembre, et sur ce point, ça va. Et je termine une musique pour un film qui s’appelle « composer les mondes » avec un anthropologue Philippe Descola, et c’est sur «Notre-Dame des landes », ce combat pour essayer de vivre autrement, donc c’était intéressant. J’ai aussi d’autres projets de films, même si tout est au ralenti. Et puis, j’ai pu travailler sur 2 albums, quelques titres pendant cette période.

Donc ça va, ça va mais maintenant, c’est triste ce qui se passe. Je suis inquiète, et je vois l’insécurité pour beaucoup. Ça me fait de la peine.

Et pour mon fils aussi qui veut faire ce métier également. Il a 20 ans et il se forme actuellement. Surtout, je sais ce que j’ai vécu, je sais le plaisir que j’ai eu, je pense que ça ne se fait plus exactement de cette façon à cause d’un problème économique, et ça m’inquiète beaucoup, la facture de la musique, aujourd’hui, qui si elle n’est faite qu’avec de l’électronique, si on ne mêle pas les musiciens ou trop peu, ça peut avoir des incidences. Enfin c’est comme ça, le monde change mais on ne pourra pas enlever ce que l’humain a à dire, on ne peut pas faire l’impasse , et j’espère que tous les artistes vont tenir bon, et avoir pleins de choses à se raconter après ça.. J’espère qu’on va se retrouver, j’ai hâte…

 

 

Avant dire dire au revoir à Marie-Jeanne, voici quelques mots qui lui sont adressés d'Auvergne...

LA CONNEXION AUVERGNATE EN PLUS:

Marie-Jeanne Serero a collaboré avec d'autres auvergnats...

1) Dois-je représenter Christophe Adam? vraiment? Alors vite fait alors (vous retrouverez d'autres éléments ici) :  CHRISTOPHE ADAM, pas le pâtissier, grand chef de French Kiss, producteur notamment du dernier Garciaphone, ex-Sales Gosses, Fafafa,  et grand frère et oreille avisée de la toute la branche Kütü,   nous dit quelques mots (j'évoquais Varrod en introduction car ce dernier parlait de l'album "la grande muette" de C.ADAM  comme le plus beau disque de 2001). Après avoir évoqué la mémoire de  Matthieu tous les deux...

"C'est bien Marie Audigier qui m'avait donné son contact. Cela a été une expérience fantastique pour moi, elle a su instantanément se coller à mes morceaux. Nous sommes allés, avec Daniel Larbaud, chez elle, pendant deux jours lui faire entendre les chansons et tout a semblé couler de source. J'ai l'espoir secret de croire que mes chansons lui parlaient. C'est étrange que vous me parliez de cela, car pas plus tard que la semaine dernière j'ai demandé à Pascal Mondaz de bien vouloir mixer quelques titres de ce concert avec quatuor à cordes que nous avions faits grâce à Jacques Madebène Directeur du Sémaphore à Cébazat. Je suis retombé sur cet enregistrement en revenant du Luxembourg dans la voiture d'un ami ingénieur du son (Emmanuel Perrot) qui avait cela dans son disque dur. Je ne me sens pas capable de mixer cela moi même, c'est trop difficile d'entendre la voix de Christophe Pie durant les sessions mais ce que j'ai entendu ce jour là m'a paru formidable. Je veux donc essayer d'en faire un 6 titres en vinyle si mes moyens me le permettent. Pour en revenir à Marie Jeanne, c'est une des personnes les plus exquises avec qui j'ai eu l'occasion de travailler et qui jusqu'au bout de ce projet n'a rien lâché jusqu’à ré-écrire des partitions le jour même du concert. Une grande dame que j'aurai plaisir à revoir et avec qui je rêve de refaire de la musique. I'm a lucky guy".

                                                            Marie-Jeanne en Auvergne au Sémaphore. 2006

                                                              Critique 4 étoiles du concert par P.Andrieu

 

Voilà Marie-Jeanne: tu as laissé des beaux souvenirs à Clermont, et tu fais partie des rêves de certain... On peut rappeler que la production solo de Christophe Adam n'est pas très riche, et un groupe facebook avait même été créé 10 ans après "la grande muette" : "Le groupe de pression pour que Christophe Adam ressorte enfin un album". C'est donc une grande nouvelle que ce projet de vinyle.  Un disque est disponible chez SOPHIANE PRODUCTIONS et Annick Clavaizolle; "live in Coopécabana".  (on peut aussi acheter du Rogojine, du Denis c., le premier cocoon... il faut passer par Contact pour commander).

 

2)  J'avais remarqué dans le CV de Marie-Jeanne un disque d'YVAN MARC. Je le croise souvent dans mes recherches car le nom de Jean-Louis Murat lui est souvent accolé dans les articles (il se revendique "cousin" dans sa bio, et pas seulement parce qu'il est de la Haute-Loire, ex-auvergne). Il avait assuré une première partie de Jean-Louis en 2013 (compte-rendu d'un mauvais soir : festival Les oreilles en pointe en Ondaine-42). J'ai interrogé Martial Semonsut, qui a produit le disque en question. Martial joue avec Yvan depuis longtemps et fait partie des HIVER POOL, un groupe dont on va reparler rapidement ici, je ne vous dis que ça, mais c'est énorme -enfin, j'espère-normalement-restez connecté-teaser...

Martial Semonsut:  Oui, c'est suite au travail entendu avec JLM et aussi les bons conseils de Christophe Adam qui avait fait appel à Marie Jeanne.  Marie Jeanne est une personne avec une grande sensibilité pour la musique, c'était très facile de travailler avec elle car c'est quelqu'un de très investie dans ce qu'elle fait et vraiment à l'écoute du projet. Pour la petite anecdote, je ne lis pas l'harmonie, je fais tout d'oreille, donc je lui chantais des phrases musicales ou des contre- chants que j'avais en tête et elle écrivait aussi tôt sur papier les arrangements pour toutes les cordes, c'était chouette de vivre çà!

Je laisse le dernier mot à Marie-Jeanne. Avez-vous un rapport particulier avec l'Auvergne?

M.J. SERERO Non, pas vraiment... Je me souviens de ces maisons, ces jolis maisons d'artistes comme ça, ces ateliers qui vibrent de musique, ces musiques qui sont sur le sol, sur les murs, partout, qui sont poésie. Voilà ce que j'ai aimé, ce que j'ai ressenti, des gens tellement sincères, n'ayant pas peur de leur fragilité mais ayant beaucoup de foi dans leur expression. C'est le point commun que j'ai pu trouvé.  Pour Christophe Adam, je me souviens que c'était une écriture pas facile, comme toujours pour ces titres-là, parce qu'il y a peu d'éléments, on peut aller partout. Il faut vraiment créer des branches à cet arbre. Et je me souviens d'une grande gentillesse, une énorme gentillesse.

 

Avec Yvan Marc, on peut entendre le travail de Marie-jeanne sur des chansons rythmées :

Interview réalisée par téléphone (janvier 2021). www.surjeanlouismurat.com   J'ai choisi une retranscription le plus proche possible de l'oralité afin de rester fidèle à la rencontre.    

Je vous laisse d'ailleurs avec la voix et l'image de Marie-Jeanne Serero au travail dans son bureau, telle que je l'ai entendu moi aussi il y a quelques jours; dans la vidéo, peut-être plus confiante et sûr d'elle-même car  plongé dans "le présent d'un travail".  Et Désolé pour le Voyage de Noz! Je ne vous ai pas placés : punition! J'attends toujours de pouvoir écouter votre nouvel album! na!  Quant au storytelling,le nom n'y est  pas mais  Marie-Jeanne Séréro m'a rappelé que la musique avait "un message" et que ce n''était pas que du marketing.

SITE PERSONNEL de Marie-Jeanne Séréro:

https://www.mariejeanneserero.fr

merci, Marie-Jeanne! Merci Christophe et Martial!

LA MUSIQUE EN PLUS

Voici un petit panel d'arrangements réalisés par Marie-Jeanne Séréro (un peu au hasard -mais bizarrement il n'y a pas Eve Angeli-  et également ceux dont elle nous a parlés: le rap, Aaron, Lilicub... et Murat...)

Jean Théfaine (CHORUS): 


A peine a t-on eu le temps de se familiariser avec le contenu de ses précédentes malles au trésor – Le Moujik et sa femme, en 2002 ; Lilith, en 2003 ; A bird on a poire et le DVD Parfum d’acacia au fond du jardin, en 2004 – que revoilà Jean-Louis Murat, caracolant en grand équipage, les poches pleines de nouveaux louis d’or.

Dans la première bourse, Moscou, il y a quatorze titres. Dans la seconde, 1829, en téléchargement payant dès le 14 mars sur internet et dans les bacs le 3 mai, il y a onze textes du grand chansonnier (du XIXe siècle) Pierre Jean de Béranger. Dans la troisième, on découvrira (en commande exclusive sur son site www.jlmurat.com) 1451 : un poème inédit de mille vers décliné en un CD de 26 minutes et un DVD de 38 minutes – le tout glissé dans un livre illustré par Murat lui-même ! Vous suivez ?
Moscou, donc, est le premier lot proposé. Une suite au Moujik et sa femme, penserez-vous. Pas si simple. On y parle bien de foulard rouge, de troïka, d’isba, de retraite de Russie, mais de façon tellement impressionniste et allusive qu’on est fort loin de la fresque enneigée.

Côté écrin, ce qui frappe d’abord, c’est que Murat renoue avec des climats où cela respire large, aérien, à fleur de peau. Fred Jimenez (basse et chœurs) et Stéphane Reynaud (batterie et percus) sont, bien sûr, de la fête, mais le « power trio » a enrichi sa palette. C’est ainsi que des cordes en majesté illustrent sept titres ; amples et crépusculaires (Le Désert, La Fille du capitaine, Colin-maillard) sous la direction de l’Anglais Dickon Hinchliffe, des Tindersticks ; romantiques et délicatement ornées sous celle de la Française Marie-Jeanne Séréro (Foulard rouge, La Bacchante, La Fille du fossoyeur, L’Almanach amoureux).

Spontanément, c’est le qualificatif somptueux qui vient sous la plume, pour désigner ce énième ovni de l’irréductible auvergnat, dont la course folle est de plus en plus fascinante ! Car aucun autre artiste n’a cette capacité à produire encore et encore, à brouiller les pistes, à inventer, à se remettre en question, à bousculer toutes les normes du métier. Ce pourrait n’être que de l’agitation, c’est le plus souvent magique. Comme si le fleuve de mots qui ruisselle de Murat trouvait naturellement son chemin dans une mangrove de mélodies et peintures sonores, balançant entre minimalisme acoustique et griffures électriques, draperies contemporaines et vêtures quasi médiévales.
On allait presque oublier de vous le dire : Camille (L’Amour et les Etats-Unis) et Carla Bruni (Ce que tu désires) posent en duos au côté du monsieur, dont la diction sensuelle a rarement été aussi précise. Et puis, il y a des cadeaux cachés en fin de piste... Mais chut, le prince de la Croix-Morand va entrer.

Jean Théfaine

Chez Béranger et à Moscou, deux voyages de Murat 

Véronique Mortaigne      ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 17.03.05

Prolifique Jean-Louis Murat, qui ne trie pas. N'en a ni l'envie ni le temps, tout occupé qu'il est à bâtir son œuvre poétique, photographique, musicale. 1451, mille vers écrits à la main livrés avec les encres afférentes, lus par leur auteur (2CD), a des allures de manuscrit, ratures, work in progress, création en train.

.. Moscou est un album de forme plus classique, où Murat case trois chansons de Pierre-Jean Béranger, qui est la matière de 1829, album disponible en téléchargement payant (www.jlmurat), consacré au grand chansonnier du XIXe siècle.

Précieux, politique, populaire, grivois, Pierre-Jean Béranger s'accommode mal du traitement doux qui lui est réservé par le docteur Murat, amant indubitable, mais sans doute moins doué pour la satire politique ou la comédie de mœurs. Chantées en nuances douces-amères, alors qu'elles peuvent être criées, les histoires de La Fille du fossoyeur ou de Jeanne la rousse perdent en pertinence. Mais elles ancrent ainsi l'urbain Murat dans la France paysanne ("Un enfant dort à sa mamelle ; elle en porte un autre à son dos").

Ponctué de jolis chants d'oiseaux sortis des synthétiseurs, Moscou se réfère à Pouchkine (La Fille du capitaine en ouverture, ballade à la mélancolie hivernale, pur Murat, à l'instar de Foulard rouge, murmures proférés à la face de la jalousie). Il intègre les cordes à un univers musical défini depuis le Moujik et sa femme - Murat (guitares), Fred Jimenez (basse), Stéphane Reynaud (batterie).

Ensemble, ils avaient su produire un son clair et direct, un rock appareillé, que l'on retrouvera sur Nixon, une broderie rock sur une seule phrase ("Nixon, réponds-moi, je ne peux plus vivre comme ça !"), ou sur Winter, en clôture. Les deux arrangeurs de passage, Dickson Hinchliffe (des Tundersticks) et Marie-Jeanne Séréro, ont choisi de créer des climats. Et puis il y a le duo de charme : Ce que tu désires, avec Carla Bruni, qui a la tête de l'emploi, moins drôle que le sautillant morceau folk L'Amour des Etats-Unis, chanté avec Camille.

avec l'Orchestre Royal de Chambre de Wallonie:

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Rédigé par Pierrot

Publié dans #inter-ViOUS et MURAT

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Publié le 19 Janvier 2021

                                                                       Illustration: Eliane Genet- magic n°84

 

 

Et bien, cela faisait du temps que je ne vous avais pas proposé un contenu inédit! J'écrivais dans l'article précédent que la réédition vinyle d'A BIRD ON A POIRE n'avait pas suscité grande presse, et voilà que je me dis pas : je vais devoir m'y coller...  Sans réfléchir: 4 petites questions balancées à Fred Jimenez sur messenger, qui m'écrit qu'il répondra volontiers... Volontiers? Je relance de 9! et encore de 3 (j'ai mis le pied dans la porte).  Et me voilà avec une petite interview de la branche Basse de notre trio préféré pourtant le plus grand,  les "90% de A BIRD ON A POIRE" selon Jean-Louis Murat.  90%, c'est à la louche  pour cette musique limpide et claire...   qui a si vite inspiré Murat (50% pour la story, la voix et... les pépettes) et qui a aspiré dans le projet Jennifer Charles (20% pour le charme)... si bien produite par Stéphane Prin (5%)... et saupoudrée par le talent d'une arrangeuse pour les cordes: Marie-Jeanne Séréro (5%)... et c'est sans parler des productrices exécutives:  Marie (qui suggère Marie-Jeanne) et de Laure (qui boucle le budget avec Scarlett, le disque étant hors-contrat).

Calcul mental:   ça nous fait  un album à  170%, bien au dessus de la moyenne. Dans Crossroads, dans une discographie commentée, Yann Giraud, parlait "tout simplement d'une des plus belles collections de pop songs écrites en français".    De cordes en aiguilles, je contacte Marie-Jeanne Serero... Mince, elle aussi  me dit avec plaisir... mais me demande une interview par téléphone. Euh, vraiment? moi pas savoir bien parlé... Les trois derniers qui m'ont dit de les appeler, ils attendent toujours... mais cette fois, je ne peux pas reculer:  je n'ai pas eu le temps d'oublier  les résolutions de la nouvelle année. C'est pour vous, lecteurs! Et aussi pour moi:  j'étais curieux de découvrir qui se cachait derrière ses arrangements magnifiques de A bird on a poire mais aussi Mockba:  "La bacchante", "le calendrier amoureux",... 

Commençons sans gagner l'aéroport, prenons plutôt le Train bleu entre Lyon et Genève... Et saluons FRED!

 
- Que pensez-vous de la remasterisation? Avez- vous travaillé sur la réédition?
 
F. Jimenez:  Malheureusement j'attends toujours l'album.  PIAS est censé me l'envoyer la semaine prochaine...
 
  Pouvez vous nous parler de Marie-Jeanne Serero que je n'avais pour l'instant jamais citée sur le blog? [un fidèle lecteur m'avait rappelé son nom il y a quelques temps]
 
F. Jimenez:  Je me souviens d'une personne douce et très gentille. Dans mon souvenir Marie Audigier nous avait parlé d'elle. Nous étions allés, Jean-Louis Murat et moi, chez elle. Elle nous avait joué ses arrangements au clavier avec un son de violons. Nous avions beaucoup aimé et nous nous étions retrouvé en studio pour une journée d'enregistrement avec huit violonistes.
 
- Et les démos inédites? Ce sont les musiques que vous avez présentés à JL en premier? ou un premier travail de studio?
 
F. Jimenez:  Un jour en tournée, j'avais fait écouter la démo de French Kissing à JL dans la voiture. Il avait adoré à tel point qu'il m'a dit qu'il pourrait arrêter la voiture et écrire un texte sur le champ.
Sur cette démo, initialement prévue pour April March avec qui nous avions enregistré un album avec Burgalat et AS dragon et qui ne fut pas retenue, je chantais en faisant lalala. Une fois que JL m'a proposé de faire cet album avec lui et Jennifer, il m'a demandé de jouer les mélodies avec un clavier ou une guitare, le son des lalala le perturbait un peu. Notre méthode de travail pour l'écriture des chansons fut la suivante. Je lui envoyais des démos enregistrées en 4 pistes et il écrivait un texte sur les titres qui l'inspiraient.
J'ai dû envoyer 23 titres par paquet de 4 ou 5 et nous en avons enregistré 15.
Les démos inédites sont donc ce qu'entendait Jean-Louis et qui lui inspirait le texte. Tous les titres furent conçus ainsi. D'abord la musique puis les textes. Nous avons conçu cet album sur le temps que nous avions initialement prévu pour une tournée qui fut annulée à la dernière minute en 2003 me semble-t-il, avec Jean Marc Butty à la batterie à l'époque du Moujic.
 
- Oui, c'est cela: automne 2002... période où Murat se met à travailler sur Lilith ("J’ai commencé à bosser le 19 novembre. Et à enregistrer, le 1er février"... C'est fou... Quelle période intense pour Jean-Louis: 4 disques dont un double en 2/3 ans!
 Un petit mot sur Stéphane Prin?
 
F. Jimenez:  J'avais déjà fait pas mal d'albums avec Stéphane Prin pour JLM:  Moujic, Lilith, Parfum d'Acacia.  Bird on a Poire étant un album "hors contrat" avec EMI, nous avions donc un demi budget et très peu de temps pour l'enregistrer. 3 jours pour tous les instruments, 1 jour pour les violons et 6 jours pour les voix.  Son principal boulot fut de faire passer les démos "super huit"  à du "cinémascope"(c'est ce qu' avait dit Jean-Louis).
Nous avions beaucoup aimé travailler ensemble avec S.Prin que nous avions remis le couvert pour mon album "Il est temps maintenant " en prenant plus de temps.
 
"Le jimenez style" en live, avec Stéphane il y a 10 ans:
- C'est quand même remarquable qu'il soit crédité de "producteur", à tes côtés [on est passé au TU, on se connaît depuis 2003 à Vienne! Enfin surtout moi],  car Murat n'en a pas eu beaucoup dans ses disques: Zacha, toi, Denis...
 
F. Jimenez:  C'était une manière de le remercier.  Le budget était petit et en réalité on a bossé super vite car j'avais décidé en amont des tempos et des orchestrations comme l'attestent les démos. Nous avons cherché les bonnes tonalités avec J.L. On a pas eu le temps de se poser des questions en studio et d'essayer des trucs. Effectivement le disque est produit à trois. Ma part est visible sur les démos. J.L a choisi les titres, validé ou pas certaines orchestrations et fait quelques suggestions soit dans les arrangements soit quelques fois dans des modifications de mélodie. Stéphane Prin a principalement fait passer mes démos "super 8" à du "cinémascope". Bien évidemment il avait son mot à dire sur le choix des prises et d'insister sur la qualité de l'interprétation mais on a tout fait en trois jours de prises pour 15 titres!! Quand même! Batterie; basse, guitares sèches et électriques, piano; orgues, wurlitzer et trompettes...
 
- Oui, c'est assez dingue quand on voit le rendu et la qualité de la production... mais Murat dirait "mais c'est comme ça qu'on faisait avant etc...!!"
 
F. Jimenez:   Effectivement on ne va pas se plaindre sur le peu de temps, on faisait comme ça dans les sixties. On avait même le luxe de rôder les titres sur scène avant de le enregistrer en ce temps là...
 

                                                   Écartez les suisses    photo @surjeanlouismurat.com  koloko 2011

- L’orientation très pop, sixties, était définie dès le départ ?
 
F. Jimenez:  Il y avait les démos...
 
-euh... J'ai l'impression que ça t'agace  qu'on résume parfois l'album à ça (l'illustration a peut-être joué aussi)? Tu disais a l'époque que c était moderne à part le Fender Rhodes.?
 
F. Jimenez:  Ça ne me dérange pas qu'on trouve le son sixties, pour moi c'est l'Âge d'Or de la musique pop donc c'est un vrai compliment; cela dit à bien y regarder, il n'y a pas de gimmicks sixties, c'est plutôt l'esprit des sixties qui y est insufflé. Les chœurs y sont certainement pour beaucoup car on les envisageait comme ça dans la pop des sixties, je pense aux Turtles (happy together). Mais en réalité "l'esprit sixties" est dans l'ADN de la composition, pas dans la forme. 
 
- L album fait un peu débat chez les fans, mais il fait aussi souvent parmi des préférés de certains (notamment je pense au chanteur des voyage de noz que j'ai interviewé plusieurs fois, dont ici).
C'est peut-être sans importance pour toi, mais Est-ce que tu penses que dans la discographie de jlm faut  mettre ce disque à part, le ranger dans la catégorie "collaboration" ou au contraire  tu  peux revendiquer, avec fierté ?,  qu' il occupe une place d honneur dans l'oeuvre muratienne? (Je ne sais pas si c'est clair). Je suis pour l option deux car   l'écrin est particulier mais il a totalement inspiré  l auteur dans ses thèmes chers!
 
F. Jimenez:  Je suis très fier de A BIRD et éternellement reconnaissant à Jean-Louis Murat  de m'avoir donné cette opportunité. Je crois que JL lui même pense que ce disque est un peu à part dans sa discographie. Il a effectivement une couleur plus pop anglaise que les autres mais il y a aussi des titres comme "Petite luge", "Gagner l'aéroport", "A bird on a poire" et quelques autres qui auraient pu être sur MOSCOU ou LILITH sans trop détonner.
 
- oui, et sur Mockba, inversement, on dirait que Murat s'est laissé inspirer sur certains titres.... Qu est ce que ça t as fait d entendre ta musique chez un gros annonceur français La Poste pendant quelques semaines ?  J ai un peu peur de la réponse : ça t a rapporté plus que le disque?
 
F. Jimenez:  Avec A BIRD nous avions voulu faire un "produit frais" de longue conservation; étrangement cette teinte sixties lui a conféré une sorte d'intemporalité qui lui a permis de pouvoir illustrer une pub près de quinze ans plus tard. Si nous avions eu le son et les gimmicks 2004 pas sûr  que la Poste ait choisi notre titre.
Effectivement ça m'a plus rapporté que l'album lui même et m'a aussi permis de constater que les grands gagnants de cette opération financière furent la maison de disque et la Sacem, haut la main.
 

                                                            @surjeanlouismurat   Les 3 dédicaces,, la dernière obtenue lors d'un concert des Elysian Fields

              Frais mais costaud: l'avis de JLM:
"tout à fait, je me suis rendu compte que l'impression de légèreté et de fraicheur vient essentiellement des mélodies. Je n'ai pas fait d'effort pour alléger mes textes, mais ce sont les mélodies qui ont donné des ailes aux mots. C'est un peu une découverte d'ailleurs... Je pense même  qu'il y a des textes dans l'album qui sont les plus plombés que j'ai jamais écrits. C'est le propre de la chanson pop je crois. On n'y trouve pas de textes légers, à part les texte de corniauds comme ceux de Daho, où tu n'as pas besoin d'alléger puisqu'il n'y a pas de pesanteur dans les mots". (crossroads 11/2004-
 
ah, bein, voilà: il suffit de faire intervenir Jean-Louis pour que ça dérape.. revenons-en à Fred:
 
 - Un souvenir de la tournée ? A Lyon, c’était dans un théâtre en bas de la croix rousse, JL était très détendue dans mon souvenir (et les bootlegs de concerts). Est-ce que se retrouver comme un groupe, peut-être avec des chansons moins personnels, ne lui rendait pas l'exercice plus facile ?
 
F. Jimenez:  Dans mon souvenir, ce fut compliqué de rendre ça à trois sur scène, le show était conçu en deux parties; les titres de Bird et des chansons de JL. Ce fut un peu une galère pour moi de passer du piano à la basse puis à la guitare. J'avais toujours la trouille de jouer "Petite luge" tant l'arpège était compliqué.
J'étais content qu'Albin de la Simone vienne nous prêter main forte pour les dates parisiennes du Café de la Danse.
 
- Mashpopotétisé et Johnny Vacances, vous avez eu l'occasion d'en parler avec Hallyday?
 
F. Jimenez:  Non
 
- Tu as démarché encore les maisons de disque après cela pour ton disque solo? (3 ans plus tard, tu autoproduis le disque "il est temps")... et depuis, tu as peu produit en solo. En m'inspirant de propos de Burgalat (et aussi de Murat en promo) , je me demande si les "musiciens" (en opposition à ce qu'on pourrait appeler "des personnages") sont victimes de la dictature du "storytelling" dans le marché du disque? (présenter de la bonne musique ne suffit pas, il faut vendre autre chose). Qu'est-ce que tu en penses? (j'ai en tête aussi Laurent Saligault autre bassiste qui n'a eu que moi ou presque pour parler de son premier disque que j'ai beaucoup aimé).
 
F. Jimenez:  Honnêtement je ne sais pas. Avant de débarquer en France en 1997, j'avais fait partie d'un groupe suisse "The Needles" nous avions enregistré 3 albums et des singles, nous étions très populaires là-bas. Nous avons joué beaucoup en Allemagne et aussi en France. je composais quelques titres  que je chantais et jouais de la basse. Une fois arrivé en France je me suis rendu compte qu'on te mettait dans une case, "accompagnateur" me concernant, et qu'il était très difficile d'en sortir. Cela dit ça ne me dérange pas trop, je me suis rendu compte que je n'aimais pas trop être sur le devant de la scène, mon égo n'est pas assez gros pour ça. Mais depuis le temps j'ai de quoi faire au moins dix albums dans les tiroirs...
 
- Jean-Louis a dit une fois que Stéphane et toi  étiez dans le même groupe, et qu'en Suisse, la moitié de la salle venait pour vous!
 
F. Jimenez:  Non, Stéphane était l'attraction du groupe concurrent  Maniacs...  [et c'est Fred qui le conseille donc à Jean-Louis: "Sur On Ne Peut Rien En Dire, le tout premier morceau enregistré, je ne connaissais pas le batteur. Il souhaitait qu’on se parle au téléphone, mais je lui avais dit qu’on se verrait en studio. Et une seule prise a suffi" raconte Jean-Louis dans Magic n°74. ]
 
The Needles vs The Maniacs...  Non, on ne peut pas parler de légendaire opposition  façon Beatles/Rolling Stones, Oasis/Blur, G Scad/2be3...  On sait juste que l'un des 2 groupes a critiqué l'autre pour avoir traversé une rue en dehors des passages piétons, entraînant une forte indignation des autres: "oui, mais eux, ont vidé leur camion alors qu'il dépassait largement de l'emplacement de stationnement"... Enfin, c'était la Suisse...  Euh, c'est une blague. Ils étaient amis (the Needles remercie  Maniacs sur un de leur disque). On en reparlera peut-être car je ne suis peut-être pas le seul que ça intéresse tant on les apprécie! The NEEDLES ont une page wikipédia en allemand. . comme Maniacs.    Quelques titres en écoute sur cette chaine youtube.

                                                                                                Stéphane pour une fois devant

- J'ai mes questions rituelles: 3 chansons préférées de Murat? ton album préféré?  meilleur souvenir de concert (généralement, c'est en tant que "spectateur" que je demande).
 
F. Jimenez:  Les jours du jaguar, Je me souviens,  Si je m'attendais ( si tant est qu'on puisse répondre à une question pareille )
Meilleur album: Baby Love, parce que selon moi c'est son album le plus personnel et abouti et celui qui lui ressemble le plus.   [en effet, dès 2003, il disait:"il y a beaucoup de disco. Par exemple, je suis un fan absolu d’Eddie Kendricks, l’ancien chanteur des Temptations. D’ailleurs, Laure (ndlr. Bergheaud, sa femme), ça l’a toujours fait rigoler. Elle n’a toujours pas compris mon côté disco]
 
F. Jimenez:   Avec JL, je me souviens d'énormes moments de rigolade, bizarrement aux antipodes de l'image publique qu'il a. C'est quelqu'un de très attachant et humainement me retrouver avec lui, Stéphane Reynaud et toute sa fidèle équipe; c'est toujours un grand plaisir. Vivement que ça reprenne!
Ps: J'aurais pu aussi bien cité "Le mou du chat"; "Foule Romaine" , "la petite idée derrière la tête"....

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un grand merci Fred! ( Interview fabriquée (mixage et arrangements) par mails du 31/12/20 au 17/01/21. Sans me forcer, comme d'habitude, on a évoqué les Voyage de Noz et le storytelling).

(bien-sûr, j'aurais aimé  l'interroger plus en détails sur l'ensemble de son parcours, c'est partie remise)

En bonus, une rareté dont je n'avais pas souvenir:  la propre chanson de Fred Jimenez sur l'air de "Mirabelle Mirabeau" (un inédit live).


 

- hé Fred! J'ai encore une petite dernière pour la route : cette version existait avant a bird?

 F. Jimenez:  Oui elle était antérieure. Il y a quelques titres sur Bird qui étaient des inédits que j'avais dans les tiroirs, les musiques qui ont servis pour: french kissing, monsieur craindrait les demoiselles (composée dès 1996), mirabelle mirabeau et peu me chaut...  Il y avait des textes dessus mais je ne les ai pas montré à Jean-Louis pour ne pas l'influencer.

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J'ai tenté d'avoir un mot de Marie Audigier sans succès.   Stéphane Prin, je l'avais déjà inter-ViOUwé-ET MURAT en 2010. Une interview complète à redécouvrir ici. Voici l'extrait qui concernait A BIRD:

On reprend le fil... avec ce qui reste une parenthèse... enchantée presque... car l'album a beaucoup de fervents: a bird on a poire. Cette fois ci, vous avez un titre de producteur (même si c'est pas si clair : sur le livret de l'album, vous êtes crédité pour les prises de son et mixage, mais comme co-producteur sur le maxi...).

S. PRIN : Ah? Sur le cd, il me semble être crédité comme co- real aussi pourtant, non??

En tout cas, c'était vraiment le cas. En gros, le projet s'est initié lors des mix de lilith. Pendant que je mixais, Jean-Louis et Fred étaient dans la pièce d'à côté en train de réfléchir déjà sur les morceaux de Fred que Jean-Louis aimait, et sur lesquels il voulait écrire un texte. Jean-Louis a ensuite eu l'idée de faire un album concept autour d'une rencontre entre une américaine et un français, à Paris et a parlé de Jennifer, en parlant d'un album duo.

Pour cela il a voulu se concentrer sur les textes uniquement et laisser carte blanche à Fred pour la musique. Fred m'a donc demandé de l'aider pour la réalisation et on a géré toutes les musiques seuls en studio, pendant que Jean-Louis écrivait chez lui. Il n'est revenu en studio que pour faire les voix avec Jennifer lorsque les musiques étaient totalement réalisées.
Voilà pourquoi, cet album est un peu un ovni dans la discographie de Jean-Louis. Fred a définitivement des influences bien plus pop de JL :.)

 

LE  BONUS EN  PLUS : LE DOSSIER MAGIC n°84

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Et ma galanterie légendaire devrait en souffrir, passons la main... euh, plutôt la parole à Marie-Jeanne Séréro, que l'on retrouve donc dans  deux disques de Jean-Louis Murat (A BIRD ON A POIRE et MOCKBA) aux arrangements de cordes. Si la presse a souvent parlé de ceux de Dickon Hinc... (se mettre aux anges, la fille du capitaine), Marie-Jeanne a moins souvent été à l'honneur, et pourtant, sur des chansons peut-être moins faciles, elle a fait merveille... Allo, Marie-Jeanne, vous m'entendez?

- oui, bonsoir

"Inter-ViOUS ET MURAT-ET JIMENEZ-CHARLES n°1":  Du côté de chez Fred JIMENEZ!
"Inter-ViOUS ET MURAT-ET JIMENEZ-CHARLES n°1":  Du côté de chez Fred JIMENEZ!
"Inter-ViOUS ET MURAT-ET JIMENEZ-CHARLES n°1":  Du côté de chez Fred JIMENEZ!
"Inter-ViOUS ET MURAT-ET JIMENEZ-CHARLES n°1":  Du côté de chez Fred JIMENEZ!

Et ma galanterie légendaire devrait en souffrir, passons la main... euh, plutôt la parole à Marie-Jeanne Serero, que l'on retrouve donc dans  deux disques de Jean-Louis Murat (A BIRD ON A POIRE et MOCKBA) aux arrangements de cordes. Si la presse a souvent parlé de ceux de Dickon Hinc... (se mettre aux anges, la fille du capitaine), Marie-Jeanne a moins souvent été à l'honneur, et pourtant, sur des chansons peut-être moins faciles, elle a fait merveille... Allo, Marie-Jeanne, vous m'entendez?

- oui, bonsoir....    (à suivre ici: http://www.surjeanlouismurat.com/2021/01/inter-vious-et-murat-et-fred-et-jennifer-n-2-marie-jeanne-serero.html)

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Rédigé par Pierrot

Publié dans #inter-ViOUS et MURAT

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Publié le 7 Janvier 2019

Allez (mince! Je crois que j'avais pris une résolution de nouvelle année de ne plus commencer mes articles par "allez", mais c'était en 2014...), une interview pour commencer 2019 sur un bon pied, et sous de bons auspices, avant que le temps nous y emmène, à l'hospice:  pas d'os, mais du peace... and du love ! C'est ce que je nous souhaite: De la sérénité, de l'humanité, de la zénitude, et ce jour, avec l'aguerri en la matière (sans casus belli), le yogi MAHADEV OK, alias Travis Bürki.  

Ce marseillais né en 1970 a eu plusieurs vies : l'enfant Patrice Bürki est vite devenu artiste, avec une solide formation musicale. Il se dirige néanmoins dans un premier temps vers l'architecture, avant de suivre les cours du C.I.M. comme Matthieu Chédid ou Albin de la Simone.  Il mène une première partie de carrière sous le nom de ü, puis Travis Bürki (il épouse une certaine Daphné qui aura un carrière télévisuelle). On le voit au côté d'Edouard Baer et F. Rollin (à la radio et dans "le grands mezze" - à 1h24). Et depuis 2016, se fait appeler Mahadev OK... en s'établissant le plus souvent en Angleterre.

Je vous en parlais en 2002 déjà lors d'une mini-interview.  J'ai utilisé ensuite son service quand il proposait, entre autres petits boulots, d'écrire des chansons à la demande, un cadeau  qui faisait son petit effet,  moyennant une somme très raisonnable. A cette occasion, c'est un peu comme s'il était  rentré  dans la famille (Ma mère me cause à toute occasion de Daphné du coup).

Enfin soit... L'espoir de la chanson signé chez Polydor, a désormais choisi de vivre "en Poulidor. Jouir du seul bien qu'on honore dès matin"... et nous livre un album assez différent des précédents... Le dernier de Travis également en anglais "Serendipity" était très "dance" et électro, le road trip de Mahadev Ok est très flower power et seventies, mais aussi blues ("spiritlessness")  et country, et parfois très pop actuelle ("past life" -prochain single- et le rap "no place in the word"), le tout avec une orchestration dès plus soignée. Fumeux? enfumé? Non, on y retrouve beaucoup de  la fantaisie, de la diversité des styles, en tout cas qu'on aimait chez ce chanteur, même si je n'y perçois plus l'humour (avec l'anglais, c'est compliqué). J'aime beaucoup notamment le titre "Triangles" qui clôt le disque (en français), "yogi nandara" et "namaskara" dans lesquels un effet "mantra" est très réussi. 

Voici le texte de présentation de ce nouveau disque:

Voici TRIANGLES, un livret de chansons, de rencontres et de voyages de l’auteur-compositeur-interprète Mahadev OK. Avec ce nouvel avatar pour ceux qui s'appelaient autrefois U ou Travis Burki sont des chansons pop dévoilées, nourries de vastes espaces et de mélanges de musiques. Origine? Voyages Au Royaume-Uni, en Inde et éventuellement dans l'ouest des États-Unis, précisément à Provo, le long de Salt Lake, dans l'Utah, où l'album a été enregistré et mixé. Voyageur et yogi, Mahadev s'arrête à chaque pas, garde le pied sur terre et les rencontres viennent donner corps et couleur aux morceaux écrits et composés à l'origine en Inde. Plus de 30 musiciens du monde entier ont été impliqués. Les batteurs Barak Kram (Israël), Anders Bergstroem (Suède), Stacie Fleischer (États-Unis), Emiliano Turi (Italie) partagent les morceaux, Sarod (guitare indienne) avec Dara Okat Godzuki (Bangalore) et les guitares de Vincent O'Brien (Manchester)… L'ensemble du matériel patiemment organisé par le producteur Brian Zieske (Interstellar, The Addies ...) Original et classique, éclatant et paisible, d’où viennent ces morceaux? Nous pensons à Donovan et George Harrison dans "Spiritlessness" ou à Robert Wyatt dans "No Place In The World" avec raga flow et rap orchestral, ou un espace infini de pop aérienne de Mercury Rev dans "Diamond Man". Enfin nous avons eu UFO La chanson d'amour «The Dentist» soulignée par des rythmes de bossa chez le crooner franco-suisse yogi. Financé par son propre label (SPC) et un financement participatif rassemblant des fans d’Europe, des États-Unis, d’Inde et d’Australie, Mahadev sort un album original des années 70 original et classique, qui dégage une incroyable liberté et sérénité.

                                   Mahadev in Rosewood Studio with Sarah Little Drums (vocals) and Stacie Flescher (drums, vocals)

bonjour ,

- Beau voyage dans les années 60/70, avec de chouettes guitares. Mais j'aimerais savoir ce qui a suscité cette nouvelle identité (la 3e), vous êtes devenu un vrai yogi?

Mahadev :   En janvier 2015, j'enregistre "Serendipity" et le publie sous Travis Burki avec le label 75 music  puis pars m'installer en UK à Manchester pendant un an.  Je joue et compose en anglais car le EP Serendipity passe inaperçu et ne provoque aucun concert à Paris et dans le monde francophone.

Après quelques dates en Angleterre, j’améliore le concept et rode mes tours de chants anglais avec une guitare acoustique. En décembre, je me retrouve invité dans un ashram de yoga dans la forêt près d’Orléans.

Pratiquant le yoga quotidiennement depuis 2012, j’accepte l'invitation et reste dans cette organisation qui m'envoie a Londres. C'est à ce moment-là que je reçois le nom spirituel Mahadev. J'ajoute OK et passe un an plus tard mon diplôme de prof de yoga TTC hatha Yoga.

L'été 2016, je passe 1 mois et demi en Australie (concert, itw radio, contact musiciens, Sydney, Perth Byron, Bay).  Je fais un film "Katoomba".

L'année suivante, je pars aux USA faire une tournée, je monte un groupe et enregistre dans un studio à Provo, Utah.  C'est la que je suis revenu cette année faire ce disque.

Mahadev OK est devenu le nom du yogi chanteur mais c'est également mon nom de  prof de yoga.

OM OM OM

 

- Vu mon niveau d'anglais, je ne peux pas comprendre les textes, apparemment, le yoga et les mantras ont été ta source d'inspiration principale?

 

Mahadev: Pour cet album "Triangles" (et pour le précédent "Katoomba"), le yoga, la philosophie non dualiste (la Vedanta... philosophie hindouiste de l'inde lorsque l'inde était principalement bouddhiste) ont été une source d'influence et d'inspiration. Ce sont des textes assez simples, poétiques mais intransigeant dans leur message relatif à la non réalité du monde matériel dans lequel nous vivons mais dans lequel nous n'existons pas en tant que tel. Nous, c'est à dire notre être véritable, est infini, sans début ni fin mais parce que nous nous identifions à notre corps, notre nom, notre métier, nous ajoutons beaucoup de limitations a notre être.

Les chansons restent cependant des chansons. Totale liberté d'écrire en anglais, parfois retranscrivant un rêve marquant, parfois simplement chanter bonjour, comment ça va, tout va bien en Karnada (langue du sud de l'Inde): "NAMASKARA",  des histoires inventées, "YOGI NANDINI" mais comme à chaque fois, transformer des émotions en créations...


 

Yogi nandini, premier single:

- Est-ce que le travail de relaxation, de respiration, t'as fait évoluer dans le chant?

Mahadev: La relaxation, les exercices de yoga sont très bénéfiques pour le corps, le mental et bien-sûr la voix. En plus, nous chantons beaucoup dans le Bhakti yoga (le yoga dévotionnel) dans les ashrams, et les mélodies des mantras, et kirtans (chants dévotionnels du yoga) sont très inspirants et donne à la voix de l'ampleur et de la détente.

Une chose importante par rapport à la voix ici est que les chant du yoga ne sont pas faits pour développer l'EGO.

Par exemple, on apprend à chanter avec le cœur, sans faire une prestation vocale ni essayer de se faire remarquer. Il y aura toujours quelqu'un pour vous dire que vous chantez bien ou autre mais l'idée est d'offrir les fruits de votre action (et donc votre chant) à quelque chose qui est plus haut et plus absolu que soi (l'absolu, Dieu, le SOI, une déité etc...).

 

 

- Est-ce que tu es devenu un chanteur à message? (bon, on peut déjà dire qu'avant, tu professais déjà l'amour, le recul sur le monde)? 

 

Mahadev:  Si on considère que ce que j'ai répondu à la question précédente est un message alors oui. Mais le plus important dans ces découvertes c'est que l'intellect, qui est en train de répondre à cette question, qui réfléchit, qui manipule idées et mots est INCAPABLE d accéder à la vérité qui est le but du yogi. On y accède par le silence intérieur, par la pratique de la méditation, par la répétition des mantras et par le dépassement de l'ego. (tout ce que je viens d'énoncer est encore rédigé par l'intellect et peut être relativisé...). Pour faire simple, la respiration consciente contient tous les messages essentiels, toutes les réponses majeures aux questions majeures. OM

 

- Il y a beaucoup de guitares, alors que tu composais peut-être au piano:  c'est le "voyage" qui t'a conduit à privilégier cet instrument?

 

Mahadev: En 2015, quand je suis parti en UK, on m'a offert une guitare. C'était la seule solution pour me produire là-bas. Il fallait que je m'adapte et que je fasse avec mon niveau. Même si les premiers titres étaient composés au piano/claviers, je les ai adaptés pour la guitare. ce n'est que par la suite que j'ai commencé à exclusivement composer à la guitare.

Ce n'était pas la première fois de ma vie que je composais à la guitare mais c'est un instrument qui donne beaucoup d'espace à ma voix. N'ayant pas une voix supérieurement esthétique, je dirais une bonne voix mais qui gagne à être accompagnée par des instruments moins étalés que le piano qui apporte beaucoup mais prend aussi beaucoup dans le prisme sonore. A part si il est joué comme un instrument additionnel ( c'est comme cela que je l'ai utilisé dans TRIANGLES").

Évidemment tu as raison de demander si c est le voyage car lorsque que l'on possède un instrument, on le transporte et on en joue chaque jour. C'est ce que j'ai fait pendant ces 3 dernières années, jouer et chanter chaque jour, tous les jours, plusieurs heures.. surtout en amont des recordings aux USA, je voulais être à l'aise avant d'enregistrer y compris au niveau de l'accent, je ne voulais pas que l'accent français me gêne pour chanter. 

Après l'enregistrement, j'ai fait une pause...  J'ai joué peu pendant quelques semaines. Je viens de m'y remettre régulièrement et c'est toujours très bon de faire de la musque et chanter, kirtans, mantras ou pop song, c'est une vocation extraordinaire !

 

PS:  Dire OM OM, est-ce que c'est plus facile quand on est marseillais?

Mahadev:  AH AH AH :))).  Oui, je chante OM sans trop pensé à l'O.M mais quand je vois OM écrit, je fais souvent le parallèle. J'ai récemment découvert une façon de chanter OM en l’orthographiant AUM. Beaucoup de yogi écrivent AUM avec le ! le U (qui se prononce OU et le M suivi de silence). Ce son contient tout l'univers. Pour un yogi, c'est le mantra le plus important.

- petite question (un peu people) qui m'est venue cette après-midi, tu vois si tu veux y répondre (pas du tout ou partiellement), mais en googlisant "Travis Burki", on tombe maintenant beaucoup sur Daphné, et ta fille. Est-ce que ça a pu jouer dans ton changement de nom? Est-ce que tu crains cette "people-isation" pour ta fille (limitée pour l'instant, elle n'est apparu que de dos!)?
 
 
Mahadev: J'ai changé de nom plusieurs fois et évidemment l'entourage a joué dans ces changements. Il n'y a pas de raison majeure à ces changements de nom mais le nom est la partie visible de la personnalité et les changements sont plus profonds, plus au niveau du mental. Quand l'entourage que l'on se choisit change, c'est aussi une conséquence des changements du mental, de ce que l'on veut être dans la vie. Peut-être la majorité des gens s'habitue à garder le même nom et prénom tout en changeant plusieurs fois au cours de leur vie. J'aime bien la notoriété, la reconnaissance que l'art peut apporter mais j'apprécie aussi de débarquer dans des contrées inconnues avec un nom inconnu et bâtir une œuvre artistique la dessus. Maintenant Mahadev OK a quelques clips, albums, des reviews et fans et je trouve ça cool que ce ne soit pas attaché a l’œuvre de Travis Burki ou U.. En même temps si les gens qui s'intéressent veulent faire le lien, très bien.. Ma fille changera peut-être de nom et si elle garde ce nom là c'est très bien aussi, elle est apparue dans quelques clips et c'est ok si les gens la reconnaissent. Sa mère est sans doute plus préoccupée par ce genre de soucis.. Je ne crois pas que Hedda soit très tentée par devenir people.. mais chacun son karma non? Là, on s'intéresse a des phénomènes très superficiels de l'existence, ils ne sont pas sans importance mais disons que leur importance est relative. Mon nom de naissance est Patrice Burki. Peu de gens m'appelle comme ça aujourd’hui. Mais je sens que ce prénom Patrice est beaucoup plus attaché a mon âme que Travis. Tout ces noms sont des personnages, pas plus ni moins vivants que dessinés dans une BD. Ils peuvent devenir vivants dans l'esprit de celui ou celle qui y attachent une importance. En numérologie on attribue une importance aux noms car ils apportent des infos sur les vies passées.
Un dernier mot à propos du changement de nom. Le yoga est un travail sur l'égo. Nos souffrances viennent principalement de notre identification avec notre corps, notre nom, notre profession etc. Quand on renonce à son nom et que l'on prend un nouveau nom que l'on nous donne, tout un pan de l'identification de l'ego tombe. C'est alors le moment de reconnaître que notre être véritable est au delà des formes et des noms et que réaliser cela est possible. Autrement le risque est de limiter notre expérience à ce monde matériel et d'en retirer uniquement de la souffrance à la fin. Ce monde est un mystère qui pourrait bien n’être qu'une projection du mental. Ces changements de noms constituent des expériences pour aller au delà de la conscience. Au delà de l'ego. Au delà de l’âme individuelle. Tout en célébrant la vie dans sa diversité et dans son unité !
 
- merci! Très intéressant, notamment quand je lis tout ça par mon biais "jean-Louis Murat/jean-Louis Bergheaud"... ce chanteur qui cherche à se perdre de vue... mais sans doute avec un gros ego.
Enfin, je dois quand même te poser cette dernière question: Tu as parlé de "hatha-yoga" (le yoga "sport"), mais d'autres éléments liés à la religion hindouiste (Bhakti yoga, vedanta...) et aux croyances (numérologie). Je suis assez réfractaire à tout ça à vrai dire, mais ça ne m'empêche pas d'aimer "il est né le divine enfant" ou la chanson de G.Harrison.  Mais est-ce que tu fais encore de la musique pour elle-même? ou si tu te sens avant tout yogi ou hindouiste?

 

Mahadev: Il n'y a pas de réponse définitive. Tout est un chemin dont la destination n'est pas définitive.

La musique est un moyen plus qu'une fin en soi. Je n'ai jamais fait de la musique pour elle-même. Je fais de la musique et j'en écoute car c'est un moyen d'expression sans frontière, universel. Et pour terminer, l'hindouisme et toute religion populaire ne me concerne pas directement. Chacun devrait avoir sa propre religion, son propre rapport avec le divin enfant en soi, pour se connecter avec la part invisible de l'existence. Le yoga est aussi un moyen mais pas une fin en soi. La liberté de l’âme peut-être réalisée et la musique est un des moyens pour y parvenir. 

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Merci Mahadev Ok! Interview par mails du 30/09,  01/10/2018 et 6 et 7/01/2019.

- Album TRIANGLES disponible sur les plateformes dont: https://www.deezer.com/fr/album/72980192 et en physique, le CD est en vente par correspondance (https://mahadevok.bandcamp.com/) et dans quelques boutiques en France, aux UK et aux USA,  principalement on peut l'acheter chez Happy Nine 32 rue Traversière 75012 Paris.

- CONCERTS:

*Spirit Pop Satsang (Pop songs, mantras et méditations) tous les jeudis soirs 20H15 chez Mao Yoga, 121 rue Legendre 75017 Paris
*Concert Mahadev OK,     Samedi 2 février chez Happy Nine 32 rue Traversiere Paris12e 19H00
(Kids friendly)
 
*Concert Mahadev OK Paris Le Connétable 55 rue des Archives  Paris 3e  20H30
LES  mercredi 13 mars,   mercredi 27 mars,  mercredi 17 avril
 
*Concert Mahadev OK London Samedi 27 Avril Luna Lounge 7 Church Ln, London E11 1HG, 19H30
 

- Des photos sur le projet et les musiciens:

https://www.kickstarter.com/projects/mahadevok/mahadev-ok-triangles?lang=fr

- Pour ceux qui souhaitent prendre des cours de yoga (adaptés aux musiciens, réduction aux bénéficiaires du RSA - c'est les mêmes), et même par webcam : ici

- Un titre du disque précédent:

Reportage de son trip aux Etats-Unis:

et des images en INDE. Ci-dessous l'Australie:

On se quitte avec mes vidéos de concert à Lyon datant de 2011 du chanteur anciennement connu sous le nom de Travis Bürki : avec le magnifique "Eblouis", et le beau "grandis", et quelques autres dont l’entraînant "les grands espaces"

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Rédigé par Pierrot

Publié dans #inter-ViOUS et MURAT

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Publié le 17 Août 2018

- J'avais commencé très hardiment  la rédaction de cet article (le livre est sorti en début d'année!!)... mais je l'ai petit à petit mis de côté, même si je conservais  le livre  dans mon sac à dos pour avoir mauvaise conscience. Ça n'a pas marché. Enfin soit, je profite de la fin de mes congés pour le terminer-

 

 

 Après le livre de Franck Courtès et ses pages sur Murat, me voilà obligé de jouer une nouvelle fois au critique littéraire, avec  Olivier ADAM. Il a eu la gentillesse de m'envoyer lui même un exemplaire du livre "CHANSON DE LA VILLE SILENCIEUSE"...    Mais pourquoi?  C'est bien-sûr que Murat est à nouveau « convoqué » par  l'inspiration de l'écrivain  (après « Les Lisières » notamment) mais cette fois de manière encore plus évidente: les articles autour de la promo nomment assez systématiquement Murat... bien que le personnage du musicien du livre évoque tour à tour un bien grand nombre de chanteurs connus : Ferrer, Dutronc, Johnny, Goldman... même si Adam a cherché un nom qui n'orientait vers personne : Antoine Schaeffer. Il a pourtant choisi Murat pour l'exergue.

 

 

Était-ce  une façon d'orienter le public vers l'image de notre auvergnat? Il est également nommé dans le livre (p 211), mais à côté de nombreux autres: Dominique A, Daho, Bashung. Dans la page précédente, la référence à Goldman est évidente: il va même jusqu'à reproduire une citation fameuse du compositeur à succès: "les chansons sont souvent plus intéressantes que ceux qui les chantent" (JJG a dit en fait "belles").  Auparavant, c'était Gainsbourg qui intervenait (Adam fait donc évoluer son personnage de roman aux côtés de personnalités réelles, ce qui renforce le côté réaliste et séculier du livre, même si ce chanteur finalement ne correspond avec toutes ses dimensions a aucun chanteur existant: rock, populaire, élitiste, culte, une légende,  personnalité médiatique (poursuivie par la presse), pouvant côtoyer John Parrish, Daniel Darc, Patty Smith ou Eno. Un mouton à 5 cordes. 
 

Voici la petite phrase que Adam m'a transmise et qui indique que Murat, même s'il était présent à l'écriture (Olivier a dit au cours de la promo que Jean-Louis faisait partie de la « BO » de sa vie et de son couple), son inspiration  a surtout raisonné dans la réalité juste avant la promotion du livre ... (j'ai renvoyé à Adam  deux questions... mais sans succès. -j'avais déjà essayé par le passé).

Olivier Adam: « Pour le reste effectivement, pas mal de références cachées ou non à Murat (mais aussi, outre Ferrer et les grands anciens à Bashung, Dominique A et même au frère ennemi Daho...). A commencer par l'exergue, tiré de « chanter est ma façon d'errer ». Le plus étrange pour moi a été de préparer la sortie de ce livre tandis que paraissait travaux sur la n89. Le chanteur du livre, taraudé depuis longtemps par l'envie de quitter le cirque signe, volontairement, un album déroutant, fait d'éclats, de lambeaux, de phrases énigmatiques... Après quoi il disparaît définitivement du circuit. Une petite anticipation donc.  Pas totale j'espère. J'aimerais autant que Jean-Louis Murat ne nous laisse pas au silence quant à lui. Bien à vous.O »

Effectivement, c'est troublant ("En composant ces chansons énigmatiques, d'une noirceur absolue, sans souci de plaire, ni d'être compris,sans s’inquiéter même de leur réception, en en faisant qu'à sa tête, en se défiant des contraintes, des conventions, des formats, des modes, des attentes" écrit-il dans son livre). A part la noirceur, tout colle... Mais... Mais... on a eu écho depuis que Murat avait déjà un nouvel album en préparation [il francese]. Rn 89 était un travail de démolition/construction, alors que dans le livre, le disque est "un point final. Une série de lettres d'adieu" (p40). Ouf, pas de prémonition.

 

                                                                        dédicace (que je n'ai pas déchiffré entièrement)

Pour autant, difficile à la lecture de " Chanson de la ville silencieuse" pour un murarchéologue comme moi, de se détacher de cette recherche: "ça, c'est Murat; ça ne n'est pas Murat",  un petit jeu qui n'est pas préjudiciable au plaisir du lecteur et qu'Adam a d'ailleurs un peu cherché à proposer.  Voici selon moi quelques solutions (les amateurs de Delerm, de Ferrer... en trouveraient d'autres).  Au fil des pages:

 

"Plus rien ne s'oppose.

Tout consent à la noyade  (à la 2e page du livre)"

C'est le roman le plus poétique de., celui où Adam joue avec le style propre (?) à la chanson, notamment avec des longues énumérations. On est au Portugal, comme à Taormina.

La première description du chanteur disparu m'évoque peu Murat. On pense plus à Ferrer. Personne ne l'a vu depuis 15 ans, à part une photo le présentant comme un reclus illuminé. Là, on peut penser à quelques images de Jean-Louis (sa vidéo dans un arbre pour une promo), mais il serait difficile de dire qu'il a marqué toute une génération, comme le musicien du livre, même s'il est aussi dit qu'il est une référence pour des jeunes artistes "vouant un culte à ses compositions les plus sombres, les plus opaques, les plus tortueuses [...] On les exhume, on se les repasse comme des secrets bien gardés".  Ça pourrait coller en pensant à quelques inédits ou titres rares. Et puis cette interrogation, ce "soupçon": ces jeunes le reconnaissent-ils pour son art? ou pour le personnage qu'il s'est construit, "le parcours, l'attitude"?

page 22: Gagner "les Abbesses"... (Murat, "le polnareff des abbesses" selon Guillaume Depardieu, Murat parle du quartier dans sa chanson pour Eryk e. La narratrice finira par adouber Paris en fin de parcours ce qui nous vaut encore l'évocation de quelques rues.

Page 34, après une description d'une vie "en retraite", Adam évoque les fans : "Des femmes surtout. Qui se mettent en tête de le remettre en selle. De lui redonner le goût d'écrire [...]. Elles hantent le village voisin, traînent. aux abords de la maison. Elles ont toutes cette silhouette osseuse, ces grands yeux assoiffés un peu dingues [...]."  Euh, non, mais je ne reconnais personne là.

page 41: Adam parle d'interviews "funèbres sur la mort du disque, l'industrialisation de la musique, le règne des gestionnaires. Dans ces interviews qu'on trouvait encore sur youtube,  il paraissait usé, amer. Son agressivité cachait mal sa blessure". Pas besoin de commentaire.

page 43, "il ne possède ni télévision, ni ordinateur"...  Quelques propos de Murat pouvaient nous le faire croire.. mais il s'agit pour lui d'entretenir son personnage.

page 50,  "la grange dont il ferait un studio, le calme et l'isolement propice à l'écriture"... mais en opposition "aux nuits d'alcool et de défonce"... Déroule une description d'une vie de rock star, avec multiples invités permanents menant une vie pas très saine, avec des paparazzis qui guettent, parfois chassés à coup de fourche. Même les aventures des Rancheros font alors penser à un aimable rassemblement de boy-scouts. Même si Murat donne l'impression d'en dire beaucoup, il a préservé lui son intimité. Si bien que son discours sur le chanteur paysan, le chanteur artisan, est largement intégré. Plus récemment, il parlait de son attachement à son rôle de papa, et à la transmission. Dans le livre,sa fille, la narratrice, dit "je crois que je l'encombre", même s'il lui montrera de l'attention, et veillera à son avenir (pour la guider vers des études supérieures).

Adam nous décrit en effet un artiste rock avec tous ses excès (cela revient régulièrement dans  le livre), une petite fille débarque,  et on pense plus à Lulu Gainsbourg qui ne peut pas réveiller sa mère pour qu'elle l’emmène à l'école, ou aux fils de Keith Richards (j'ai lu sa bio l'été dernier). "C'était juste ma vie. Et j'ignorais qu'il y en avait d'autres", même si l'amour et des moments complices existent. De plus, pas de maman pour "tenir la baraque", comme à Douharesse... un couple de gardiens joue un peu ce rôle de repère "de la vie normale"( "si j'ai jamais eu un foyer, ce fut chez eux").  Leur description est touchante et on retrouve là la patte Adam (on a plus l'habitude qu'il nous parle de ces gens de peu que des rock-stars).

Mentions de passage aux JT; à Nulle part ailleurs et chez Ardisson... Des instants télé quasi-culte pour les muratiens (Fort alamo avec Subway, les rats-taupiers, le clash avec la rédac-chef de closer...).

page 72,  ses livres de poésie ont disparu: "William Blake, Dylan thomas, Hölderlin, Rilke,Marina Tsvetaïeva, Carver... Pas de francophone, à part Jaccottet. J'aurais aimé y découvrir un lien évident à Murat, mais Adam s'amuse peut-être plus à citer ses favoris (même si Marina Tsvetaïeva renvoit à Dominique A).                                

"Je n'ai jamais pu saisir mon père". Alors, moi, en seulement 8 ans de blog, c'est normal que Murat soit encore une énigme. S'en suit une longue énumération de ses contradictions et changements d'humeur (pages 70 et 71, et également 107/108, et p.168-169-170...  La narratrice avoue même qu'il est pour elle "un puzzle impossible à reconstituer" (p.109). Il est dit ensuite que se sont distillées quelques mensonges dans sa bio (des origines italiennes) alors qu'il vient d'une famille pauvre de Belleville. Murat, même s'il y a construction d'un discours, lui a revendiqué ses origines paysannes, plus qu'ouvrières. Pour le musicien du livre, il est question de "se forger une carapace, un abri de fiction et de garder pour lui la vérité de sa vie". Murat semble peut-être à bien des égards plus impudique... Néanmoins, Adam évoque les réticences de la maman ouvrière de Belleville devant le fait de se donner en spectacle, "l'impudeur, l'indécence"   (p.112)... Murat a parlé de ce même sentiment chez la maman couturière de La Bourboule. "A quoi t'en es rendu mon fils" lui aurait-elle dit encore il y a quelques années... (c'est sans doute une vanne de Murat qu'une citation réelle). D'ailleurs, dans  le livre "les lisières", Adam, à propos de son héro romancier,  convoquait déjà  Murat pour parler du sentiment d'impudeur ressenti par les proches.

Adam fait ensuite référence à Daho en contant la réapparition du père de Schaeffer lors d'un concert (ce qui a donné la chanson "boulevard des capucines").

Il livre ensuite quelques phrases sur "l'oeuvre scénique" et plus que jamais, on y perçoit son amour pour l'art de la chanson: 

               "Les chanteurs, en concerts, c'est leur peau même, leur corps entier, leurs mots, l'intérieur de leur cerveau [...] dans aucune autre forme d'art on avance à ce point nu, vulnérable,. Le chanteur sur scène, c'est un don brut. Primitif. un truc de cannibale"(p.115).

Murat et la scène, c'est un rapport peut-être compliqué, complexe, et en tout cas pas basique comme la voie du succès l'imposerait ("faire la pute" dit le personnage du livre). On lui reproche parfois sa distance, sa froideur, mais c'est bien parce qu'il est en proie avec ces  difficultés de "la mise à nu" énoncées par Adam... comme quand il part en digressions et circonvolutions avant d'affronter un titre difficile... et parfois d'y renoncer. 

 
Page 123: Mention d'un "clash" comme on dit dans la presse people entre le chanteur et Gainsbourg qui en fait s'entendent très bien. Insultes, menaces, "tous ces trucs qu'ils faisaient pour la galerie, alimenter les gazettes"... Murat à ce jeu-là s'amuse souvent  tout seul, très régulièrement.  

Le passage qui parle de la relation orageuse que le chanteur a eu avec "la femme de sa vie"  décrit un artiste très tourmenté, mettant à mal son travail (des sessions d'enregistrement n'aboutissant à rien...). Murat a une vie domestique plus calme... mais cela m'évoque un peu la fin de la tournée VENUS avortée où l'on voit Murat s'habiller en christ... mais ses tourments sont un fort moteur artistique, et DOLORES et ses nombreux inédits, verra le jour.

p. 138:  "Mon père est rentré et a tout réenregistré à Paris, à la maison, avec ses musiciens habituels, et sous sa seule direction. En définitive, aucune de ses collaborations n'a jamais abouti". Pour Murat, c'est vrai  surtout en début de carrière, quand on essaye de lui adjoindre un producteur... Après, il "prend" ses collaborations, avec Denis Clavaizolle, Les Delano Orchestra, Calexico (il est question deux fois d'une session à Tucson dans le livre!)... 

 

Le livre contient beaucoup d'autres choses que  la description d'un chanteur :  d'abord, la difficulté pour se construire de sa fille, la narratrice sans prénom, dans cet univers, le rapport au deuil et/ou à la disparition,  ses relations avec ses amis, un journaliste, une amie qui s'appelle (par hasard) CLARA, la rencontre avec un groupe d'alternatifs, qui fait penser au groupe de Tarnac (à ce jour innocenté, le livre parle lui d'armes, d'explosifs trouvés sur le campement). A ce sujet, Vivian dans le "masque et la plume" a taxé le livre de "réactionnaire"!  Adam ne les décrit pas comme "une utopie communautaire", parle des drogues, et je trouve ces pages très réalistes autour de ce qui n'est qu'un repli sur soi comme un autre et de la posture.

Schaeffer a un ami JEFF, son guitariste attitré, qui partage sa maison, et meurt d'une overdose, lui faisant perdre un "repère", un dernier, après la perte  des femmes de sa vie. Peut-être que Christophe Pie "intimement, viscéralement lié à la carrière et à la vie de JLM" disait la Montagne, a pu jouer un peu ce rôle auprès de ce dernier, en étant capable de lui dire les choses (comme quand Murat lui  demande de l'aider sur "le moujik et sa femme"), sans parler qu'il était sans doute un invité permanent de la maison.

Chez Schaeffer, ces pertes "humaines", son inconstance dans la vie quotidienne, l'arrêt de sa production artistique (peur de faire le disque de trop, perte du fil, de l'inspiration?), un repli sur soi et/ou l'envie de "finir pêcheur", une dépression, autant de pistes esquissées,  l'amèneront d'abord à se mettre en retraite, puis à disparaitre : "peut-être qu'à force de s'abstraire de lui même, de se réduire à l'absence [...], il ne restait plus rien de lui. Peut-être n'était-il qu'une écorce. Et qu'ainsi, jeté à l'eau il a flotté jusqu'à la mer [...] Privé de substance on n'est plus rien. On n'a plus qu'à se vider dans le vide". L'amour portée à sa fille ne suffit pas.  "On a si vite fait de se perdre de vue" (p.209), même si Murat lui en rêverait plutôt.

Le roman se tourne alors complétement vers sa narratrice, et nous avons droit à de très jolies pages, notamment  sur une longue énumération sur 3 pages "je suis la fille qui... celle qui".

Les dernières pages évoquant l'art de la chanson parlent de la coexistence entre l’homme et son oeuvre. Un des doutes de Schaeffer est abordé: "mon père était persuadé d'être décevant en dehors de sa musique [...]Persuadé qu'il ne faisait qu'héberger le type qui écrivait des chansons , qui jouait sur scène. Et qu'il était un hôte misérable du créateur qu'il portait en lui". C'est ici qu'Adam reproduit la phrase de Goldman: "les chansons sont plus intéressantes que ceux qui les chantent".  Je n'imagine pas Murat victime de ce sentiment, d'ailleurs, Adam continue:

"De la génération qui l'avait suivi, parmi laquelle nombre de chanteurs se présentaient comme son héritier, il admirait la droiture autant que la musique. Ils ne sont jamais tombés dans les pièges, disait-il. Daho. Murat. Dominique A". Le piège de se compromettre. C'est peut-être à discuter... si on évoque la participation médiatique ou quelques singles faciles, à moins qu'on considère que cela fait partie du job...

 

Dans ce livre, Adam nous parle très bien des "songwritters" qu'il aiment tant, mais développe bien sûr avant tout un thème qui lui est cher : la disparition,  les gens qui restent, les gens ordinaires (aussi bien qu'on peut l'être quand on renonce à la fortune d'un héritage pour les donner à des bonnes oeuvres, ce qui est le cas de la narratrice)...  Sa structure en flashback, la fille qui revient sur la vie de son père, en un processus de deuil, est intéressante, marquant également  l'écart entre la vie qu'elle se choisit, dans l'anonymat, et  celle de son père. Cette disparition n'est pas forcement une mort, le roman laisse un fort doute (de plus, aucune lettre ou explications  ne sont laissées): son père est-il devenu ermite à Lisbonne, puis à Valparaiso? Est-ce tout simplement une nouvelle légende dur rock qui est en train de se construire?   La fille  choisit elle d'accepter ce départ. Le lecteur se posera forcement la question de savoir comment il réagirait.

"Chansons de la ville silencieuse" Olivier Adam, chez Flammarion, Jv 18.

 

PS: Sur ce thème de la disparition, je pense  beaucoup à l'histoire de M.  Ce dernier continue de m'accompagner. PSDV.  PSDT Matthieu GUillaumond

 

Autres mentions de MURAT dans le livre:

Un roman avec des crédits musicaux:

 

 

 

Bibliographie 4: Olivier ADAM, à la poursuite du chanteur... Lecture muratienne.

Pour aller plus loin:

 - Interview chez Taddéi : http://www.europe1.fr/emissions/europe-1-social-club/europe-1-social-club-la-suite-frederic-taddei-08012018-3540767

Adam cite "le mendiant à Rio".

- La Grande librairie:

- Sur France 24:

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Rédigé par Pierrot

Publié dans #bibliographie, #inter-ViOUS et MURAT

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Publié le 12 Mars 2018


Et oui,  encore Le VOYAGE DE NOZ ici, et son chanteur-auteur Stéphane Pétrier!  Pourquoi donc? 

ET bien quand on a sous le coude (et les occasions de le lever ne sont pas si nombreuses... enfin... bon... soit)  le groupe lyonnais  le plus fameux, en activité depuis 1986,  qu'il nous signe un bel album rock et pop qu'on attendait depuis 2011, toujours en toute indépendance et totale liberté,  et qu'il est toujours aussi ignoré par la presse,  ON EN PROFITE... et on essaye de jouer son rôle de "passeur" (certains nous ont déjà rejoints sur la route : coucou April, coucou le Québec). 

Petit rappel: Vous découvriez sur ce blog Stéphane Pétrier dans une inter-ViOUS ET MURAT croisé aux côtés de Yann Giraud et KA-Steffen en 2010.  La sortie du remarquable "Bonne espérance" nous a ensuite permis un long échange en 2011. Une autre interview en 2014 avait été débuté mais finalement abandonné, le Voyage prenant si ce n'est des impasses, du moins des chemins de traverse:  Il aura fallu 4 autres années pour que le nouveau disque sorte finalement...    Entre-temps, on avait retrouvé Stéphane lors d'une rencontre lyonnaise en 2016, ainsi que dans  des comptes rendus de concerts, qui ont malgré tout ponctué les années: une à deux fois l'an peut-être.

Mais oublions-tout, mais souvenons-nous du reste, nous voilà, en 2018, et voilà "LE DEBUT-LA FIN-LE DEBUT", disponible sur toutes les plateformes et sur commande ici, et je vous propose de le découvrir en détail, avec Stéphane. On en a profité également pour faire une actualisation de son "Inter-ViOUS ET MURAT".

 

LE 30 MARS  Retrouvez le VOYAGE DE NOZ en concert sur la péniche LOUPIKA à LYON . réservation ici

                                                                                        La pochette de ce cru 2018

 

- Alors Stéphane,  qu'est-ce que tu peux nous dire sur toute cette période?

 

S. Pétrier:  Le mot qui vient c’est « compliqué ».

En 2011, après « Bonne-Espérance ! » on était fatigués. Au lieu de passer un an voire deux à défendre cet album, j’ai senti une envie dans le groupe de passer très vite à autre chose. Ça m’a un peu déçu mais bon… Il y avait le désir de composer à nouveau des titres efficaces, rock’n roll… Une sorte d’anti « Bonne-Espérance ! » pour contraster... avec cette idée de faire quelque chose de « simple et rapide » qui sortirait vite… ah ah ah la bonne blague…

On s’est donc mis au travail, avec quelques premières chansons qui me semblaient plutôt intéressantes, avec Carol Le Blanc qui venait d’arriver à la basse. Il y a même eu quelques chouettes concerts (la première partie de Cali à Roanne). Peu après, Manu [le guitariste historique]  nous a annoncé qu’il voulait arrêter, ou du moins prendre du recul. Besoin de se recentrer sur lui et sa famille et peut-être de faire des choses plus personnelles. Ça a été forcément un choc pour tout le monde. On a donc continué à 4.

Le départ de Manu a sans doute exacerbé l’idée de tout changer et de faire un « nouveau groupe ». On a même envisagé à cette période de changer de nom… Et puis, toujours dans cette idée de tout changer, Eric, Caro et Alex m’ont proposé de chanter en anglais. Je le faisais déjà depuis peu avec bonheur pour Nellie Olson, mais j’avoue qu’avec Noz, ça ne m’était pas venu à l’esprit… Je crois que j’ai assez mal vécu tout ça. Peut-être en effet que mes textes de cette période n’étaient pas très convaincants… Je ne sais pas… Bref, j’ai dit ok, je me suis mis au travail et j’ai commencé à bosser en anglais. On avait plein de titres. Il y avait des choses très très bien. Mais moi, j’étais au fond du trou. J’avais l’impression de faire de la merde, de me trahir… L’impression que la seule chose pour laquelle j’avais un peu de talent avait disparu. En anglais, on redevenait un groupe totalement banal. C’était en tout cas mon impression. J’ai tenu peut-être un an et puis j’ai annoncé aux autres que ça ne m’allait pas et que je voulais reprendre en français… Retour à la case départ… Gros coup au moral pour tout le monde je pense. Là-dessus, même si ce n’est pas directement lié, Carol a quitté le groupe. 

Bref, à l’automne 2015, on n'était vraiment pas bien. Heureusement, il y a eu le retour de Pierre (Grandjean)[Pedro] à la basse. J’ai alors proposé qu’on fasse une jolie date à Lyon, histoire de revisiter le répertoire et en espérant que ça nous redonne l’envie.  On a donc fait le Transbo en mars 2016, avec Ella Beccaria qui nous accompagnait au violon. Ça a été un chouette moment, on a pris plein d’amour du public et ça a eu l’effet escompté.

On est sorti de là regonflés à bloc et on s’est remis à composer, en reprenant aussi certaines compos de la période post « Bonne-Espérance !» que nous avions abandonnés. En quelques mois, nous avions enfin quelque chose qui nous semblait cohérent, presque un album… Je retrouvais le goût d’écrire. Et puis surtout on s’éclatait à nouveau en répétition.



- Petite précision: Quand tu parlais du changement de nom, c'était le "NOZ.2 »?

S. Pétrier: Non, Noz.2,   c’était plus un effet « teasing" à un certain moment pour annoncer notre retour. Il y a eu recherche de noms, de logos, mais bon, j’avoue que je n’étais vraiment pas chaud et le truc n’est pas allé bien loin.

- Ella, combien de temps est-elle restée dans le groupe au bout du compte? Est-elle partie parce que  ça n'a pas avancé suffisamment vite ?

S. Pétrier:  Ella n’est restée que quelques mois. On s’entendait très bien mais il y avait plusieurs problèmes. De son côté la priorité qu’elle donnait bien naturellement à son groupe, les Toxic Frogs et qui lui laissait peu de temps pour nous et aussi le fait qu’elle ne jouait pas du tout de claviers. Et nous ne voulions pas d’une formule avec du violon sur tous les titres comme nous l’avions eu à l’époque de Liz Cottam pour «L’homme le plus heureux du monde » [2001] et « Tout doit disparaître »[2005]. On cherchait vraiment quelqu’un de multi-instrumentiste qui puisse s’adapter aux besoins des compos.

                                               photo:Joel Kuby                                                                                                        


-  Tu disais au concert de Feurs qu'elle avait apporté à "l'histoire", et notamment dans le processus de ce nouvel album,  tu peux nous en dire plus sur son apport?  

S. Pétrier: Disons qu’Ella, c’est une sorte de bulldozer. Avec elle en répétition, les choses devaient aller vite, se faire à l’instinct, elle n’a pas ce côté cérébral « enculeur de mouches » que nous pouvons avoir (enfin quand je dis « nous », c’est surtout moi, ok…). Bref, je crois qu’elle nous a apporté, à certains moments, une spontanéité et une liberté qu’on ne se permettait peut-être pas avant. C’était assez libérateur. Mais bon, toutes les personnes qui sont à un moment passées dans ce groupe, par leur talent, leur personnalité, ont apporté leur pierre, plus ou moins grosse à l'édifice. Idem pour Carol. Idem pour Nath aujourd’hui. Nous nous sommes toujours enrichi de ça je crois.

- Durant cette période de plusieurs années,  le groupe a-t-il toujours répéter, créer ou il y a eu des phases de prise de recul? 

S. Pétrier: Je crois qu’il y a eu une période de 6 mois où nous n’avons vraiment rien fait. C’était la première fois en trente ans. Et ça faisait du bien.

- Je me demandais  si le "booking" de concerts (Feurs peut-être plus que les autres,  prévu depuis plus de 6 mois, ou les grosses dates du Radiant, du transbo) n'était pas ce qui avait permis de maintenir une étincelle? Tu parles toi-même de l'effet transbo en 2016…

S. Pétrier: Sans doute oui. Le fait qu’il y ait eu des dates bookées à certains moments nous obligeait à rester actifs. Sans ça, le groupe ne se serait sûrement pas arrêté mais on aurait peut-être été… plus lents (rires dans la salle).


- Du coup, quand est-ce que vous avez décidé d’enregistrer, et est-ce que vous avez dû faire un gros travail de tri dans ce que vous aviez travaillé, ou que l’élimination se faisait petit à petit?

S. Pétrier: Franchement, il n’y a pas eu de grosse réflexion autour de ça. C’était un peu le merdier. On attaquait un titre. Il y avait de nouvelles idées qui arrivaient… On piochait dans ce qu’on avait… ou pas… On était d’abord dans le plaisir de jouer. Certains titres sont passés à la trappe sans qu’on sache trop pourquoi. D’autres parce que je n’avais pas de texte satisfaisant. Je crois surtout que dès qu’on a eu une dizaine de morceaux qui tenaient la route, on a dit go go go… to the studio. Il fallait que ça avance...

LE VOYAGE DE NOZ, L'INTERVIEW 2018 pour le nouvel album LE DEBUT-LA FIN-LE DEBUT

- Avais-tu imaginé au départ un album plus concept autour de cette bande d'ados terroristes (un titre 17 joué live dès 2011/2012 ne figure pas au disque)?

S. Pétrier:  Oui, l’idée de l’album concept était là même bien avant. Le premier titre, c’était « Ok ». Un futur proche où les choses auraient mal tourné… et puis un jour Thierry Tollon m’a filé un de ses textes. Une histoire de bobos pas très doués qui essayent de faire la révolution. C’était génial… et ça collait parfaitement à ce que je voulais faire. Je lui ai demandé s’il m’autorisait à foutre un peu le merdier dans son texte, le mettre à ma sauce pour en faire une chanson. Au même moment, Manu avait une base de morceau un peu disco et étrange… ça a donné Bagdad Disco Club.

Le problème, c’est que d’autres sujets qui me tenaient à cœur sont venus se greffer à ce moment-là… mon rapport à l’écriture en particulier, mes périodes de doutes (et l’expérience en anglais avortée que nous avons déjà évoquée)… qui ont donné les titres « The French boy... » et « Les fleurs », ou encore l’envie de parler du cancer qui a touché un de mes amis  (« Gilles »). C’était des vrais bons titres. On ne se voyait pas s’en passer. Dans l’idéal, il aurait fallu faire deux albums... Sortie prévue en 2028...

A l’arrivée, il reste quand même une ossature du projet « concept » (« End of the story », « Juste avant la fin du monde », « Bagdad », « Ok »...) mais il en manque bien sûr un bout. « 17 » et surtout « Non » étaient des bonnes chansons qui collaient à l’histoire et que j’aurais bien inclues dans l’album. Mais les circonstances (et l’envie d’en finir vite qui nous habitait) ne l’ont pas permis. C’est mon seul petit regret sur cet album.



- Voilà ce que c'est d'aller trop vite... On aurait pu attendre. Je voulais savoir quand avait eu lieu les séances d’enregistrement exactement si tu veux bien... ou est-ce que vous avez enregistré petit a petit.

S. Pétrier:   Pour la première fois, nous avons enregistré toutes les bases en live. Basse, batterie et guitare en même temps. On voulait essayer d’avoir quelque chose de plus naturel et moins « studio ». J’ai l’impression qu’au final ça se ressent, au niveau de l’énergie… enfin j’espère... On a fait tout ça en deux séances de 3 jours (une en novembre 2016, l’autre en février 2017) à la merveilleuse Casa Musicale d’Eric Martin (Saint-Didier au Mont d’Or). Ensuite, les prises de voix et les arrangements claviers et autres se sont faits soit dans le studio d’Eric (Clapot), soit dans le studio de Xavier (Desprat) qui a ensuite mixé la chose. On a aussi complété par quelques prises de voix et les guitares de Manu au studio Kasa Nostra à Saint-Jean (super studio et super accueil là aussi…). Tout ça + le mixage s’est étalé jusqu’à décembre dernier.


- Parlons plus concrètement du disque si tu veux bien: du pur noz pour commencer avec la petite introduction... qui est peut être un petit clin d oeil à Bonne Espérance, qui lui-même débutait par un fameux jeu de mots sur esther appertine [le héro  de  L'homme le plus heureux du monde et anagramme de "Stéphane Pétrier"]?

S. Pétrier:  Il y a surtout un clin d’œil à l’album « Tout doit disparaître » qui se terminait par un petit titre caché qui s’appelait « Austerlitz ». Depuis cette époque, j’ai toujours eu en tête de faire un autre titre qui s’appellerait « Waterloo ». C’est mon côté « premier empire » :). J’aime l’idée de ces deux gares qui portent des noms de victoires ou de défaites, selon l’endroit où l’on se trouve… La victoire des uns étant la défaite des autres. Toujours cette idée de point de vue sur les choses… le début ? La fin ?… C’était aussi  l’intro idéale pour mon "garçon français dans un train anglais » qui est le premier véritable titre de l’album.


- Oups... suis-je bête? Je n'y avais même pas pensé... Je voyais  ces deux titres comme un petit retour vers la France après ce voyage en terres brumeuses qu'était Bonne Espérance....  Le "continental freaks", ce n'est pas une illusion à un "each uisge » [chanson  de cet album]?

 

S. Pétrier:  C’est vrai aussi. Il y a le retour vers la France bien sûr… Et l’idée que nous avons aussi nos monstres…

 

- Plus haut   tu dis que  "mon rapport à l’écriture en particulier, mes périodes de doutes (et l’expérience en anglais avortée que nous avons déjà évoquée)…  ont donné les titres « The French boy...»... Je n'avais pas pensé à cette dimension du texte, qui peut paraitre un peu étonnante et schizophrénique:   tu t'éclates en anglais avec Nellie Olson...et tu t'y perds pour les NOZ?  

 

S. Pétrier:  Oui, « The French boy » ne parle même que de ça : cette impression d’avoir été embarqué dans un train qui n’était pas le mien. Et puis aussi ce petit complexe que l’on peut avoir par rapport aux Anglais quand on fait du rock’n roll. Avec Nellie Olson, c’est complètement différent. Je pense que c’était obligatoire de chanter en anglais pour ne pas que je refasse du « Noz ». Et c’est vrai que j’adore ça. C’est une autre façon d’écrire plus spontanée, plus légère, dans laquelle je me retrouve aussi et qui permet de dire des choses que je crois également intéressantes, même si ça ne saute pas forcément aux yeux :)  C’est parfait pour Nellie. Avec Noz, ce n’est pas possible. Tu ne peux pas entraîner les gens pendant 30 ans sur une route et leur dire du jour au lendemain que les règles ont changé. Il y a depuis le début une idée de continuité dans notre production. Je ressens les personnages de nos histoires comme des amis que l’on quitte et qui reviennent dans l’album suivant.  Si un jour Hergé avait dit : à partir de maintenant, Tintin, il est Anglais, il a une femme et cinq enfant, il s’habille en costard et le capitaine Haddock travaille MI5 » ça m’aurait fait chier. A notre petit niveau, j’ai l’impression que ceux qui aiment notre musique sont attachés à ça aussi…

 

- A noter : J’aime aussi beaucoup la guitare assez typique d' Erik il me semble sur ce titre.
Avec Gilles (titre3), on est plus dans la chanson... et quels violons (arrangé par DAVID GRUMEL)! C'est du grand spectacle,

S. Pétrier: "Gilles" ça fait partie de ces chansons légères (au moins musicalement) comme on arrive à en faire de temps en temps et que j’adore (« L’ami américain » était un peu du même acabit je trouve).

Le côté kitsch, fleur bleue, des violons de la fin, tout ça, je crois que c’est aussi nous. Ça correspond à une partie de notre culture musicale (« Les Smiths » ou « Prefab Sprout » auquel je pense souvent pour cette chanson). Ça hérisse peut-être les poils des fans les plus torturés mais nous, ça nous fait du bien… :)

Allez, je fais moi-même la question suivante

-  Et puis il y a « End of the story ». Ressens-tu ce titre - comme je le ressens moi - comme la « pierre angulaire » de l’album ?

S. Pétrier: Sûrement un peu, oui. C’est une compo amenée par Eric. Il avait commencé à faire une démo du truc et c’était déjà très touffu… je ne voyais pas trop quelle mélodie de voix je pouvais apporter là-dessus et l’idée du « talk over » s’est imposée assez naturellement. J’aime beaucoup le résultat. Déjà parce que c’est quelque chose de nouveau chez nous. Et l’idée de réussir à se renouveler au bout de trente ans c’est plutôt agréable. Au même titre que « Bagdad », ce titre a donné le ton de l’album. Je crois que quand on a terminé la maquette, on s’est dit « oui, là on tient un truc intéressant ».

 

                                                                            Eric                       

 

- Alors si je peux me permettre d'en placer une... Je trouve effectivement que c'est très réussi (le refrain, le crescendo...).  Je trouve vraiment que la voix, la diction, sonnent vraiment comme celles d'un "ado" (on fait une belle bascule dans le temps après "gilles"), mais on trouve, c'est  nouveau aussi, une vision un peu ou largement satirique ou ironique ("théo s'est jeté sur le sol en criant "maman je t'aime"...), tout comme dans "bagdad" qui va encore au-delà.   Si tu nous parles encore d'adolescents ou de jeunesse, on n'est plus dans le romantisme d'Aurélia, ou des rencontres dans les cimetières. 

 

S. Pétrier: Les adolescents… en tout cas ceux que je vois autour de moi, ne m’ont pas l’air vraiment prêts à faire la révolution. Les adultes non plus d’ailleurs… Il y a parfois l’envie mais pas les actes. « End of the story », « Bagdad… »  parlent de ça. De cette impression que même si nous sommes pour la plupart conscients d’être au cœur d’un système malsain qui nous mène à notre perte, nous ne faisons rien de vraiment concret pour le dégager. Justement parce que nous sommes trop enfoncés dans notre petit confort, dans notre consumérisme dont on a bien du mal à se passer. Parce que ce système nous fournit chaque jour assez de bien-être matériel pour nous maintenir bien dociles. Les adolescents du Signe étaient des héros romantiques… ceux-là sont comme moi plutôt désabusés...

 

- Pour être complet, j'adore le clavier, comme aux grandes heures du Signe,  et la voix féminine additionnelle... très présente sur tout l'album. C'est pratique d'en disposer à domicile….

S. Pétrier:  Oui, la voix de Nathalie fonctionne vraiment bien je trouve. On avait déjà testé ça il y a pas mal de temps, sur la "Valse aux idiots ». Là, elle prend une place vraiment importante. Je voulais des interventions de voix qui soient autre que la mienne pour faire passer cette idée de « collectif » qu’il y a dans l’album. Et puis Nath a la capacité de tout de suite trouver le contre-chant qui va bien. En concert, c’est un bonheur pour moi d’avoir ce soutien vocal. Ça donne une force incroyable. Tout devient plus facile. Et en plus, c’est vrai qu’on s’entend bien :)


- Ensuite, Rien vu venir, la meilleure composition de l'album  ;.) [signée par Stéphane]. Un rythme  presque funk... avant l'envolée nozéen... 

S. Pétrier:  C’est vrai ? Ça te plait ? Ça me fait plaisir. C’est un titre que j’ai amené et dont j’ai longtemps douté. J’avais peur qu’il soit un peu trop baroque, ça partait dans tous les sens entre le couplet, le pont, le refrain… C’est au contraire Eric qui m’a dit « mais non, il est bien, il faut le faire ». Et à l’arrivée c’est à moi aussi un de mes titres préférés. Je le trouve vraiment réussi. Très Noz et avec une fraîcheur que l’on n’avait pas eu depuis longtemps.

 

- Euh, non, en fait, je rigolais...  c'était pour t'encourager pour pas qu'on attende encore 7 ans….  

 

S. Pétrier:  Salaud !

 

- Mais  "baroque, ça partait dans tous les sens, couplet, refrain": c'est donc du Pur NOZ (y compris le texte plus premier degré) pour moi.  Gros refrain et j'apprécie la séquence là encore en talk over, avec un final un peu à la "une nuit sans étoile".

La suivante, c'est  Memento Mori dans mes préférés (pas à cause de l'utilisation de locution latine façon  "morituri", même si ça  sonne vraiment bien dans le refrain). J'ai envie de parler de la batterie sur ce titre, même ce petit rythme sur les couplets... Peut-être l'occasion de parler d'Alex…. 

 

S. Pétrier:  « Memento mori » c’’est en effet une compo apportée par Alex. Elle était déjà là au moment de la conception de "Bonne-Espérance" mais je ne l’avais pas gardée à l’époque. Pas parce que je ne l’aimais pas mais parce que je ne savais pas quoi en faire dans l’histoire.  Alex m’en a un peu voulu je crois :) . C’est un problème dont nous avions déjà parlé dans une autre interview. Par ma capacité - ou non - à pondre un texte, je peux bloquer la genèse d’une chanson. C’est chiant mais je n’y peux pas grand-chose… Sur ce projet, le morceau s’inscrivait beaucoup plus naturellement et le texte en venu d’emblée. C’est marrant que tu parles du jeu de batterie car dès le début, Alex avait une idée très précise de ce qu’il voulait faire sur ce titre… et de la façon dont ça devait sonner. Il nous a bien fait chier pour ça avec Xavier lors du mixage :) Et il a eu raison ! Ça crée une ambiance très particulière, tout en retenue...  Alex, c’est quelqu'un qui prend au fil des années de plus en plus de poids dans le groupe. Quand on a traversé des périodes difficiles, ces derniers temps, c’est lui qui a maintenu le bateau à flot, c’est lui qui essayé de faire avancer les choses quand on se prenait la tête. Cet album lui doit beaucoup.

 

                                                                                 Alex


- Je repensais justement en écoutant les couplets à ce que disait le batteur Christophe Pie sur la chanson Summer des DELANO ORCHESTRA, et la "bouteille" qu'il faut avoir pour imposer son idée, même très basique,  idée qui va donner toute sa couleur au titre... 
 A LA SUIVANTE:  Juste avant la fin du monde ne m'accroche pas forcement  dans le début  (comme d'autres titres), mais on a encore ce refrain "hymne"... et surtout cette séquence finale à deux voix que j'adore....  Et là encore, ça marche aussi très bien en concert.

S. Pétrier:  C’est plus du Noz « pur jus »… Nous avons pris le temps de développer un final qui s’installe, qui dure, qui monte doucement. Je suis très content de ça. Souvent, avant, on avait tellement peur de s’ennuyer qu’on se sentait obligés de changer d’accord au bout de huit mesures. C’est la maturité, tu crois ?

-  Euh... Au jeu de la petite formule réductrice : on pourrait dire : "En 89, vous étiez les puérils qui jouaient les matures, et en 2018, les matures qui jouent les puérils"...  Je parle de "puérilité" pour parler de cette musique expressionniste et romantique, pas assez hype pour être apprécié par la critique. On pourrait remplacer ce  terme  par celui de "folie", et ça on espère que vous allez la garder longtemps.

Et Nous voilà au très très gros morceau de ce disque le plus particulier sans doute même si vous vous étiez déjà essayé au tempo "house" avec "une Histoire de cul" ou cette version de J'empire,  Quelle intro sur une tonalité orientale (près deux minutes)...   A quand le remix special club pour enflammer le dancefloor?      

S. Pétrier:   Oui, sur « Bagdad" on flirte avec le disco, et le disco, on adore ça… On était tous ado ou pré-ado ans quand le truc a déboulé, forcément, ça marque. Mes premiers 45 tours, c’était Saturday Night Fever, Patrick Hernandez, Earth Wind & Fire...

Même si au départ, ce n’est pas vraiment notre spécialité, c’est très agréable quand on réussit à faire un titre qui groove. Voir les têtes des gens bouger en concert, tout ça… Cet album a un côté « punchy » qui nous fait du bien, surtout après Bonne-Espérance. Je pense que le jeu de basse de Pedro est pour beaucoup dans ce groove que nous n’avions pas avant. Sur Bonne-Espérance, Pedro était le "petit nouveau", il était resté assez discret et minimaliste dans son jeu. Là, il s'est vraiment investi dans tous les titres. Il a apporté des trucs super intéressants… et puis le fait qu’il n’y avait plus qu’une guitare après le départ de Manu lui laissait forcément plus de place pour s'exprimer. Franchement, avec Alex, ils forment une basse-batterie comme j’en connais peu.

 

Et puisqu’on parle de remix, je voulais en profiter pour saluer une nouvelle fois le travail de Xav (Desprat) pour la prod de cet album. C’était pas évident, le contexte était assez particulier et je trouve qu’il nous a fait sonner comme jamais. C’est quelqu’un de très à l’écoute. On l’a bien fait chier, surtout dans la dernière (longue) ligne droite… Il a toujours été là. Toujours de bonne humeur. Au même titre que David et Eric (management) c’est quelqu’un de précieux pour nous.

 

- Alors, sérieux, faut prévoir un maxi 45T....   Et puis bien-sûr il y a ce texte où tu lâches la bride complétement, avec l'aide de l'ancien M. Tollon, notamment ce vers:   "souvenir gore ;...  Disney store..."  marquant bien l'époque que tu nous décris, un futur déjà bien présent.  Un petit regret par rapport à l'album: il n'y a pas d'avancée dramatique par rapport au titre The End Of the Story: c'est le même échec de la "révolte" que tu nous racontes? Faut dire que "ceux qui veulent tout faire péter" sont tellement nés de l'époque que leurs agissements semblent plus le résultat d'une oisiveté que d'une véritable conscientisation d'une lutte à mener ? (bon, sans se lancer dans un discours structuralo-trotkiste...)      Est-ce que tu comprends cette question?

 

S. Pétrier:  Je voulais vraiment qu’il y ait cette continuité dans l’échec des ados (dans « End of the Story ») et des mêmes devenus adultes (dans « Bagdad »). Ils se sont juste un peu plus embourgeoisés mais le résultat final est le même. Ils ne se rendent pas compte qu’ils font totalement partie du système qu’ils veulent abattre. Et puis il y a ce personnage dans le dernier couplet qui trahit le héros. J’aime bien cette idée. J’ai l’impression que tous les jours nous nous trahissons : le matin je signe une pétition contre Mosanto et l’après-midi je m’achète un I-phone… Le «selfie avec le Che dans un Disney Store» c’est un truc que j’ai rajouté à la fin et qui résume bien tout ça je trouve. 

Le texte de départ de Thierry (Tollon) avait ce côté déjà très anxiogène. Il nous mettait face à nos contradictions, avec un ton à la fois amusant et en même temps profondément déprimant. La vérité c’est que nous ne sommes pas prêts à lâcher notre petit confort pour essayer d’améliorer ce monde. On fait des petits gestes, mais rien qui ne mettent véritablement en danger notre bien-être et l’opulence dans laquelle nous sommes. Bref, comme les personnages de « Bagdad Disco Club », je crois qu’on s’est bien fait niquer.

 

- Morceau de transition ensuite (pour moi)...   Après le chaos, K.O., Un exercice de bravoure d'utiliser "tout est ok" dans une chanson, non?

 

S. Pétrier:  Transition ? Tu trouves ? C’est drôle, pour moi c’est un des grands morceaux du disque. Peut-être même du groupe.

L’ambiance, le groove créé par la guitare, le violon et la basse-batterie, l’histoire racontée… Il y a une sobriété, une pudeur que j’aime beaucoup.

Quant au titre, « Ok » c’était aussi une façon d’être sobre. Ça sous-entend pas mal de chose : on fait, non, tout n’est pas OK… mais on est encore vivant… on s’accroche...

 

-  Encore ton goût pour les chansons plus simples, les ballades... la variété des années 70...  Ça me rappelle que j'avais pensé à une question sur la pudeur et ton inspiration. J'avais un peu l'idée que tu évoquais plus ceux qui t'entourent, peut-être aussi de ce que vivent les autres membres du groupe, que de toi... Cette "technique" d'utiliser autant de prénoms n'est peut-être pas anodine.... Enfin, si j'avais oublié la question, c'est qu'au final, je ne suis pas très certain...‌

 

S. Pétrier:  Non je ne crois pas. Quand je dis « pudeur »,  je parle de la façon d’évoquer les choses. Le terme exact serait plutôt « retenue »… Quand par exemple je dis « Tous les matins à Saint-Jean, les gens forment un grand cercle devant la cathédrale », c’est une façon d’évoquer ce retour à la religiosité ambiant, sans en dire trop. Pour ce qui est de ma pudeur à moi, je crois que j’essaye au contraire dès que c’est possible de me mettre un maximum tout nu, même si je dissimule ça parfois sous les déguisements de mes personnages. Je pars du principe que nous avons tous des failles, et qu’une fois qu’on les a montrées, avouées, tout devient plus facile. Parce que tout le monde se retrouve quelque part dans les faiblesses des autres.

Récemment, au concert de Feurs, j’ai eu un gros trou de mémoire sur un titre ("Thelma ») qui le supporte difficilement. Plutôt que d’essayer de biaiser quand on le fait parfois, j’ai préféré tout arrêter, avouer mon péché… et recommencer la chanson à zéro. Il y a quelques années, j’aurais été incapable de ça. Maintenant, je sais que non seulement c’est en général plutôt bien pris par le public, ça fait rigoler tout le monde, ça détend l’atmosphère, mais je sais aussi qu’en plus, pour moi, c’est libérateur : après ça, tu ne crains plus rien. Tu t’es cassé la gueule, tu as montré aux gens que tu avais beau être sur scène, tu n'étais ni pire ni mieux qu’eux... il ne peut plus rien t’arriver de grave. En général après ça, il n’y a bizarrement plus aucun stress. On se sent libéré délivréééééé… 

 

-  Pour en revenir à "tout est ok",  c'est juste que ce n'est pas préférée:  le texte me plait moins que d'autres (j'avais déjà eu un peu de mal avec le dernier album de Marchet auquel ça me fait penser un peu), le violon du départ...  Et puis, entre Bagdad... et les Fleurs, c'est chaud pour exister. Les fleurs : sa petite intro très pêchue, presque électro, que je trouve aussi originale chez vous, puis la guitare excellente... Encore un hymne... et puis bien sûr ce texte encore une fois sur le thème de "la fin"... Là, encore, ça te permet de t'en donner à cœur joie en concert (attention à protéger ses verres). Vous y pensez quand vous concevez la chanson?

 

S. Pétrier:   Les Fleurs ça part d’un riff typique du jeu d’Eric. Ca envoie vraiment et je ne pense pas qu’on ait déjà sonné autant rock’n roll. C’est assez jouissif à jouer sur scène. Le texte, je crois qu’il illustre bien les périodes de doutes que nous avons pu traverser ces dernières années.  

Quant aux idées scéniques, elles viennent plutôt ensuite, en répétition. Si on avait un peu les moyens et une vraie tournée, ça fait partie des titres où j’imagine qu’il pourrait se passer des choses. Je ne sais pas pourquoi, depuis le début, je vois des enfants maquillés et un peu endimanchés venir déposer des bouquets sur scène pour le final du morceau. Un truc un peu glauque, entre "Chucky" et "L’Ecole des Fans"… Il faut que je prenne des vacances moi...

 

- Ah, tu continues  toujours d'imaginer  des mises en  scène, qui font partie de l'adn  du groupe depuis  le début. On peut s'attendre à des surprises pour le loupika?

 

S. Pétrier:  Non, le Loupika ce n’est pas une salle qui se prête vraiment à la mise en scène, par contre, pour y avoir joué une fois avec Nellie Olson, je sais que ça peut être vraiment très chaud. C’est un lieu où il y a des bonnes ondes… Si tout va bien, on va être un peu serrés (enfin j’espère)…  Il y aura une ou deux petites vieilleries ressorties des placards dans la set-list… Bref, il y a tous les ingrédients pour que ça tangue.


- Et la suite du "début la fin le début"?  Tu en sais quelque chose?

Si tu veux le pitch du prochain album, c’est un peu prématuré :)  Par contre, ce qui semble évident c’est qu’il y a une vraie envie de ne pas s’arrêter là. Après une période très compliquée, j’ai l’impression de ressortir personnellement gonflé à bloc. J’ai très envie de jouer. Si je dis souvent « je », c'est pas par mégalomanie (enfin pas trop) mais surtout parce que ça m’emmerde de m’engager au nom de autres. Cela dit, je crois que je ne suis pas le seul à être dans cet état d’esprit. Imagine, on est peut-être reparti pour trente ans ?

                                                    Pochette du DVD live pour les 20 ans                                                                                                           (une captation de deux concerts de folie sold out)

MISE A JOUR Inter-ViOUS ET MURAT- Stéphane PETRIER
Depuis l'inter-ViOUS ET MURAT de 2010, il y a eu Grand lièvre, Toboggan, babel, Morituri et ce TRAVAUX....  Est-ce qu'il y a des choses marquantes selon toi? Je ne crois pas t'avoir recroisé aux concerts. 

S. Pétrier:  Concernant Murat, j’avais vraiment décroché avec Grand Lièvre, Toboggan, même Babel... qui pour moi n’apportaient rien et où les bonnes chansons se faisaient plus que rares. 

J’ai repris  un peu goût avec Morituri, parce que même si ça restait du Murat très classique, il y avait des titres vraiment accrocheurs dans le lot (French Lynx, Franckie, La pharmacienne d’Yvetot en particulier…).
Et puis déboulent ces «Travaux sur la N89 » et là, je reprends une claque. Franchement, pour moi c’est le meilleur Murat depuis « A bird on a poire », avec lequel je trouve d’ailleurs pas mal de similitudes, dans le côté un peu décalé, ludique, frais… avec la voix de Morgane Imbaud qui apporte ce petit coté sexy qu’il y avait avec Jennifer Charles… Et puis il y a ce parti pris électro que j’adore (beaucoup de similitudes aussi avec l’album de Bertrand Cantat sorti à peu près au même moment), surtout pour moi qui ne suis pas un fan de la face « blues-terroir » de l’ami Jean-Louis… Je trouve ça super intéressant. A la maison, « le chat » passe en boucle… ma fille adore…
 
- Et tu citais Gengis en 2010, comme un titre qui te plaisait.... C'est un nom qui t'accompagne au quotidien maintenant, un hasard?
S. Pétrier:   Oui, même si j’ai changé depuis, la première boite de communication que j’ai créée, il y a quelques années, s’appelait «Gengis». Et la chanson de Murat n’y est pas pour rien. C’est un titre magnifique… même si je n’ai pas compris ce que Gengis foutait à Valparaiso :)) Et puis, il y a la mer, le voyage… encore et toujours...

 

 

- Extrait de l'inter-ViOUS ET MURAT de 2010 de Stéphane :

  Puisque j'ai déjà parlé de "Petite luge" et de "Gagner l'aéroport",  je citerais 2 vieux titres de Dolores, "Fort Alamo" et "Perce-neige" et un titre qui était sur un maxi à l'époque du Moujik, ma  préférée entre toutes : "Royal Cadet".  Royal Cadet, j'ai eu la chance de pouvoir l'entendre en concert au Palais du Facteur Cheval l'année dernière (Pierre était là bien-sûr...)... Je crois que ce morceau pourrait durer une heure, je ne m'en lasserais jamais... Et pourtant, il est construit comme un bon vieil alexandrin, en 2 hémistiches de 6 syllabes, chose qui en général m'ennuie profondément... mais là, ça marche... J'ai l'impression que chaque mot posé est touché par la grâce, que la voix de Murat est en apesanteur, avec une proximité exceptionnelle... Je ne cherche même pas exactement à savoir de quoi il me parle dans cette chanson, je prends tout.    

  Concernant la deuxième question,  il y a dans notre dernier album une chanson qui s'appelle "Le cap" qui doit certainement quelque chose à Murat. Dans la façon de poser les mots, de jouer avec les silences à  certains moments, dans la simplicité et la répétitivité de la ligne mélodique...

Interview réalisée par mails du 25/02 au 11/03/18

Encore un grand merci à Stéphane, aux autres membres du groupe pour leur talent, et spécial dédicaces aux couillons (ah, qu'est-ce qu'on se marrait sur le forum).

 

LES LIENS EN PLUS

 - Une interview récente (en 3 volets) de Stéphane, "le Gône de la semaine"

- La chronique du dernier album par Laurent Cachard, « stéphane Pétrier est le meilleur showman que j’ai vu » disait-il dans un article plus ancien.

- En 2013, Le Voyage de Noz conquiert les 3000 personnes venues pour  Cali :

Et au hasard, un de leurs tubes :

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Rédigé par Pierrot

Publié dans #inter-ViOUS et MURAT

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