Interview dans "LE DEVOIR" (avant les francos)
Publié le 14 Juin 2012
Merci à Johanne qui a pû me le dénicher... Car il était réservé aux abonnés sur le site de ce journal Québecois.
http://www.ledevoir.com/culture/musique/351920/jean-louis-murat-cartes-sur-table
Cela clôt peut-être l'épisode Canadien 2012...

En spectacle au Club Soda, ce soir et demain.
Première partie: Jimmy Hunt.
Car même réchauffé, Jean-Louis Murat demeure Murat, personnage inclassable - qui se fiche d’ailleurs d’être classé ou pas. Classe à part, disons ? « Artistiquement, je ne sais pas, ce n’est pas à moi de juger, répond-il. Mais géographiquement, assurément. Je ne suis jamais à Paris [il vit dans une ferme en Auvergne], je ne connais personne du business ou des médias. Je ne connais pas le milieu, je n’ai pas d’amis, je ne sais pas ce qui s’y passe. C’est mon tempérament : je suis toujours resté très indépendant. Avec l’éloignement géographique, ça doit contribuer au sentiment d’étrangeté et de “ côté à part ” dont on parle. »
Voilà 30 ans qu’il fait son chemin à sa manière, sans se soucier de qui pense quoi de lui. « Moi, les Français, je trouve que moins on les voit, mieux on se porte. Surtout ceux du business, assure-t-il. J’ai un problème relationnel avec les Français, ce qui est malheureux pour quelqu’un d’aussi ancré France que moi. Ce n’est pas commode, mais je n’arrive simplement pas à me faire à cette réalité française et encore moins à celle du milieu où j’évolue. »
Ainsi Jean-Louis Murat : cartes sur table, franchise complète. No bullshit, dirait-on à l’ouest du canal Rideau. Sur les plateaux de télévision, il s’est développé la réputation d’un invité capable de fantastiques coups de gueule - il faut voir sur YouTube son explosion devant la rédactrice en chef d’un magazine people, une « pourrie de la presse » qui « se moque du monde » en revendiquant faire du « signifiant » alors que son magazine fait le pactole « en montrant des seins et des paires de couilles ». Quand elle rouspète que « c’est un peu insultant pour les 16 millions de lecteurs », Murat réplique, assassin : « 16 millions d’idiots ».
Il y a dans ce côté de lui un peu d’esbroufe, reconnaît-il. « C’est du show-business, la télévision. Alors il faut faire le show. Je ne vois pas quel autre comportement adopter - surtout que j’exècre ces milieux-là. Je suis réactif et nerveux, ce qui peut mal passer sur un plateau. Sauf qu’en même temps, si je veux vendre des disques, il faut que je me fasse connaître et ça passe par l’univers pourri de la télévision. » Conclusion : « Je n’ai jamais trouvé la bonne équation. »
L’étonnant de l’affaire, c’est que derrière ce personnage en apparence irascible se cache un auteur-compositeur d’une remarquable sensibilité. Chez Murat, l’écriture chansonnière est d’une précision et d’une beauté littéraire que l’on trouve chez peu de ses contemporains. « Dans mon esprit, la chanson française doit encore être littérature », explique Murat, qui s’est inspiré de Baudelaire et de l’oeuvre Tristan et Iseult pour de précédents albums. « Une bonne chanson doit se tenir littérairement, être précise dans la description des sentiments. »
Le côté intemporel qu’on lui accole est ainsi pleinement assumé par Murat. « J’ai toujours eu cette volonté. Je me méfie des modes depuis toujours. On me renvoie souvent ça, que mes disques et mes chansons sont intemporels. Et ça me paraît bien être la moindre des choses, car la musique périssable ne m’a jamais intéressé. »
À Montréal, Jean-Louis Murat présentera la musique de son dernier album, Le grand lièvre, paru à l’automne et bien reçu par la critique (25 000 ventes au total). Un disque aux thèmes assez lourds - l’effacement de la mémoire, la lente disparition de certains modes de vie - qu’allège une musique up tempo assez pimpante, enregistrée en live dans le studio. « Ç’aurait été trop sombre autrement », pense Murat.
Et pourquoi ces thèmes ? Pas le choix, répond-il. « C’est plus fort que moi, c’est quelque chose qui m’échappe. Je pense ainsi malgré moi. J’écris beaucoup contre moi, j’essaie de chanter contre moi, je ne passe pas la brosse à reluire quand je chante. » Les mots, les émotions, les histoires s’imposent à lui : il les capte, en fait des chansons. Il les enregistre. Voilà. Et rebelote. Depuis une quinzaine d’années, les albums s’accumulent et le rythme de production ne se dément pas. « Je touche du bois, la source ne se tarit pas, dit-il. La seule différence, c’est que le business a changé. J’ai beaucoup de disques de côté, je ne sais pas s’ils verront le jour, mais je continue mon bonhomme de chemin. C’est une façon de vivre, écrire des chansons. »