"CHANSON" (volet 1: passage en revue d'une Revue musicale)

Publié le 21 Mars 2016

Une nouvelle fois aujourd'hui, on oublie l'écume de la promo médiocratique pour aller au "fond" (on retournera se vautrer dans la fange très vite, ne vous inquiétez pas). En effet, M. nous propose un travail historique et rend un magnifique hommage à un grand journaliste musical, "un passeur" [avant une 2e partie plus axée sur J.L. Bergheaud, avec un contenu tout-à-fait inédit]. Comme je le disais à Laurent Saligault quand on évoquait Mickey Finn, c'est une grande joie et fierté de donner un coup de projecteur sur des personnalités que le web était en passe d'oublier.

 

Chanson
Toi qui ne veux rien dire, Toi qui me dis tout

Voici environ un an, nous mettions en lumière, grâce à la vigilance d'Olivier Nuc, un pan de l'activité journalistique de Jean-Louis Bergheaud, à une époque où celui-ci ne se faisait pas encore appeler Murat. La découverte de son éloge de Véronique Sanson – republié à la page 85 du livre de Laurent Calut et Yann Morvan, Véronique Sanson, les années américaines (Grasset, janvier 2015) – apprit à beaucoup l'existence de la revue dans laquelle était paru le texte initialement, la bien nommée Chanson. Avant de nous pencher davantage dans un prochain article sur la brève collaboration de Murat à Chanson, nous nous proposons ici de raviver le souvenir de ce journal méconnu, qui joua pourtant un rôle non négligeable dans le paysage musical francophone des années 70.

"Laissez parler vos imaginations
Ne me laissez pas seul à gueuler des chansons
Ça ne veut rien dire si vous ne faites jamais rien
Si vous projetez sur moi votre destin"

Môrice Benin

Une équipe de "fous de la chanson"

Le premier numéro de Chanson paraît le 25 juin 1973. Il fait une petite trentaine de pages, "ne pèse que 100 grammes" et affiche en couverture Jean-Michel Caradec. Éditée par OGI publication, la revue a son siège au 185 bis rue Ordener, dans le 18ème arrondissement de Paris. Son ours nous apprend qu'elle compte un Directeur-Rédacteur en chef en la personne de Lucien Nicolas, un Secrétaire général et un Comité de rédaction, composé de sept autres membres. Mais derrière cet habillage officiel, la réalité est plus amateur et précaire. Chanson est en fait pour sa plus grande part l’œuvre de Lucien Nicolas, alors journaliste à Télérama, qui l'a créée avec ses moyens personnels (limités, comme on le verra) et s'est entouré pour la réaliser d'une poignée de passionnés qui l'assistent bénévolement. Marc Legras, entré dans l'équipe à partir du numéro 10, se souvient qu'à défaut de pouvoir payer ses collaborateurs, Nicolas les invitait parfois à partager un couscous à la sortie des concerts.
Si la liste des membres de ce comité de rédaction virtuel, "professionnels ou non, alternatifs ou continus, mais toujours au courant de la chanson", évolue considérablement au fil des numéros, ces fluctuations ne signifient pas que Nicolas ait choisi ses compagnons au hasard. À ses côtés figurent ainsi, au démarrage de l'aventure, d'autres spécialistes reconnus de la chanson, tels Robert Mallat, du Point, fondateur en 1963 de l'Académie de la Chanson, Lucien Rioux, du Nouvel Observateur, déjà auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet et Guy Silva, le Monsieur Chanson de L'Humanité. Christophe Izard, lui, a longtemps été en charge de la rubrique Music-hall à France Soir, avant de devenir producteur d'émissions de variétés pour la télévision, tandis que Jacques Vassal, qui écrit à Rock and Folk, est passionné de chanson française depuis son enfance. En plus de ces journalistes de profession, le premier comité de rédaction comprend aussi le parolier Jean-Pierre Kernoa, qui a notamment œuvré pour Le Forestier, Gréco ou Guichard, ainsi que Françoise Ulricht et Pierre Gossin, sur qui nous n'avons malheureusement pas pu glaner d'informations.
Parmi ceux qui viendront prêter main forte à Lucien Nicolas dans les années suivantes, on peut mentionner Marc Legras, animateur sur France Musique d'une émission quotidienne sur la chanson (en alternance avec Jacques Erwan), François Possot, poète qui vient de faire paraître un livre d'entretiens avec son ami, l'acteur Pierre Fresnay, Régine Mellac, universitaire et traductrice, grande spécialiste de la chanson latino-américaine, Jean-Marc Cherix, photographe amateur et organisateur de concerts du côté de Lausanne, qui sera le correspondant suisse de la revue, Jean-Marie Verhelst et Bernard Hennebert, deux défenseurs de la chanson alternative en Belgique, qui rendront compte de l'actualité de ce pays (avec à la clef un numéro spécial en 1977), Christian Hermelin, critique de variétés à Témoignage Chrétien, qui développe une approche sociologique du genre, plus quelques autres personnalités, dont Rémy Le Tallec, André-Georges Hamon, Michel Duvigneau, Robert Ballet ou Jean-Louis Bergheaud...

Structure et Tonalité

Dans son éditorial, Lucien Nicolas annonce vouloir parler de la chanson depuis "l'information courante, pratique, technique, jusqu'à l'information essentielle, c'est-à-dire l'information qu'on ne peut trouver qu'au cœur de la création, au cœur des créateurs." En ce sens, il désire se situer "à un niveau de l'information où peu de journalistes, à moins qu'ils ne soient vraiment fous de la chanson, s'aventurent généralement." Cette ambition élevée va se décliner au fil des numéros, à travers un certain nombre de rubriques qui structurent la revue. Tentons-en un rapide survol :

La couverture : D'abord centrée sur un seul chanteur, elle se compose par la suite de plusieurs petites photos associées à un aperçu du sommaire. L’honnêteté oblige à dire que ce n'est pas le point fort de la revue et que le choix de la couleur peut parfois laisser sceptique. Nougaro, Tisserand, Berger, Zacha ou Béranger y seront à l'honneur, la "une" la plus originale restant sans doute celle du numéro 12, qui présente un enfant de cinq ans dont l'identité n'est révélée qu'à l’intérieur.

L'éditorial : Il permet à Lucien Nicolas de défendre sa vision de la chanson (cf. infra) et de mobiliser les lecteurs.

Les articles de présentation d'artistes : Sous la forme de portraits plus ou moins fouillés et/ou d'entretiens, ils concernent des chanteurs dont la plupart ont entre vingt-cinq et quarante-cinq ans. Annegarn, F. François ou Claire figurent parmi les plus jeunes, Béart, Dimey ou Julien parmi les quadras. Des auteurs plus confirmés tels que Lemarque ou Caussimon ne sont pas pour autant snobés.

Les articles écrits par les artistes : C'est une des originalités de Chanson, conforme au souhait de son directeur : "Les auteurs, les compositeurs, les interprètes pourront s'y exprimer librement, quelle que soit leur opinion (et pourvu qu'ils en aient une)". Ainsi peut-on lire dans la revue des témoignages de créateurs tels que Ferrer, Berger, Brassens, Gainsbourg, Dumont, Nicoletta, Sylvestre, Rodrigues, Magny ou Duteil, pour n'en citer que quelques uns. Ils livrent dans ces textes des réflexions sur l'exercice concret de leur métier, évoquent leurs projets et leurs déconvenues, leurs espoirs comme leurs frustrations.

Les articles de fond sur la chanson : Qu'ils développent des réflexions politiques (la censure en Espagne), économiques (le montant de la TVA sur le disque, la distribution, le piratage), organisationnelles (le développement des Centres Régionaux pour la Chanson, la création de Prospective Chanson), médiatiques (la politique de programmation en radio, l'engagement de la Sacem dans le concours de l'Eurovision), pédagogiques (les moyens pour bien débuter, l'éducation culturelle dans l'enseignement agricole), théoriques (la distinction entre chanson et variétés, le choix entre amateurisme et professionnalisme) ou pratiques (l'analyse de chansons, à travers les rubriques "Le tiroir à chansons" ou "Chansons à la douzaine"), Lucien Nicolas et ses camarades de jeu ne cessent d'interroger et de s’interroger sur cette catégorie de "chanson", afin d'en déployer toutes les potentialités.

Les témoignages d'acteurs auxiliaires : De temps à autre, la revue donne la parole à des professionnels qui, sans être eux-même des créateurs de chansons, gravitent autour de ces derniers. Il peut s'agir d'animateurs de radio, d'organisateurs de concerts, de professeurs de chant, mais aussi, moins attendus, du patron d'une célèbre épicerie-buvette-cabaret ou des animateurs d'un CE en hôpital psychiatrique…

"15 questions à..." : Le nombre de questions varie, mais le concept de cette rubrique reste le même : interroger trois protagonistes du monde de la chanson en leur posant une quinzaine de questions identiques sur leur métier – l'intérêt étant alors de pouvoir comparer les réponses des uns et des autres. La rubrique peut s'intéresser à des vedettes (Ferré et Leclerc par exemple) comme à des acteurs moins exposés : paroliers, arrangeurs, directeurs artistiques, chanteurs d'Afrique noire (avec Manu Dibango) ou même à… "Trois filles libres", dans le numéro 24.

Les fiches de présentation de nouveaux talents : Baptisée dès le numéro 2 "Scène-Service", cette rubrique est destinée à faire connaître à la profession des artistes qui débutent. Dans cette optique, elle fournit un certain nombre de renseignements pratiques, à la façon d'un bref CV. Parmi les heureux fichés, Duteil, Annegarn, Booz, Viglietti, Tristan, Voulzy, Buhler ou Magdane, plus beaucoup d'autres qui n'ont jamais explosé. De Souchon, mis en avant dès le numéro 1, il est écrit : "Auteur-compositeur-interprète un peu nostalgique, qui exprime, sur des structures mélodiques bien en place, le regret de voir disparaître les choses de la nature, et un certain romantisme." Quant à Thiéfaine, il se voit affublé d'un prénom inédit. Quelle idée, aussi, de s'appeler Hubert-Félix…

Les comptes rendus de concerts ou festivals : Ce n'est pas un rendez-vous fixe, mais il arrive que Chanson revienne sur telle ou telle manifestation : le Festival pop'celtic de Kertalg 74, le festival de Spa, les éditions 74 et 75 de Sigma Chanson, Fellap Grenoble, le Festival des Arts traditionnels de Rennes, le premier Festival de la chanson populaire d'Auxerrre, le Midem 74 ou divers spectacles donnés dans la capitale.

Les chroniques de disques : Relativement courtes et descriptives, elles sont surtout remarquables par leur éclectisme. Petit aperçu subjectif et alphabétique : Aubret, Bowie, Chelon, Dylan, Elbaz, Fugain, Gréco, Higelin, Ionatos, Jonasz, Kerval, Lama, Manset, Nicoletta, Ogeret, Piaf, Quilapayun, Ricet-Barrier, Schuman, Tisserand, Utgé-Royo, Voulzy, White (Tony Joe), X, Young, Zacha. Chanson proposera aussi sur la fin quelques chroniques de livres.

Les brèves : Annonces de futures parutions, dates de concerts, informations institutionnelles, remises de prix, coups de main aux collaborateurs de la revue, etc.

Le courrier des lecteurs : Il est composé d'éloges, d'encouragements, de questions, de conseils, mais aussi de critiques plus ou moins appuyées, auxquelles Nicolas se fait généralement un plaisir de répondre avec une pointe d'humour. À un lecteur qui s'étonne qu'il signe la plupart des articles, il fournit cette explication mi-sérieuse, mi-taquine : "L'équipe de Chanson a (heureusement pour elle) d'autres activités plus lucratives qui ne lui permettent pas d'être aussi disponible que vous et elle le voudriez. Nicolas, lui, gagne beaucoup d'argent avec Chanson, il est donc plus disponible pour aller au charbon." L'un des plus fidèles lecteurs-épistoliers se trouve être un lycéen de Clermont-Ferrand du nom de Christian Queuille. Dans le numéro 8, il complimente la revue pour ses choix et recommande une demi-douzaine d'artistes, arguments et citations de presse à l'appui (notamment Patrick Abrial, "que je considère comme un très grand"). Dans le numéro 21, il partage sa découverte de Môrice Benin et dit avoir écouté Morange. Dans le suivant, il s'énerve contre François Possot qui a vigoureusement égratigné ce même Benin. Dans le 24, il s'inquiète pour l'avenir de la revue... et il a malheureusement raison de le faire.

Éclectisme et débats

Parmi les qualités manifestées par Chanson tout au long de ces rubriques, deux méritent notamment d'être saluées. La première, rapidement abordée ci-dessus, est son éclectisme. Même si la revue traite avant tout de chanson francophone, la conception qu'elle s'en fait n'a rien d'étriquée. Non seulement elle n'est pas parisianiste, accordant une place de choix aux chansons régionales – de Bretagne, d'Occitanie, d'Alsace, du Pays basque ou du Nord –, mais elle n'a rien non plus de cocardière. Ainsi, que ce soit au travers d'entretiens, de dossiers spéciaux, de panoramas ou de sélections de disques, la revue fait découvrir à ses lecteurs les chansons de Roumanie, d'Allemagne, du Japon, d'Amérique du Sud, de Mongolie, d'Irak, du Portugal, du Vietnam, d'Espagne, de Cuba, d'Haïti (sans oublier, bien sûr, la Belgique et la Suisse). Cette ouverture à des langues, des accents et des rythmes différents est d'autant plus méritoire qu'elle ne se double pas d'un mépris à l'encontre de la puissante chanson anglophone nord-américaine, mise en avant à plusieurs reprises, notamment par Jacques Vassal, qui réussit la prouesse de mettre un zeste de Chanson dans Rock and Folk et une pincée de Rock and Folk dans Chanson.

Une autre qualité notable de la revue est sa capacité à faire vivre le débat, que ce soit en interne ou avec l'extérieur. En ces années 70 qui voient la chanson traversée par de nombreux questionnements autour de son organisation, de sa représentation dans les grands médias, de sa reconnaissance comme fait culturel, de sa professionnalisation, de la place qu'y occupent les femmes, etc., le journal joue le rôle d'une caisse de résonance pour ces différentes problématiques. Mais l'engagement de ses rédacteurs peut aussi porter sur des questions plus circonscrites : c'est Lucien Nicolas qui reproche au Printemps de Bourges son gigantisme, lequel occulterait le foisonnement d'associations militantes régionales et ferait, au final, le jeu du système ; Jacques Bertin qui dénonce le mépris bourgeois de France Culture envers la chanson ; François Béranger qui se défend contre des militants d'extrême gauche lui reprochant de se faire payer pour chanter ; ou Marc Legras (ci-contre) qui répond à François Mitterrand, après que le premier secrétaire du Parti Socialiste eut exprimé son goût pour les chansons de Sheila, en se lançant dans une défense lyrique de la chanson populaire, la vraie.Marc Legras, en 1976

Pourtant, si ces réactions passionnées en restaient au stade de brillants soliloques contre l'air du temps, Chanson ne serait qu'un sympathique repaire de rouspéteurs. Or, le débat a lieu tout autant en interne, dans les colonnes même de la revue. Et à une époque où les notions de buzz et de clash ne régissent pas encore l'espace médiatique, ce débat se révèle à la fois vif, honnête et souvent éclairant. Quand Yves Simon déplore l'état et le fonctionnement de certaines MJC, le directeur de l'une d'entre elles lui répond dans le numéro suivant, en pointant du doigt le comportement de ces chanteurs bien contents de s'y produire quand ils débutent, mais nettement moins respectueux quand le succès se profile ; une chanteuse d'Occitanie réagit aux propos d'un de ses confrères issu du même mouvement, en proposant une autre vision de son métier ; François Possot et Lucien Nicolas s'écharpent au sujet de la démagogie éventuelle (quoique de gauche) de Morice Benin – une discussion animée qui se poursuivra jusque dans le courrier des lecteurs ; ce même Nicolas se voit reprocher par un ACI amateur ("et désirant le rester") d'avoir une conception étroite et culpabilisante de l'amateurisme ; Nicolas, toujours lui, ferraille vigoureusement avec le directeur de la SACEM et plus poliment avec le directeur du festival de Spa ; Jacques Bertin, de son côté, juge que la plupart des chanteurs sont nombrilistes, irresponsables et politiquement immatures… avant de recevoir une réponse musclée de son confrère lyonnais Alain Bert ("il a une légère tendance à prendre les gens pour des cons du haut de sa 'poésie' syndiquée"). On pourrait encore citer d'autres exemples…

Nicolas dans le texte

Comme cela a été expliqué au commencement de cet article, Chanson est principalement la création de Lucien Nicolas. Il est donc à présent grand temps d'évoquer un peu plus ce journaliste et de donner à lire sa prose. Né dans les années 30, il s'est probablement spécialisé dans la chronique de chansons au début des années 60. On trouve son nom dans Diapason, dont il fut directeur-adjoint, et dans Télérama, où il accomplit une grande partie de sa carrière, ainsi que dans plusieurs revues professionnelles (La Discographie française, Le Métier du disque et de l'audiovisuel, Show-magazine… jusqu'au Billboard américain). Il fait aussi partie d'associations spécialisées, telles que l'Académie Internationale de la Chanson et l'Association des Critiques de Variétés. Jacques Vassal se souvient avoir apprécié les chroniques qu'il signait dans Télérama, car Nicolas s'y intéressait à des gens atypiques, à une époque où la culture de la chanson et la culture politique se faisaient ensemble. Il le décrit comme quelqu'un d'intègre, avec des idées personnelles. De son côté, Marc Legras garde en mémoire un homme d'un abord extrêmement facile, fin connaisseur de son domaine et très exigeant.


Ce même Marc Legras rappelle, dans sa biographie d'Allain Leprest, ce qu'était la place de la chanson dans ces années-là : "Au bout de la table officielle de la culture – lorsqu'elle y est conviée –, la chanson est le parent pauvre à l'assiette vide quand les autres se repassent les plats. Et le chanteur, un pauvre hère à qui on glisse quelque menue monnaie en le prenant par l'épaule pour le pousser gentiment vers la sortie". Un contexte qui permet de comprendre pourquoi Nicolas, non content d'être un journaliste réputé dans le domaine de la chanson, se mue peu à peu en une sorte d'activiste de ce secteur, comme d'autres peuvent l'être à la même époque dans le rock, le théâtre ou le cinéma par exemple.
Pour tenter de résumer en quelques mots son combat, on peut dire qu'il se fonde sur l'analyse suivante : "le paysage de la chanson offert au public n'est pas objectif par rapport à la réalité de la création, mais fabriqué par un petit nombre de décisionnaires partiaux (radio, télé, firmes discographiques, distributeurs, tourneurs, etc.)". Partant de ce constat, il mène une lutte qui se développe autour de quatre grands axes, complémentaires les uns des autres :
1. dans le domaine de la critique des médias : déconstruire l'image médiatique de la chanson, en menant "la critique objective des mécanismes qui conduisent à sa fabrication".
2. dans le domaine de la critique de chanson : donner à voir la chanson dans toute sa diversité, y compris dans ses aspects les moins éclairés.
3. dans le domaine du journalisme culturel : offrir à la chanson toute sa place à côté des autres styles musicaux d'une part et parmi l'ensemble des disciplines artistiques d'autre part.
4. dans le domaine philosophique : rappeler constamment le lien entre la chanson et la vie, montrer l'interaction quasi biologique que l'une entretient avec l'autre.

Mais pour faire comprendre plus concrètement au lecteur l'engagement de Lucien Nicolas, le mieux est peut-être encore de faire entendre sa voix à travers quelques unes de ses prises de position, dans différents registres.
On l'a déjà souligné, Nicolas ne cherche pas à substituer une forme de chanson à une autre, mais à faire connaître les différentes facettes de cet art. En ce sens, la création en 1976 par CBS d'une collection "Marginal", destinée à mettre en valeur des œuvres a priori peu commerciales, aurait pu le ravir. Pourtant, il ne se satisfait pas de cette catégorisation qui, en définitive, laisse le système intact et il s'emporte :

"ainsi, le marginal deviendrait à la mode ? Sans doute, puisqu'il se transforme déjà en étiquette... On va pouvoir faire de l'argent avec le marginal ! On va pouvoir sortir au grand jour nos culs-de-jattes et nos hydrocéphales ! Il est en train de s'organiser un marginalisme officiel qui offrira aux gentils marginaux l'occasion de démontrer une qualité marginale... […]
Et bien non, il y a des drapeaux qu'on ne brandit pas comme ça, et il y a des mots qu'on ne devrait pas vendre. Marginal. La marginalité est une maladie honteuse du système, on ne devrait pas s'en servir comme d'un attrape-mouches. La marginalité est une défaite provisoire de l'expression personnelle et de la création originale : à défaut de la respecter, on ne devrait pas la mettre en vitrine comme une petite tour eiffel peinte en jaune pour touriste japonais.
Du reste, elle n'est pas un drapeau, la marginalité, personne n'en veut comme drapeau – sinon drapeau noir – personne n'est prêt à mourir pour rester marginal si la société cesse d'être marginalisante. il n'y a pas de marginaux par vocation, il n'y a pas de parallèles, il n'y a que les parallèlisés d'un système paralysé et parasité. […]
Car enfin, a-t-on honte à ce point d'une chanson qui se cherche en dehors des sentiers battus et des normes aseptisées de la radio qu'on n'ose pas la diffuser dans une série d''expression traditionnelle' ? Jusqu'à quand acceptera-t-on que la grande farce jouée au public et à la chanson par les radios et la télévision soit réputée traditionnelle et irréversible ?
Dès fois, je rêve d'une grande marge blanche qui bouffe toute la page..."

L'une des rares archives audiovisuelles où apparaît Lucien Nicolas...

Il faut dire que par son implantation dans le métier, Nicolas commence à bien en connaître les dessous. Raison pour laquelle son jugement sur l'un des animateurs vedettes de cette décennie est assez virulent (libre au lecteur d'adapter ces mots à notre époque et à d'autres présentateurs...) :

"Alors reprenons depuis le début. Pour moi aussi, le monde de Guy Lux, avec ses paillettes, ses savonnettes et ses vachettes, est un monde magique qui me délasse de mes fraiseuses et de mes sabots. C'est de la télé populaire. Je n'en veux à personne d'aimer ça.
Mais il se trouve que, quand on connaît l'envers du décor, on ne peut plus supporter les choses de la même façon. Quand on connaît le monde de la chanson, les problèmes de la chanson, ce qu'est la chanson, ce qu'elle peut apporter aux gens, et quel tort lui font de telles mascarades commerciales, on ne peut plus voir en Guy Lux un innocent Monsieur Loyal, un simple montreur de marionnettes en smoking et de Sheila/chiens savants. Non. On voit revivre l'éternelle histoire des marchands du temple, des médailles de Lourdes, des Jésus de St-Sulpice, des peintres de Montmartre, des voix d'enfants dans la publicité, de l'amélioration de la race chevaline et des poupées gonflables. On voit se profiler, en kodachrome et en chromo-sourires, les grandes forces souterraines de l'exploitation, du bourrage de crâne et du proxénétisme.
Alors, vous comprenez, voir Béart dans ce cirque, ça choque. Non pas tant pour la caution que sa présence pourrait éventuellement apporter, que pour l'alibi qu'il donne. Quand Lux (qui est à la lumière ce que le watt est à l électricité : une mesure, un calcul) pourra programmer aussi Le Forestier, Brassens, Simon, Vasca, Ferré, Nougaro et quelques autres, il aura gagné la partie de pouvoir placer sous de hauts patronages les conceptions-vaseline qu'il se fait de la chanson et du public.
Glisseront mieux ces tiercés, palmarès, coups de chapeau, hit et ring parades qui maintiennent artificiellement la température du malade.
À moins que Béart n'ait élevé d'un demi degré la capacité de curiosité, d'exigence et de résistance du public de Guy Lux ? Mais qui m'en convaincra ?"

Toutefois, avant d'être un journaliste en colère, Nicolas est d'abord un passionné, épris de certains artistes qui le bouleversent. Si ses chroniques sont souvent descriptives et sobres et si lui-même revendique une forme d'objectivité, il peut à l'occasion se faire lyrique et plus personnel. Par exemple à propos de L'espoir de Ferré, sorti en 1974 :

"Quand la chanson n'est pas une commodité de l'oreille, mais une ruche viscérale où se tourmente le miel de la vie, entre 'L'espoir' et 'La damnation', on trouve Ferré. Quand il faut se brûler pour vivre plus loin que la vie, ou donner sa chair en pâture aux 'Oiseaux du malheur', on trouve Ferré. Quand la chanson est un sperme indestructible, le jaillissement d'une source ardente où se mélangent le soufre et l'hydromel, on trouve Ferré. Quand il faut un prêtre marron pour marier l'amour et le diable, ou la voix d'un dieu marin pour chanter 'Les étrangers' on trouve Ferré. Ferré partout. Dans la cendre, le feu et la tempête, dans la luxure, la mort et le sang."

Son ton est tout aussi admiratif quand il décrit le passage sur scène de celui qui reste l'un de ses chanteurs favoris, Môrice Benin :

"Une puissance et une présence énormes. Une montagne d'humour et de férocité qui chante. Des cordes de guitare qui craquent. Un calme inouï pour en changer. Derrière les lunettes, un regard de mage un peu trouble et un peu fascinant. Mots-cisailles qui coupent dans le vif, mots-bourgeons qui réveillent. Le pouvoir de faire passer en nous des choses qui n'ont pas de nom mais qui ressemblent à une sorte de force heureuse. Ouais, un étonnement. Quelque chose comme autre chose que de la chanson, de plus loin que la chanson, quelque chose comme une arrivée lumineuse, pour des vacances imprévues, dans la dernière petite gare de campagne. Bon, lyrisme, emballement, etc. vous exagérez, cher rédacteur. Pas sûr. Pour le public, c'était ça aussi. Et c'était la joie de ne pas être un public."

Cet amour pour Benin survit à l'épreuve du disque, puisque dans le même numéro, Nicolas s'embrase de nouveau pour l'un des albums du chanteur, concluant sa chronique par ces mots :

"Peut-on écouter Je vis, Plus tu es heureux, Peut-être, ou tant d'autres, sans se sentir partir comme une montgolfière ? Moi pas. Les chansons de Benin me mettent à la voile. Me donnent envie de chanter. De changer. J'aime ça. J'aime la solide chanson qui nous provoque en nous aimant."

"Plus tu es heureux" par Môrice Benin (1975). Attention, la montgolfière va décoller...

Ni la colère, ni le lyrisme n'interdisent l'humour, que cet homme à l'apparence austère pratique volontiers. Concluons donc ce petit florilège de citations avec ce commentaire sur Michel Zacha, l'un des chouchous de la revue (avec qui nous avions eu le plaisir de nous entretenir en 2012) :

"Ceci explique le disque, mais n'explique pas comment un garçon du sérieux et de la qualité de Zacha, peut, dans l'ombre de tous les systèmes existants, penser à une œuvre comme celle-là, la concevoir et l'enregistrer en compagnie de quelques-uns des meilleurs musiciens français (Alarcen, Rodi, Rabol, Bloch-Laîné, Chanterau, Guthrie), y mettre tant de musique 'planante' (terme à la mode qui convient particulièrement bien dans le cas présent), tant de lumière heureuse, donner à l'idée de disque une telle plénitude et une telle noblesse, sans que personne ne s'en aperçoive... Dans quel monde vivons-nous ? Qui en parle ? Qui n'a pas dans les oreilles les 'petits pois' chers à Fonfrède ? Où sont les gens ? À quoi s'occupent-ils ? De quoi sont-ils morts ? Où est la presse ? Où sont les informateurs ? La radio passera-t-elle une seule fois 'L'enfant et la mer' ? Ou se dira-t-elle : oh, ce n'est pas grave, ce n'est que Zacha, il n'y a derrière lui personne à craindre... (personne, c'est peut-être Claude Dejacques, responsable de la réalisation artistique et du contrat de Zacha chez Pathé Marconi, Dejacques qui, effectivement, ne se promène pas tous les jours avec son 22 long rifle à la main...).
Quand le monde aura fini de brûler ses feux de paille, il se traitera de con. Et il aura raison."

On pose le 22 long rifle et on écoute paisiblement "L'enfant et la mer". Zacha, 1976.

Vie, Mort et Survivance de Chanson

Le numéro 1 de Chanson paraît donc au début de l'été 1973. D'emblée, son directeur annonce que l'entreprise est périlleuse. "Ce n'est pas facile à faire, tout ça, et, disons-le, c'est cher." Dans le numéro 3, Kernoa rédige un éditorial poétique pour solliciter de nouveaux abonnements et rêve déjà d'une revue "deux ou trois fois plus épaisse, deux ou trois fois plus près de vous" pour mener avec les lecteurs "des conversations interminables". Le nouveau journal connaît alors une parution régulière (quatorze numéros entre juin 73 et janvier 75) et reçoit un accueil favorable. Un lecteur de la banlieue parisienne le trouve "sobre et courageux". Un autre se montre enthousiaste, malgré son jeune âge : "Si vous publiez ma lettre, précisez bien que j'ai 15 ans, et qu'il importe peu d'être vieux ou jeune pour aimer la vraie chanson française." Les soutiens viennent aussi de beaucoup plus loin, comme de cette sociologue californienne et francophile : "J'aime beaucoup la façon que vous replacez la chanson dans le contexte humain, professionnel et économique. C'est très intéressant, et je vous souhaite beaucoup de lecteurs." Ou de cet animateur de radio qui écrit d'Australie : "Enfin une revue qui parle des autres, dont on ne sait rien, et qu'on aime pourtant bien. Croyez-moi, faire la promotion d'un, d'une artiste inconnu (e) n'est pas aussi facile qu'on le pense. Continuez dans cette voie, d'autant que vous semblez vous montrer à la hauteur de la tâche que vous vous êtes fixée..." La revue devient par ailleurs l'organisatrice de spectacles qui ont lieu chaque mardi dans la salle Papin du Nouveau Carré Silvia Monfort. En l'espace d'un an, plus d'une centaine d'artistes s'y produisent lors de soirées animées par Marc Legras, avant que Lucien Nicolas ne renonce pour des raisons budgétaires et politiques. Mais l'année 75 est aussi paradoxalement celle où l'état financier du journal se dégrade. Dès le numéro 14 de janvier, Nicolas souligne les pressions contradictoires qu'il doit subir, certains lui reprochant de se préoccuper d'artistes marginaux, d'autres jugeant au contraire que la revue accorde trop de place à ceux du show-bizz. Dans le livre de Vassal, Français si vous chantiez, il confie aussi ses difficultés : "il y a, dans la chanson comme dans les autres domaines, une presse de consommation et, à côté, une presse d'information. Quand tu veux faire une presse d'information, tu tombes sur les problèmes commerciaux au départ, parce que la simple information, ce n'est pas très excitant ; si tu te refuses à éveiller des curiosités malsaines sur ce qui se passe entre les jambes de Sheila, ça pose des problèmes financiers difficiles." La dure réalité éclate avec le numéro 15 qui paraît… huit mois après le précédent ! Nicolas y annonce un déficit de 70000 francs (environ 50000 euros aujourd'hui). Ses causes : une baisse brutale du budget publicitaire, un nombre d'abonnements encore insuffisant pour être autonome et une tentative risquée de distribution en kiosques qui s'est avérée coûteuse et décevante. Diverses mesures sont donc prises : augmentation du prix de la revue, qui ne sera plus disponible que par abonnement, diminution de la pagination et création de l'Association des Amis de la Revue Chanson, chargée de trouver les moyens permettant à celle-ci d'être autonome et de mettre en place des circuits de distribution alternatifs. Dans la tempête, le capitaine Nicolas maintient pourtant le cap :
"Nous pourrions être productif, concurrentiel et créateur d'emplois, faire Podium ou Salut les Copains, et cette hypothèse rentre parfaitement dans le cadre de notre liberté. D'ailleurs, signalons-le, c'est dans cette direction qu'on voulait progressivement nous attirer, et les propositions d'aide que nous avons pu rencontrer se sont soldées, au bout du temps raisonnable, par des suggestions de ce type.
Devenir loup pour qu'un loup nous aide.
Mais nous ne voulons pas être productif, concurrentiel et créateur d'emplois en passant par les dénaturations que cela implique. Nous voulons être novateurs, vrais et utiles, avancer des idées, former des consciences, proposer des choix. […]
Comment vivre quand la santé économico-nationale passe par les autoroutes, et la santé culturo-personnelle pas les sentiers ?"

Il en appelle alors aux lecteurs, en des termes politiques qui évoquent les années 70… mais ne paraissent guère démodés en 2016 :
"À ces derniers de bien comprendre que, dans un système économique qui confond liberté et droit, c'est-à-dire qui ne donne pas au faible les vrais moyens d'exprimer son droit à la liberté, c'est à eux de défendre leur intérêt – leur information – en nous aidant à établir un circuit court, déparasité, mais qui les sollicite davantage sur le plan financier et sur le plan du prosélytisme.
C'est une œuvre d'union, mais c'est aussi un pari d'espoir."

La publication reprend au rythme d'un ou deux numéros par trimestre, des campagnes de publicité dans la presse permettent de recueillir de nouveaux abonnements, des concerts de soutien sont organisés (Maxime Le Forestier, parmi d'autres, promeut la revue lors de ses tournées). Mais dans le numéro 20, Nicolas est explicite : "si chacun de nos abonnés ne nous en trouve pas un autre dans les semaines qui viennent, ben… il y a de bonnes chances pour qu'on reparle du vide." Jusqu'à la mi-77, la revue conserve ce rythme de parution à peu près régulier. Mais ses difficultés d'existence finissent par affecter son contenu. Un lecteur s'en émeut d'ailleurs, avec bienveillance : "pourquoi vous marginalisez-vous à ce point ? […] vous avez choisi de ne pas parler, ou peu, des artistes qui ont à la fois popularité et talent […] Mais il existe quelques vrais chanteurs populaires, qui ont leur place dans Chanson, et ce n'est pas en les ignorant que vous mettrez la chanson, la vraie, celle que nous défendons avec vous, à la portée de tous..." Nicolas ne peut que donner raison à son correspondant : "je dirai que c'est principalement une question de place, donc d'argent. Une revue de 48 pages serait beaucoup plus ouverte… […] Chaque fois que nous interviewons des gens connus (bien que ce soit utile à tout le monde, à commencer par nous) nous avons l'impression de gaspiller la lumière des pauvres." Le second semestre de l'année se fait sans Chanson, qui ne réapparaît qu'en février 78. À en croire Nicolas, ce n'est pourtant pas faute de compter des lecteurs. "Le nombre d'abonnés augmente (car la revue n'est pas du tout en recul !), mais il n'augmente pas aussi vite que les coûts d'exploitation. C'est une course sur une piste savonnée, comme les aime Guy Lux." Se voulant à la fois lucide et incitatif, il précise : "Il faut se rendre à l'évidence : sauf miracle – ou mécène – 78 sera moins une année de parution pour Chanson qu'une année de promotion. Le n°28 n'est donc pas encore le premier d'une longue série infaillible, mais un numéro comme ça, pour ne pas vous oublier. Une matière fraîche pour les innombrables prosélytes qui s'en vont aller tirer les sonnettes de l'attention et de la curiosité des autres. Prosélytes… LE SEREZ-VOUS." Ce vingt-huitième numéro, qui contient entre autres une lettre ouverte, à la fois critique et affectueuse, adressée à Brel, ainsi que la charte de l'association Prospective Chanson, est pourtant le dernier de la revue. Il n'y aura jamais de numéro 29.

Chanson est morte, mais pas complètement enterrée. En effet, au cours du second semestre 79, Mauricette et Fred Hidalgo, jeune couple d'entrepreneurs de presse passionnés de chanson francophone, décident de créer un journal entièrement dédié à ce domaine. Son premier numéro voit le jour dès juin 1980 sous le titre de Paroles et Musique. Et dans le noyau dur de l'équipe rédactionnelle initiale, on retrouve notamment Marc Legras, Rémy Le Tallec, Régine Mellac, François Possot, Jacques Vassal, Bernard Hennebert, Jean-Marie Verhelst, tous passés par Chanson. Fred Hidalgo ne cherche d'ailleurs aucunement à dissimuler cette filiation, puisqu'il se fend en page 36 d'un chaleureux "Merci, Lucien..." et accorde à son confrère de Télérama une chronique. Laquelle devient vite régulière, Lucien Nicolas profitant de cet espace pour développer ses réflexions théoriques dans des papiers d'une ou deux pages… voire cinq ou six, quand il se sent inspiré ! Parfois amené par des lecteurs à se justifier des différences entre Paroles et Musique et son ancêtre, Hidalgo ne manque pas de rappeler "les qualités de précurseur" de Lucien Nicolas. Il décide même de lancer en 1983 une souscription, afin de pouvoir sortir un livre écrit par son chroniqueur. Celle-ci ne rencontre pas le succès escompté, mais Chanson vivante n'en paraît pas moins au printemps 1984, aux Éditions de l'Araucaria (fondées par le couple Hidalgo). Dans cet ouvrage ardu, original et ambitieux, Nicolas pousse encore plus loin ses analyses, en adoptant "une sorte d'approche biologique de la chanson, d'aspect plutôt organique", avec la volonté d'intégrer et de réunir toutes ses composantes. Son vieux confrère Lucien Rioux le décrira en ces termes : "Déconcertant, son livre est en même temps attachant. Il n'offre pas de clé, pas d'explication mais met le lecteur dans cet état qui le rend perméable aux émotions. Peut-être est-ce mieux."

Rétrospectivement, on peut considérer la publication de Chanson vivante comme l'aboutissement de la carrière de Nicolas. À la même époque, en effet, son nom disparaît de l'ours de Télérama, où il est remplacé à la tête de la rubrique "Chansons" par celui d'Anne-Marie Paquotte, qui s'était déjà fait remarquer par quelques longs papiers sur le sujet. Puis en fin d'année, c'est des colonnes de Paroles et Musique que Nicolas disparaît, alors qu'il avait encore signé une chronique en septembre. La revue de Fred Hidalgo connaît une légère inflexion, mettant davantage l'accent sur la chanson-rock, sous l'impulsion du tandem Jacques Vassal-Frank Tenaille. En 1987, elle comptera plus d'une centaine de pages et ses ventes culmineront à 130000 exemplaires (!), un chiffre dont n'auraient sans doute pas osé rêver Nicolas ou Kernoa. Une autre histoire a débuté...

En forme d'épilogue... forcément provisoire

Nous sommes en 1983, le 12 juin. Sur France Inter, Le masque et la Plume est consacré ce dimanche soir aux Variétés. Il y sera notamment question du récent concert-événement donné par David Bowie sur l'hippodrome d'Auteuil. Mais en préambule, Pierre Bouteiller lit à ses chroniqueurs un court extrait d'une lettre de cinq pages envoyée par "l'un de vos anciens confrères", un certain Lucien Nicolas, de Toulouse. Dans le passage choisi, ce dernier reproche à ses collègues de n'avoir jamais cherché à développer la curiosité de leurs lecteurs et d'avoir épousé l'air (commercial) du temps : "Satisfaire les curiosités passives. Vedettariat, vedettariat, vedettariat, cueillir les fruits mûrs. Aucune révolte contre les injustices pour les mêmes raisons commerciales de la production, de la diffusion, de la distribution, contre les silences de la presse, contre leur propre silence." Comme on pouvait le prévoir, le retour du boomerang ne tarde pas et il prend la forme d'un procès en ringardisation. Claude Fléouter, du Monde, décrit Nicolas comme "très représentatif d'une culture passéiste qui est la culture de la chanson rive gauche". Il oppose à celle-ci les noms de Couture, Novembre et Thiéfaine. Henri Quiqueré, journaliste au Matin de Paris, dit recevoir régulièrement des lettres de Nicolas, sans jamais lui répondre. S'il avoue une "certaine estime" pour son travail d'autrefois, il le juge également "très passéiste" : "il est resté à ce qui s'est passé sur la rive gauche en 1960, y a pas d'autres explications." Patrice Delbourg, des Nouvelles littéraires, intervient ensuite et, avec le brio qu'on lui connaît, porte l'estocade : "La variété, c'est un peu la garde-robe de l'oreille, lui il semble que ses habits sentent un peu la naphtaline. Qu'il préfère défendre Jacques Vassal, Môrice Benin ou Jacques Bertin, c'est son droit ; pour ma part, j'préfère Novembre, Souchon ou Jonasz… Bon, c'est une question d'épiderme et ça va pas plus loin que ça." Ça ne va pas plus loin que ça… et pourtant.

Pourtant, dans cet échange à distance – caricature de dialogue de sourds – entre un Nicolas effectivement attaché aux artistes qui l'ont ému dans sa jeunesse (mais qui de nous ne l'est pas ?) et ses respectables confrères qui se piquent ici de modernité, ces derniers oublient quelques détails. Ils oublient, par exemple, que Souchon, Jonasz et Thiéfaine furent chroniqués dans Chanson, et que Souchon, pour ne citer que lui, fut mis en avant dès l'époque de "L'amour 1830". Ils oublient que Nicolas pouvait saluer dans sa revue "le rythme bâtard, gras, captivant, que nous connaissons, ce son lourd comme le dévidement d'un rêve" du Zuma de Neil Young, lequel ne correspond pas tout à fait au portrait-robot du chanteur rive gauche. Ils oublient encore que Nicolas considérait en 1974 comme une "révolution" "l'apparition de la musique moderne dans la chanson 'à texte'" et qu'il redoutait, à propos d'artistes tels que Bertin ou Tachan, "qu'une prise en considération trop réservée [de leur part] de l'oreille musicale contemporaine puisse avoir pour conséquence une injuste limitation de leur audience." Dès lors, il y a quelque ironie à lire, trente ans précisément après le coup de la "naphtaline", les lignes suivantes, écrites dans le cadre d'un portrait de Jacques Bertin, par Patrice Delbourg :
"Le vide dans lequel les 'chanteurs à textes' sont confinés sous nos latitudes continentales est proprement sidérant. Visiblement, ces artistes exerçant le même métier que d'autres n'ont pas tous les mêmes droits de se faire entendre sur nos antennes périphériques.
La liste est longue des tombés au champ d'honneur de la chanson de qualité […] tous ces artistes désemparés, ces sans-grade, oubliés dans les bas-côtés des routes nationales, tous ces poèmes et ces textes piétinés par le passage du troupeau de la rentabilité à tout crin, cornaqué par un système maffieux. Cette manière de chanter avec une parole libre pour changer le monde aurait-elle cessé d'être convenable ? Le jour venu, on se rendra compte du gâchis." [extrait des
Funambules de la ritournelle, Écriture, 2013].

"Paroisse" de Bertin, enregistrée sur scène fin 78. Chef d’œuvre...

Or, c'est notamment pour tenter d'éviter ce "gâchis" dont il pressentait le risque, en même temps que le possible avènement d'un autre rapport du public à la chanson, que Lucien Nicolas avait fondé, quarante ans plus tôt, la modeste revue Chanson. Et tandis que cet art est désormais devenu notre fond sonore permanent et ses vedettes, les emblèmes de l'époque (cf. le nom de la personnalité préférée des Français selon le sondage du JDD), il faut bien constater que la plupart des travers que dénonçait Nicolas – au niveau des médias, des salles de concerts, des maison de disques, etc. – existent toujours. On peut donc estimer que son combat a, en grande partie, échoué. Néanmoins, si l'homme n'a sans doute pas toujours su mettre en œuvre les armes et outils les plus efficaces pour le conduire et s'il fut probablement plus rétif que d'autres au basculement politico-culturel survenu au tournant des années 70-80, on peut difficilement lui reprocher d'avoir essayé de proposer une alternative. D'autant qu'il ne se révéla, dans cette entreprise, ni le moins valeureux, ni le moins perspicace.

Contacté pendant la préparation de cet article, Lucien Nicolas nous a fort aimablement prié d'accepter son "désengagement", nous avouant que "tout cela est assez loin de moi à présent" et nous confiant : "La vie me pose d'autres questions auxquelles je dois essayer de répondre." Pour mieux comprendre l'état d'esprit de celui qui tenta, avec d'autres, de faire s'épanouir en ces années 70 une chanson vivace, qui échappe à la gadgétisation médiatique, on peut citer ce qui est sans doute l'une de ses dernières apparitions publiques, discrète, sous la forme d'un simple commentaire laissé sur le blog de Fred Hidalgo, quelques jours après la mort du chanteur Luc Romann. C'était le 15 janvier 2014 : "La tristesse de vieillir, c'est de voir mourir tous ceux qu'on aimait, et de réentendre dans la mémoire, mais plus en vrai,leurs chansons qui nous aidaient tant à vivre. Je connaissais et ai vu partir Brel, Ferré, Brassens, Barbara, tant d'autres, et aujourd'hui Foulquier, Romann... Le tissu de la vie s'effrite, et les couleurs d'à présent, me semble-t-il, n'ont ni l'éclat, ni la profondeur de celles d'hier. Luc, toi qui nous faisais de si bonnes paellas, prépare où tu es la grande table où nous viendrons tous en déguster une géante à tes côtés..."
Alors, en attendant le moment de ces éventuelles retrouvailles autour d'une paella géante et puisque Nicolas avait précisément choisi de placer, en ouverture de Chanson vivante, le texte de "La Berceuse" de Romann, réunissons une fois encore paroles et musique, en écoutant ce morceau et en souhaitant à Lucien Nicolas, si l'occasion lui est donnée de lire ces lignes, de toujours conserver, au fond de sa "garde-robe", "Un habit de lumière dans l'ombre du chagrin". Et à vous tous, que la nuit vous soit douce.

**********

Cet article n'aurait pu être rédigé sans l'aide de nombreux intervenants. Nous remercions donc très chaleureusement Marc Legras, Jacques Vassal, Hervé Bréal, Jean-Marc Cherix et Lucien Nicolas qui nous ont chacun à leur manière, avec leur ton, leurs mots et leurs souvenirs personnels  accordé quelques précieuses minutes. Un grand merci également aux diverses personnes, trop nombreuses pour être toutes citées, qui ont joué au cours de cette recherche un rôle d'intermédiaire, notamment à Patrick Amine, Nicolas Brulebois et Môrice Benin. Merci aussi aux personnels des bibliothèques municipales de Limoges, Colmar et Lyon qui ont grandement facilité notre accès à la documentation. Et bien entendu, merci à Marguerite et à Pierrot.

Quelques suggestions en guise de conclusion... On pourra lire l'histoire de Paroles et Musique racontée avec plus de détails par son fondateur, Fred Hidalgo, dans cet article de son blog ; l'histoire de la revue qui lui succéda, Chorus (la petite-fille de Chanson, en quelque sorte), est évoquée par le même auteur dans cet autre article. Tous deux cités ci-dessus, Claude Dejacques et Michel Zacha ceux qui suivent le parcours de Jean-Louis Murat le savent déjà  ont joué un rôle important dans le début de carrière du chanteur. Retrouvez ICI notre évocation du premier et notre longue et riche rencontre avec le second. Et afin de faire le lien entre les années 70 et l'époque actuelle, on mentionnera, dans la vaste galaxie des médias qui tentent d'informer sur la chanson francophone contemporaine (et sans aucun effort d'exhaustivité), côté presse écrite, le magazine Francofans, côté net, les blogs d'anciens de P&M ou Chorus, celui de Fred Hidalgo déjà cité, celui de Michel Kemper qui se veut "Le quotidien de la chanson" ou celui de Daniel Pantchenko. À la radio, Philippe Meyer et, plus encore, Hélène Hazera continuent à défendre une conception de la chanson qui nous semble entretenir un lien avec celle évoquée plus haut. Longtemps à la radio, désormais sur le net, Isabelle Dhordain est toujours sur le pont... celui des Artistes. La première de la nouvelle version de son émission a eu lieu en janvier, elle peut être visionnées ICI. Enfin, un tout nouveau magazine culturel sort ce mois-ci et comme il inclut dans son équipe le gai muratien Nicolas Brulebois (qui s'y entretient avec Dominique A), nous lui faisons volontiers un petit coup de pub. Il n'est d'ailleurs pas impossible que l'article "Qu'est la rive gauche devenue ?", annoncé au sommaire du premier numéro, ait un lointain rapport avec le sujet du jour... Plus de renseignements sur L'Impératif ICI.

Enfin, si certains lecteurs-oiseaux de passage ont des souvenirs de la revue de Lucien Nicolas ou des réflexions autour des thématiques que nous avons abordées, ils sont cordialement invités à les partager dans la zone "Commentaires" juste en-dessous.

 

la 2e partie : http://www.surjeanlouismurat.com/2016/03/chanson-volet-2-jean-louis-murat-journaliste.html

Publié dans #divers- liens-autres

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
L
Oh, j'aimerais tant que Murat reprenne Caradec... Juste pour voir comment leur 2 univers s'épousent.
Répondre
P
Le fil n'est pas cassé: le numéro zéro d'HEXAGONE EST EN LIGNE, une revue sans concession sur la chanson française https://issuu.com/hexagone.lemag/docs/le_mag-numero_zero-web-144/1 qui cherche des abonnées pour se créer vraiment.... avec une interview de JL BERGERE.
Répondre
Y
Sacré boulot de fourmi en effet ... Je suis pas trop au fait de tout ça mais c'est très instructif en tout cas. Et c'est amusant de retrouver Môrice Benin sur le chemin ... Même si c'est pas tout à fait ma génération je l'ai pas mal écouté (années lycée où on faisait aussi des manifs !) et ça ne me rajeunit pas :-/ ...
Répondre
M
Ça ne nous rajeunit pas, certes, mais je te confirme bien que Benin n'est "pas tout à fait" de ta génération, en effet. Et il y a de la marge...<br /> Merci pour ta visite, Yseult.
M
Concernant Môrice Benin, je l'ai retrouvé il y a quelques années, faisant une tournée dans ma région d'origine, concert dans une grange d'un pote agriculteur bio.<br /> <br /> Plus généralement, la chanson française à texte a les mêmes problèmes médiatiques que l'art pictural figuratif contemporain. En réalité, c'est une expression majoritaire artistique en France mais que le monde médiatique et mondain s'efforce de dissimuler depuis pas mal de décennies, comme si c'était une maladie honteuse.<br /> Il y a eu déjà dans les années 60-70, la première vague de marginalisation des chanteurs Rive Gauche (Anne Sylvestre, Henri Tachan, Jehan Jonas en savent quelque chose), puis le phénomène s'est étendu progressivement à tout chanteur travaillant ses textes en langue française et ne rentrant pas dans le gloubi boulga (Christophe Izard merci pour Casimir, référence de mon enfance) made in America. Ce qui fait qu'aujourd'hui la jeune chanson française a du mal à faire des chansons en français, par peur de ne pas vendre, mais aussi par peur d'être enterrée avant même d'avoir fait entendre son travail. Malgré tout, des cellules de résistance persistent. Mais il faut à la base un peu de curiosité. Aller voir Dominique A, JLM, Agnès Bihl, Bernard Joyet, Michelle Bernard, Anne Sylvestre, Manu Galure, les Flow, Damien Saez, Lili Cros et Thierry Chazelle, Melissmell et quelques autres relève aujourd'hui de la bizarrerie, du pittoresque voire du passéisme quand la mode est plus à Lady Gaga, Louane, Adèle et autre Rihanna...<br /> Alors peut-être avons-nous oublié notre adolescence où nous nous extasions aussi sur les tubes du moment largement balancés par les radios libres plutôt que sur les chanteurs français à texte. Mais il me semble quand même qu'à cette époque-là, notre pays n'avait pas encore renoncé comme il semble vouloir le faire depuis les années 90 au niveau culturel, à toute forme d'expression sensible artistique et patrimoniale française, que ce soit au plan de l'art pictural comme musical. La négation de ce patrimoine, l'ignorance et la mise en oeuvre de l'ignorance des jeunes de ce patrimoine y compris dans les écoles (d'art et de musique), la difficulté de médiatiser ces oeuvres que ce soit pour trouver des salles d'expo, comme des salles de concert, personnellement m'afflige.<br /> Pour enseigner chaque jour l'art pictural figuratif au plan technique, je suis effondrée régulièrement de l'absence de connaissances mais aussi du mépris pour les savoirs techniques classiques tant des jeunes que des moins jeunes.<br /> Tout se passe comme si ces savoirs n'avaient plus aucun intérêt pratique alors qu'ils sont les fondements de l'art...<br /> <br /> Contente pour Nicolas de sa participation à l'Impératif (merci Pierrot pour l'info).
Répondre
M
Merci de ton passage et de cette opinion solidement argumentée, Muse. J'avoue que TPE et toi étiez les deux muratiens qui me guidaient pour cet article, étant donné le sujet. Pour le reste, je ne te réponds pas, une discussion point par point nous entraînerait trop loin. Tu trouveras dans le second volet de l'article une phrase de Bergheaud assez intéressante sur ce thème.<br /> Et sinon, Môrice Benin est passé dans la banlieue de Moulins (03) il y a quelques semaines seulement. Je l'ai raté d'un cheveu, hélas. Mais il continue à tourner et l'on peut même organiser des concerts près de chez soi, en petit comité et pour une somme pas trop élevée. En s'y mettant à plusieurs et en faisant la publicité nécessaire auprès des personnes susceptibles d'être intéressées, c'est jouable... Avis aux amateurs !
F
BRAVO ET MERCI aux créateurs et collaborateurs de ce blog et en particulier à l’auteur de cet excellent article sur CHANSON. Très bien documenté, il rend justice à Lucien Nicolas qui, comme je l’ai souvent écrit, a été un précurseur en matière de presse musicale en France.<br /> <br /> C’est pour le remercier de son rôle et de son travail de défrichage de la jeune chanson d’alors que je lui ai proposé aussitôt, à la création de notre mensuel PAROLES ET MUSIQUE d’y tenir une tribune libre. Cela se concrétisa sous la forme d’une rubrique intitulée “Entre nous” où Lucien exposait sa conception de la chanson avec des théories inédites – sur sa nature, sa création, sa réception, etc. – qui me réjouissaient et parfois me fascinaient par leur intelligence et les portes qu’elles ouvraient (même si elles provoquaient “à l’extérieur”, chez nombre de confrères établis dans la grande presse, bien des réticences et des critiques...).<br /> <br /> Quatre ans plus tard, pour que ce travail qui paraissait dans chaque numéro – donc chaque mois puisque PAROLES ET MUSIQUE était mensuel –, nous avons fait en sorte de l’éditer sous le titre CHANSON VIVANTE et ce fut d’ailleurs, à mon épouse et à moi-même, notre premier travail d’éditeur (par la suite nous n’avons cessé de publier des livres sur la chanson, en parallèle à PAROLES ET MUSIQUE puis à CHORUS, de 1980 à 2009 donc... mais cela est une autre histoire). <br /> <br /> Aujourd’hui, avec la perspective (vingt-cinq ans d’édition livre), je peux dire que je n’aurais pas rêvé mieux que cet ouvrage de Lucien pour démarrer “dans la carrière”.<br /> <br /> Une précision aussi, par simple respect de la vérité historique à l’usage des lecteurs de ce brillant article, déjà, et peut-être aussi des futurs historiens du petit monde de la chanson : s’il est vrai que PAROLES ET MUSIQUE (100 numéros de juin 1980 à avril 1990 avant que la revue CHORUS – 196 pages chaque numéro – ne lui succède au premier jour de chaque saison jusqu’à l’été 2009) s’est en quelque sorte inscrit dans la filiation de CHANSON, c’est uniquement à travers une conception à peu près similaire de la chanson qui nous animait, Lucien et moi... sans nous connaître ni même savoir que nous existions.<br /> <br /> En effet, nous n’avons appris l’existence de ce périodique (28 numéros de janvier 1973 à février 1978 comme rappelé dans l’article) qu’APRES sa disparition.<br /> <br /> Pendant cette période (en gros toute la décennie 70), mon épouse Mauricette et moi-même vivions en Afrique (arrivée à Libreville en 1971 et retour de Djibouti, début mai 1980) et, lors de nos retours en congés, nous n’avons jamais eu l’occasion de tomber sur un seul numéro de CHANSON ni la chance que quelqu’un nous en parle. Pour la petite histoire, c’est notre ami Leny Escudero (que nous avions fait venir à Djibouti pour y chanter) qui nous a appris son existence.<br /> <br /> Lorsque nous lui avons dit que nous allions quitter l’Afrique et rentrer en France pour nous mettre en règle avec nos rêves d’enfance, c’est-à-dire avec notre passion pour la chanson, en mettant l’utile (notre expérience journalistique – nous avions créé le quotidien national gabonais et je m’occupais alors de relancer la presse djiboutienne juste après l’indépendance du pays) au service de l’agréable (la passion et le partage), malgré les risques professionnels et le fait que nous allions y mettre jusqu’à notre dernier sou d’économies dans l’espoir de tenir un an (le temps d’arriver aux réabonnements éventuels), Leny nous a répondu :<br /> - Mais il existe déjà un journal sur la chanson ! Il s’appelle CHANSON, justement. Je le sais parce que l’un de ses collaborateurs m’a interviewé il y a quelques mois.<br /> <br /> En fait, il s’agissait du n° 28 paru en février 1978. C’était le tout dernier numéro de CHANSON...<br /> <br /> A Djibouti, nous avons passé toutes nos soirées ou presque, la dernière année de notre séjour, à travailler sur la conception de PAROLES ET MUSIQUE, sur sa maquette, ses rubriques, ses premiers sommaires possibles... et c’est de là-bas que nous avons écrit à plusieurs journalistes (et à nombre d’artistes et de professionnels du disque et de la scène !) dont nous aimions la plume et la sensibilité (comme Jacques Vassal, que nous connaissions notamment pour sa rubrique des “Fous du folk” dans “Rock & Folk”) pour les informer de notre projet et leur proposer d’y collaborer.<br /> <br /> Malgré tout, à l’occasion d’un retour en France, suite à l’info de Leny Escudero, nous nous sommes mis en quête de CHANSON... et l’on a appris, à son ancienne adresse parisienne, que son fondateur avait cessé sa parution et qu’il était parti s’installer à Toulouse. Nous avons obtenu son téléphone, je l’ai appelé... et j’ai fait spécialement l’aller-retour pour le rencontrer.<br /> <br /> Rencontre mémorable, à plusieurs titres.<br /> - D’abord parce que Lucien a tenté par tous les moyens de nous décourager de nous lancer dans une telle aventure. Je me souviens parfaitement de ses premiers mots, en réponse à l’exposé de notre projet : “Vous allez y laisser votre chemise !”<br /> <br /> - Ensuite, parce que voyant que notre décision était plus qu’arrêtée, après nous avoir fait découvrir ses vingt-huit numéros de CHANSON, il a eu l’élégance de me conseiller de prendre contact avec trois de ses anciens collaborateurs : Marc Legras, Rémy Le Tallec et François Possot.<br /> <br /> C’est ce que nous avons fait et, dès le n° 2 de PAROLES ET MUSIQUE, ceux-ci étaient membres de notre Rédaction... en même temps que Lucien !<br /> <br /> Voilà, j’ai été long, veuillez m’en excuser, j’étais parti simplement pour vous féliciter de cet article et vous donner la précision ci-dessus de notre découverte post-mortem de CHANSON, si j’ose dire, et je vous ai écrit un roman ! Mais, “entre nous”, ça me fait grand plaisir et même du bien de me remémorer cette époque épique où, malgré les difficultés (car personne ne nous a aidés comme personne n’avait aidé Lucien), tout semblait encore possible.<br /> <br /> Dernier détail qui me revient en mémoire : c’est ce jour de ma première rencontre avec Lucien que j’ai rencontré aussi pour la première fois Morice Benin qui venait lui rendre visite. Mais je le connaissais déjà comme chanteur depuis trois ou quatre ans et, incroyable coïncidence, l’une de ses anciennes amies – partie en voilier sur les mers – s’était installée plusieurs mois à Djibouti... où elle avait trouvé du travail auprès de mon épouse ! Quand celle-ci lui a dit que nous allions rentrer en France pour créer un journal de chanson, sa nouvelle collègue lui a dit : “Ben moi, j’ai un ami chanteur, mais vous ne pouvez pas le connaître, il ne passe pas à la radio...” Quand ma femme lui a répondu que nous avions tous les 30 cm de Morice dans notre appartement djiboutien, elle ne l’a pas crue... jusqu’à vérification sur place !<br /> <br /> Bref, tout cela pour dire que le monde est tout petit et que nous faisons tous et toutes partie d’une même chaîne, comme nous l’a dit un jour Jean-Roger Caussimon, pour un dossier de PAROLES ET MUSIQUE que l’ami Marc Legras et moi avions coréalisé.<br /> <br /> Bravo encore à vous et mes amitiés et souvenirs les meilleurs à Lucien Nicolas que nous aimerions bien revoir, ainsi qu’à Jean-Louis Murat (en Une et en dossier principal – 24 pages – de CHORUS, n° 41, automne 2002).<br /> <br /> Fred HIDALGO (22 mars 2016)<br /> <br /> NB. Quelques liens, si ça vous chante, pour aller plus loin :<br /> <br /> http://sicavouschante.over-blog.com/article-en-guise-de-prologue-39414797.html<br /> <br /> http://sicavouschante.over-blog.com/article-d-anne-sylvestre-a-olivia-ruiz-49278650.html<br /> <br /> http://sicavouschante.over-blog.com/article-leny-escudero-117811582.html<br /> <br /> http://sicavouschante.over-blog.com/article-chorus-vingt-ans-apres-110414722.html<br /> <br /> http://sicavouschante.over-blog.com/article-jean-louis-foulquier-121584268.html
Répondre
M
Merci beaucoup, Monsieur, pour ce témoignage qui éclaire de jolie manière les coulisses du passage de témoin entre la revue de Lucien Nicolas et la vôtre.<br /> <br /> Et pour rebondir sur la fin de votre propos, on verra dans le second volet de cet article - davantage centré sur Jean-Louis Murat - que le nom de celui-ci figure dans l'ours de "Chanson" à proximité de celui de Rémy Le Tallec, lequel passera ensuite par "Paroles et Musique", puis "Chorus" et sera à vos côtés le jour des obsèques de son ami Jean Théfaine, l'auteur du dossier que vous mentionnez sur Murat (et à qui JLM avait semble-t-il accordé sa confiance pour un travail autobiographique). Comme quoi, vous n'avez pas tort, "le monde est tout petit et [...] nous faisons tous et toutes partie d’une même chaîne".<br /> <br /> Encore merci pour ces mots chaleureux et bonne continuation à vous.
P
Merci à toi Matthieu de m'associer à ce travail énorme et de fourmi. Et qui nous permet d'avoir eu la visite de Marc Legras...<br /> J'ai beaucoup aimé constater comme il semble que ce milieu de la chanson française aime à se complaire parfois dans la querelle (on en avait eu ici des retombées quand on avait parlé de M. Kemper).
Répondre
P
peut-être qu'un jour aurons-nous accès à quelques notes de Jean sur ce travail? Merci, M. Hidalgo
F
Je confirme, cher Matthieu, la teneur de vos lignes.<br /> A propos de notre ami et collaborateur (à CHORUS) Jean Théfaine :<br /> j'ai évoqué nos retrouvailles avec Rémy Le Tallec lors des obsèques de Jean auxquelles assistait également Hubert-Félix Thiéfaine, à l'issue desquelles on a lu un mot envoyé spécialement par Jean-Louis Murat (voir http://sicavouschante.over-blog.com/article-jean-thefaine-109356867.html).<br /> <br /> A propos de notre projet éditorial avec Murat : j'avais envie depuis longtemps d'éditer un livre sur lui. L'occasion de le faire a été relancée avec la création en 2003 de notre Département chanson en coédition Fayard/Chorus dont j'étais le responsable. Nous en avons parlé avec Jean qui aimait les chanteurs "difficiles" ou "tourmentés" et, après avoir édité son livre consacré à Thiéfaine ("Jours d'orage"), nous avons contacté Jean-Louis Murat pour le convaincre d'accepter le même genre d'ouvrage à son sujet... et avec lui.<br /> <br /> Je vous passe les détails, car vous imaginez bien que Jean-Louis n'a pas don donné son accord comme ça, et il a fallu entre-temps qu'on lui consacre un grand dossier dans CHORUS (ce qui a scellé son amitié avec Jean) ; mais bon, finalement, plusieurs formes ont été envisagées (différentes du livre avec et sur HFT) et surtout un essai "grandeur nature" a été décidé.<br /> <br /> Jean devait se rendre chez Murat pour le faire parler (!) puis lui montrer un premier résultat, noir sur blanc, pour voir si cela lui convenait. En fait, le schéma prévu (après bien des discussions) semblait parfaitement convenir aux deux hommes, tout comme il me plaisait beaucoup comme éditeur (et connaisseur de l'univers de Murat). Hélas, le décès de Jean a rendu impossible sa réalisation, alors que j'avais déjà inscrit (en accord avec l'auteur) la sortie de l'ouvrage chez Chorus/Fayard pour un an après...<br /> <br /> J'attends maintenant de lire, avec grand plaisir, le second volet de votre article.
P
et en plus, t'as même pas cité Vignol auteur de "cette chanson qu'on assassine" et qui sort un biographie de Béart...
P
mouais... On se retrouve derrière le rideau de fer, pour se quereller, je ne veux pas saper mon autorité en public.
M
Heureusement, chef bien-aimé, nous sommes ici sur un blog consacré à un chanteur qui, lui, ne cherche jamais, jamais, jamais querelle à personne, n'est-ce pas ?
M
Bravissimo pour cette mise en perspective...
Répondre
O
Est-ce à dire qu' il reserverait ses " foudres" à la faune (plus ou moins sauvage )?
M
Mercissimo, cher Marc...
O
Rubrique de plumes et de becs :<br /> La plupart desdits volatiles sont muets (d'admiration) ou n'émettent que des gloussements à la lecture des articles...et autres supports divers et variés
Répondre