Ici, l'OLIVIER est un marronnier du blog (j'ai déjà dû la faire celle-ci), je parle de l'Olivier ADAM. Le dernier épisode était en 2023 mais vous en retrouverez quelques autres dans cet article. qui portait sur Tout peut s'oublier, livre que j'avais apprécié et chroniqué. Murat y apparaissait en épigraphe... Chanson de la ville silencieuse est aussi recommandé (tiens, la mort de JL justifierait peut-être une relecture "muratienne" après celle que j'avais faite en 2018. A l'époque, la sortie de Travaux sur la N89 rentrait déjà en résonance avec l'ouvrage nous avait dit Olivier).
Encore une fois, aucune de mes alertes médias ne m'avait orienté vers le nouveau livre Et toute la vie devant nous sorti en août (encore un signe du peu d'intérêt porté à Murat en dehors du cercle habituel?), mais il y est bien souvent question de musique, et de Murat dans ses pages. Merci à Laure Desbruères de nous en avoir glissé un mot l'autre soir. Olivier Adam sera aux Vinzelles le 14/11 (réservation ici).
Bon, le fait est que je devrais m'intéresser à tous les livres d'Olivier Adam tant l’œuvre de Jean-Louis Murat fait partie de son paysage, décor, de son intimité (même celle de son couple avait-il dit), et qu'elle est finalement peut-être toujours présente... Rappelons que Grégoire Bouillier nous avait appris que c'est suite à une discussion avec lui que l'hommage à Jean-Louis à la Maison de la poésie a vu le jour.
Si Murat est convoqué cette fois, c'est que le livre est l'histoire de trois amis sur 40/50 ans de leur vie, et qu'il sera question énormément de leur rapport à l'art, à la pratique artistique. Murat sera présent dans la construction de Paul, double d'Olivier Adam déjà présent dans plusieurs ouvrages. Celui-ci devient donc romancier, l'autre garçon se consacre à la peinture pendant un certain temps avant de disparaître (oui, on est bien dans un livre d'Olivier Adam, sans parler de la Bretagne). L'héroïne, elle, aurait pu être actrice ou chanteuse, mais s'oriente vers le social. Le récit dans cet aspect-là m'a un peu interrogé, tant j'imagine plutôt les artistes porteurs du feu sacré, qui ont une intime conviction de ce qu'ils doivent faire, qui sont les "monstres" dont je parlais en fin du précédent article. Ici, place aux doutes, aux hasards, aux rencontres... et c'est sans doute assez juste. On peut trouver des exemples facilement de personnes devenues écrivains sur le tard je pense.
Le côté monstrueux de l'artiste (cette appellation m'est peut-être propre) est néanmoins présent dans la façon dont le personnage écrivain va piocher son inspiration dans la vie de ses amis. Comme dans Les lisières, les parents vont refuser de lire les livres qui dévoilent trop de leur intimité et de leurs erreurs et les amis se déchirer par moment. Je ne l'avais pas pris comme tel, mais un passage du livre pourrait mettre mal à l'aise les muratiens. Acte de brigandage littéraire cette fois d'Olivier Adam lui-même : les circonstances du décès de Jean-Louis Bergheaud sont clairement reprises pour décrire la mort d'un des parents des personnages (On reste malgré tout assez loin du côté sordide de l'affaire Desplechin/Denicourt dans le livre et l'inspiration d'O. Adam).
Olivier a accepté de me répondre à ce sujet:
-L' allusion au décès apparaît clairement dans votre livre. Était-ce une façon de faire écho au propos du livre sur les emprunts du romancier à la vie réelle? (et comme dans le livre, ça peut être choquant, ma coéquipière sur le blog m'a fait ce retour)
- Disons qu’il s’agit d’une illustration parmi d’autres de ma façon de procéder. Et de ma foi en l’impureté chimique du roman. Se superposent dans ce passage plusieurs « fantômes ». Comme toujours je tords, mélange, recompose. Et évidemment, tout vient de quelque part. J’ai bien sûr pensé au décès de Murat pour cette scène. Comme il est pas mal cité par ailleurs, il y a un système d’échos qui traverse le récit. Que certains entendent (ceux qui savent savent) et d’autres non. Mes livres jouent sur plusieurs niveaux. Ils sont très codés, cryptés, sous l’apparence de l’évidence et de la fluidité. Du côté des chanteurs, il y a des invariants, un clin d’œil caché (au delà de la citation de son nom) à Dominique A. Bien sûr Murat. Daho d’une manière ou d’une autre (par exemple dans Chanson de la ville silencieuse, où je prête à mon personnage certains épisodes tirés de sa vie). (Je sais par ailleurs que Murat n’aimait pas Daho et ça m’amuse d’autant plus de les faire cohabiter). Pour la scène en question, effectivement, Murat est en filigrane, mais mélangé à deux autres personnes « tirées » de ma vie… la mère d’un amie très proche. Et un ami de mes parents(cycliste patenté) décédé dans des circonstances assez similaires, qui m’avaient beaucoup marquées adolescent. Dans ce livre, il y a des éléments très recomposés et réinventés. Et d’autres quasi autobiographiques (si tant est que l’autobiographie existe, ce que je ne crois pas.). L’épisode du faux producteur par exemple (même si « dans la vraie vie » le « groupe » était composé de mon frère, de ma compagne et de moi-même), la soirée du Goncourt raté (même si je mélange deux finales « perdues » de ce prix), la fête du BDE de l’université etc etc. D’autres sont inspirés directement de la vie de proches que j’ai connus et connais pour certains encore (Sarah et le prof de théâtre, même si tout est inversé : dans la vraie vie c’était un coach sportif, alors que dans le bouquin c’est la version fictive de Paul…). Etc etc
Et dans ce joyeux mélange, il y a aussi tout ce que je tire d’autres œuvres ou que je vole à des gens que je ne connais pas directement.
À quoi s’ajoute quelques trucs que je crois inventés mais dont je m’aperçois en fait qu’ils viennent de quelque part et de quelque qu’un, mais j’ai juste oublié (il n’est pas rare que le quelqu’un en question me le rappelle…)
Et sûrement, mais ce n’est même pas sûr, quelque part, quelques lignes « purement » inventées. Voilà, en gros. Ah oui, un petit exemple de truc un peu codé que personne ou presque ne voit : Paul essaie de jouer le "basket Ball" de Sheller. Puis il se rabat sur "l’ange déchu". Sheller Murat. Bon. Ceux qui savent savent. Ceux qui voient voient. C’est presque une coquetterie. Mais en même temps c’est un passage de relais que j’ai vécu dans mon propre apprentissage. Sheller, puis Murat. Bien sûr j’ignorais à l’époque qu’ils étaient liés… Idem par exemple, dans dessous les roses pour la scène où le narrateur découvre que son père écoutait Dominique A. Écho direct à la chanson Manset de Dominique. Alors que dans la vraie vie, étrangement mon père écoutait Manset (ma mère détestait et c’est comme ça que moi je l’ai découvert). Bon, j’arrête là. Mais des trucs comme ça, ou j’emprunte à la fois à ma vie, à celle des autres, et aux artistes que j’admire, et même à leurs œuvres, il y en a presque à chaque page.
Merci Olivier !
Je n'avais pas tilté au clin d'oeil qu'il nous faisait en réunissant Sheller et Murat (mais la mention de Basket Ball est deux pages avant celle de Murat). NDLR: Sheller est un des "découvreurs" du chanteur, il est venu le voir en concert à la Bourboule et aidé le groupe Clara en les embauchant pour faire des jingles pour Europe1. Voici l'extrait :
Et voici l'extrait sur le décès:
Autre mention anecdotique :
Je retire mon œillère du blog muratien (ce n'est pas vraiment l'essentiel ici) pour dire quelques mots du livre.
Et toute la vie devant nous ne désarçonnera pas les fidèles lecteurs d'Olivier Adam car les thèmes chers à l'écrivain sont présents : la disparition comme on l'a indiqué, les gens de peu, les classes sociales, le romancier et son inspiration. La particularité de l'ouvrage sera peut-être à trouver dans le côté générationnel, la mienne. Les personnages ont l'âge d'Olivier Adam, un an ou deux de moins que moi, et c'est une plongée dans la musique, les événements politiques et sociaux que nous avons vécus (notamment les attentats, #metoo sur la fin). Cela m'a beaucoup évoqué le deuxième livre de Florent Marchet (sans surprise, on est dans la famille, avec Arnaud Cathrine) dans cette tentative clinique de plongée dans nos années collège, lycée. Cela passe beaucoup par le nom d'artistes ici alors que Marchet citait la télé, les produits du supermarché... On aura le droit d'y trouver du plaisir par moment, le plaisir de l'identification... ou du désintérêt puisque finalement, on a vécu tout ça, et certains préféreraient découvrir la vie d'un paysan du Cantal - ou d'un fermier du col de la croix saint-Robert -, voire d'un glouton du Kamtchatka... Ah, je n'ai pas placé mon adjectif préféré : séculier.
L'exercice de style du livre est de faire un récit, au passé, à deux voix qui s'adressent -littéralement- l'une à l'autre, un récit de 50 ans de vie et d'une amitié exceptionnelle, dans lesquelles deux drames particuliers interviennent, éléments plus romanesques que la sociologie "des lisières" qui sert également de fond (d'ailleurs, le personnage tient à retourner à la fin sur les lieux de son enfance). L'un permet à l'auteur de réagir à l'actualité, Le consentement de Vanessa Springora est évoqué par exemple. Les lecteurs découvriront donc comment les personnages se dépatouillent de tout ça. Personnellement, je me suis interrogé : comment une amitié aussi forte peut-elle être synonyme d'autant de non-dits à la fois face à des difficultés et aux sentiments ? C'est par l'art que deux des personnages s'exprimeront... mais est-ce suffisant dans leur cas ? Ces réflexions m’amènent à nouveau à Grégoire Bouillier*, et ce qu'il aurait fait lui de ces événements, Grégoire qui est aussi un "pilleur" (la fin de son dernier livre pouvait aussi être déplaisant à ce titre). La confrontation au réel, à soi, et à sa vie, est moins direct chez Olivier, mais il est romancier, et au fil de ses livres, il nous en aura dit tout autant sur lui.
*je le fais sans scrupule: Olivier fait référence au "Le syndrome de l'orangerie" dans le livre! "la référence aux nymphéas de Monet semblait explicite. Alex avait toute une théorie à leur sujet. Ces toiles étaient des tombeaux. Monet y cachait un cadavre".
PS: Photo d'illustration "et toute la vie devant nous- et Murat derrière" par Frank Courtès, devenu lui aussi.... écrivain de sa vie...
Je connaissais la passion de Grégoire Bouillier pour Muragostang, mais il a fallu sa présence à la Maison de la poésie (la soirée est née d’une discussion entre Olivier Adam, Olivier Chaudenson et lui-même) pour me décider à en savoir plus (et aussi que mes yeux tombent sur son livre Le Syndrome de l’Orangerie dans une librairie quelques jours avant l’événement). Expérience étonnante que de voir cette bouille débouler sur la scène en ouverture de la soirée, et d’entendre ce flow, le même qui s’échappait des pages que je lisais quelques instants auparavant dans le TGV ! Son discours muratien tout à fait réussi, où se nouaient déjà des liens avec son œuvre, a conquis l’assistance. Une petite dédicace plus tard, j’apprenais que Grégoire était un lecteur des blogs muratiens, et le principe d’une interview était accepté. Avec le sérieux, le professionnalisme et l’exigence de certains membres de l’équipe (je n’ai pas dit maniaquerie), il fallait se préparer… et nous étions face à une montagne : les 1800 pages du Dossier M, son masterpiece, Charlot déprime, Rapport sur moi, Le cœur ne cède pas (912 pages), L’Invité mystère… Paulo a réparti le travail équitablement : à lui Le syndrome de l’orangerie (432 pages - passionnantes quand on s'interroge sur ce qu'est un artiste, une œuvre, les questions d'intentions et d'inspiration), à Penny Florence le reste. C’est elle la professionnelle après tout. Très vite, d’ailleurs, elle a été aspirée par cette œuvre foisonnante, conquise (et aussi régulièrement interloquée, agacée, on dialogue avec de tels livres) par la folie douce de Grégoire, sa liberté, sa fantaisie et son humour, ses jeux avec le lecteur et avec la littérature. Dans son enquête sur un fait divers ou sur un tableau, sa tentative d’épuisement d’une immense histoire d’amour, sa participation à une manifestation des Gilets jaunes, son travail d’introspection ou ses analyses d’une réjouissante intelligence, il questionne toujours la littérature, son pouvoir, ses cadres et ses formes qu’il parcourt et se plaît à faire éclater. Ne vous laissez pas intimider par l’épaisseur des volumes, allez-y voir ! Comme il le répète souvent, il n’y a pas de gros livres, il n’y a que des lecteurs pressés. La lecture est addictive, parole de lecteurs, qui ont même transmis le virus à leurs proches. Et dans la perspective muratienne, vous verrez : que d’affinités et de points de rencontre (on vous laisse encore en découvrir au fil des livres -Tarkovski, la figure de Zorro et Don Diego de la Vega et Alceste et Philinte -le reason why-... )!
in situ (@surjeanlouismurat)
D'abord petit mode d'emploi: nos petites discussions off me paraissaient si intéressantes, parfois amusantes, que nous avons choisi de les insérer (avec l'accord et relecture de Grégoire). L'interview sort donc un peu de la forme habituelle, rendant aussi hommage à la liberté de fond et de forme des ouvrages de celui-ci. Ces off/in apparaissent d'une autre couleur. Enfin, les nombreuses références/allusions aux œuvres de Grégoire sont explicitées par des morceaux choisis en fin d'article.
Donc, ça a débuté ainsi :
19/12/24 - Bonjour Grégoire,
Il nous a fallu un peu de temps pour nous préparer...Plonger dans votre œuvre.. Et tenter de nouer les liens entre tous ces M.… La vôtre (du Dossier M), Monet, M aussi comme Musique dites-vous et Murat (qui a eu sa M. aussi - prière pour M-) et le nôtre de M/Matthieu que nous a évoqué votre Le Coeur ne cède pas...
On avait hésité à vous proposer de vous voir à Paris ce début décembre, mais je trouvais intéressant de correspondre par écrit avec un écrivain. Si vous en êtes d'accord, nous procéderons question par question de manière à être spontané et voir où vous allez nous emmener. Nous n'avons pas de contraintes de bouclage, et vous pouvez répondre à vos heures perdues. J'espère que cela vous convient.
G. Bouillier: Hello Pierrot, Bien reçu ton mail ! (oui, je te tutoie...). Tu préfères donc qu'on fasse ça par mail. Pas sûr que cela m'arrange (j'ai plein de trucs à faire...), mais bon. Il faut tout de même qu'on se mette d'accord sur un certain nombre de questions, faute de quoi on peut encore y être en 2030 🙂. Disons 10 questions ? Ça te va comme ça ? Je t'enverrai ma première réponse dès que possible.
1 - Le principe de l' "Inter-ViOUS et Murat" est de tisser des liens avec Murat, mais vous avez écrit : "Je m'intéresse plus à la musique qu'aux musiciens”. Est-ce que c'est une explication au fait que vous ayez été un muratien discret? (Les discrètes évocations de Murat dans Le dossier M vous auraient déjà permis de rentrer dans le cercle... Même intime).
G. Bouillier: Depuis toujours, je fais une différence entre vouloir écrire des livres ou vouloir devenir écrivain. Je n’ai jamais voulu devenir écrivain. Certainement pas ! Car il s’agit d’une posture sociale. Alors que la littérature, c’est au-delà de la société. Cela concerne l’être humain, la liberté, les sentiments, l’infini... Et cela vaut évidemment pour la musique, la peinture, tous les arts. C’est pour ça que je m’intéresse plus à la musique qu’aux musiciens. Ou plutôt, c’est la musique qui, parfois, me fait m’intéresser à un musicien et non l’inverse ! C’est façon de prolonger le mystère. D’augmenter le goût. Plus j’en sais sur une pomme, plus j’aime en manger. Ce que je préfère chez Murat, c’est donc sa musique. Cela fait-il de moi un muratien discret ? Je ne sais pas. Aimer (le mot est faible) Hot Rats (de Frank Zappa), Big Fun (de Miles Davis), les Variations Goldberg par Glenn Gould ou Muragostang (de Murat, donc), c’est finalement super intime. Pour vivre heureux vivons caché, non ?
2 - Cette première question était inspirée de l'histoire d’Éric Reinhardt... Vous n'avez pas cherché à rencontrer Jean-Louis Murat (avec lequel, comme on le verra, on peut trouver des nombreux liens avec vous, biographiques notamment)? L'avez-vous vu en concert, vous qui justement aimez particulièrement Muragostang, la captation d'un concert qui se voulait chaque soir différent ? (on fera le lien avec Santana ou le jazz).
G. Bouillier: Cela fait longtemps que je ne vais plus voir de concerts. A 65 ans : ce n’est plus vraiment de mon âge. Alors que j’ai vu tous les concerts de Zappa entre 1971 et 1978, lorsqu’il venait à Paris. Sauf exception choisie (New York Dolls, Kid Creole, Iggy Pop…). Murat, c'était prévu, j'avais très envie, mais cela ne s'est pas fait. Mais tu as raison (oui, je te tutoie...) : j'affectionne particulièrement les live, où le temps se dilate davantage qu'en studio. Je préfère Muragostang à Mustango. Quant à rencontrer JLM, bon, il aurait fallu qu'on se croise, qu'on boive des coups ensemble, que ce soit imprévu... Il est rare qu'une rencontre ait lieu lorsqu'elle est préméditée.
- Je pense que Jean-Louis vous aurait sans doute invité à un concert si vous lui aviez transmis le livre ou parlé de lui à l'occasion du Dossier M (vous faites 4 références à lui dans le livre tout de même). Vous avez vu que sur les réseaux sociaux, Laure Desbruères avait écrit qu'elle aurait aimé discuter avec Jean-Louis du Syndrome de l'orangerie ? J'ai supposé hier que le « dossier Sophie Calle » n'était peut-être étranger à l'envie/le besoin de rester à l'extérieur de ce cercle (L. Masson a fait collaborer Murat - via deux extraits de chanson - au projet "Prenez soin de vous")... J'insiste un peu là-dessus (c'est lié à mon côté fan sans doute) parce que, finalement, à la Maison de la poésie, vous étiez le seul à ne pas avoir rencontré JL, et vous avez donné l'impression d'en être le plus proche.
G. Bouillier: Cela m'aurait bien plu qu'il lise Le Dossier M, que le livre lui plaise, qu'on entame une petite camaraderie… Olivier Nuc m'a dit qu'il pouvait embarquer un ami pour des discussions jusqu'à plus d'heure ; cela m'aurait bien plu.
Bref.
Tu as raison : les diners respounchous, où j’ai pu croiser le gratin de la culture, ont laissé des traces... Je pensais que discuter avec des artistes serait passionnant, vivant, intense – pas du tout ! Ce fut tout le contraire. Une vraie déception... Mais j'ignorais (il est vrai que je n'ai pas épluché tous les participant(e)s au projet de S. C.) que L. Masson avait embarqué Murat dans cette piteuse (et cependant flamboyante) exposition artistique consistant à dézinguer un pauvre type dont le seul tort avait été de plaquer Sophie. Et j’ignorais que Murat y avait répondu favorablement, donc. Comme quoi, on fait tous des erreurs...🙂
Où trouver des gens avec qui le temps devient un tout petit peu intense et personnel ?
Je cherche encore...
Mais bon, cela vient aussi de moi, je suppose.
Rebref.
C'est gentil de me dire qu'à la Maison de la poésie, tu as eu l'impression que j'étais le plus proche de JLM. Sans doute un effet de la distance, justement.
Mais c'est parce que j'aime vraiment sa musique, j'aime le gars (du moins le peu que j’en sais). Il me touche à un endroit qui est inconditionnel chez moi. Ce n'est pas tous les jours qu'on aime de façon intérieure (j'insiste) un artiste. Je veux dire : où on se reconnait soi-même, là où on ignorait pourtant qu'on était. Je ne sais pas si je suis clair... Sachant qu’il n’y a pas que Murat. J’aime pareillement Zappa, Miles Davis, même Véronique Sanson… Cela en dit peut-être davantage sur moi que sur eux.
Rererebref.
Tu persistes à me vouvoisser. C'est pour l'article ? En tout cas, je te tutoie. Et vu que j'ai un peu de temps, je me prends au jeu, comme tu peux voir...
3 - Reprenons : Dans les éléments biographiques communs, on trouve les errances de jeunesse, le caractère autodidacte, la peinture, la confrontation au suicide, la sexualité - mais arrêtons-nous au divorce : voyez-vous aussi chez Murat l’enfant de divorcés, comme vous le voyez chez Kurt Cobain et Nirvana ? Vous parlez dans Le Dossier M de leur façon de mêler, dans un même morceau, le désir mélodique et la rage qui conduit à son saccage, et vous dites y reconnaître ce qu'il y a de "psychotique" en vous, et plus largement, les sentiments de toute une génération d'enfants de divorcés, écartelés entre leurs contradictions liées la guerre que se mènent leurs parents. Plus largement, ces liens ont-ils pu jouer dans votre attachement à Murat ?
G. Bouillier: Je me suis rendu compte que la plupart des artistes que j'aime sont des autodidactes. Ce n'est sûrement pas un hasard. Les autodidactes, ils savent leurs immenses lacunes, ils savent qu'ils marchent sur du sable, ce qui fait qu'ils souffrent d'un défaut de légitimité qui les rend fragiles et, de ce fait, les oblige à donner tout le temps le meilleur d'eux-mêmes. Rien de moins paresseux qu'un autodidacte ! D'un autre côté, les autodidactes savent qu'ils ne doivent rien à personne. Ils ont suivi leur voix intérieure et ils ont inventé leur façon de faire envers et contre tout, faisant les choses à leur idée. C'est important de faire les choses à son idée ! Donc il y a de l’orgueil aussi. C'est important aussi l'orgueil. C'est un autre mot pour se sentir libre. Personne ne peut vous la faire à l'intimidation. En fait, c'est très social cette histoire. Les autodidactes, en général, ils ne viennent pas des couches aisées de la société. Ils savent donc le fossé qui les sépare non seulement de leur milieu d'origine qu’ils ont quitté, mais aussi du milieu de la culture qu’ils ont intégré et qui est largement celui des classes dominantes. Je comprends que JLM ait pu déplorer que les paysans du coin n'en avaient rien à foutre de sa musique... Et je comprends aussi son dédain pour les artistes installés qui, eux, sont des paresseux qui méprisent le public car ils vivent la musique comme une rente. Tout ça, ce sont des rapports de classes. Et impossible d'y échapper. Il faut relire Martin Eden, de Jack London. Il a tout dit des immenses espoirs et des terribles désillusions de réussir dans un monde bourgeois qui n’est pas le sien.
J'ignorais que les parents de Murat avaient divorcé. Il avait quel âge ? En tout cas, Nirvana est arrivé au moment où, dans les années 1990, sociologiquement, les enfants de parents divorcés sont devenus une génération à part entière, et la première du genre. Et je crois, en effet, que cela s'entend dans leur musique. Dans ses carnets, Cobain raconte que, quand il était gosse, il avait écrit sur un mur de sa chambre : "Je hais maman, je hais papa, papa hait maman, maman hait papa, ça me rend tellement triste." C'est à ce moment-là qu'il a vrillé, c'est-à-dire qu'il est devenu Kurt Cobain : un être en miette, balloté de droite et gauche, sans domicile fixe, dont la musique prend en charge toute cette détresse, ce pourquoi elle a touché au cœur cette nouvelle jeunesse que leurs père et mère avait psychiquement écartelée. Sauf que lui a réussi à faire entendre dans sa musique, au sein d'un même morceau, et la douleur et la rage, comme une réconciliation impossible entre maman (les Beatles ?) et papa (le punk ?). Je connais très bien cet écartèlement de l'enfant, dont l'unité a été mise en pièce. Je ne suis pas surpris que Murat fasse partie du club. Lui aussi oscille sans cesse entre papa rock et maman folk, à la recherche d'une synthèse idéalisée, sauf qu’il est trop tard. Ce n’est pas seulement musical, c’est existentiel aussi. C’est même à ça qu’on reconnait les vrais artistes : ils sont psychiquement dans leur art et non seulement esthétiquement. Chez Murat, il me semble toutefois que la rage a, musicalement, pris la forme d'une infinie nostalgie, d'une tristesse impardonnable. Juste après Nirvana, il y a eu le spleen Portishead, n’est-ce pas ?… Et je ne parle de la dualité entre le docteur Jean-Louis (le musicien tout en vulnérabilité) et mister Murat (l’homme public cognant sur tout ce qui bouge). En tout cas, les parents de Neil Young ont divorcé lorsqu’il avait 14 ans... Tout se tient !
- Murat avait 14 ans au divorce des parents.
-G. Bouillier: Divorce à 14 ans, donc. Et mariage à 17. Assez fou quand on y songe...
4 - Murat et toi construisez une œuvre à partir de l'intime, avec un impératif vital (une pratique quotidienne de l'écriture, les œuvres, les carnets), avec un questionnement de soi (on entend la voix de Freud dans “Aimer n’est pas querelle”, chanson dans laquelle il dialogue avec lui-même…), et on peut retrouver certains mécanismes communs comme la série/la répétition, le zoom/face caméra. Par contre, là où Murat va écrire une chanson ou un album, tu peux écrire 1000 pages si elles sont nécessaires pour aller au bout de ta recherche. Le dépressif Murat condense et métaphorise : ce lâcher-prise te fait-il du bien, toi qui te dis plutôt névrosé ?
G. Bouillier: Qui n’est pas névrosé ? (rires !) Qui dit né dit né-vrosé, non ? C’est le propre de l’être humain et mettre en scène ses névroses, c’est juste établir un rapport de franchise avec qui on est et ce qu’on fait. Les gens dangereux sont ceux qui sont agis par leurs névroses mais qui ne veulent surtout pas le savoir. Murat, il parle à hauteur d’homme. D’intériorité à intériorité. Entre force et faiblesse. Dans une espèce de nudité aux antipodes de ceux qui tissent des rapports marchands avec autrui. C’est pour ça qu’il me touche. Je n’en ai rien à fiche de la Dordogne, je vis à Paris depuis que j’ai l’âge de 2 ans, ma campagne, c’est la ville, c’est le ciel barré par les immeubles, ce sont les rues, les cafés, le métro, les voitures et les caniveaux, les néons la nuit ; mais quand Murat chante « Dordogne, ma femme Joconde, mon unique au monde », je comprends tout. Je sais ce qu’il veut dire. Je le ressens au plus profond de moi. Sa Dordogne devient universelle précisément parce qu’elle exprime chez lui quelque chose d’absolument intime. C’est tout le paradoxe. Maintenant, gare au malentendu. On m’a beaucoup rangé dans l’autofiction, mais c’est une bêtise. On croit que je parle de moi dans mes livres mais, au vrai, je pars de moi. Je pars de moi pour aller vers les autres, vers la littérature, vers je ne sais quoi qui n’a pas de nom et que l’écrire me permet justement de découvrir. Ce n’est pas moi le sujet. Je m’en fous de mézigue. Je ne me pose pas la question de savoir qui je suis, d’où je viens, etc. : je suis ce que je fais (et ce que je refuse de faire, qui est tout aussi important !). Moi, je ne suis que le point de départ, l’émetteur. La question de savoir d’où on parle est cruciale car elle permet de faire le tri dans qui dit quoi exactement. Et ce qui me plait chez Murat, c’est que j’entends d’où il parle. Là-dessus, il ne triche pas. Ce n’est pas narcissique, c’est juste qu’il part de lui, de ses expériences et de ses émotions, de ce qu’il connait et de ce qu’il ignore, ce qui s’appelle la générosité. Le cadeau que nous offre Murat avec ses chansons, il ne l’achète pas dans un magasin, il le fabrique de ses mains. Qui peut-dire d’où chante Julien Doré? Alors que Véronique Sanson, par exemple dans « Le Maudit » ou « Vancouver », je sais d’où elle chante. Cela s’entend. J’aimerais d’ailleurs savoir ce que Murat pensait de Sanson, s’il en pensait quelque chose… Je pense à ça parce que, dans le concert donné à La Maison de la poésie pour l’anniversaire de la mort de Murat, Jeanne Cherhal a un phrasé percussif au piano très Véronique Sanson. Bref.
Sur la pratique de l’écriture, je ne suis pas du tout graphomane. C’est seulement lorsque je me lance dans l’écriture d’un livre que mon quotidien devient le livre que j’écris et que le livre que j’écris devient mon quotidien. Rien d’autre n’existe à ce moment-là, quinze heures par jour, sept jours sur sept. Ce qui est une euphorie sans nom, assez proche de l’hystérie ! Mais j’ai alors le sentiment que mon existence sur Terre se trouve enfin justifiée. C’est existentiel, avant d’être littéraire. C’est comme tomber amoureux, mais pour de vrai, pour la vie… (rires) Rien à voir avec un flirt ou un coup d’un soir. À ce moment-là, j’entre dans un espace-temps qui n’a plus rien à voir avec l’espace et avec le temps de la vie ordinaire. Je continue de payer mes factures de gaz et de râler contre la malfaisance de l’époque, mais cela n’a plus aucune espèce d’importance car j’ai mieux à faire. J’ai à vivre ma « vraie vie ». Celle dont Proust dit qu’elle est « absolument vécue » et je vis cette intensité de l’écriture à fond, car écrire est pour moi une façon de voyager le plus loin possible, de lâcher prise, comme tu dis, d’exister enfin, tout simplement. Mon modèle, c’est Ulysse et son Odyssée qui dure dix ans. Tout s’improvise dans le temps de l’écriture. Mon rythme, c’est l’épopée. Tout ça pour dire que je suis incapable d’écrire des chansons. Dans cet exercice, il y a un côté « 5 minutes douche comprise » qui ne me convient pas (rires). J’ai essayé une fois : Stephan Eicher voulait s’émanciper de l’univers de Djian et, via Sophie Calle, le hasard a fait qu’il m’a demandé quelques chansons. Comme il est très gentil, il s’est excusé, en tant que Suisse allemand, de ne rien comprendre à mes textes, ils étaient trop compliqués pour lui, il n’était pas Bashung... Il avait raison. Mes textes étaient des exercices de style, des jeux sur les mots, des facilités langagières. L’émotion était factice. C’est là où Murat m’impressionne ! J’aurais adoré le voir travailler, écrire, composer. Le travail, on n’en parle jamais. On ne le montre jamais alors que c’est le plus intéressant. Ce qui m’intrigue, c’est que Murat a pu dire qu’il aurait aimé être écrivain, qu’il avait un livre en projet… Je ne sais pas ce qui l’en empêchait. Sinon le format qui, dans le cas d’un livre ou d’une chanson, impose justement des modalités techniques et psychiques, dans lesquelles on se retrouve ou pas. Puisque tu ne me poses pas la question (🙂), je me souviens d’une chanson que j’avais écrite qui s’appelait « Nitouche ma sainte ». Je pensais à M à ce moment-là… Ça disait des trucs comme : « Si toi aussi tu nages la brasse indienne / colportes des tonnes de sel / effrayes les chouettes / la nuit le jour / sans demander ton reste / sans demander ma main / C'est bien la peine c'est pas la joie / Si toi aussi tu prends l’argent comptant / la monnaie des singes / caresses la frange des forêts / l’orée des mouches / le jour la nuit / sans lâcher un soupir / sans fâcher mes ballons / C'est bien la peine c'est pas la joie », etc. Pfff. Tu vois le genre…
G. Bouillier: Bon, tu m'obliges à bosser avec tes questions qui en contiennent plusieurs à chaque fois ! (c'est pas du jeu car on avait dit 10 questions...). Tu fais plus simple avec les prochaines ?
G. Bouillier: Génial son article sur Sanson ! Un vrai article de musicien sur une musicienne. "Elle traite les syllabes comme des notes" : voilà une clé ! Rigolo qu'il dise qu'elle "cède à une tendance actuelle de la chanson autobiographique intimiste et introspective". CQFD dans son cas, non ?... Merci en tout cas d'éclairer si bien ma lanterne. J'ai croisé avant-hier J. Cherhal et elle sort un nouveau disque. Je lui avais dit pour son jeu au piano très VS et elle m'a confirmé son amour pour elle. (j'adore cette histoire où VS a révélé qu'elle avait cherché à engager un tueur à gages pour assassiner Stills tellement elle n'en pouvait plus qu'il la batte et la terrorise. Cela ne coûtait pas très cher, a-t-elle dit en rigolant. Mais elle a renoncé, non pour des raisons morales, mais parce que, dixit, avec la chance qu'elle a, elle se serait fait toper à tous les coups.
5 - Sur la forme, on peut aussi évoquer dans ce qui vous rapproche, toi et JL Murat, les tentatives de sortir du cadre, des formes (tu apprécies Travaux sur la N89 ?), l'improvisation (en musique, peinture), la difficulté avec la promo, comme le fait de ne pas avoir peur de sortir du bon goût, de dégueulasser l'ouvrage ("saboter les fins de ses chansons" par exemple as-tu dit), parfois par l'expression d'une pure fantaisie (tes textes sont ponctués d'humour). Murat est néanmoins resté dans un système et un marché du disque, dans lequel il se sentait peut-être un peu prisonnier. Avec la littérature, la liberté est beaucoup plus grande, même si les lecteurs ou les libraires veulent te brimer sur la longueur des livres?
G. Bouillier: Murat, il n’a pas beaucoup d’humour, non ? La mélancolie est rarement drôle et la joie que dispense sa musique, elle ne rigole pas vraiment. C’est sûr que je suis bien plus fantaisiste que lui ! C’est peut-être lié au format des chansons : on ne peut pas faire exister plusieurs registres en si peu de temps. Quand j’écris, l’humour vient en contrepoint. Il faut l’installer, ce qui prend du temps. Pour moi, l’humour n’est pas cette soi-disant politesse du désespoir, non, c’est une preuve de vitalité. C’est la joie qui s’oppose aux pulsions de mort. Chez Murat, je pense que la vitalité, elle n’est pas dans ses textes mais dans sa musique. Maintenant, sur la prise de risque artistique, d’aller sans cesse voir ailleurs si on y est, ça me parle énormément. Je n’avais pas vraiment accroché à Travaux sur la N89 (rien de plus conservateur qu’un fan !), mais j’avais aimé que Murat veuille se frotter à l’électro. L’idée, c’est bien sûr de se réinventer en permanence. D’ailleurs, il n’y a pas un seul Murat. À la Maison de la poésie, on a pu entendre son côté variété ("Regrets"), son côté pop ("Papillon"), son côté rock ("Nu dans la crevasse"), son côté intimiste dépressif ("Le cafard"), son côté country-folk ("Le troupeau"), son côté engagé ("Gilet#4"), etc. Sortir du cadre : c’est juste une nécessité. Un principe de survie. Je suis allé voir l’expo Rothko et ça me trouble beaucoup qu’après avoir trouvé sa formule picturale, Rothko ait peint pendant 40 ans, jusqu’à la fin de sa vie, le même tableau, en faisant juste varier les couleurs. Cela me fascine ; mais très peu pour moi ! Je ne sais pas si j’aimerais trouver ma formule, mais ce n’est pas le cas, donc l’aventure continue. Cette insatisfaction, je la retrouve chez Murat. Comme une façon de broyer le mors qui nous scie la bouche et le cœur. Une intranquillité qui, pour être fatale, est aussi un moteur. Chez lui, cela confine à l’autodestruction lorsqu’il sabote en live la fin de ses chansons. Cela m’émeut humainement à chaque fois, alors que c’est musicalement assez nul… Cela étant, je ne sais pas jusqu’où Murat est resté prisonnier du marché du disque, mais il se peut qu’il y ait moins de pression dans l’édition. Peut-être parce que, du moins en France, la littérature jouit (pour combien de temps encore ?) d’une espèce de prestige que n’a pas la chanson. Je ne sais pas. Je sais seulement que l’internet, les Spotify et autres Deezer, etc. ont, en plus d’éparpiller façon puzzle l’écoute de la musique, changé économiquement la donne et je connais pas mal de musiciens qui rament… Pour ma part, je pensais que les 2000 pages du Dossier M (sans oublier le site internet !) serait trop gros, trop déjanté, trop tout - hé bien non. Il faut dire que mon éditrice chez Flammarion, Alix Penent, est une véritable éditrice. C’est-à-dire qu’elle considère que son boulot n’est pas de faire en sorte que les livres soient commercialement compatibles mais, au contraire, de faire en sorte que le marché accepte des livres tels que les miens. Pour cela, elle met en place des stratégies pour que le livre existe et qu’il ait le maximum de chances d’être lu, même par les journalistes...
6 - Dans Un rêve de Charlot, tu chroniques comme Murat l'épisode Gilets jaunes (avec la même idée d'aller y voir). On y trouve un discours de ta part sur la marchandisation de la culture, la fin de l'intelligence, la disparition de la mémoire, l'absence d'artistes engagés, très convergents avec certains propos de Murat, mais tu ne fais pas référence à la chronique muratienne. Cela t'avait-il échappé à l'époque ? (Murat a regretté le peu d’écho que cela avait suscité).
G. Bouillier: Ce qui m’avait frappé au moment des gilets jaunes, surtout au début du mouvement, lorsqu’il s’agissait d’une révolte spontanée, épidermique et venant de très loin, c’est le silence des élites artistiques. Okay, ce n’était pas une surprise si on songe à leur fuite rocambolesque dans leurs super maisons de campagne lors de l’épidémie de Covid (quelle farce !). N’empêche, j’ai eu honte de faire partie de ce silence. Cela a été une sensation très physique, très sanguine. Je préfère largement avoir des problèmes avec mon environnement qu’avec ma conscience. Donc, je suis allé voir le bordel sur les Champs-Élysées, histoire de me faire ma propre idée et de raconter ce qui s’y passait. Comme disait l’autre, c’est l’émeute qui fait le peuple et non l’inverse. D’où ce petit livre, qui n’est pas le meilleur de ce que j’ai écrit, mais il a le mérite d’exister. On peut rigoler mais, pour moi, si l’art a une fonction sociale, c’est celle de défendre l’individu, quel que soit son sexe, sa religion, sa position sociale, etc. Ce peut être moi ou n’importe qui. Ma compagne m’a dit un jour qu’en lisant Bukowski, elle s’était sentie défendue. J’aimerais qu’on puisse dire la même chose de mes livres. C’est cela qui est politique. Tous mes livres prennent la défense d’individus et c’est aussi ce que je ressens quand j’écoute Murat. Je me sens défendu en tant qu’être humain. Concernant sa chronique musicale des Gilets jaunes, je l’ai découverte bien plus tard. Elle m’avait totalement échappé à l’époque. J’imagine qu’on n’en a pas beaucoup parlé à ce moment-là et faut-il s’en étonner ! Pas plus qu’on a parlé de mon Charlot déprime (qui est l’anagramme de « l’Arc de triomphe »)... Bon, on aura au moins été deux à ce moment-là. Youpi ! (rires) J’ai aimé que JP Nataf et Jeanne Cherhal aient fait le choix de chanter Gilet#4 à la Maison de la poésie. Si j’avais entendu cette chanson quand j’écrivais mon petit Charlot, j’aurais peut-être fait signe à JLM, je lui aurais peut-être envoyé mon bouquin. En tout cas, j’aurais sûrement mis ce passage en exergue : « Dis donc c’est toi / Qui m’as dit loser / Toi le puceau / Au moins je connais / Le plaisir à perdre / Pauvre idiot ».
G. Bouillier: 16/02/25 Hello Pierre,
Juste te dire que je pense toujours à toi, mais je n'ai pas trouvé le temps de répondre aux questions 7 & 8. Mais ça va venir...
7 - Tu as cité Rothko, à propos de la dernière exposition parisienne, et je tombe sur un article à ce sujet intitulé "un marais sans nymphéas" !!.... Non, ce n'est pas une question cachée, juste un petit clin d'œil pour lancer le thème de l'eau. Dans Le Syndrome de l'orangerie, c'est un thème important, elle y est morbide, dormante, mais c'était déjà présent dans d'autres livres (Laurence / l'eau rance, le Rêve de Charlot qui se déroule partiellement dans un univers liquide, la rencontre avec M. racontée dans les carnets avec l'image de l'eau vive..) Chez Murat le montagnard, la res-source poétique, l'eau (le grand O comme dirait Pascal Torrin) est aussi centrale mais elle y est généralement vive et féminine (à quelques exceptions près : - "Dans quel marigot allez-vous nous jeter", "Nous venions fouiller la nuit la vase des marais", "l'étang noir de nos songes", Ophélie - dont il est question dans le livre).
Ne trouverait-on pas dans ce motif de l'eau un point commun avec Murat, une fascination commune peut-être ? Est-ce que c'est une récurrence qui te frappe en l'écoutant, qui te parle ?
G. Bouillier: L’eau, oui. Il y a les eaux vives, les eaux mortes… Je peux aller à la campagne ou à la montagne, mais c’est à la mer que je me sens le mieux. Quand j’arrive en Bretagne, c’est immédiat : mes cellules vibrionnent, je me sens vivifié, plein d’iode, c’est comme s’il y avait des endorphines dans l’air. En Bretagne, la lumière est d’une franchise totale. Je regrette de ne pas mieux connaitre la montagne car les rares fois où j’y suis allé, la beauté m’a saisi. Mais bon, la mer, l’océan, ce sentiment de l’infini à perte de vue… Rien qui bouche la vue ! Sur un bateau, on sent que la mer est totalement indifférente au sort des êtres humains. C’est une expérience assez ontologique. L’été, je vais dans une toute petite ile en Grèce et, bon, j’aime bien nager mais je m’ennuie vite. Je n’aime pas les efforts solitaires, courir, tout ça. Je sais que Murat adorait le vélo mais très peu pour moi. Se faire mal dans les côtes : pffff ! Alors que je peux jouer au foot ou au badminton pendant des heures. Ce que j’aime dans le sport, c’est le jeu, l’émulation collective, le match contre un adversaire et non contre soi-même. Alors que je suis seul quand j’écris et j’adore ça. Tout le contraire de Murat qui joue de la musique à plusieurs et fait du sport en solitaire… Pour en revenir à l’eau, j’ai trouvé un truc génial pour ne pas m’ennuyer : je nage avec des écouteurs de nage. Et le bonheur ultime, c’est de nager en écoutant Muragostang. C’est absolument euphorisant. J’ai alors l’impression de devenir parfaitement liquide. Je pourrais nager jusqu’aux côtes anglaises… En revanche, les étangs, les mares, les trous d’eau, je n’aime pas du tout. Je trouve ça dégueulasse. Cela me fait peur. J’imagine tout de suite des monstres. Une eau qui ne donne pas envie de se baigner : beurk ! Il m’est arrivé de me baigner dans des lacs et c’était comme affronter l’obscurité. La densité de l’eau est trop bizarre. Elle ne porte pas du tout. On dirait qu’elle veut vous entrainer par le fond... C’est Monet qui avait un truc avec les eaux dormantes, les eaux stagnantes, Ophélie, les âmes mortes... Lamartine disait que « l’eau est la matière du désespoir » et, en ce sens, Monet était romantique. Comme Murat, à sa manière.
8 - Le terme de vitalité t'est cher, et tu nous as dit comme pour toi, Murat est la vitalité même, mais dans le livre, j'ai été frappé par ta description de Monet en Charon (le passeur des enfers), qui m'a immédiatement évoqué les mots de Bayon à l'enterrement de JL Murat, le décrivant comme un aède (ça nous ramènerait à Homère... mais non, pas de question cachée... fini), qui lui aussi descend pour nous en enfer. Voici comment j'avais restitué son propos :
Il dit qu'il est celui qui descend, "ramasse l'esprit", et fait les allers-retours entre les deux mondes, il relie Murat à Nerval (citant "El desdichado" : "Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron / Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée / Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée."), Baudelaire ("c'est la mort qui console hélas et qui fait vivre"), cite encore un vers de Poe. C'est la charge du poète de parler de la mort, "il la prend sur son dos"... Il évoque ensuite les vierges noires qui sont importantes en Auvergne, bien que dans la basilique d'Orcival elle ne soit pas ainsi, souvenir d'une discussion avec Jean-Louis, et dans la tradition, c'est Isis. Il indique qu'on ne trouve pas de référence à l'Egypte* dans l'œuvre de Murat* (il cite alors l'Abyssinie, l'empire du nord, Taormina) mais que finalement, à Douharesse, entre les roches, on est dans une sorte de vallée des rois, où tel un Alceste, il a voulu "chercher sur la terre un endroit écarté / où d'être homme d'honneur on ait la liberté", il a construit, creusé une nécropole pharaonique, il cite sa chanson "ma demeure, c'est le feu". Et à travers les mots que maîtrisaient si bien Jean-Louis, avec la thématique du sacré qui traversait aussi son œuvre, s'accomplissait un miracle. Même si Jean-Louis pouvait "être cruel envers lui-même, comme avec les autres, beaucoup avec les autres", il avait fait don de soi, et nous aidait à être épargné :"Toute cette mort paradoxalement traversée par ses mots devient consolation". Murat a accompli "sa mission qui n'est pas donnée à tout le monde", il a transformé la mort en quelque chose d'autre... "la perpétuation".
Alors quand pour tout le monde, Monet est le symbole de la féérie, tu l'associes à la mort, et pour Murat, dont toutes les chansons parlent de mort selon Bayon, tu l'associes toi à la vie ?
G. Bouillier: Je ne connaissais pas le texte de Bayon. Il est très beau. Il est surtout très juste lorsqu’il relie Murat à Nerval et Baudelaire. Murat, il n’arrête pas de parler de la mort du point de vue de la vie et de la vie du point de vue de la mort. C’est cela qui me touche le plus chez lui. Il est des deux rives. Celui qui fait passer les âmes. Et il est aussi d’hier et de maintenant, du passé le plus mythique et du quotidien le plus trivial. Il n’arrête pas de faire des allers-retours dans le temps, à travers les limbes de ses émotions, comme un fantôme qui aurait un corps. Dans Nu dans la crevasse, toute la première partie de la chanson est dans la veine de la poésie symboliste et, tout à coup, la chanson ramène à la vie quotidienne, avec des phrases très terre-à-terre du style « si Marlène Passe / Dites-lui que son homme traîne à Chamonix » ou, « l’autre jour à la Poste / J’avais une mine atroce ». Quand j’entends ça, je jubile. Je suis transporté. Je suis à la fois aux anges et sur terre. C’est tout simplement magnifique. Il y a un art de l’évasion, de l’élévation chez Murat. Ses chansons ne cessent de prendre leur élan pour nous emmener au plus haut des cieux et, en même temps, elles n’oublient jamais la matérialité des choses. C’est comme si elles n’étaient jamais dupes de leur beauté. Qu’elles s’en méfiaient et refusaient de se prendre au jeu de la poésie avec un grand P. Et c’est en cela qu’elles deviennent réellement Poésie ! C’est ce va-et-vient entre le rêve et la réalité, sans choisir ni renoncer à l’un comme à l’autre qui, pour moi, est le grand art de Murat. Ce qui le rend absolument unique. Ce n’est pas donné à tout le monde d’être à la fois mort et vivant. C’est quantique, finalement. Murat, c’est le chat de Schrödinger (rires).
9 - Une petite dernière question : as-tu commencé à travailler à un prochain livre?
G. Bouillier: Pour répondre à ta dernière ( !) question : non, rien en vue, je vis le désœuvrement, je le vis à fond ! C'est la période pendant laquelle je recharge mes batteries (mon inconscient). Preuve que celui-ci a beaucoup donné dans Le Syndrome (ceux qui enchaînent tout de suite (comme JLM !), je me dis que, finalement, ils ne doivent pas donner tant que ça pour repartir tout de suite, ils ne sont pas allés au bout...)
Bref.
Des bises.
À bientôt.
Grégoire
Interview réalisée par mails du 19/12/2024 au 18/05/2025 (relecture).
Un grand merci, Grégoire ! Amitiés
Cette interview, comme précisée dans l'introduction, ne serait pas ce qu'elle est sans le travail de Florence D., notamment sur les notes.
NOTES
1(Les discrètes évocations de Murat dans Le dossier M vous auraient déjà permis de rentrer dans le cercle... Même intime).
· Murat apparaît en effet à plusieurs reprises dans Le Dossier M.
“Bang Bang” fait partie de la longue liste des morceaux préférés de Grégoire : « Me rappelle de M comme musique. C’est-à-dire que je me rappelle qu’elle était ma Lonely Woman, ma Favorite Thing et mon A Love supreme. (…une page plus loin…) mon Bang Bang (He shot me down now / I hit the ground) et mon Bang Bang (Tous vos désirs me dominent / Tous vos rires tous vos enchantements / Chaque geste / Même inutile / Mêle au désir un affolement)
(…)
Car ce ne sont pas juste mes morceaux préférés. Tous ensemble, ils racontent une histoire, ils dessinent une constellation, ils expriment des choix, ils témoignent d’un désir, d’une aspiration, d’une approbation, de refus aussi (souligné) et on croit penser à tout, mais on oublie ses play-lists préférées. On croit qu’elles accompagnent notre existence (pour faire la fête, quand on est triste, etc.) mais c’est notre existence qui les accompagne. C’est nous le bruit de fond de la musique. Notre être est d’abord musical et ma collection de CD et de vinyles : elle est mon lien immatériel avec l’univers, mon lien le plus chaleureux et le plus historique. Elle constitue mon message au monde, à l’image du Voyager Golden Record que la NASA embarqua à bord des deux sondes Voyager qui, en 1977, furent envoyées à travers l’espace, avec l’espoir que des extraterrestres les repèrent et reçoivent le message dont elles étaient porteuses - sauf que ce “disque d’or de l’humanité” contient une majorité de musique allemande, ce qui n’est pas mon cas. Les extraterrestres n’écouteront jamais mes playlists et ce dont elles sont porteuses. Tant pis pour eux.
Plus loin, Grégoire Bouillier rêve d’amour courtois et convoque les troubadours du Moyen-Âge chers à Murat… et Murat lui-même.
« Je voulais la réciprocité des désirs ! L’amour courtois, au sens le plus médiéval du terme. C’est-à-dire que je voulais qu’à « la guerre des sexes elle mette fin en m’accordant sa chair et son anneau », comme le chantait au XIème siècle un poète du fin’amor (Guillaume d’Aquitaine). Je voulais follement qu’elle m’aime et l’amour ne se force pas. Je voulais qu’elle soit ma femelle au jardin d’acacia et qu’elle soit en même temps ma dame de cœur et, par-dessus tout, je ne voulais pas qu’elle dise non en me laissant le soin d’entendre oui, comme si elle s’en remettait à moi de ses propres désirs et refusait d’y prendre la moindre part, refusait toute responsabilité et s’arrangeait pour se disculper de ce qui pouvait arriver, préférant à la vérité qui était la sienne le confort que je la lui extorque et pas de ça avec moi ! Pas elle ! »
On retrouve Jean-Louis Murat dans le livre 2 où, M perdue, il multiplie les aventures, et s’attaque au cliché de la misère sexuelle de notre époque.
« Les femmes n’ont jamais été aussi avenantes, aussi sexuellement autonomes que de nos jours. Ce n’était pas le cas il y a cinquante ans, où les jeunes gens et spécialement les jeunes filles étaient entretenus dans une ignorance des choses du sexe confinant à la terreur. A la superstition. Je ne dis pas que chacun rigole tous les jours et s’envoie en l’air comme on claque des doigts ; mais personne n’a rigolé tous les jours, que je sache. L’homme est un animal frustré par définition. Ne serait-ce que parce qu’il lui est interdit de baiser sa mère (ou son père, ou ses enfants). Même au glorieux temps de la décadence de Rome, nombreux devaient être ceux et celles qui se les mordaient sévère. En attendant, jamais je n’avais « vu autant de colombines à minuit / de femmes au monde incertain / faire autant fi des lois de l’hymen / jamais autant vu le paradis avec dames / de nomades à bigoudis / autant de chamades finalement / de femmes nous trouver si sots ». Comme chante joliment l’autre (Jean-Louis Murat) et je suis bien d’accord.
L’une des conquêtes de Grégoire glisse subrepticement des petits cailloux dans la poche des garçons qui lui plaisent.
« C’était sa façon de créer des situations imaginaires. De fabriquer du trouble. De s’inventer des histoires. De tisser des liens hors des sentiers épuisés de la séduction, afin de susciter quelque chose dans la réalité, d’où il pouvait peut-être sortir un miracle. Pourquoi ne pas s’en remettre à un caillou, quand rien ne marche véritablement entre les êtres ? Quand les relations humaines sont triviales et sans mystère ? Un fois le garçon (ou la fille) parti sans savoir qu’il emportait avec lui son secret subrepticement glissé dans sa poche, elle se demandait combien de temps le petit caillou allait rester enfoui sans que personne ne le remarque. Combien de temps avant qu’il soit découvert ? Que deviendrait-il alors ? Et s’il restait indéfiniment dans la poche de la veste ou du manteau, que ce soit dans une penderie ou parce qu’un trou au fond de la poche l’aurait fait glisser dans la doublure ? Si, pour toute la vie, il avait trouvé son destinataire ? Si elle ne s’était pas trompée ? L’idée lui plaisait infiniment. Il faisait sa joie, tout intérieure. C’était comme dans la chanson : « Je voulais te dire / Ne pleure pas Caillou / Je t’aime ».
Enfin, vous souvenez-vous de cette métaphore du vin à la maison de la poésie (voir ci-dessous)? Elle était déjà présente dans Le Dossier M, pour parler d’une rencontre amoureuse comme une révélation…
“M.
La lettre M.
M comme quoi ?
Comme le vin qui fait découvrir le vin.
Je ne peux pas mieux dire.
Un jour, on boit un vin qui fait découvrir le vin.
On avait déjà bu du vin; on en appréciait certains et moins d’autres; on n’avait rien bu.
On le découvre ce jour-là.
Ce jour-là, un vin nous fait découvrir le vin et c’est inoubliable. C’est une révélation pour la vie. On se rappelle de ce vin toute sa vie; On garde son goût intact. Il devient notre goût. Son nom et son millésime sont maintenant les nôtres. C’est une expérience fondamentale à notre niveau individuel des choses. Ce vin nous a ouvert les portes d’un monde que nous ne soupçonnions pas. Il nous a ouvert les portes d’un paradis sur terre. Ce vin n’est pas seulement du vin : il est le vin qui fait découvrir le vin. Il est l’éternité allée, avec sa robe, sa longueur en bouche, ses arômes, ses notes, son corps, son âme. Il est désormais notre étalon. Notre barre la plus haute. Un secret nous a été révélé et nous mourrons en emportant avec nous la saveur de ce vin qui nous fit découvrir le vin. Ou ne mourrons jamais.
(...)
Un jour, on lit un livre qui fait découvrir la littérature. On entend une musique qui fait découvrir la musique. On voit un tableau qui fait découvrir la peinture. On assiste à une corrida qui fait découvrir la corrida. On aime un être qui nous fait découvrir l’amour et, dans mon cas, ce fut M.
J’avais aimé auparavant; mais c’était auparavant. je n’avais rien vu de l’amour. Je n’imaginais même pas. Je parlais sans savoir.
D’où vient ce vin qui nous fait découvrir le vin ?
Pourquoi celui-ci et pas un autre ?
Qu’a-t-il d’unique ?
Qu’exige-t-il de nous ?
M comme - quoi ?”
5. (Sur la forme, on peut aussi évoquer dans ce qui vous rapproche, les tentatives de sortir du cadre, des formes (tu apprécies Travaux sur la N89 ?), l'improvisation (en musique, peinture), la difficulté avec la promo…)
Dans Le Dossier M se manifeste en effet la plus grande liberté. Il s’ouvre d’ailleurs par une épigraphe de John Coltrane :
“Je pars d’un point et je vais jusqu’au bout”
(la lecture des épigraphes au début de chaque chapitre est d’ailleurs un des nombreux plaisirs que réserve le livre !)
Pour dire cette histoire, il faut inventer un genre littéraire. Le dossier :
“Signifiant ici genre littéraire à part entière, au même titre que le roman, le conte ou l’essai. Car s’il nous manque une case, il nous faut l’inventer de toute pièce. Pas le choix. Qui marche dans les pas qui ne sont pas les siens ne va jamais bien loin. Il ne trace pas son chemin. Le Dossier M, donc.”
Le livre est aussi complété par des pièces mises à disposition sur un site.
“Il s’agit de ne plus me sentir à l’étroit. De repousser les murs, de ne plus être contraint par l'objet livre. de faire ce que j’ai à faire, comme je dois le faire, comme j’en ai envie.”
“Et qui sait, ai-je pensé dans mon lit. Voilà qui pourrait relancer la littérature. Voilà qu’elle pourrait profiter d’Internet au lieu d’en pâtir, ai-je souri dans le noir. D’autres pourraient d’ailleurs reprendre l’idée. L’améliorer. C’était peut-être le début de quelque chose.
En attendant, je ne veux pas écrire comme on prend le TGV : en filant tout droit, comme on dit “filer droit”; en traversant les paysages sans les voir, sans y aller voir, sans possibilité d’ouvrir la fenêtre, comme si tout ne faisait que défiler, saisi par la vitesse, l’auteur dans son fauteuil, sur des rails, dans une ambiance climatisée, jamais ivre.
Littérature de TGV.
Comme disait l’autre (Angus MacLise, batteur du Velvet Underground) : "Je refuse qu’on me dise à quel moment commencer et quand arrêter". Raison pour laquelle il quitta le Velvet juste après un concert où le groupe avait été payé pour jouer un temps que d’autres avaient défini à l’avance, selon des impératifs qui n’étaient pas les siens et qui n’avaient même rien à voir avec la musique.”
La difficulté avec la promotion est longuement formulée dans le livre 2.
« Dans les premiers temps, la curiosité l’emportait. Monter sur une estrade ? Parler dans le micro ? Passer à la télé ? Cela ne se refusait pas. C’était comme passer l’épreuve de je ne sais quel feu. Comment allais-je me débrouiller ? Parviendrais-je à supporter la pression ? Croirais-je que j’étais devenu quelqu’un parce que je passais à la télé ? Il s’agissait de me connaître moi-même. Il faut se voir dans certaines situations pour en avoir le cœur net.
J’ai vu. Je ne me suis pas senti devenir quelqu’un d’important ou de spécial. D’un côté, cela m’a rassuré sur mon compte ; d’un autre côté, je n’ai pas dépareillé. Je me suis comporté comme si la télé n’était pas le temple du pouvoir, avec tout ce que cela implique. Une fois l’émission terminée, j’étais plutôt amer. Soulagé aussi. Je transpirais sous les bras, mais je m’étais bien gardé de le dire à l’antenne.
Si je m’étais vu à la télé en même temps que j’y passais, je sais que j’aurais fait la grimace. Je me serais tiré la langue. J’aurais jugé ma complaisance avec la plus extrême sévérité et, ne voyant rien d’autre qu’un pitre de plus, je me serais envoyé mentalement des tartes à la crème en pleine poire.
Que faire ?
Faire du scandale ? Mais le scandale profite au spectacle. Il le renforce. La séquence finit par alimenter le zapping et les réseaux soi-disant sociaux.
Rester calme et posé ? Mais personne ne vous écoute, vous passez totalement inaperçu, vous êtes complètement balayé.
Chercher à développer un propos ? Mais vous êtes tout de suite ennuyeux, pontifiant et, de toute manière, il n’y a pas le temps.
Tout est prévu, tout est verrouillé. Les dés sont pipés au départ et à l’arrivée.
Vous êtes forcé de parler dans la langue de l’ennemi. »
6. (On y trouve un discours de ta part sur la marchandisation de la culture, la fin de l'intelligence, la disparition de la mémoire, l'absence d'artistes engagés, très convergents avec certains propos de Murat.)
Dans Charlot déprime, Grégoire Bouillier se rend à une manifestation des gilets jaunes à Paris. A l'origine de cette décision, son petit diable intérieur qui s’agite alors que depuis trois semaines les manifestations s’enchaînent.
“T’es écrivain oui ou non ? qu’il m’a jeté au visage. Car ils sont où, les écrivains ? qu’il s’est mis à fulminer dans tout l’appartement. Eux qui se passionnent tellement pour les individus, décrivent si bien leurs drames, tentent follement de réparer le réel, biopiquent à tout-va, auto-fictionnent à cent à l’heure… Ils sont où ? Ils sont morts ? Ils ont peur ? Ca ne les intéresse pas ? Pourquoi ? Ils sont du côté de la domination ? C’est donc vrai ? Serait-ce possible alors ? Ils ont des doutes ? mais j’en ai moi aussi ! N’empêche ! Aucune solidarité envers des Français qui ont osé répudier dans les urnes un néofascisme partout à la hausse et qui en sont si mal récompensés, d’où leur jaune cocu ? Ces messieurs-dames préfèrent s’offusquer à la télé de la montée des populismes plutôt que de soutenir le populo dans la rue, comme si ce n’était pas lié ? Ils n’ont pas le sentiment que le marché les nie aussi ? Les appauvrit financièrement et intellectuellement ? Réduit les œuvres de l’esprit à des produits interchangeables tous les six mois et la critique à un simple contrôle qualité ? Tu veux que je te dise (il pointe à cet instant un index accusateur vers moi), ces gens dans la rue, ils font le boulot à ta place, alors qu’ils en ont moins les moyens que toi (et je ne parle pas seulement d’argent). Ils prennent des risques - financiers, mais aussi physiques, psychologiques et juridiques - tandis que toi ? Muet tu restes ? Bien au chaud et à l’abri ? Le regard perdu sur la ligne bleue de la création ? Soucieux de vanter le meilleur des êtres confrontés à la dureté de la vie pourvu que cela reste de la littérature ? Merde alors ! Il n’est pas possible que le courage de s’élever contre l’ordre économique vienne uniquement de ceux qui en souffrent. Il n’est pas tolérable que le sentiment de sa propre dignité et de la dignité envers autrui vienne uniquement de ceux qui sont les plus méprisés. Ce n’est juste pas possible. Ce serait une honte intellectuelle de trop. Ces gens, ils se dressent contre ceux qui nient leur existence, mais aussi contre le primat de l’économie sur toutes les activités humaines - celles artistiques comprises - et l’incroyable censure qu’elle exerce sur les corps, sur les imaginaires, sur la vie des individus, sur leurs sentiments, sur leur psyché et leurs relations aux autres.”
Un rêve de Charlot, qui suit Charlot déprime, reprend le propos. C’est ici tout le cynisme d’un dirigeant qui s’exprime.
“Parce que nous portons des costumes-cravates, vous pensez que nous sommes des gens responsables, raisonnables, hypercultivés et soucieux d’idées supérieures. Mais nous sommes des punks, monsieur Charlot ! Nous avons détruit la culture en la réduisant à un marché; nous avons aboli la mémoire à force d’images et de paroles; nous avons annihilé a conscience en infantilisant tout le monde; nous avons remplacé l'intelligence par la morale; nous avons sapé la dignité humaine avec les people; nous avons anéanti le sens des mots grâce à la communication; nous avons même rendu les causes inutiles aux effets. En un mot comme en cent, nous avons tout APPAUVRI : les gens, la planète, les relations humaines, les idées, les plaisirs, l’usage du monde… Parce que cet appauvrissement est la condition de notre enrichissement. Ce que nous appelons “restructurer”. Ah ah ah.”
Que faire ? Y aller voir. C’est la décision qui ouvre Charlot déprime.
“Ecrire consiste à sortir, ce coup-ci. A aller dehors voir ce qu’il en est réellement. Si j’y suis ou pas. Constater de visu la teneur du récit qui, depuis trois semaines (et ce n’est apparemment qu’un début), fait effraction dans l’ordre fictif des choses. Ne pas être écrivain juste en pensée. Pas seulement sur la page. Aller sur le terrain. Raconter et non m’exprimer. Raconter ! Seule façon de me faire ma propre idée. De ne pas rester dans le flou, le vague, le confort des images télévisées. Le spectacle de l’émeute. Les commentaires patentés. Mes idées toutes faites aussi. Ma tendance à intellectualiser et à déplorer ensuite que la réalité contredise mes illusions. Seule façon d’apporter mon soutien, pour ce que cela vaut (pas cher assurément, mais pas moins que celui d’une majorité de Français, d’après les sondages). Ou plutôt, préciser la nature de mon soutien. Me le préciser à moi-même. Le confronter à ce qui se passe. A ce qui est. Il y a des rendez-vous qu’il ne faut pas manquer avec son époque. Même si je sais, pour l’éprouver dans mes fibres, la répugnance qu’il y a à rallier la foule quand on pense depuis le début que son salut passe par la solitude du travail. Sans parler de détestation de porter un uniforme, fût-il un gilet jaune. Et puis, à bientôt soixante ans, ce n’est pas très raisonnable (...)”
7. (Dans Le syndrome de l'orangerie, l’eau est un thème important, elle y est morbide, dormante, mais c' était déjà présent dans d'autres livres (Laurence / l'eau rance, le rêve de Charlot qui se déroule partiellement dans un univers liquide, la rencontre avec M. racontée dans les carnets avec l'image de l'eau vive..))
Dans L’Invité mystère, le narrateur raconte sa rencontre avec Laurence... où il retrouve le récit fait par ses parents des circonstances de son infection par des staphylocoques dorés, contractée lorsqu’il était enfant, et qui lui a fait perdre le goût.
“La vérité, c’est que je n’ai conservé aucun souvenir de mes staphylocoques dorés. Ou plutôt, je n’ai d'autres souvenirs que ceux que fabriquèrent mes parents en évoquant très souvent ce haut fait de mon enfance comme l’une des grandes peurs de leur vie. Leur version n’a jamais varié. A savoir qu’on les attrape en buvant de l’eau croupie et que j’avais dû les contracter en léchant la vitre du train qu’il fallait prendre, chaque dimanche soir, pour revenir de chez mes grands-parents. “Tu portais toujours tout à ta bouche”, affirme ma mère.
Quelque vingt-cinq ans plus tard je rencontrai une jeune fille dans un train qui me ramenait de Berlin; elle dormait, rencognée contre la vitre du compartiment; lorsque je passai dans le couloir, elle ouvrit les yeux et ce fut comme si elle m’amalgamait à son rêve : l’instant d’après, elle était derrière moi, s’accrochait à chacun de mes gestes et m’aimait pour les sept années à venir d’un amour virulent qui me prit à la gorge dès qu’elle me sauta au cou. Elle s’appelait Laurence, faute peut-être que “l’eau croupie” soit un prénom. Souffrait aussi d’une maladie de peau.
Lorsque je réalisai que cette rencontre reconstituait dans les moindres détails ce que mes parents m’avaient dit sur la manière dont j’avais attrapé des staphylocoques dorés, j’éclatai de rire. Et cessai aussitôt de désespérer d’un amour qui m’était apparu jusque-là invincible et funeste. Le choc amoureux qu’avait constitué notre rencontre était en réalité un choc toxique.”
Une partie du Rêve de Charlot se déroule aussi dans un univers liquide (et à la Eyes Wide shut) :
"Un couloir. Au sol un épais tapis rouge. Des appliques en acier chromé, fixées au mur, diffusent une lumière trouble et ouatée. Entre elles, des zones d’ombre, comme de brusques baisses de tension, de fugitives plongées stroboscopiques dans l’abîme. J’avance avec la sensation de marcher sur l’eau. J’arrive dans une grande pièce, sorte d’immense rotonde aux murs dorés et mouvants, ou bien liquides, je ne sais pas, une sensation d’équivoque en tout cas. Seuls ou par petits groupes, des hommes se tiennent debout, un verre de cognac ou un cigare à la main. Des femmes sont assises sur de grands canapés couleur fauve, la plupart dans des postures étudiées et buvant une coupe de champagne. Tous les invités portent un luxueux masque vénitien ou de commedia dell’arte, parfois assorti de grandes plumes, de dentelle noire, d’un tricorne. Certains hommes ont, comme moi, un gilet jaune passé sur leur habit. On les remarque d’autant mieux que les autres, bien lus nombreux, sont vêtus de grandes toges à capuche, le plus souvent noires, à la façon de maléfiques Pénitents. Les femmes, elles, sont toutes habillées de manière sophistiquée, avec des robes longues largement échancrées devant ou dans le dos, même celles dont la silhouette trahit un âge plus ou moins avancé. Personne ne parle ni ne bouge, ou très lentement. On dirait des automates attendant qu’on actionne le mécanisme qui les animera. Ou des algues dans un aquarium."
L’eau vive est, elle, multiple et amoureuse. Dans Le Dossier M, Grégoire reprend une réflexion notée dans ses carnets après sa rencontre avec M.
“Je te rencontre et il n’y a pas besoin d’explication. Liquide, l’eau ne s’explique pas. Elle n’en a pas besoin. Il lui suffit de s’écouler, fraîche et vive, par mille petits ruisseaux dévalant les montagnes, depuis les cimes enneigées jusqu’aux fleuves et enfin l’océan, avant de s’évaporer quelque part au large, de monter au ciel et, au sein des nuées, de cristalliser, de se ressourcer elle-même, d’enfler et de se gorger de nouveau, jusqu’à ce qu’entraînée par son poids et l’attraction terrestre, elle retombe sous forme de flocons et enneige les mêmes cimes et ainsi de suite. (...) Depuis toi, tous mes états d’esprit sont ceux de l’eau : à la fois liquide et gazeux et solide. Je suis son cycle tout en un. (...) Je voudrais que la volonté considérable que tu mets à me résister, tu la mettes considérablement à m’approuver.”
8. (Le terme de vitalité t'est cher, et tu nous as dit comme pour toi, Murat est la vitalité même, mais dans le livre, j'ai été frappé par ta description de Monet en Charon (le passeur des enfers), qui m'a immédiatement évoqué les mots de Bayon à l'enterrement de JL Murat, le décrivant comme un aède (ça nous ramènerait à Homère... mais non, pas de question cachée... fini), qui lui aussi descend pour nous en enfer.)
Dans Rapport sur moi, après une rupture amoureuse et quelques mois d'errance pendant lesquels il se laisse guider par des voix qui lui parlent, Grégoire Bouillier découvre L'Odyssée : un "miracle", lu "en une seule nuit transfigurée".
"Jamais auparavant je n'avais connu semblable expérience avec un livre, et par la suite non plus. C'était comme si j'offrais mon visage au soleil. Chaque vers semblait écrit à mon intention et s'infusait en moi, s'écoulant par mes yeux et mes oreilles. J'étais la lecture même.
Ou plutôt, c'était L'Odyssée qui me déchiffrait. Car tout s'éclairait soudain à sa lumière. D'inouîes coïncidences surgissaient entre ce que je lisais et ce que je vivais, les frontières étaient abolies et je pouvais voir entre les lignes par où moi-même j'étais passé. En filigrane des aventures d'Ulysse se révélaient les miennes, non pas identiques, mais reprises. Charybde et Scylla, les boeufs du Soleil, le cyclope... J'avais à ma manière vécu tout cela. Je pouvais citer les lieux et les dates. Renouer les fils. Les voix que j'entendais n'étaient pas celles des morts qui accaparent Ulysse descendu aux enfers ? A moi aussi les âmes des héros avaient cherché à raconter leur histoire. j'étais donc descendu en enfer ? Alors L'Odyssée était l'oracle qui m'enseignait mon avenir... Il me fallait parfois poser le livre pour reprendre ma respiration."
Bibliographie
Rapport sur moi, éditions Allia, 2002. Prix de Flore 2002.
L'Invité mystère, Allia, 2004
Cap Canaveral, Allia, 2008
Le Dossier M, Flammarion, 2017. Prix décembre 2017
Le Dossier M, Livre 2, Flammarion, 2018
Le Dossier M, édition augmentée ( !), 4 volumes chez J’ai lu
Charlot déprime suivi de Un rêve de Charlot, Flammarion, 2019
Le Cœur ne cède pas, Flammarion, 2022. Prix André Malraux 2022, choix Goncourt de la Pologne 2022, prix Balzac 2023
Le Syndrome de l'Orangerie, Flammarion, 2024
- L'interview de Grégoire à la maison de la poésie en début de soirée: (mon compte-rendu ici : " Et finalement Grégoire Bouillier et Eric Reinhardt s'agitent en gogo danseurs sur "Le cri du papillon" au deuxième rappel" )
Au milieu des préparations pour le Week-end Murat, yes sir!, j'ai pu passer une petite heure au téléphone avec Fabrice Nataf, qui a signé Jean-Louis Murat en 1986 chez Virgin. C'est un peu un oublié des biographies de Jean-Louis et il en est un peu surpris! Faute peut-être à l'étiquette Bill Baxter-Daho-Liane Foly (entre autres) qu'il a pu avoir (d'ailleurs, les biographes de Manu Chao l'oublient aussi alors qu'il a signé la Mano - "ils étaient 8, une voix chacun, et Virgin, une voix!"-NDLR: le passage d'un tel groupe alternatif chez une Major était un événement à l'époque-). En tout cas, il récuse en s'en amusant tout-à-fait le propos de Jean-Louis Murat sur le fait qu'il l'aurait signé parce que sa petite amie de l'époque aurait apprécié sa musique. Il connaissait "Suicidez-vous le peuple est mort", et a accepté un rendez-vous et l'écoute des maquettes a permis de valider. Il garde en mémoire une biographie officielle où il était indiqué "signature avec Fabrice Nataf". Cette mention l'avait touchée. Autre souvenir : Jean-Louis lui disant "si tu ne m'avais pas signé, j'aurais arrêté la musique". Il doute que cela soit vrai mais c'est conforme à certains propos de Murat.
"mais franchement, c'est l'artiste avec lequel j'ai pris le plus de plaisir à travailler. Sa culture, son intelligence. On était parti en vacances en Auvergne, je me rappelle, on était passé chez Denis, et puis chez Jean-Louis. Je me rappelle, il m'avait parlé pendant 2 heures des quotas laitiers! Et il n'y avait que lui pour rendre ça intéressant! C'était passionnant. Pendant ce repas, il y a un type qui est passé, peut-être un député, de droite, un peu prétentieux et Jean-Louis avait eu cette phrase "oui, il est sympa mais je suis sur qu'il n'a jamais vu un film de Bill Wilder en entier". Autre phrase gardée en mémoire: "ce qui est important ce n'est pas la question, c'est la réponse".
Petite anecdote sur l'épisode Besson : Vu qu'il était "le roi" après l'immense succès du Grand Bleu, le réalisateur convoque Gaumont et Virgin (Nataf), et explique son projet, une suite, avec une BO originale signée par des artistes qu'il a choisis... et lui de sortir sa liste: Madonna ("euh, Madonna, LA Madonna? - oui"), The Cure... tous les plus grands... et le seul français Murat... Et tout le monde a accepté! Sauf Miles Davis, le manager demandait 50 000 dollars pour simplement poser la question à Miles. Besson était prêt à infiltrer un hôtel déguisé en groume pour aller le trouver, mais Fabrice ne l'a pas suivi dans ce projet! Après un essai avec les images avec quelques titres, tout le monde s'est rendu compte que cela ne fonctionnait pas... et Murat a donc récupéré sa musique (dont "le col de la croix morand").
Pas mal comme teaser d'interview, non? Vous êtes impatients? ... Bien fait pour vous! Vous n'aviez qu'à tous prendre vos billets pour le week-end Murat, yes sir! J'aurais eu plus de temps!
Fabrice est parti aux éditions EMI, a dirigé d'autres labels, signé Morgane Imbeaud chez Belleville (juste avant la cession d'activité du label)... mais est toujours resté dans ce milieu, jusqu'à créer sa structure Freedonia (distribution avec Sony). Il y a travaillé avec Kimberose, Mr Mat, Marie Sarah... et vient de signer Lili EM, une invitée du Week-end Murat!
Le contact s'est fait tout simplement par les réseaux sociaux, Fabrice a écouté les maquettes préparés avec Vivien Bouchet (ex Kaolin) et il a adoré. La rencontre s'est bien passée, et ils ont décidé de travailler ensemble. C'est le tout début de l'aventure, avec juste un premier single "Mademoiselle", et Fabrice est très satisfait des écoutes spotify... "alors qu'on n'a rien fait, pas de clip". "J'adore cette fille, je trouve qu'elle a un talent fou, et ça m'a fait marrer et aussi très plaisir quand elle m'a dit qu'elle allait faire un hommage à Jean-Louis Murat, d'ailleurs, j'aimerais bien qu'elle fasse une cover, il n'y en a pas eu suffisamment. D'ailleurs, j'avais fait un essai avec Anna Mouglalis sur "le venin", mais ce n'était pas concluant". Je l'ai interrogé sur le passage un peu obligé à la référence à Murat pour un artiste qui vient d' Auvergne. Pour lui, ce n'est pas le cas, il n'en avait pas été question avec Lili Em (il est vrai que son univers est plus éloigné de Murat que celui d'une Adèle Coyo par exemple, pour la référence à la nature par exemple). En tout cas, l'aventure ne fait que commencer pour Lili, avec un EP à l'automne, avant un album.
Voici maintenant un mot de LILI EM sur Jean-Louis MURAT:
Enfant, Jean - Louis Murat
était d'abord pour moi cette voix, que je trouvais bien sûr mystérieuse, puis plus tard cet homme énigmatique à l'aura pour ainsi dire très magnétique...
J'ai découvert les mots de "l'éphémère", la chanson "regrets", qu'il chantait avec Mylene Farmer que j'écoutais beaucoup, le "Mont sans souci" évidemment... Sa plume, sa verve en interview...
S'il est un regret pour moi en tant qu'artiste de la région, c'est d'ailleurs de ne l'avoir jamais rencontré. J'aurais vraiment aimé, mais je l'ai vu en concert. Dans mon parcours, j'ai rencontré des personnes qui le connaissaient bien, et aujourd'hui étant signée sur le label Freedonia, je suis honorée de travailler avec Fabrice Nataf, alors je vois comme un petit lien avec lui :)
L'ingénieur du son, Rémy, qui m'accompagne aujourd'hui l'accompagnait aussi sur ses tournées.
Je crois de toute façon que comme pour beaucoup, et notamment pour les artistes, auteurs, compositeurs, de la région et au delà, il y a ce sentiment particulier, cette aura, cette sensation quand on pense à lui et à son oeuvre.
J'ai beaucoup entendu parlé de sa façon de travailler, et de l'artisan de la chanson qu'il était. C'est vraiment fascinant.
Il y a ses chansons bien sûr, mais aussi l'image que je garde, celle que j'ai toujours eue de lui : la puissance et la douceur de son regard... énigmatique...
Je suis très heureuse de pouvoir participer à cette nouvelle édition, j'ai assisté à la précédente en tant que public et je me souviens encore de l'émotion qui régnait...
Courte interview radio de Lili Em sur Logos FM où est recommandé le week-end Murat!
On rappelle que la précommande est lancée. Voir l'article précédent du blog.
- Une messe a été donnée à Issoire à l'initiative de deux fans (c'est à dire qu'on paye pour que son nom avec d'autres soit prononcé afin que des prières lui soient adressés).
- Notre camarade Laurent Cachard a annoncé qu'il va sortir un livre sur Murat, un peu sur le modèle de son livre consacré au Voyage de Noz, c'est à dire avec les billets de son blog consacrés à Jean-Louis que l'on a généralement relayé ici, et d'autres textes inédits. Il vous en dit plus ici.
- On a fait la liste il y a peu des écrivains muratiens... On peut ajouter Armand Gautron auteur de polar en Haute-Marne, qui travaille à côté d'une affiche de Jean-Louis https://jhm.fr/gautron-cest-trop/
- autres dates: 7/06 : concert Cover band MUSTANG à la librairie « Les livres enchantés » de Chaulnes,virage jean-louis murat 14/07, 30/08 Dépot d'une plaque à Roche-Charles.
LE LIEN EN PLUS
On a déjà eu plusieurs billets de Tanguy Pastureau évoquant Jean-Louis Murat (J'avais tenté de le contacter via le mail radiofrance sans succès). Dans un de la semaine dernière, il remercie Mylène Farmer de lui avoir fait découvrir Jean-Louis Murat...
Après Franck Courtès qui nous avait raconté avoir fini dans un lit avec Jean-Louis, après Frank Loriou, dont nous avons parlé à de nombreuses reprises (et ce n'est pas fini), voici à l'honneur un troisième œil, un autre regard, celui de Carole Epinette. Par le nombre d'occasions qu'elle a eues de "shooter" Jean-Louis, et le caractère iconique de certaines photos, elle occupe, avec Frank Loriou, une place particulière dans la carrière du chanteur, qui aura été pourtant sous l'objectif des plus grands : Mondino, Rheims, Sieff, Richard Dumas...
Carole est donc photographe rock depuis au moins 25 ans (pour les plus grands magazines et journaux notamment Best, Rock and Folk, Libération, Le Monde), et même très rock car les amateurs de "heavy métal" la connaissent bien pour ses clichés de Metallica, Motörhead, AC/DC, Manson. Elle a aussi saisi saisi sur le vif ou en coulisses les Sex Pistols, Alain Bashung, les Stones, Indochine, James Brown, The Cure, Pete Doherty, Bowie, et bien d’autres encore. Mais dans ses livres et expositions, elle laisse souvent une place à l'Auvergnat, comme dans son ouvrage Rock is dead en 2017 ou sa dernière exposition parisienne (café Caumartin, d'octobre 2024 à janvier 2025).
Carole Épinette est installée dans le Lot et c'est un indice pour trouver ses centres d'intérêts autres que la musique...
On avait déjà été en contact pour une participation au Week-end Murat en 2024, mais ça n'avait pas été possible... Carole a fait en sorte que cela le soit cette année, un grand merci à elle, qui comme tous les artistes présents, s'engage à nos côtés par amour, fidélité, à Jean-Louis Murat et par sympathie pour l'événement bénévole et amical. Ceci n'empêche pas de vouloir vivre de son travail et c'est aussi important pour nous de faire le maximum pour les artistes présents (d'où l'augmentation du pass cette année). C'est pourquoi il vous est proposé de faire l'acquisition de photos de Carole (tirages d'art, authentifiés, numérotés - 30 exemplaires maximum, de différents formats, nus ou contre-collés professionnellement sur plaque alu Dibond) à un prix tout-à-fait raisonnable (par rapport aux prix proposés par des agences) et livrables le week-end (ou non). Si vous êtes intéressés, Carole vous proposera une sélection d'une trentaine de photos. Veuillez la contacter à rockisdeadphotos[...]gmail[...]com ou en passant par la zone de contact du blog. Il est aussi possible de demander de vous faire tirer le portrait !
Carole Epinette, Rock fictions, livre paru en 2018 au Cherche-midi, avec des textes de Nothomb, Doherty, Thomas VDB, Bernard Minier.
PS: Je fais le choix de ne pas illustrer cet article avec des photos de Carole, et encore moins les inédites, pour privilégier leur utilisation dans la presse.
Bonjour, Carole !
- Je ne vais pas vous faire répéter comment vous êtes devenu photographe, puisque vous l'avez raconté ailleurs, avec la presse hard rock (Hard N’ Heavy, Rage). Avez-vous rapidement travaillé pour des labels ? Est-ce que c’est un travail différent ?
C. Epinette: Oui j’ai assez vite travaillé pour des labels. Le travail n’est pas différent. Il nécessite toujours de l’écoute sur les besoins, de la variété dans les images… Il est indispensable d’être créatif car les photos vont servir à alimenter toute la presse, les supports de communication pour la promotion (plv, album, affiches, etc..)
Xroads avec la discographie signée par Yann Giraud, notre conférencier de cette année!
- On connaît particulièrement votre session avec Murat en 2011 pour Grand Lièvre, mais vous l’aviez déjà photographié en 2009 en concert et je crois déjà chez lui ? Comment s’est passée cette rencontre ?
C. Epinette: Je l’avais rencontré et photographié trois fois avant la séance de 2011 : en mai 2009 pour son concert à la Cigale à Paris (j'avais aussi assisté aux répétitions, à la balance avant ce concert) puis chez lui en Auvergne en juillet 2009 et enfin pour son concert au Bataclan à Paris en Avril 2010.
La rencontre chez lui en 2009 a été mémorable. C’est son label Universal qui m’avait demandé d’aller faire une séance chez lui car Jean-Louis avait beaucoup aimé mes photos live de la Cigale et il était prêt à me rencontrer. Il m’a fait entrer dans son jardin, en tenue débraillée, n’a pas ouvert la bouche et a passé au moins deux heures à m’observer interagir avec ses enfants et sa femme. J’ai beaucoup ri avec sa fille car j’avais avec moi le Lonely Planet du Costa Rica que je feuilletais pour un voyage prévu quelques jours après, je lui montrais les photos et lui expliquais ce que je souhaitais faire là-bas. Avec Justine nous avons beaucoup parlé des animaux… Je ne faisais pas attention à Jean-Louis parce que je sentais bien qu’il était en phase d’observation et que, surtout, il fallait le laisser à son rythme, sans rien presser.
Au bout d’un moment, il est venu me voir et il m’a dit qu’il était d’accord pour faire les photos. Son appréhension était palpable, je sentais que c’était vraiment quelque chose pour lui de se prêter au jeu du portrait photo. Pour que cela soit plus doux pour lui, j’ai demandé à Justine d’être mon assistante photo et de tenir mon flash sur trépied… Cela a occasionné quelques sourires de Jean-Louis et quelques inquiétudes de ma part quand le flash était dirigé à l’opposé de lui !
J’ai travaillé vite pour « libérer » Jean-Louis de ce moment difficile pour lui. J’ai été touchée de ce qu’il m’a confié sur les émotions que cela créait en lui et sur son rapport à l’image.
Pour finir, il m’a dit: « tu restes dîner en famille » ?
Quelque chose s’était ouvert entre nous …. Je crois que je peux lui donner le nom de CONFIANCE.
- Est-ce que le travail avec Nikola Sirkis a été un élément de connexion ? (vous figurez sur ce qu’on peut considérer comme le plus gros succès public de Bergheaud : l’album Paradize d’Indochine!)
C. Epinette: Aucune idée. Il ne m’en a pas parlé... ou je n’en ai pas gardé souvenir.
- Est-ce qu’il y avait un lien particulier avec Jean-Louis ? Est-ce que le côté rock dont vous veniez a pu lui plaire ?
C. Epinette: Oui il y a eu je crois un lien particulier. Je vous ai raconté notre première « vraie » rencontre en 2009.
Cela a vraiment ouvert la porte à une relation de confiance. C’était très beau à mes yeux de le voir s’ouvrir comme cela. J’ai été émue de sentir au départ un homme méfiant, que l’on venait déranger dans sa grotte... qui prenait le temps de sentir, d’observer comme le ferait un animal… puis d’un coup de lâcher son appréhension et de s’ouvrir… dans la confiance.
- Vous avez fait une des rares couv du Cours ordinaire des choses avec Cigare magazine ! A l'intérieur du magazine, il y a la photo de Murat fumant le cigare (le tirage est commandable, même si le tirage de fumée n'est pas recommandable!). Il s'agit d'une commande pour cette revue ?
C. Epinette: Durant la séance photo Jean-Louis a eu envie de fumer, j'ai suivi son envie et j'ai profité de la fumée. Je n'ai pas le souvenir si c'était ou non une demande spécifique de sa part.
- J'aime beaucoup une photo dont la lumière me renvoie à un western fordien. Cheveux longs période Cours ordinaire des choses, mais le cadre est le même que la pochette de l'autre album américain de JL : Mustango (on reconnaît la chaîne). Vous y aviez pensé ?
C. Epinette: Pas du tout ! je ne connaissais pas l'album Mustango au moment où j'ai fait cette première séance photo avec jean-Louis.
Il est important de savoir que pendant une séance photo, je me laisse inspirer dans l'instant par ce qui se présente. J'ai rarement des idées de cadrages en amont puisque je m'adapte à ce qui passe dans l'instant.
Je peux par exemple avoir l'idée de rapporter des waders pour faire des photos dans l'eau mais je n'ai pas le cadrage ou la lumière dans la tête à ce moment là, ni l'endroit précis d'ailleurs. Sur place, je regarde, je ressens et c'est parti !
- Parlez-nous justement de cette session de 2011 vraiment fameuse, avec Murat habillé dans le Servière (le sympathique garde du lac, qu’on retrouve au téléphérique l’hiver, n’approuverait plus), et dans ce que j’ai appelé son antre (le fameux grenier), ou en bord de route..
C. Epinette: En 2011 c’est directement Jean-Louis qui m’a appelé, pas son label. J’ai beaucoup souri au téléphone parce que j’ai été un peu « cash » avec lui. Je lui ai dit que cette fois-ci, si j’acceptais, ce serait une vraie longue session, que j’avais plein d’idées, que je voulais le prendre en photo au milieu du lac.. que je voulais des portraits serrés, que je souhaitais aller à plusieurs endroits etc etc. J’ai mis la barre un peu haut en m’attendant à des discussions avec lui, à devoir « marchander » un peu sur mes envies… et non ! Il m’a répondu « oui tout ce que tu veux, j’ai confiance maintenant ». Eh bien … ça m’a coupé la chique !
Ce moment a été si précieux…
J’avais apporté les waders de mon amoureux pour que Jean-Louis puisse aller dans le lac tranquillement. Il a tout accepté, c’était un moment léger et intense en même temps… joyeux et profond… tellement de gratitude pour tout ça.
Libération
- On découvrira des photos restées inédites prises chez lui. Est-ce que cet environnement était trop privé pour qu’il les retienne ?
C. Epinette: C’est lui-même qui m’a proposé des photos dans son antre… cet espace où il composait … là où il y avait ses guitares, ses écrits, son énergie de musicien, d’artiste de génie.
Il me semble que certaines photos ont été retenues dans une sélection mais qu’elles n’ont peut-être tout simplement jamais été utilisées. Je ne suis pas certaine de cela.
- Et puis, il y a beaucoup de photos live. Des souvenirs de ces concerts ?
C. Epinette: Je n’ai pas de souvenirs particuliers en live si ce n’est d’avoir fait attention à ne pas me mettre sous son nez... à respecter son espace… à le laisser exulter sur scène et à simplement être un témoin discret de ce spectacle... en tendresse amicale.
- Est-ce qu’il y en a une photo qui vous est particulièrement chère ?
C. Epinette: Oui… Celle où derrière la fenêtre de chez lui il regarde ses montagnes chéries… des gouttes d’eau ruissellent, sa main est posée sur la vitre… comme un au revoir… Je la trouve très poétique.
Cette photo, choisie par ses plus proches, a accompagnée le cercueil durant la cérémonie.
A chaque fois que je la regarde depuis, elle m’émeut... encore plus…
- Les photos derrière la vitre sont en effet très belles, elles invitent à de nombreuses interprétations (notamment vos clichés, de manière évidente avec ses montagnes qui se reflètent) et ce n'est peut-être pas un hasard si la photo préférée de F. Courtès a été prise ainsi (la photo qu'il nous a prêtée pour Aura aime Murat, et la première édition du Week-end). Est-ce que vous avez utilisé des techniques photographiques particulières (j'ai cru voir qu'il y avait des outils spécifiques)?
C. Epinette: Pas de technique particulière pour cette photo....j'ai été inspirée par l'amour et la sensation de nostalgie que j'ai ressentie en Jean-Louis lorsqu'il regardait ces montagnes. Cette nostalgie qui est accentuée par sa main posée sur la vitre.
- Et une photo de Murat que vous auriez aimé avoir fait ? Vous appréciez beaucoup Jean-Lou Sieff…
C. Epinette: Oui, j’aime beaucoup Jean-Lou Sieff, c’est l’un des photographes qui m’a donné envie de faire ce métier, tout comme Sebastiano Salgado … mais ce n’est pas parce que j’aime les nus de Sieff que j’ai eu envie d’en faire avec Jean-Louis !
- Vous appréciez beaucoup l’Afrique où vous avez eu l’occasion de travailler et voyager, notamment pour les animaux. Murat étant un peu prisonnier de son étiquette américano-auvergnate, on sait peu de choses sur son intérêt pour ce continent à part un séjour en Egypte (Marie Audigier a sans doute contribué à sa connaissance de l’Afrique noire par la suite) comme celui pour l’Asie (un peu plus documenté malgré tout). On l’a dit intéressé un temps par le bouddhisme . Est-ce que ça a pu être d’objet de discussion avec lui ?
C. Epinette: Nous n’avons pas évoqué le bouddhisme… Dommage j’aurais adoré échangé à ce sujet avec lui et lui raconter mes nombreux voyages et expériences en lien.
- Murat est un modèle pour certains dans le fait de mener carrière en restant en « province » . Vous avez choisi aussi de vous installer loin de Paris… Ça vous rend la vie professionnelle sans doute plus compliquée ?
C. Epinette: J’ai décidé de m’installer en Dordogne en 2012. Oui cela a changé beaucoup de choses à ma vie pro mais c’était un choix mesuré. Je continue de faire des portraits. Tant de personnes ont envie de garder un souvenir d’elles, ou de se voir d’une façon qu’elles n’avaient encore jamais expérimentée. Je tente d’être toujours le témoin de ce que l’autre à à m’offrir de lui/d’elle et quand la confiance s’installe tout peut se passer… Il y a juste à cueillir.
Ce qui a changé c’est que les personnes que je photographie maintenant sont moins « célèbres » que les rock-stars que j’ai côtoyées pendant 25 ans mais qu’est-ce qu’elles sont magnifiques !
Ce qui m’intéresse, c’est la rencontre de l’humain... de cette sensibilité, de ce rayonnement à l’intérieur de chacun.e.
- Avez-vous luLa dernière photo de Frank Courtès ? Comprenez-vous qu’on puisse abandonner la photographie (du fait du marché tourné vers le portrait, entre autres affres du secteur - la presse peu délicate ?) Aimeriez-vous travailler sur d'autres sujets (on trouve quelques photos de nature sur votre site) ?
C. Epinette: Non, je n’ai pas lu ce livre.
Oui, le monde de la photo a changé avec l’arrivée du numérique, avec cette culture de « l’image gratuite » que véhicule internet.
Je comprends que l'on ait envie d’arrêter si on est tourné sur le passé et si la nostalgie gagne sur le moment présent. Oui c’est vrai que le lien était autre avant mais la Vie est mouvement… Tout bouge.
Le passé n'est plus et le futur pas encore là... Ce qu'il est proposé de vivre c'est le présent... Alors profitons en de ce moment.
Je crois que ce qui est important c’est de ressentir de la joie dans ce que l’on fait. Si elle n’est plus là... Oui, il est vital de bouger… pour retrouver cet élan vital.
Merci Carole! On fait court car les spectateurs du Week-end Murat, yes sir! auront ainsi l'occasion de vous poser en direct d'autres questions pendant les deux soirées. Et on laisse le mot de la fin à Frank Loriou:
Je ne connais pas personnellement Carole Epinette mais je connais bien sûr son travail. C’est une vraie photographe rock, dans le plus noble sens du terme, qui a fait beaucoup de portraits dans les coulisses des concerts, et shooté de très grands noms. J’ai découvert son travail dans Rock&Folk, notamment. Elle a aussi fait de très belles sessions, comme avec Jean-Louis Murat dans le lac du Servières, en avril 2011. Ma première session avec JL Murat a eu lieu quelques mois plus tard, en juillet 2011, où je suis venu faire des images pour la promotion de l’album Grand Lièvre, notamment la photo dans la prairie avec le manteau noir, qui fut affichée en 4x3 sur les quais du métro. Je ne connaissais pas les photos de Carole Epinette, ni même leur existence, mais je connaissais bien le lac, et j’ai proposé à JL Murat d’aller faire des images là bas. À quoi il me répondit qu’il venait justement de s’y plonger, quelques semaines auparavant ! Mon estime pour le travail de Carole Epinette n’en a été que plus grand encore, qu’elle ait repéré tout de suite ce si beau lieu ! Par la suite, Jean-Louis a choisi que je sois le seul à le photographier pendant une dizaine d’années, après s’être photographié lui même pendant aussi longtemps, et je lui en suis extrêmement reconnaissant. Je pense que je l’ai aidé à retrouver le goût et l’envie de ce que peut apporter un photographe, par son regard extérieur. Progressivement il a recommencé à s’ouvrir à d’autres photographes, et c’est bien naturel. À chaque session je n’étais jamais certain de faire la prochaine, c’était à chaque fois un cadeau, une surprise,une nouvelle aventure !
Voilà quelques années que nous croisons Richard Beaune ici. Journaliste de France3, à Clermont, c'est un des acteurs médiatiques de la vie musicale en Auvergne. Il était avec son équipe à la soirée "Te garder près de nous" à la Coopérative de mai le 25 mai 2024. Nous attendions donc un petit reportage dans le journal télévisé régional... en vain... et c'est là qu'il nous a appris qu'il préparait une émission plus longue (surprise: nous pensions que c'est Lætitia Masson qui bénéficierait en exclusivité de la captation de la soirée par les équipes de Biscuit Productions).
L'émission est annoncée : mercredi 27/11 à 23 heures sur F3 Auvergne-Rhône-Alpes et france.tv. Et Richard en assure sa promotion lui-même, en activant des réseaux sociaux... et en acceptant de répondre à quelques questions pour Surjeanlouismurat.com. C'est le signe que ce travail lui tient à cœur, et qu'il espère que cette émission rencontrera l'adhésion des "muratiens" même si son objectif est plus ambitieux : présenter Jean-Louis Murat à un public qui peut le méconnaître... à travers des interviews mais en laissant une très bonne place à de la musique live. Il s'agit donc d'un portrait, plus qu'un reportage sur la soirée, les coulisses, les émotions du public.. même si on revisite avec plaisir de nombreux coins de la Coopé. L'émotion est quand même rendez-vous... pour certaines interviews et pour moi, sur une petite séquence du final pendant lequel les artistes chantaient "le lien défait". Une interview un peu promo, promo...mais j'ai fait ce que j'ai pu!
bonjour Richard!
- Quel est votre parcours et votre histoire avec la musique en général ?
R. Beaune :J’ai commencé ma carrière de journaliste à Saint-Etienne dans la télévision locale TL 7. J’ai ensuite rejoint les équipes du réseau France 3 et j’ai travaillé quelques années en tant que « pigiste » dans plusieurs stations de France. J’ai rejoint la rédaction de France 3 Auvergne à la fin de la décennie 2000 et c’est là que je travaille toujours comme journaliste et présentateur.
La musique a toujours fait partie de ma vie, non pas en tant que musicien mais plutôt en tant qu’auditeur boulimique. J’ai une collection de plusieurs milliers de vinyles où se côtoient des artistes français et des groupes de rock psyché, du blues, du folk, de l'électro mais aussi du rap et du RnB. Je suis un passionné de culture en général : gros lecteur, gros amateur d’expos d’art… Très vite, ces passions ont déteint sur mon métier et j’ai bien été obligé de défendre la culture dans nos éditions. Je suis à l’origine d’un agenda culturel à France 3 Auvergne qui est devenu une « petite » institution : chaque vendredi, dans « PILS » (Par Ici Les Sorties), avec ma consœur Valérie Mathieu, on s’amuse comme des petits fous à écumer les grands rendez-vous culturels de la région. Je m’occupe également à Clermont-Ferrand d’un rendez-vous musical régional intitulé « Studio Trois » où nous invitons à se produire en live un artiste ou groupe de la région.
- Est-ce que vous avez ressenti comme Didier Veillault une certaine difficulté à vous intégrer en Auvergne ? *
R. Beaune :C'est drôle cette question parce qu'à la base je suis Auvergnat. Je suis né à Montluçon et j'ai passé mon enfance dans les Combrailles, à Saint-Eloy-Les-Mines. Mais je sais que beaucoup d'Auvergnats ne considèrent pas le Bourbonnais comme faisant partie de l'Auvergne ! Néanmoins, j'ai fait mes études à Clermont-Ferrand avant de migrer vers Saint-Etienne.
Pour autant, lorsque je suis revenu dans la région, je me suis pris la froideur auvergnate de plein fouet. J'ai mis un temps fou à m'intégrer dans la rédaction de France 3 Auvergne. Au début, j'avais le sentiment que mes collègues me jaugeaient et cherchaient à savoir à qui ils avaient affaire. Aujourd'hui, je suis un vrai Auvergnat, peut-être pas très avenant au début mais d'une fidélité à toute épreuve.
*Dans "une histoire du rock à Clermont", il indiquait n'avoir jamais été invité le soir par des relations... et qu'en réunion, dix ans après son arrivée, un collaborateur lui avait sorti au détour d'une conversation : "toi, qui n'est pas d'ici...".
- Sur le parcours, j avais prévu de parler de quelque chose qui se rapproche du "militantisme" ou d’un engagement pour la musique, notamment via le blog Pil's, qui ne me paraît pas une " commande" de votre direction ?
R. Beaune :Il se trouve que le blog de PILS était non pas une commande mais plutôt une proposition de la direction. Quand France 3 a commencé son tournant vers le numérique, ils ont donné la possibilité à certains journalistes désireux de le faire de créer leur propre blog et de laisser le journaliste y exprimer ses idées. J'avais une liberté totale quant au contenu que je publiais.
Et c'est évidemment la culture que j'avais envie de défendre. Alors oui, il y avait une part de militantisme dans l'affaire mais lorsqu'on est journaliste et qu'on souhaite parler de culture, tout particulièrement à la télévision et sur les chaînes généralistes, il faut forcément être un peu militant. Les reportages culturels sont généralement confinés à la fin du "canard" et il faut parfois se battre pour convaincre son rédacteur en chef de l'intérêt du sujet. Même pour réaliser ce magazine en hommage à Jean-Louis, j'ai dû faire face à des inquiétudes. Certains craignaient que Murat soit trop triste, que le personnage soit un peu trop à la marge... Heureusement, quand ils ont vu le résultat, ils ont tous changé d'avis et je soupçonne même certains d'écouter du Murat en boucle à l'heure qu'il est. Pas peu fier... Mais ici, à France 3 Auvergne Rhône-Alpes, tout le monde me fait confiance et me donne la possibilité de mettre en avant beaucoup d’événements culturels.
La culture, que ce soit la musique, l'art ou la littérature, peut être plombante pour celui qui ne fait pas l’effort de s'y intéresser! Et je comprends que certaines personnes, prises dans leur quotidien, n'aient pas le temps de donner un coup de pouce à leur curiosité et attendent qu'on leur dise "ça c'est bien" pour y aller. C'est donc ce que je voulais faire dans ce blog, c'est ce que je fais dans n'importe lequel de mes reportages et ce que je veux faire encore longtemps. Heureusement pour moi, je travaille dans le service public et dans la tête de beaucoup à France 3, parler de culture dans nos journaux fait partie de nos missions.
- La première télé de Murat tend à montrer que France 3 Auvergne a malgré tout toujours joué un rôle... (Plus en Auvergne qu' à Lyon? Je me rappelle plus de la chaîne TLM sur le rock - concerts du Globe...)..
R. Beaune : Je ne pense pas que France 3 ait joué un rôle dans la carrière de Jean-Louis Murat. Moins que Mylène Farmer en tout cas. Mais c'est vrai qu'il a fait ses premiers pas à France 3 Auvergne (l'archive est d'ailleurs présente dans le magazine). Pendant les premiers temps de sa carrière, l'artiste a été régulièrement suivi par France 3 Auvergne. Et puis je ne sais pas ce qui s'est passé mais il a disparu de nos archives. Sans doute plusieurs raisons à cela : il est arrivé un moment où il n'avait plus besoin de venir faire de promo sur les antennes locales pour vendre des disques. Il se peut donc qu'il ait décliné pas mal de nos sollicitations. Et puis je pense que le personnage n'étant pas facile, les journalistes n'ont pas vraiment eu envie de s'y frotter.
Pour ma part, j'ai eu l'opportunité de l'interviewer pour la première fois à l'époque de Babel. Je connaissais bien Alexandre Delano pour avoir déjà fait quelques reportages sur le Delano Orchestra. C'est ce dernier qui m'a proposé une interview à deux, lui-même et Jean-Louis au bord du lac du Guéry. Il faisait froid et les deux avaient en horreur l'exercice. Autant vous dire que cet épisode n'a pas été mémorable. A partir de ce moment-là, je n'ai eu qu'un objectif : réussir une interview de Jean-Louis Murat. C'est-à-dire, l'ennuyer le moins possible. Après néanmoins, il a accepté de refaire des interviews avec moi, j'ose imaginer que ça n'a pas été un si grand calvaire pour lui!
- En fait, sur la question 4, je parlais de Murat pour donner un exemple des artistes locaux qui ont la possibilité d’avoir un peu de visibilité grâce à l’antenne régionale... Depuis longtemps et de plus en plus avec Studio 3... (les camarades comme le Voyage de Noz, Delayre, Stan Mathis... [Même si Aura aime Murat avait été refusé m a t'on dit 😉]). On en profite pour saluer Christian Lamorelle qui vous a précédé et figure dans le "hall of fame" du livre "50 ans de rock à Clermont-Ferrand". Comment se passe la programmation de Studio 3 ?
R. Beaune :Effectivement, France 3 Auvergne a toujours soutenu la scène musicale auvergnate. Bien avant Studio Trois, Christian Lamorelle organisait déjà des sessions d'enregistrements de groupes locaux, on n’a donc rien inventé. A l'époque, l'antenne de France 3 Auvergne proposait beaucoup de programmes en dehors du journal régional. Quant à Studio Trois, ça a d'abord été Backstage, une émission réalisée dans les sous-sols de Lyon. En Auvergne, le studio a été réalisé bien plus tard sous l'impulsion d'Alexandre Jais, un ingénieur du son touche-à-tout de notre équipe. France 3 Alpes a ensuite créé le sien et la direction régionale a décidé de tout réunir sous la même bannière, à savoir Studio Trois. Depuis, je suis davantage force de proposition dans les artistes présentés. Le final cut, c'est Franck Giroud, responsable d’édition culture à France 3 Auvergne-Rhône-Alpes qui le détient, à Lyon.
- Puisqu'on y est, profitons-en aussi pour penser aussi à Pierre Ostian (décédé trop vite), créateur de l’émission « Montagne » et à son "successeur" Laurent Petit-Guillaume (« chroniques d’en haut ») qui ont mis à l’honneur Murat sur les antennes de la 3 (c’est suffisamment rare pour le signaler)...
R. Beaune :C’est vrai ce que vous dites. Honnêtement, j’avais oublié ces émissions. Mais cela prouve comme vous dites que France 3 et le service public ont toujours suivi le chanteur et vice versa. Jean-Louis, malgré tout ce qu’on a pu dire sur son côté un peu rustre, n’a jamais boudé la presse régionale malgré son envergure nationale. Il aurait pu comme beaucoup n’accorder des interviews qu’à Pascale Clark et aux Inrocks! Regardez toutes les longues interviews qu’il a données à Pierre Andrieu et qu’on peut aujourd’hui retrouver dans son magnifique livre “Les jours du Jaguar”...
Pierre Ostian
- Sur la première rencontre (ici), vous écriviez : « Je me dis qu’il a quelque chose d’une bête sauvage, celle qu’on rencontre au détour d’un chemin et dont la présence incroyable pourrait s’évaporer en un clin d’œil si on en fait trop. »
Joli... Pour la deuxième (« Je me situe à égale distance entre le sérieux et la blague, je suis équidistant, appelez-moi Equidistant"), c'est vous qui proposez le terrain, le musée ?
R. Beaune : C'est vrai et c'était vraiment ma première impression du bonhomme. Contrairement aux autres artistes que j'ai pu rencontrer, Jean-Louis Murat, malgré sa dégaine un peu négligée - ce jour-là, il était venu avec un sweat à capuches informe et un jean - m'a semblé insaisissable. Mais encore une fois, c'était l'exercice de l'interview qui le mettait mal à l'aise. D'ailleurs, il me l'a dit juste après : pour lui, exiger de quelqu'un qu'il formule une pensée, une idée, a fortiori quand cette personne a déjà tout exprimé dans son art, c'était vraiment contre-nature.
La fois d'après, nous nous sommes effectivement rejoints au Musée Lecoq au milieu des animaux sauvages justement. Tout un tas de bêtes empaillées l'entouraient. C'était son idée. Je n'aurais pas la prétention d'imaginer qu'il avait retenu ce que j'avais écrit après notre première rencontre. C'était lors de la sortie de Morituri, peu de temps avant le concert humanitaire à la Coopérative de Mai. J'y voyais moi, un clin d'œil au lynx, aux animaux qui peuplent cet album, le coucou, le taureau, l'âne, la brebis ou le renard fou... Et puis l'ambiance cabinet de curiosités du musée, un peu désuet, va très bien à cet album et à Jean-Louis Murat.
- Et puis, il y a ce troisième reportage "mobile", que l'on peut rapprocher de l’émission radio "à la dérive" (sur Nova), avec ce plan magnifique ensoleillé sur fond de feuilles dorées. Quels souvenirs avez-vous de cette promenade?
R. Beaune :Et quel souvenir ! Vous pouvez le rapprocher de l'émission de Nova car c'est en écoutant cette émission que j'ai décidé de le solliciter à nouveau. J'étais persuadé qu'il allait refuser mais non, il est venu. Nous l'avons récupéré seul, sur le bord de la route, à Douharesse ! On a commencé le tournage immédiatement. On l'a armé d'un micro-cravate et d'entrée de jeu, il s'est mis à commenter chaque bout d'arbre, chaque coin de montagne, chaque vue qui défilait sous nos yeux. Il m'a un peu charrié sur ma façon pépère de conduire, raillant qu'à cette allure, on n'arriverait pas à la Bourboule avant la nuit tombée... On a quand même atteint la Bourboule avant le déjeuner et là, il nous a baladés dans les rues et au bord de la Dordogne. Ensuite, nous avons bu un café avec toute l'équipe, éteint nos caméras et, tout en piochant dans mon paquet de cigarette, il nous a raconté toute sa jeunesse dans ce petit coin de paradis. Il avait bien un milliard d'anecdotes à nous raconter. Par moment, je regrettais que la caméra soit en off mais finalement, l'écouter et discuter avec lui était suffisant. Au bout d'une bonne heure, nous l'avons déposé à Douharesse. Il nous a invité à revenir visiter le studio un de ces quatre mais ça ne s'est jamais fait.
Lors de ce reportage, j'ai eu une vision toute autre du bonhomme. Il était généreux avec une énorme envie de partager ses souvenirs. On n’en revenait pas de toutes les histoires qu'il nous racontait sur la Bourboule. Il était tellement drôle qu'on en aurait presque oublié le créateur génial qu'il était !
- Trop tentant de vous demander s’il vous reste quelques souvenirs de ce qu’il vous a raconté pendant ce temps off...
R. Beaune :A vrai dire, très peu... Il nous a raconté un tas d'anecdotes croustillantes sur la jeunesse bourboulienne, sa propre jeunesse à la Bourboule et à Clermont mais je vous assure que je serais bien incapable de vous les restituer !
- On va passer à l'émission. Vous avez raconté que France 3 n'a pas été évidente à convaincre. Est-ce qu’il y a eu d'autres personnes à convaincre ? (Je suis étonné de ne pas voir Scarlett éditions ou le management de Murat au générique... Finalement on ne sait pas bien qui a organisé l'événement... Je mets en parenthèse car ça peut être du off).
R. Beaune :C'est justement là-dessus que je me suis trouvé injuste. Je ne peux pas dire que France 3 ait été difficile à convaincre puisque c'est mon rédacteur en chef, François Privat, qui a décidé de la faire finalement. Au départ, Hervé Deffontis (directeur de la communication de la Coopé de Mai) m'a demandé si France 3 serait intéressé pour faire quelque chose autour de ce concert. J'ai donc proposé la chose à mes supérieurs et pendant quelques semaines, je n'ai pas eu de retour. Et puis finalement, j'ai eu le feu vert. Comme Biscuit réalisait la captation, il a fallu négocier avec eux et j'imagine, avec les artistes. Mais c'est vrai que j'ai fait face à des inquiétudes à France 3 pour réaliser un magazine de 52 minutes entièrement consacré à Jean-Louis. On ne parle pas d'un simple reportage de 3 minutes mais de toute une émission autour de Jean-Louis Murat et je pense que certaines personnes craignaient qu'on s'y ennuie un peu.
Pour ma part, mon but était de pousser les téléspectateurs qui le connaissent peu ou pas encore à s'intéresser à sa musique, en faisant parler ses proches et d'autres musiciens.
Tout le monde a joué le jeu d'ailleurs : que ce soit Laure Desbruères de Scarlett Editions ou Marie Audigier, Denis Clavaizolle et toutes les personnes qui sont intervenues dans l'émission, tous ont été d'une générosité sans borne, avec la même envie de transmettre leur Murat à d'autres. J'aime beaucoup la phrase de Florent Marchet quand il explique qu'il serait profondément blessé si l'œuvre de Murat n'était pas davantage connue ou reconnue. Je crois que je le serai aussi. Alors à petite échelle, j'apporte ma contribution.
- Comme Biscuit faisait la captation, il a fallu négocier avec eux et j'imagine, avec les artistes? Est-ce que ceci vous a donné des contraintes dans votre sélection des morceaux diffusés? On peut ainsi indiquer qu’on ne verra pas Nikola Sirkis "la star indo-américaine" de la soirée...
R. Beaune :Au risque de vous décevoir, je ne suis pas du tout intervenu dans les négociations, donc je n'ai pas d'infos. Ce qui est sûr, c'est qu'il nous était impossible de faire rentrer 2 heures de concert dans 52 minutes. D'autant qu'on avait prévu de mélanger les prestations aux interviews.
- On devine que vous saviez qui vous alliez interroger, puisque les interviews se passent au calme, dans différents endroits de la coopérative (ce que j'ai apprécié). Certains intervenants de la soirée ont refusé ?
R. Beaune :Pour ce qui est de Nicola Sirkis, il n'a pas souhaité être interviewé mais je n'en sais pas plus. Hervé de la Coopé m’a juste dit que Nicola souhaitait être là pour Jean-Louis et ne pas se mettre en avant. En revanche, j'aurais pu faire d'autres interviews mais ça n'aurait pas tenu. J'ai donc fait des choix. Certains m'ont dit, très gentiment, qu'ils ne se sentaient pas de le faire. Je n'ai pas insisté. On s'est courus après avec Morgane Imbeaud tout le week-end car quand l'un était disponible, l'autre ne l'était pas. Une fois de plus, toutes les personnes présentes lors de ce concert ont été bienveillantes et généreuses vis à vis de nous.
- On apprécie en effet la large place à la musique dans le documentaire! Avec un choix dicté par les interviewés... et votre sélection « best of" ? (avec Par.Sek et Jérôme Caillon, Koum - je suis assez d'accord). D'autres prestations vous ont-elles marqué?
R. Beaune :Au risque de paraître un peu langue de bois, je crois avoir apprécié toutes les prestations de la soirée. J'ai trouvé qu'il y avait un réel engagement des artistes, une extraordinaire envie de transmettre leur amour de Murat, leur passion pour son œuvre et puis une telle communion avec le public. Tout le monde ce soir-là, que ce soit d'un côté ou de l'autre de la scène, avait envie de l'écouter à nouveau et pour cause, nous étions en juin, quasiment trois ans après la sortie de Buck John et si le destin n'en avait pas fait qu'à sa tête, nous aurions des nouvelles chansons à découvrir, "ça arriverait là" comme le dit Alex Beaupain dans le magazine.
- Donc si tout vous a plu, est-ce que vous avez eu des choix cornéliens ?
R. Beaune :Pas de choix cornélien. Je pense juste que les chansons choisies offrent un bel aperçu de l'étendue du registre de Murat et donnent envie (je l'espère) aux téléspectateurs d'aller plus loin. Jeanne Cherhal s'empare de façon magistrale de "La maladie d'amour" selon moi, Florent Marchet me souffle chaque fois que je regarde sa prestation du "monde intérieur" et "Fort Alamo" me fait pleurer quoi qu'il arrive. La reprise du "Jaguar" par un Jérôme Caillon tellement "habité" est d'une justesse incroyable. Par.Sek a reconstitué d'une belle manière la fougue du jeune Murat et a rendu à ce titre toute sa modernité. Bref, je ne vais pas tous les citer mais en tout cas, ces reprises s'imposaient.
Ces chansons, il était selon moi important qu’on les écoute, dans la longueur, qu’on puisse entendre le talent de mélodiste de Murat et ses textes si justes. Je partageais cet avis avec notre monteuse Amélie Després dont le sens du récit nous a bien aidé. Et puis je remercie aussi Xavier Blanot, le réalisateur, pour son sens de l'image et Raphaël Duvernay, l'assistant réalisateur, pour ses choix de cadres incroyables, toute l'équipe de tournage a été d'un professionnalisme et d'une inventivité à toute épreuve. Et puis un magazine sur Murat sur France 3, c'est possible grâce à trois autres personnes : Aline Mortamet, déléguée au programmes, Franck Giroud qui s’occupe des cases culturelles sur notre antenne et François Privat, rédacteur en chef de France 3 Auvergne.
- Quels autres souvenirs de la soirée?
R. Beaune :On ne peut pas le nier, il y a eu des couacs et des fausses notes mais le talent de mélodiste et la poésie de Jean-Louis Murat ont toujours pris le dessus. J'ai également été très ému d'entendre sa voix remplir la salle lors du montage de Biscuit sur "Je me souviens"...
- Je pensais un peu plus aux coulisses, au tournage...
R. Beaune :Par respect pour les personnes interrogées, je ne vais rien vous révéler. Ce que je peux vous dire en revanche, c'est qu'ils et elles étaient tous profondément ému.e.s lors du tournage. Au risque de me répéter, les artistes étaient tous très bienveillants les uns envers les autres et on sentait réellement ce besoin de célébrer Jean-Louis. Je tiens d'ailleurs à tous les remercier de m'avoir accordé du temps alors qu'ils avaient deux jours pour répéter tout un set !
- Je crois vous avoir vu interviewer un peu le public avant le concert. C'est peut-être une dimension qui manque (même si le "public" est néanmoins visible par moment - coucou Barbara, ou Mr Five'r, Noël, qu'on aperçoit) même si je comprends bien qu'en 52 minutes, il faut faire des choix. Ça n'a pas trouvé sa place? (On échappe aux plans sur les nombreuses larmes qui ont coulé dans la salle, c'est plutôt bien je pense).
R. Beaune : Je n'ai pas interviewé le public. C'est un choix, contestable certes mais néanmoins assumé. Mon but n'était pas de raconter la soirée mais de profiter de ces prestations pour faire un portrait de Jean-Louis Murat. L'amour que lui voue le public est, je pense, très clair en voyant le nombre de personnes venues célébrer sa mémoire ce soir-là. Je voulais profiter de ces 52 minutes pour faire entendre l'œuvre de Murat, la faire découvrir à ceux qui la connaissent peu et montrer l'influence qu'il a pu avoir sur d'autres artistes. J'ai montré le magazine à de nombreuses personnes qui, de Murat, n'ont en tête que les grands tubes des années 80 et 90 et tous m'ont fait part de leur agréable surprise en redécouvrant ce personnage.
Évidemment, avec Amélie Després, monteuse, et Xavier Blanot, réalisateur, on s'est demandé comme vous si la parole du public ne manquait pas. Mais il fallait aussi raconter une histoire avec ses personnages récurrents, combler l'absence du personnage principal avec la parole de ses proches. Les interviews étaient longues, pendant lesquelles chacun avait le temps de la réflexion. Si j'avais interviewé le public, vu le temps que j'aurais eu pour le faire, en micro-trottoir sur le parvis de la Coopérative de Mai, je n'aurais obtenu des personnes interrogées qu'un ressenti à l'instant T et sans doute pas à la hauteur de l'admiration qu'elles vouent à Jean-Louis Murat et de leur connaissance du personnage.
- Comment sera visible le film?
R. Beaune :La première diffusion est prévue le 27 novembre sur notre antenne. Il est trop tôt pour que je vous donne l’horaire exac]. Il sera en ligne sur France.tv dans la foulée je pense, ce qui permettra aux fans qui ne vivent pas en Auvergne de venir le voir à n’importe quelle heure de la journée, même si aujourd'hui sur toutes les box, on a accès à toutes les antennes régionales de France 3.
- Les questions rituelles enfin: Votre album préféré de Murat? R. Beaune :Chaque fois que j'écoute un album de Murat, je le redécouvre. S'il faut en choisir un seul, ce sera Le cours ordinaire des choses
- 3 chansons de cœur ?
R. Beaune :Il n'y en a pas que trois. « Accueille-moi paysage », « Fort alamo », « Chanter est ma façon d'errer »
Mais j'adore aussi "Que dois-je en penser?", "j'ai fréquenté la beauté", "Dordogne"...
- Et si vous l'avez vu en concert, un souvenir?
R. Beaune :Pas de souvenir précis excepté le fait d'avoir toujours été surpris par sa créativité et de ce qu'il faisait de ses propres chansons. Et un gros regret, celui de ne pas être allé le voir lors de sa dernière tournée. Je le croyais sans doute éternel.
- Enfin, quels sont les autres artistes auvergnats (dans la grande décennie à F3 Auvergne) qui sont pour vous les plus marquants ? Et d’un point de vue personnel, selon votre sensibilité ?
R. Beaune :Chaque fois que Morgane Imbeaud sort un album, elle me touche. Je suis très fan de la période folk de Clermont qui a fait émerger le Delano, Garciaphone ou Pain Noir. En ce moment, j'écoute beaucoup le dernier disque d'Alexandre Delano et celui de Matt Low.
Merci Richard Beaune!
Interview réalisé par mails du 26/09 au 30/09 (pour l'essentiel)
Et tous à vos postes le 27/11! Le numéro de la chaîne France 3 Auvergne sur les différentes box des opérateurs :
ORANGE : 304 - FREE HD : 304 - CANAL SAT : 353 - BOUYGUES BBOX : 473 - NUMERICÂBLE LA BOX : 913 - FRANSAT : 305 - TNT SAT : 304
On s'y attendait, à cette nouvelle, depuis si longtemps... Déjà en 2015, Madame m'écrivait :"Merci beaucoup pour votre invitation [soirée Unplugged Murat], mais mon état physique m'empêche désormais de me rendre à tout spectacle", en 2021, qu'elle n'écrivait presque plus... Des années de souffrance et... cette loi sur la fin de vie qui est retardée encore et qui fut la dernière occasion de l'entendre si je ne m'abuse.
Depuis que Baptiste Vignol m'avait permis de réaliser une interview en 2010, moi qui débutait presque, j'étais si surpris et fier de pouvoir la réaliser... et découvrir ce mail qui s'affiche "HARDY -DUTRONC", quelle émotion! Je l'avais contactée trois ou quatre fois ensuite, et elle m'avait toujours répondu avec gentillesse. Et ils ne sont pas nombreux ceux dont on sait qu'on aura toujours une réponse, et c'est pour ça aussi qu'elle était dans le panthéon des "Grands"... la classe absolue, une icône totale, et que je n'aimais pas les critiques qu'on lui faisait. Comme Murat, elle avait sa liberté de ton... et c'est tout à son honneur.
En mai 2023, je l'avais sollicité pour participer à la libre antenne sur Europe 1 avec Moix (que je savais très fan):
"Je ne peux plus rien faire maintenant. En tout cas, je garde un très bon souvenir de la séance de Memory divine et j’adore toujours cette chanson que j’avais reçue alors que mon album (Rendez-vous sous la pluie, je crois) était quasiment terminé. Mais j’aimais trop cette chanson pour ne pas l’enregistrer in extremis. Dommage que vous ne me l’ayez pas demandé plus tôt. Bonne émission ! " (en 2021, elle m'avait quand même dit ne plus avoir écouté JLM depuis des années).
On avait ensuite échangé car Régis Pulisciano (Oomiaq, le musicien du Mustango tour, je pense à lui ce matin) m'avait demandé que je le mette en contact. Et elle avait acceptée... C'était un petit bonheur de faire ce plaisir à Régis dont Françoise est la chanteuse préférée. Françoise était la star qu'il ne fallait pas craindre de rencontrer (même si pour moi, ce ne fut que par mails)...
Voici quelques mots à cette occasion:
Sans son pygmalion Serge, Jane n’aurait jamais chanté, l’idée ne l’aurait sans doute pas effleurée. Mais Camille c’est très différent, elle est et a en tout cas été une géniale mélodiste et parolière, une géniale chanteuse aussi bien sûr. Pas besoin de pygmalion ! On m’a transmis que Serge aurait regretté que je ne lui demande pas de faire tout un album avec lui et j’ai répondu que si j’avais fait un album avec lui les chansons auraient été les siennes alors que je préférais que ce soit les miennes même si elles n’étaient pas aussi bonnes que les siennes.
Camille : qu’est-elle donc devenue, on ne l’entend plus ? J’adorais ses chansons et elle le sait bien. J’aurais aimé chanter un duo avec elle dans mon album de duos (commandé par ma maison de disques), mais je n'arrive pas à chanter correctement ce qui est très rythmique alors j’y avais renoncé. Vous savez ce qu’elle devient ? Je sais juste qu'elle a eu un enfant. (Dans cet album, il y a un duo génial avec un chanteur auteur-compositeur anglais Ben Christophers : My beautiful demon.)
Voici donc l'interview de 2010. Je lui avais transmis une série de questions, qu'on avait un peu complété je crois.
Inter-ViOUS et MURAT-, numéro 5 : FRANCOISE HARDY
Alors ce qui est bien, c'est qu'on pourrait se passer de présentation pour une fois... mais une personnalité de ce genre mérite "introduction", tapis rouge et canapés... Elle nous accompagne depuis les sixties (une période étrange sans doute située d'après mon enquête entre les années 1950 et 1970) et mène carrière en toute humilité.... malgré un statut d'icône mérité : Damon Albarn avec Blur, Malcom Mac Laren (qui vient de mourir) ont fait appel à elle pour des participations, et elle a écrit ou interprété des nombreuses chansons qui resteront... et qui, signe de leur qualité, font l'objet de nombreuses reprises: mon amie la rose, comment te dire adieu, fais moi une place, message personnel, au fond d'un rêve doré (nana surf), l'amitié.... Bien sûr, c'est à l'occasion de la sortie de "la pluie sans parapluie" où figure un titre écrit et produit par Jean-Louis Murat (memory divine) qu'elle a bien voulu répondre à mes questions... mais point question de promotion: elle aime réellement Jean-Louis Murat... et lui rend un bel hommage ici.
Baptiste Vignol a eu la gentillesse de vous parler de mon modeste blog et je suis très honoré que vous acceptiez de répondre à quelques questions (je suis dans mes petits souliers...). Le principe de "l'interViOUS et MURAT" est de faire parler une personne de son lien avec le sieur Murat et pour un artiste d'évoquer des points communs artistiques ou des divergences.
Voilà depuis janvier que je suis de près l'histoire de cette collaboration puisque l'info de l'enregistrement d'une chanson de Jean-Louis est sorti sur un forum qui vous est consacré un ou deux jours après l'enregistrement (janvier)... On en a, petit-à-petit, appris un peu plus... mais il reste quelques points à éclaircir...
-Etpour commencer, je suis obligé de vous poser une question (les Muratiens, acharnés des inédits, m'en voudraient trop si je ne vous la posais pas). Jean-Louis vous a envoyé 4 chansons et vous n'avez retenu que "Memory divine". Vous rappelez-vous des titres des autres chansons?
F. HARDY : Les autres chansons s'intitulaient : Tous les chanteurs sont malheureux,L'envie de vivre, La nature du moi. Mais aucune ne m'emballait autant que Memory divine or, à quelques exceptions près, je ne me lance dans l'enregistrement d'une chanson que si j'ai un coup de foudre pour elle.
- Vous avez reçu des maquettes assez abouties. Est-ce à dire qu'elles n'étaient pas des simples démos "guitare-voix"?
F. HARDY : Il y avait juste une rythmique, mais les guitares et l'ambiance musicale étaient si parfaites pour mon goût, que je ne voulais rien d'autre.
- Comment s'est passé le choix de confier la production à Jean-Louis Murat (Il est venu plusieurs fois à Paris et a enregistré la base rythmique à Clermont )? Vous avez dit que ça avait été"facile" et "hyper rapide": cela ne nous étonne pas de Murat... et sa "façon" de ne pas trop se poser de question en studio mais comment cela a-t-il été compatible avec votre perfectionnisme et votre anxiété naturelle?
F. HARDY : Mon album était presque terminé, nous avions des deadlines qu'il était impossible de repousser encore. Il fallait donc faire vite. Mais même si j'avais eu tout le temps devant moi, j'aurais tenu à ce que ce soit Jean-Louis qui refasse dans ma tonalité ce qu'il avait fait sur sa demo. Il m'a mailé la nouvelle rythmique qu'il a faite chez lui et comme l'intro n'était pas exactement la même que dans la 1ère version, j'ai chipoté à ce sujet pour finir par lâcher prise.
- Il était en studio avec vous. Avez-vous eu des discussions sur l’interprétation à proprement parler du titre ?
F. HARDY: Non. Je faisais juste à la fin une petite faute de mise en place que Jean-Louis m'a signalée. Par ailleurs, j'étais surprise qu'il ne reste pas pour le choix des prises de voix - il pensait sûrement que c'était plus de mon ressort que du sien - et qu'il n'assiste pas au mix du début à la fin – mais sans doute faisait-il confiance à son ingénieur du son auquel il avait dû donner ses instructions. Pendant le mix, nous papotions dans une sorte de petit salon : c'était une situation totalement inédite pour moi. Je connais des chanteurs que le choix des prises de voix et les mix assomment, Jacques Dutronc par exemple, alors que pour moi, il est inconcevable de ne pas y participer ne serait-ce que par ma seule présence.
- Jean-Louis avait donné un texte à Thierry Stremler (un de vos compositeurs) il y a quelques années. Ce dernier a-t-il joué un rôle dans cette collaboration ?
F. HARDY: Vous me l'apprenez. Si Thierry avait joué un rôle dans cette collaboration inattendue, il me l'aurait sans aucun doute fait savoir.
- Est-ce que vous avez été surprise de recevoir un titre en anglais de la part de Jean-Louis Murat? On le sait défenseur de la chanson française, tout en ayant en stock semble-t-il un grand nombre de chansons en anglais... Y a-t-il eu une vraie discussion pour qu'il fasse un texte en français? Ensuite, il a été aussi question de modifier "lick" en "live"?
F. HARDY: Bizarrement, j'étais tellement enthousiasmée par la chanson que je ne me suis pas posé de questions sur le fait qu'elle soit en anglais. Virgin aurait aimé un texte en français. J'ai transmis la demande à Jean-Louis qui tenait à ce que son texte reste en anglais. De toute façon, nous étions trop pressés par le temps pour envisager une autre texte. Il est vrai qu'il y a eu un tout petit problème sur le mot "lick". Jean-Louis avait d'abord écrit : I want to lip a late passion" après c'est devenu "I want to lick". Comme mon gros dictionnaire anglais me donnait des signifiications improbables des deux mots ou pas de signification du tout, j'ai pensé les remplacer par "live". Mais lors des premières prises de voix, dès que Jean-Louis m'a entendu chanter "I want to live", il est arrivé en trombe pour me dire que c'était "lick" et pas "live", et que son texte avait été vérifié par un agrégé d'anglais. Ce qui est amusant, c'est que j'ai mailé la chanson à Ben Christophers, un artiste britannique avec lequel je travaille de temps en temps et dont j'étais impatiente d'avoir l'avis. Il m'a répondu ceci : "Yes the song is great, I like your double vocal in the chorus, I'm not sure what the lyrics mean either but it's cool…"
- Oui, avec Murat, on n’est jamais sûr de ça !! Vous avez craqué sur cette chanson ( "j'étais folle de la maquette" et " De nature obsessionnelle, je n’écoutais alors plus que cette chanson" avez-vous dit). Est-ce que vous écoutez encore la maquette ou votre version?
F. HARDY: Les deux mon capitaine.
-… petit moussaillon plutôt !…. Vous avez eu ce commentaire : "j’ai régulièrement fantasmé d’enregistrer un album avec Jean-Louis Murat, dont les réalisations me paraissent toujours d’une perfection absolue et dont je suis attentivement la carrière depuis Mustango ". Ce n'est pas un mince compliment et même peu de ses fans le diraient! Est-ce que vous avez d'autres albums fétiches de Jean-Louis? et pourriez-vous nous citer les 3 titres que vous aimez le plus?
F. HARDY: J'ai surtout eu ce fantasme, lors de difficultés surgies pendant l'enregistrement de mon dernier album, parce que j'avais écouté certains morceaux du dernier album de Jean-Louis et avais été saisie, en effet, par la perfection de la production.
S'il fallait choisir trois titres de Jean-Louis Murat, je prendrais : L'amour et les Etats-Unis, Monsieur craindrait les demoiselles, M le maudit. Mais ça me contrarie de ne pas citer Caillou ni aucun titre de Mustango que j'ai écouté en boucle pendant un an à peu près.
-Au grand journal ( ouétait-ce pas dans On n'est pas couché de Ruquier ?), vous avez dit qu'il vous était difficile d'envisager de donner à quelqu'un la charge entière d'un de vos albums. Même à Murat, malgré cette "perfection absolue"?
F. HARDY: La production et la réalisation sont deux choses différentes. Il est impossible dans l'absolu qu'un artiste, si talentueux qu'il soit, fût-il Gainsbourg, ponde douze très bonnes chansons pour un même album.
"route Manset"
- Par ailleurs, vous étiez avec Murat sur le tribute "Route Manset"... On cite régulièrement cette référence concernant Murat... Qu'est-ce que vous en pensez? J'aime bien l'impression "ligne claire" pour votre musique... et je trouve qu'elle correspond bien à une bonne partie de la discographie de Manset (le pop "atelier du crabe" par exemple). Par ailleurs, ils ont tout deux écrit leur "vénus" (Manset pour Bashung). En tant que vénusienne, lequel des deux titres préférez-vous?
F. HARDY: Pour ne pas faire de jaloux, je choisirai la Vénus de Bananarama!
- Ma question sur Manset ne vous inspire pas… Dommage… j’y travaille en ce moment et j’aurais bien voulu l’avis d’une grande spécialiste de la chanson…
Concernant une comparaison entre vous et ces deux artistes, ce qui me vient à l’esprit, c’est quand même la hauteur de leur « prétention », artistique… (même s’ils s’aiment aussi en artisan) alors que vous semblez d’une humilité à toute épreuve ? Est-ce que vous vous rangez à l’avis de Gainsbourg sur la chanson art mineur ?
F. HARDY: La plupart des gens ignorent la signification d'"art majeur" et d'"art mineur". Serge qui était pervers sur les bords a joué là-dessus. Il savait qu'il serait mal compris et que cette incompréhension susciterait des discussions totalement à côté de la plaque qui satisfairaient son goût de la provocation. UN ART MAJEUR EST UN ART QUI REQUIERT UNE INITIATION (la peinture, l'architecture, la grande musique) ALORS QU'UN ART MINEUR N'EN REQUIERT AUCUNE. Mais cela n'a rien à voir avec la qualité des productions. Il y a au moins autant de très mauvaises choses en musique classique qu'en pop music et une mélodie très inspirée de pop music n'a rien à envier à un thème mélodique inspiré de musique classique. AUTREMENT DIT, EN MATIERE D'ART, LES TERMES "MAJEUR" ET "MINEUR" QUALIFIENT LA NATURE DE CET ART, EN AUCUN CAS SA VALEUR.
En fait, je n'ai pas bien compris votre question. Est-ce que"Route Manset" est la compilation qui a été faite avec des interprétations des chansons de Manset par des artistes différents, dont moi ? Je ne m'en souviens plus bien, car, malheureusement, je n'ai pas le CD.
J'ai eu une très mauvaise expérience avec Gérard Manset dont j'apprécie beaucoup certaines chansons ("Je tuerai la pianiste" sur le dernier Bashung fait partie de ses nombreux petits ou grands chef d'œuvre) : chaque fois qu'il m'a proposé quelque chose, j'ai trouvé ça très mauvais et très éloigné de ma personnalité profonde.
Il me semble que Jean-Louis est plus prolifique que Manset. La prolificité implique une certaine facilité à composer, à écrire, mais le revers en est souvent un manque relatif de discernement sur la valeur de ce que l'on fait. Et puis, si l'on produit trop, on fatigue le client et on ne se renouvelle pas toujours assez ! On ne peut pas écrire et composer des chansons vraiment fortes si on en en compose et en écrit non stop. C'était un gros défaut de Benjamin Biolay dont les albums s'enchaînaient sans transition et comportaient de moins en moins de mélodies fortes. Un arbre ne peut pas donner des fruits toute l'année. Ni Serge ni Bashung n'étaient prolifiques - et Souchon et Voulzy ne l'ont jamais été non plus.
- Vous connaissiez à peine Jean-Louis Murat (je n'ai pas trouvé trace de rencontre, ou peut-être sur un plateau d'Ardisson) ... Est-ce qu'il est devenu votre ami?
F. HARDY: Je l'avais invité dans mon Vivement dimanche de l'an 2000 (je crois) [cf ci dessous l'extrait] et j'étais ensuite allée le voir à l'Olympia. Ca s'est arrêté là. Il faut des circonstances diverses et variées pour qu'une amitié se construise. Il faut surtout avoir vécu des choses ensemble. Mes plus grands amis sont des personnes avec qui j'ai travaillé et que les circonstances m'ont amenée à revoir. Un ami, c'est aussi quelqu'un qui peut vous parler de choses intimes et vice versa. Je ne veux que du bien à Jean-louis Murat. En ce sens, je suis donc son alliée. Mais ça ne suffit pas pour parler d'amitié.
- Jean-Louis Murat (en évoquant sa choriste du dernier album Cherie ) disait "j'adore les voix de filles qui ne craignent pas les garçons". Pensez-vous avoir à ses yeux cette qualité là (tout en ayant "cette absence de sérénité touchante" dont il vous a parlé)?
F. HARDY: Je ne pense pas. j'ai toujours eu peur de tout, en particulier des insectes, des virus et des garçons (sortes de virus macroscopiques). C'est sans doute la raison pour laquelle ma voix est si limitée ! De toute façon, je ne suis plus une fille mais une femme passablement blette. Et certains hommes mûrs, voire blettes, me font encore plus peur aujourdhui que les garçons hier.
- Jean-Louis Murat aime le « vous » , il me semble que vous y êtes fidèle aussi dans vos textes… Est-ce que vous auriez d’autres points de comparaison entre vos deux styles ?
F. HARDY: Beaucoup d'auteurs aiment le vouvoiement, ne serait-ce que parce que la sonorité de "vous" est si belle. Serge Gainsbourg l'a pas mal utilisé (- "J'avoue, j'en ai bavé pour vous, mon amour, avant d'avoir eu vent de vous..." - Quelle beauté ! ) Guy Béart aussi : "Ce qu'il y a de bon en vous, c'est vous" dans sa chanson "Vous"… etc… L'une de mes chansons préférées "Cet enfant que je t'avais fait" de Brigitte Fontaine et Jacques Higelin fait plus fort encore avec le protagoniste masculin qui utilise le tutoiement et la protagoniste féminine qui utilise le vouvoiement (Offrez-moi une cigarette, J'aime la forme de vos mains,Que disiez-vous ? Caressez- moi encore la tête, J'ai tout mon temps jusqu'à demain, Que disiez-vous ?)
Est-ce que dans votre œuvre, vous avez une chanson qui vous fait penser à Murat, ou dont Jean-Louis Murat aurait participé à l’inspiration ?
F. HARDY: Le mot "œuvre" est un grand mot qui va pour Murat, Manset, Gainsbourg, Trenet, Brassens… Pas pour moi !
Non, je ne crois pas. Mon vocabulaire est mille fois plus limité que celui de Jean-Louis et mon inspiration moins riche, plus simple aussi : toute ma vie, j'aurai juste tenté de mettre en mots sur des mélodies venant du cœur les émotions et les sentiments que je ne pouvais exprimer de vive voix à la personne qui me les inspirait plus ou moins malgré elle. Ca n'allait pas plus loin - ça ne va pas plus loin - alors que l'inspiration de Jean-Louis me semble aller beaucoup plus loin. Même si nous avons le Capricorne en commun, le Verseau et d'autres facteurs que je ne connais pas, parmi lesquels le talent qui relève plus de l'inné que de l'acquis, lui auront valu un champ de conscience à coup sûr moins étroit que le mien !
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Interview réalisée par mails du 18/05/2010 au 20/05/2010.
Dans cette interview, aucune question ne traite de la crise du marché du disque.
Tous mes remerciements à Françoise Hardy, et à Baptiste Vignol.
PS:
"J'adore son caractère d'ado chiante", nous avait confessé Jean-Louis Murat. On avait alors joué les messagers. "C'est mon côté saturnien ça. On sait que les gens qui sont nés à la culmination ou à la levée de Saturne ont une fixation au stade de l'adolescence". L'écouter répondre ça un après-midi de mars 2010, allongée sur le canapé de son appartement du XVIe arrondissement parisien, ce n'était pas rien. RFI ce matin
Je ne scrute plus les sites de vente régulièrement mais parfois les alertes me conduisent à aller jeter un coup d’œil. Et en ce mois de décembre, je croise "un cromalin"... Et je ne fais pas mon gros malin car je ne sais pas ce que c'est... Après quelques jours, je décide de me pencher plus sérieusement sur la question. Indice : le vendeur propose d'autres objets qui correspondent à la même époque Virgin. Après un contact, l'internet me permet de vérifier son identité : M. Francois Delmotte, interviewé par Libération à propos de la pochette de Ultra Moderne Solitude. Je décide de faire l'achat pour l'exposition du Week-end Murat, yes sir! En négociant une interview !
Après celle en 2011 d'Alain Artaud, que Murat a suivi de Virgin à Labels, je vous propose donc à nouveau de revenir sur les années VIRGIN, et plus précisément, la période 1987/1990, puisque c'est celle où François Delmotte a été un membre de l'équipe du label. Il ne savait pas trop ce qu'il pourrait nous raconter, mais vous allez découvrir un joli portrait esquissé de Jean-Louis Murat, une plongée au cœur d'un label mythique (dans son âge d'or), avant l'âge du numérique.... et un joli cadeau offert. Voici la retranscription de notre conversation téléphonique du 14/02/2024, complétée par quelques échanges de mails.
Bonjour François!
- Vous étiez donc chez Virgin ? Sur quel poste ?
F. Delmotte : J’étais assistant marketing.
- Vous étiez sous la direction d’Alain Artaud, directeur du marketing ?
F. Delmotte : Oui. Auparavant, à mon arrivée en1986, c'est Dominique Leguern qui était directrice marketing. Alain Artaud dirigeait l'international.
- Quel avait été votre parcours ?
F. Delmotte : J’ai bénéficié d’un concours de circonstances tout à fait particulier. J’ai fait une école de commerce, donc rien à voir avec ça, et pour cette école, j’ai fait un stage en Espagne dans une imprimerie, et ça a déterminé ma carrière. Je n’y ai rien fait, j’ai traîné dans un bureau pendant un mois, mais à cet âge-là, on n’a pas grand-chose à mettre dans son CV, alors j’ai fait figurer ce stage. Après mon diplôme, j'ai trouvé un premier emploi dans la répartition pharmaceutique, ça ne me plaisait pas, j’ai vu une offre chez Virgin pour un remplacement congé maternité, donc pour une durée limitée, et j’ai postulé. Et là, le stage en imprimerie a été déterminant, car c’était avant tout pour gérer la fabrication. Je me rappelle que Dominique Leguern au premier rendez-vous m’a montré un devis d’imprimeur, et c’était un peu du chinois. Elle m’a demandé : « Est-ce que ça vous parle ? », et moi : « Oui, oui, bien sûr » alors que ça ne me parlait pas plus qu’à elle… Ça a suffit pour la convaincre. J'avais aussi réalisé une pochette de 45t pour Gris Regard, le groupe d'un ami du Nord, et apparemment elle avait trouvé ça pas mal.
Pochettes concues par François (la première qui l' a aidé à décrocher le poste, la 2e a été faite ensuite)
Puis j’ai appris sur le tas. La fille n’est jamais revenue de son congé, donc je suis resté. Mon travail, c’était tout ce qui était visuel : édition de PLV, pochettes, disques d’or, séances photo, tout ce qui sortait d’imprimerie et de studio photo passait par moi, plus l'organisation d'éventuels événements type soirée de lancement ou remise de disque d'or. Pour le côté artistique, il y avait des « chefs de projet artistique » qui géraient les enregistrements, les réservations de studios, les aller-retour de maquettes, les tests pressing, qui vérifiaient tout ça, et de mémoire, pour Murat, c’était Stéphanie Giraud, qui a continué à travailler dans la musique.
- Et vous êtes resté jusqu’en... ?
F. Delmotte : Jusqu’en 1990 ou 91. Après je suis allé chez Bertelsmann, chez BMG un an, puis j’ai été signé comme artiste chez Virgin, parce que parallèlement, on faisait de la musique avec un ami. Ça n’a pas débouché parce qu’on avait été signé avec Fabrice Nataf, alors directeur général, et au moment où on devait lancer la production, c’est Emmanuel de Buretel qui est arrivé, il n’avait pas les mêmes vues artistiques que Nataf et il n’a pas voulu honorer le contrat. Et après, j’ai changé de carrière, j’avais fait le tour, je ne me voyais pas revenir dans une maison de disque faire de la fabrication.
L’arrivée d’Alain Artaud (ou plutôt mon transfert sous son autorité) n’est pas responsable de mon départ mais Virgin souhaitait s’organiser comme les autres labels avec des postes de chefs de produit transversaux, gérant à la fois l’artistique et l’image. Mon poste était devenu un obstacle à cette nouvelle organisation, et ma personnalité très indépendante a aussi sûrement joué…
- On peut trouver votre musique sur le net ?
F. Delmotte : Non, on ne jouait pas sur scène. On avait juste des maquettes. Ce n’est malheureusement pas sorti, et ça m’a un peu dégoûté. On a tenté, sans succès, de lancer un autre projet puis j’ai préféré tourner la page. Le seul témoignage disponible de ces années-là figure sur la compilation Café del Mar (Dreams 4), un morceau intitulé "L'étoile d'or / Estrela de Oro" par Camino del sol. J’ai senti que ma chance était passée, et comme je n’étais pas suffisamment motivé, je ne me voyais pas continuer de galérer, de traîner encore à 40 ans dans les bars des salles de concert en perfecto. Je ne me projetais pas dans cette vie. Je suis passé à autre chose. Je m’en suis bien porté je crois. Quand on voit ce qu’est devenue l’industrie du disque, les licenciements dans les années 90, je crois que je n'aurais pas été le dernier à me retrouver viré. Donc je n’ai pas de regret, et j’ai vécu une belle période. On était les rois du monde, c’était un moment où la musique était je pense plus importante culturellement qu'aujourd'hui. On était dans la maison de disque où tout le monde rêvait de pouvoir travailler, où il n’y avait que des artistes qui faisaient envie, donc franchement, c’était une très belle période, une sorte d'âge d'or. Mais je suis content d’avoir fait autre chose.
- Des groupes avec des contrats non honorés, ça arrivait beaucoup. (Je pense par exemple à Blue Matisse de Franck Dumas avec Denis Clavaizolle : si Warner avait assuré, l'histoire muratienne aurait été peut-être différente...) Emmanuel de Buretel, vous l’avez donc croisé déjà chez Virgin ?
F. Delmotte : Oui, oui, bien sûr, puisqu’il était directeur des éditions Virgin, qui était place des Vosges également.
- Ce n’était pas un interlocuteur particulier pour vous ?
F. Delmotte : Non, il faisait partie des gens qui étaient là, je n’avais pas de raison particulière de travailler avec lui dans le cadre de mon poste. Mais il nous arrivait de discuter, il s’intéressait, et il testait un peu les gens. C’était une personne intelligente. Il essayait de voir comment on était, comment on réfléchissait aux choses.
- C’était encore l’âge d’or des maisons de disque, des gros moyens (800 000/1 million de francs pour l’enregistrement du Manteau de pluie).
F. Delmotte : Oui, en Angleterre, Virgin avait été lancée véritablement par Mike Olfield et Tubular bells, et en France, ça a été Le grand bleu (1988) qui a été un succès inattendu* pour Virgin France, et qui a fait sa fortune. Cela a permis notamment de déménager de la rue de Belleville, où j’étais arrivé - qui n’était pas un squat, mais qui n’était pas très prestigieux pour une société qui se développait - à la place des Vosges. Cela représentait un saut assez conséquent, en terme de confort et de statut. D'un autre côté, le côté « rock'n'roll » des locaux de la rue de Belleville participait de cette image différente que voulait donner Virgin par rapport à des sociétés comme Polygram ou BMG. Certains artistes appréciaient d'être associé à cette image plus « roots ». [CODLR-Clin d’Œil De La Rédaction : "Je sais bien que rue d'Belleville rien n'est fait pour moi" chantera Souchon].
NDLR : * 3 millions d’albums (alors que Téléphone en vendait autour de 4 à 500 000). Besson était donc en lien avec Virgin, d’où le fait qu’on ait dû proposer à Murat de travailler avec lui. La musique du Col de la Croix-Morand aurait pu se retrouver dans Atlantis]
Place des Vosges Vs Belleville en 2024:
F. Delmotte : Plus grand chose à voir évidemment... C'était beaucoup plus crade ! Le 63 (le kebab) était une pièce vitrée sur la rue, occupée par les deux chefs de produit internationaux, Marie Sauvet* et Marc Grafeuille.
NDLR : Il s'agit des locaux occupés depuis 1979 par Clouzeau Musique**, c'est-à-dire Philippe Constantin, que rejoignent les Editions "Téléphone Musique SA" un an plus tard (avec Philippe Ravard - le groupe est un des premiers à conserver ses droits d'édition). Constantin crée ensuite Virgin France avec P. Zelnik et T. Haupay. Les premières signatures : Valérie Lagrange et Tokow Boys...). Les numéros 61 à 65 de la rue sont loués.
* Marie Sauvet est aussi la chanteuse de Malicorne. Voici quelques mots de sa part : "Le Virgin de la rue de Belleville était génial, label pétillant encore petit à qui tout réussissait. Oui je suis passée devant il y a pas longtemps, disparus les bureaux un peu foutraques Je retourne parfois au Lao Siam, seul resto qui reste de l’époque. Nous avons échangé à l'époque avec Jean-Louis sur Malicorne qu’il m’a effectivement dit aimer, ce qui a cette époque virginienne me rendait très heureuse ! ".Les roses font des bouquets étaient une de ses chansons françaises préférées.
**On retrouve la mention "éditions Virgin Clouzeau Musique" sur les 45 T "Si je devais manquer de toi", à partir de l'album, il sera indiqué seulement "Virgin".
- Sur le lancement d’un disque comme Cheyenne autumn, combien de personnes travaillaient ?
F. Delmotte : Chaque « département », mais entre guillemets, c’est un peu faux de parler de département, il y avait très peu de monde. Chacun était très responsabilisé. Moi, je me suis retrouvé à gérer assez vite des campagnes d’affiches 4/3 par exemple alors que je venais de rien, je n’avais aucune expérience. On était porté par notre passion, on travaillait tout le temps, et le soir, on allait au concert.
- Est-ce qu’il y avait un travail marketing autour de l’artiste, pour cibler un public, les publicités, ou c’était quand même artisanal ou simplement des choix artistiques ?
F. Delmotte : Non, c’était très artisanal. Ça se décidait entre le DG, le directeur marketing, l’artiste. Chaque semaine, il y avait des réunions marketing, des réunions promo, je me souviens, et c’était là où les choses se discutaient, mais c’était très informel, ça ne ressemblait pas du tout à ce qu’on peut imaginer d’une réunion d’entreprise aujourd’hui. De tout cela il sortait des idées, mais ce n’était pas très pensé. Le but de ces réunions était surtout de caler des plannings, d'organiser les sorties et la promotion, hormis pour les chanteurs qui avaient des managers expérimentés, qui pour le coup avaient une vision assez claire de ce qu’ils voulaient pour leur artistes. Julien Clerc, par exemple, était managé par le gars de l’agence Artmédia [Bertrand De Labbey] qui savait exactement ce qu’il voulait pour son artiste. Jean-Louis Aubert, lui, était avec François Ravard, qui était aussi quelqu’un d’expérimenté [NDLR: il avait été "mentoré" par Philippe Constantin et Jacques Wolfsohn-source]. Mais les autres artistes arrivaient avec leur idée personnelle : Jean-Louis, mais aussi Daho, les Rita Mitsouko. Murat, c’était donc ça, quand il est arrivé chez nous, il avait beaucoup réfléchi à ce qu’il voulait devenir, par rapport à sa première carrière. Je pense qu’il avait tiré des leçons de ce qu’il avait fait auparavant, et de son image un peu… bellâtre, même si les textes et l’univers musical étaient plus durs que ça. En tout cas, il jouait beaucoup sur son physique, et quand il est arrivé chez nous, je pense qu’il avait déjà l’idée de l’univers qui allait devenir le sien, qu’il a voulu imposer, et que nous, nous n’avons pas forcément vraiment compris au départ. Je me souviens, on avait beaucoup de gens qui faisaient des 45T, lui est arrivé un peu comme un autre, et la personnalité telle qu’on la connaît aujourd’hui n’était pas facile à identifier. Il n’y avait que lui qui savait où il voulait aller. J’ai regardé rétrospectivement les 45T qui étaient sortis avant, le 45T "Si je devais manquer de toi", c’est une pochette telle que je pouvais la faire pour n’importe quel artiste, sa personnalité ne ressort pas, c'est venu après, avec l’album.
- Pourquoi y a-t-il eu plusieurs pochettes de ce single?
F. Delmotte: Je ne peux pas vous dire… Mystère. C’est la même agence. Peut-être que quelqu’un a estimé que ce n’était pas assez vendeur. Et c’est vrai que le vert, avec cette typographie assez fine, ce n’était pas très lisible… Je me rappelle que Dominique Leguern, qui était assez maniaque, disait toujours : « Faut que ça se voie », elle pensait aux présentoirs dans les supermarchés, et elle a pu dire : « On ne vendra pas le disque avec cette pochette-là ».
Dominique Leguern a travaillé ensuite pour M6 et a été directrice du MIDEM pendant 10 ans
- Et il y a même eu encore ensuite une troisième pochette.. Mais ça ravit les collectionneurs.
F. Delmotte: Ah, je ne me rappelle pas.
Les 3 pochettes de "Si je devais manquer de toi", et les 4 autres singles de Cheyenne Autumn :
F. Delmotte : Concernant le 45T promo, aucun souvenir non plus, ce qui est normal puisque c’est une pochette neutre, un modèle qu’on utilisait quand on n’avait pas le temps ou le budget pour en fabriquer une personnalisée. Je ne suis donc pas intervenu là-dessus.
Effectivement, la même pochette promo existe pour "Amours débutants"
- Vous vous rappelez du premier contact avec Jean-Louis ?
F. Delmotte : Honnêtement non. Mais c’est un des artistes avec lequel je m’entendais le mieux. Je me rappelle de Julien Clerc, très gentil mais qui était un peu distant, il était déjà un artiste établi, Renaud, qui n’avait pas un contact facile, je ne parle même pas des Rita Mitsouko. Aubert était plutôt sympa. Mais Murat avait ce côté plus cultivé, que n’avaient pas les autres artistes, la plupart en tout cas, et une culture cinématographique qui s’exprimait d’ailleurs déjà dans le titre de l’album, une référence peu relevée à un film de John Ford. Souvent les artistes étaient très centrés sur eux-mêmes, enfin, c’est la réflexion que je me faisais, ils pensaient surtout à eux, à leur carrière et ça les déconnectait du monde et de l’actualité, même de l’actualité culturelle.
- Il savait que vous étiez musicien ?
F. Delmotte : Non, à l’époque, je ne faisais pas de musique. J’ai commencé quand j’ai quitté Virgin.
- Par rapport à ce que vous disiez tout à l’heure, ce n’est pas la maison de disque qui l’a forcé à avoir cette image… Enfin, clairement le produit, c’était aussi son physique, sur la pochette ?
F. Delmotte : Ce qui nous gênait, je me rappelle de discussions avec Dominique Leguern, c'est qu'il avait un peu le côté du gars qui venait de la campagne, et on pensait que c’était à nous de le rendre, pas branché, mais un peu plus dans l’époque. Mais lui, il avait compris que c’était ça l’image qu’il voulait donner, et ce n’était pas fabriqué, c’était ce qu’il était de manière authentique, plus que l’image qu’il avait sur ses premiers disques d’ailleurs. Je pense qu’il s’était trouvé. Il avait décidé qu’il lui fallait être lui-même. Et lui-même, ça voulait aussi dire « l’Auvergnat ». Je me rappelle, Dominique avait dit : « Ses fringues, ça ne va pas, il faut qu’il soit plus présentable quand il fait des télés ». J’avais une amie qui était styliste, créatrice de mode, et on était allé avec lui faire du shopping aux Halles, on avait choisi des chemises blanches, des trucs qui lui permettaient de se mettre en valeur puisqu’il était plutôt beau garçon… et à la télé d’après, il se présente avec une espèce de pull de grand-mère. Donc on avait fait le shopping pour rien, parce que lui était bien décidé à véhiculer cette image. De toute manière - je pense qu’on était une des rares maisons de disque à appliquer cette règle, et c’est valable pour la pochette - le dernier mot revenait à l’artiste. Hors de question de lui imposer quoi que ce soit. On pouvait essayer de convaincre, mais si un artiste voulait quelque chose en terme d’image, il avait le dernier mot, et on n’allait pas lui imposer quelque chose contre son gré.
Du naturel, du fabriqué, et peut-être le fameux pull moche utilisé au moins 2 fois... 1987 à 1989
Rappelons que JL Murat s'intéressait un peu à la mode et accepta plus tard par exemple de faire une tournée en costume, sur Toboggan.
- Je pense quand même qu’il a fait des efforts ensuite. Entre l’image de rocker sur la RTBF en 88 (blouson de cuir et coiffure banane) et certains plateaux télé (il participe à tout, notamment La classe, où on le voit en pantalon à pince, et chemise)… Il est assez âgé, il veut que ça marche.
F. Delmotte: Oui, et il a fait des efforts musicalement. Quand on réécoute Cheyenne Autumn, c’est assez commercial, ça correspond au son de l’époque avec beaucoup de synthé. Et c’était en décalage avec l’image qu’il voulait donner, assez éloigné des jeunes gens modernes, de la famille de Daho. Il se sentait clairement ailleurs.
- Peut-être qu’on peut quand même remarquer cette volonté de se démarquer : même s’il s’affiche sur les pochettes, c’est en noir et blanc, sur le 45T "Le garçon qui maudit les filles" (1988), c’est très « pastellisé » et en clair-obscur, on ne distingue pas ses cheveux du fond noir, et sur "Amours débutants » avec l’album, il apparaît sur une photo qui a été froissée et écrasée. Une façon de se montrer mais distancié. Après, il réussit quand même l’exploit de proposer quelque chose de neuf tout en étant tourné vers le grand public. Pour ne citer que lui, Dominique A a dit et redit que ça avait été décisif pour lui.
Est-ce qu’on peut penser que s’il n’y avait pas eu de bons retours des deux 45T, Virgin n’aurait pas sorti l’album ?
F. Delmotte : Non, Murat avait signé un contrat pour un album, au minimum. Virgin était décidé à investir sur lui car, artistiquement, dès ses maquettes, il était clair qu'il avait du potentiel et de l'envergure.
Sur le plateau d'ARDISSON, en 1989, ils parlent d'un contrat de 6 albums. A propos de Virgin, "ils sont gentils avec toi?",
Jean-Louis Murat répond qu'il a trouvé une famille !
Dans cette interview, j'en profite pour le rappeler (j'en avais parlé en point 4 de cet article en donnant quelques pistes) : l'aide que Murat aurait reçue de la part de gens de RMC avant Clara reste un élément biographique un peu mystérieux.
- Que pouvez-vous nous dire sur la pochette de Cheyenne Autumn ? Vous parliez dans une interview d’une « Virgin touch », est-ce qu’on la retrouve ?
F. Delmotte : Non, pas pour celle-là. A vrai dire, je n’étais pas fan de cette pochette, je n’ai pas poussé pour elle. En fait, je me rappelle, et j’y repense de temps en temps d’ailleurs, que j’avais fait travailler l’agence Nous 2 qui avait travaillé pour le 45 T "Si je devais manquer de toi", sur un projet que je trouvais formidable, et que je vois encore, je ne sais pas pourquoi… Ça fait un peu partie de mes regrets : cette pochette était formidable. Après, je ne sais pas comment la connexion s’est faite avec l'agence Le Village.
-Alain Artaud en revendique la paternité.
Pochette de la réédition vinyle et le cromalin est à droite
F. Delmotte : Oui, c’est possible. Eux, Le Village (Charles Petit), ils venaient de fonder leur agence. Et Alain les avait rencontrés, et il avait peut-être décidé de mettre deux agences en concurrence comme ça se faisait parfois sur les gros projets. Et ils sont arrivés avec cette pochette que moi, je trouvais banale, assez attendue avec ces feuilles mortes, ces couleurs automnales. Je ne trouvais pas ça très intéressant. Ceci dit, avec le recul, j’avais tort... enfin, je ne sais pas, mais cette pochette s’est imposée, elle a construit l’image qui allait lancer sa deuxième partie de carrière, et de son point de vue à lui, c’était le bon choix.
- A quoi ressemblait la pochette alternative ?
F. Delmotte : Je la vois mais j’aurais du mal à la décrire. C’était assez graphique comme ce que faisait Nous 2, il y avait une photo de Jean-Loup Sieff, puisque c’est cette session qui avait servi aux visuels de l’album, et il y avait une espèce de flamme qui sortait de la photo, en petit sur fond blanc. Graphiquement, c’était très joli. Mais typiquement, c’était la façon de faire de Virgin, Murat a choisi, et même Alain Artaud n’aurait pas pu lui imposer l'autre pochette, mais pour ce cas précis, ce dernier était aussi favorable à celle-là. Donc, là, je n’étais pas en position d'imposer quoi que ce soit au directeur marketing et à l’artiste.
- Marie Audigier n'intervenait pas ?
F. Delmotte :Je ne l’ai jamais rencontrée. Pour moi, il n’avait pas de manageur. Murat gérait tout lui-même. Je n’ai jamais envoyé quoi que ce soit, un bon à tirer par exemple, à Marie Audigier. Pour moi, elle n’était pas manageuse. Il y avait des gens comme Daho qui avait en plus de Nataf une manageuse « exécutive », Anne Claverie, qui l’aidait à gérer des choses au quotidien, mais pour Murat, c'était lui qui venait à tous les rendez-vous, c'était lui qu’on appelait quand il y avait un visuel à checker, et il passait au bureau. C’était ce genre d’artiste qui vérifiait tout.
- Oui, c’est un peu ce que dit Alain Artaud.[En fait à l'époque, elle est encore chanteuse et ne se consacrera pleinement au management qu'ensuite].
Et techniquement, comment ça se passait ? Parce que donc je suis en possession du cromalin, des bons à tirer (BAT) que je montrerai lors du week-end Murat en juin prochain...
F. Delmotte : On ne travaillait pas avec des grosses agences, surtout chez Virgin. Le Village, ils étaient deux, et Nous 2 était un couple. Il y avait déjà des grosses agences dont je ne me souviens pas des noms, mais qui étaient presque des agences de pub, et que des gros labels utilisaient, pour France Gall par exemple.
Ça pouvait commencer par des « crobards », des croquis, et ensuite, il y avait des maquettes, avec des feuilles de calque, toutes les indications de couleurs, les endroits où devaient être placés les visuels. Et c’était assez difficile à interpréter si on n’était pas du métier, visuellement, la pochette n’était pas là, ça n'était encore qu'un document technique. Il fallait attendre le cromalin qui était fait à la photogravure. Et c’était ce qui était soumis à l’artiste.
- Oui, à l’époque, il n’y avait pas les outils actuels, les logiciels, etc, pas de mail non plus donc tout se transmettait avec les coursiers…
F. Delmotte : Oui, il n’y avait pas de numérique. Il y avait une maquette faite à la main, c’est-à-dire que tout était bricolé, avec des collages, donc là avec la photo choisie, j’imagine. On travaillait déjà avec ça avec l’artiste, et l’étape d’après, c’était le cromalin, fait à partir de quatre films, un travail à destination de l'imprimeur.
Vous m’avez dit qu’entre le cromalin et la pochette, la teinte est différente. Et ça ne m’étonne pas, puisque si je l’avais en ma possession, c’est que cette épreuve qui servait de référence à l’imprimeur n’a finalement pas été utilisée. Le cromalin partait chez l’imprimeur, et quand il commençait à imprimer les pochettes, il vérifiait que ça correspondait bien exactement à la tonalité, à la colorimétrie du cromalin.
- Ah, d’accord, le cromalin ne servait pas directement à l’impression, comme un négatif, ou un fichier informatique à imprimer, mais uniquement de référence.
F. Delmotte: Non, c’était la maquette et les films qui étaient utilisés. Et je pense qu’on a dû en refaire un autre, parce que le premier, on a dû dire qu'il était trop gris ou pas assez comme ça et ça. Pourtant refaire un cromalin, on évitait, parce que ça coûtait assez cher. Le cromalin servait à visualiser ce que serait la pochette, mais il était trop tard pour changer des détails de maquette ou des textes. La décision était prise avant, même si ça servait de validation pour l’artiste qui pouvait voir l’objet final grâce à lui. La maquette ne donnait qu'une idée de ce que serait la pochette définitive. Mais le cromalin, c’était un outil pour l’imprimerie, c’est en cela que c’était un « bon à tirer »
- On m’a signalé il y a peu que Jean-Louis était orthographié sans tiret. Ce tiret ne figure pas non plus sur le 45T "Si je devais manquer de toi" et sur les autres : "Col de la Croix-Morand", "Cours dire aux hommes faibles" (il était bien présent, et même en gras sur "Suicidez-vous le peuple est mort").
F. Delmotte : Non, je n’avais pas remarqué et je me rappelle pas de ça. Je pense que c’était volontaire parce qu’on l’aurait remarqué.
- J’imagine que ça pouvait être une façon de rajeunir un peu ce patronyme ?
F. Delmotte : Oui, peut-être, ce n’était pas un prénom très moderne.
- Il y a aussi une erreur dans le CD (mais pas sur le vinyle de 1989 [photo en fin d'article]) : dans les crédits, le renvoi indique que Le garçon qui maudit les filles serait écrit par JL Bergheaud Murat/Coqueijo Luz. Ça correspond en fait à la chanson Pars (É preciso perdoar chanté par G. Jilberto)
F. Delmotte : Ah ? d’accord…
Crédits sur le CD et le vinyle 2019
A remarquer également: on peut penser que Coqueijos Luz est une seule et même personne. Il manque un tiret (il s'agit bien de deux compositeurs). Ce problème est renforcé par l'ajout des initiales des prénoms sur la réédition 2019 sauf pour eux. Ainsi le renvoi, toujours faux, est "JL Bergheaud Murat/Coqueijo Luz". Le bon crédit aurait été "JL Bergheaud Murat/A. Luz-C. Coqueijo"... Ça se complique avec les noms complets :Alcyvando Liguori da Luz et Carlos Coqueijo Torreão da Costa.. Quoi? Je chipote?
- Et ça a été reproduit ainsi même dans la réédition récente en vinyle (crédits sur le rond central), est-ce que ça vous dit quelque chose ?
F. Delmotte : Non… et personne ne l’a vu. C’est étonnant. Les mentions figurant sur le rond central provenaient du service artistique, ensuite l’artiste décidait seul de ce qu’il avait envie de voir figurer sur la pochette et la sous-pochette. Personnellement, je m’assurais juste que les mentions légales (copyright) soient présentes.
Que pourrais-je vous dire de plus ? Je n’ai pas assisté à la séance avec Jean-Loup Sieff alors que généralement, ça pouvait être le cas, ça faisait partie de mon travail. Murat a dû y aller seul, parfois l’artiste préférait. Je me rappelle de Daho pour une séance chez Harcourt qui ne voulait personne dans la pièce au moment de la photo. Et c’était sans doute la même chose pour Murat qui voulait une relation directe et personnelle avec le photographe pour essayer de créer quelque chose. Il n’avait pas envie qu’il y ait des gens qui traînent autour d’eux. La séance en tout cas, avait été bonne. Bon, le portrait pour la pochette, un peu pensif et lointain, je le trouvais un peu quelconque mais sur la photo avec les mains abîmées, là, il y avait quelque chose d'intéressant qui passait.
- Les mains abîmées ? Ça ne me dit rien… [J’ai trouvé : il a une petite attelle qu’on aperçoit]
F. Delmotte :Je ne me rappelle pas d’autres séances en tout cas. Généralement, il y avait une séance pour la pochette, et une autre pour servir pour la promo, plus spécifiquement pour la presse.
- Sur la première pochette de "Si je devais manquer de toi", il y a une photo d' Annie Romero. Cela vous dit quelque chose ?
F. Delmotte: Non, ce sont des photos qui devaient déjà exister. D’ailleurs, il ne ressemblait déjà plus à ça. Il était jeune sur cette photo.
- Après, il y a eu des séances avec Frédérique Veysset [créditée sur la pochette numéro 3 de "Si je devais manquer de toi", de 1987 et aussi, un an plus tard, sur le 45T "Le garçon qui maudit les filles"].
F. Delmotte :J’ai fait beaucoup de séances avec elle mais pas avec Murat. Après, effectivement, elle avait dû réaliser une séance de photos de presse et certaines ont été utilisées comme visuels de pochettes.
- Agnès Propeck est créditée au design du 45T "Le garçon..." Cela vous dit quelque chose ?
F. Delmotte : Oui, Agnès Propeck avait beaucoup de talent et aurait mérité de travailler sur une pochette d'album.
Agnès Propeck est photographe (représentée par l'agence Vu) et professeure.
- Vous avez travaillé sur Ultra Moderne Solitude. Est-ce qu’il y a d’autres pochettes marquantes dont vous vous souvenez ?
F. Delmotte : En peu de temps, il y en a eu beaucoup. Il y a eu Putain de camion de Renaud, et c’est un exemple du « dernier mot à l’artiste » qu’on a vraiment regretté. Je pense que c’est la pochette qui a nécessité le plus de travail. On a fait jusqu’à trois projets, on allait jusqu’au bout, jusqu’à la maquette finale, et puis il changeait d’avis. Il disait : « Ah non, finalement non ». On a changé trois fois, on a refait la pochette de bout en bout, et la dernière, ça a été la photo d’un petit tableau qu’il avait chez lui et qu’il voulait tout d’un coup avoir sur sa pochette, sur un fond noir. C’était anti-commercial, on l’a regretté, déploré, mais voilà, c’était exactement ce qu’il voulait, et on ne pouvait pas s’opposer à Renaud qui était déjà un gros gros artiste, et un des plus gros vendeurs en France.
Je peux retenir aussi les pochettes de Daho qui étaient intéressantes, celle avec l’illustration de Guy Peellaert [Pour Nos vies martiennes] était chouette à l’époque. Celle de The no comprendo des Rita Mitsouko était sortie quand je suis arrivé, mais il n’y avait pas beaucoup de choses à discuter avec Catherine, elle savait ce qu’elle voulait. Il y a eu aussi Aubert, je me souviens, avec Plâtre et ciment. Ce sont les pochettes auxquelles je pense, mais il y en a eu d’autres sans doute.
- Vous avez continué à suivre Jean-Louis ?
F. Delmotte : Ah oui, bien sûr, j’adorais la musique de Jean-Louis Murat. Après, comme beaucoup de gens sur la dernière décennie, j’ai écouté avec moins de régularité ce qu’il faisait, mais sur toute la période qui a suivi Cheyenne autumn, c’était vraiment pour moi un artiste majeur de la scène musicale française. Surtout, le connaissant, c’était quelqu’un d’intéressant, ce n’était pas le cas de tous les artistes. On pouvait parler d’autres choses, il pouvait avoir de l’humour aussi... Parfois plus de la provocation que de l’humour.
Ah, tiens, il y a une chose que vous ne connaissez peut-être pas, je m’en suis souvenu il y a peu. Ça ne concerne pas les visuels. Je me rappelle qu’il avait fait une version maxi ou dub d’un titre de l’album, dans laquelle il avait fait chanter sur les chœurs une partie du personnel de Virgin. Ce n’était pas du tout crédité, c’est un souvenir que j’ai, c’était assez intelligent de sa part parce que c’était très flatteur pour le personnel. Une façon aussi de jouer de son côté séducteur auprès de la gent féminine.
- Ah, mais je crois que c’est bien crédité… C’est sur le maxi « Si je devais manquer de toi » que j’ai regardé juste avant. Neidge, Tassia, Christine, Rosanna, Véronique, Marie, Régina.
F. Delmotte : Bizarre, aucun de ces prénoms de me dit quelque chose...
Ils ne correspondent pas à des personnes salariées de Virgin. Cela ne dit rien à Alain Artaud, ainsi qu'à Marie Audigier qui n'exclut pas d'être la Marie citée, mais elle a fait beaucoup de chœurs. J'aurais adoré pouvoir relier encore plus Marie Sauvet et Malicorne à Jean-Louis,et compléter la liste des crédits surprenants (Amadou et Mariam, JP Nataf...) mais cette dernière m'indique : "Je n’ai malheureusement pas participé aux chœurs sur un titre de Jean- Louis Murat. J’aurais aimé !".
- Ah, sur le maxi "Is anything wrong?... L'ange déchu", voici une autre mention : "les anges : Mireille, Florence, Isabelle, Dominique, Nadine, Rebecca, Sophie, Marie, Marie-Anne, Nathalie et Is anything wrong ? Caroline" (et donc 18 gentes dames invitées pour deux titres remix... Murat effectivement flatteur!!).
F. Delmotte : Mireille : Roulet (de l'artistique France avec Stéphanie Giraud et Monique Lajournade), Dominique et Rebecca (Hayat) étaient de la promo, Isabelle aussi je crois, mais je n'ai plus les noms, Sophie (Carminati), Marie-Anne Dudouit, Caroline Diament*... Les autres je ne sais pas.
*Oui, celle "vue à la télé" avec L. Ruquier. Elle a travaillé 10 ans chez Virgin, d'où elle est partie avec le titre de "chef de produit". [Nathalie : Noënnec -promo tv-possiblement]
- On est donc loin de l’image de l’ours ombrageux qu’il a eue [ou du portrait du petit con que JB Hebey faisait de lui à ses débuts – dans le livre Coups de tête ]…
F. Delmotte : Oui, oui, il était tout-à-fait avenant avec nous dans les relations de travail, c’était une image qu’il se donnait dans les médias. Pour moi, il n’était pas comme ça.
Je sais qu’il préparait énormément ses interviews, ça m’avait d’ailleurs surpris à l’époque. Moi, j’imaginais que les artistes se rendaient en promo et de manière très naturelle se racontaient, répondaient aux questions qu’on leur posait. Et j’ai pris conscience avec lui qu’il y en avait qui faisaient un travail autrement plus sérieux que de se présenter devant un micro - ce qui n’était pas le cas de tout le monde. Il travaillait ses interviews, il préparait ce qu’il allait dire, pas au mot près bien sûr, mais globalement tout était prévu. C’est aussi ça qui me fait dire que ses petites provocations étaient parfaitement calculées, ce n’était pas quelque chose qui lui avait échappé. Il avait appris de son expérience de début de carrière qu’une interview se préparait comme autre chose.
- Ah, très intéressant, ça m’évoque le fait qu’il a toujours eu un «pitch » à servir à la presse pour chaque album… Et sur les provocations, il a dit que c’était parfois des choses prévues avec les amis, des sortes de paris ou de commandes.
F. Delmotte : En tout cas, au moment de sa signature avec Virgin, il était déjà plus âgé que certains autres, comme Daho, il avait conscience que c’était sa dernière chance, et c’est pour ça qu’il s’est investi avec autant de professionnalisme dans cet album-là et dans sa relation avec Virgin.
- Alain Artaud que j’ai croisé à l’enterrement m’a dit qu’il y avait des représentants de toutes ses maisons de disque (sauf la dernière), ça confirme un peu vos propos sur son bon caractère. Par contre, il a souvent dit que chez Virgin, on lui disait « Fais comme Daho »…
F. Delmotte: (Rires) Oui, c’est ce que je disais, je le reconnais. Au départ, on a mal évalué le personnage, c’est vrai qu’on l’a vu comme un artiste de plus, on n’a pas vu sa spécificité et le potentiel autrement plus grand que n’importe quel artiste. Et au début, la référence pour nous, c’était Daho, l’artiste qui avait explosé, mais on a compris très vite que ça ne marcherait pas comme ça avec lui, qu’il ne jouerait pas ce jeu-là et que c’était dans l’intérêt de la maison de disque de le laisser développer sa personnalité plutôt que de lui en imposer une.
- Vous m’avez envoyé un petit mot qu’il vous avait fait et que vous m’autorisez à reproduire…
F. Delmotte: Oui, quand je suis parti, il m’a offert ce recueil de textes de Tarkovski, ça lui ressemblait bien, c’était très gentil de sa part, tous les artistes ne l’ont pas fait, c’était un témoignage que notre relation était assez riche et allait un peu au-delà de relations professionnelles.
- De là à partager des moments amicaux à l’extérieur du bureau ?
F. Delmotte: Non, de par ma fonction, nos rencontres étaient limitées aux locaux de Virgin, dans mon souvenir, à la différence des gens de la promo qui accompagnaient partout les artistes et pouvaient donc avoir l'occasion de prendre leur repas ou partir en déplacement ensemble.
Tarkovski que l'on entend sur le disque et dont il parle beaucoup en interview:
COMPLEMENTS
- Réunion de famille
F. Delmotte: J’y étais mais comme invité car je venais de quitter Virgin (ce qui m’a épargné de devoir m’en occuper car ça faisait aussi partie de mon boulot).
- Coin du collectionneur:
Coffrets rares de 17 CD, avec Jean-Louis Murat chantant tombé sous le charme, et J. Clerc, l'ange déchu. Un CD simple existe aussi.
F. Delmotte: Je ne savais pas que c’était devenu une rareté… Un projet porté par Fabrice Nataf pour appuyer cette idée que Virgin était une « famille ». Peu de succès, de mémoire, mais ça n’était pas le but.
- Plusieurs cassettes audio "Virgin Actualités" contiennent des titre de Jean-Louis Murat, en voici deux:
F. Delmotte: Oui, j’ai lancé les K7 Virgin Actualités avec pour modèles les cassettes du NME [la revue musicale britannique] mais très vite les contraintes budgétaires m’ont obligé à faire simple avec une maquette dont on changeait juste la couleur
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Interview réalisée par téléphone le 14/02 et relue, et complétée gentiment par de multiples mails jusqu'au 10/03/2024 par François Delmotte. Merci à Alain Artaud (à qui je n'ai pas dit qui était l'interviewé principal) et Marie Sauvet, et bien sûr à François. Merci à la correctrice.
Retrouvez le CROMALIN, et les pochettes figurant dans l'article, et d'autres choses, lors de l'expo du week-end Murat, yes sir! à Clermont-Ferrand, qui sera en partie consacrée sur la période 1977-1990 :
A ceux qui avaient eu la chance de le voir le 23 juin au Week-end Murat, yes sir! (1ère édition), Alain l’avait annoncé, entre gourmandise et espièglerie : le clip de “Ton corps est mon décor” venait de sortir, et on pouvait aller en découvrir les images « explicites ». De fait, 38 470, son nouvel album, fait naître beaucoup d’images : des fragments du corps désiré, l’apparition dans la nuit de la spectaculaire “Marlène Dietrich masculine”, les paysages et personnages d’un film, ou les cosmographies réinventées des amours triangulaires... L’interprétation, qui joue de tous les ressorts de la voix tour à tour chantée, parlée, murmurée, la richesse des orchestrations et arrangements rendent sensibles à chaque morceau des univers singuliers, livrent de façon parfois presque théâtrale des courtes scènes, portraits, récits.
Du désir et de l’amour, il est donc beaucoup question dans ce disque, mais bien d’autres aspects surgissent de cette exploration de l’intime, portés par une langue toujours très littéraire et précise. Alain se livre aussi en contemporain ironique et désarmé, traversé par les crises de notre époque, en poète qui s’interroge sur son écriture et “convoque l’imprévu”. Il compose ainsi un autoportrait à multiples facettes, qui se dévoile et s’approfondit au fil des écoutes successives.
Le plaisir à découvrir cet album vient aussi des contrastes et ruptures : les morceaux pop alternent avec des ballades plus intimes et parfois mélancoliques, et un duo joliment enlevé, les déclarations d’amour s’ourlent de noirceur, l’énoncé des doutes, des échecs va de pair avec le goût de l’artifice, une magnifique flamboyance.
La sortie de cet album était une belle occasion de rencontrer Alain, qui dans son planning chargé de sortie d'album, spectacles et projets à venir, a trouvé le temps pour une conversation dense et passionnante. Nous vous laissons avec ce talentueux auteur-compositeur, formidable pianiste au service d'un très grand interprète... qui pourtant aime le collectif.
- J'avais oublié mais tu me disais en juin qu'on avait commencé une interview il y a quelques années et que ma première question un peu rituelle sur les origines de ta carrière de musicien t'avait découragé. Est-ce que tu es réticent à parler de toi?
A. Klingler :Pas particulièrement… Mais je parle déjà beaucoup de moi dans mes chansons. Ce qui m’avait découragé dans la question rituelle des débuts, c’est que ma réponse serait forcément un peu longue : j’ai commencé le solfège à six ans, le piano à sept ans. J’étais admiratif de Samson François. Mais je n’avais pas ce talent de pianiste classique. Et puis, j’aimais déjà beaucoup la variété, ce qui était très mal vu à l’époque, au conservatoire, tout comme, plus tard, dans le milieu des musiciens. Dire que l’on écoutait Véronique Sanson ou Michel Berger nous conduisait quasiment devant le peloton d’exécution. Je n’ai pas eu de grand frère, ou de grand cousin qui m’aurait fait découvrir Led Zeppelin, Franck Zappa, ou Bowie…
Mon premier spectacle fut Léo Ferré en piano-voix (plus quelques bandes orchestre). J’avais 13 ans. Un choc.
Puis, ce fut Manset avec Lumières, en 1982, j’avais 14 ans. Une commotion. Ces douze minutes hypnotiques. À l’époque, pas d’internet, juste des revues de rock et Paroles et Musique, magazine qui consacrait des dossiers complets à Higelin, Bashung, Manset, Romain Didier, Allain Leprest…
Mon horizon, pendant longtemps, ce furent ces revues et puis le TOP 50, jusqu’au jour où je suis tombé sur une retransmission de Pantin 81 de Barbara, et là, tout a changé en une heure. Le lendemain, je courais me procurer l’album, puis tous les albums. Ce fut le début d’un grand virage. Je venais de rencontrer une artiste qui racontait sa vie au piano, qui était androgyne, théâtrale, et dont l’art dépassait tout ce que j’avais vu jusqu’alors et que je n’ai d’ailleurs pas revu ensuite… Cette présence sur scène, médiumnique…
Il y a eu également le disque Piano-public de Romain Didier en 1985. Je l’écoutais en boucle sur mon magnéto cassette.
Donc, je voulais faire comme Romain Didier, Barbara ou Léo Ferré quand je serais grand. Et puis, ma disquaire, clairvoyante, m’a conseillé d’écouter Jean Guidoni et là ce fut une grande claque. J’avais 17 ans. Tout ce que Jean chantait me plongeait dans des mondes qui me passionnaient. Il chantait l’homosexualité, les bas-fonds, les putes, la drogue… L’écoute de ces artistes ouvrait des mondes. Des arborescences. Barbara parlait de Verlaine et Rimbaud, Guidoni évoquait Genet, Fassbinder, Ingrid Caven, j’allais voir, tout cela nourrissait ma curiosité.
J’habitais dans le sud. Nous étions ravitaillés par les corbeaux, tout nous parvenait par ricochets.
Heureusement, très vite, il y a eu des concerts où je suis allé écouter Barbara, Guidoni, j’y ai fait des rencontres extraordinaires.
Entre temps, j’avais obtenu un bac option musique et je suis allé à la fac. J’ai commencé à écrire des textes. Un jour, des amis qui organisaient un concert de rock m’ont proposé de faire leur première partie. J’avais écrit cinq chansons. Cela s’est bien passé. On avait enregistré ce concert et donc, tout naturellement, j’ai envoyé ces cinq chansons sur une cassette à Barbara, qui m’a répondu une semaine après : "j’ai aimé vos chansons, chantez partout ailleurs qu’à Toulon" ! Imaginez ma stupeur. Puis Jean Guidoni m’a reçu chez lui afin que je les lui chante, ce qui était fou pour moi.
Deux ans après, en 1993, j’ai monté mon premier tour de chant à Châlon-sur-Saône, car les directeurs du Festival de Châlon dans la rue avaient eu par l’entremise d’une amie une copie de la fameuse cassette envoyée à Barbara. Ils ont eu un coup de cœur et m’ont commandé un spectacle. C’était parti. Depuis, je suis allé de rendez-vous en rendez-vous. J’ai eu la chance que cela ne s’arrête jamais. Très vite, j’ai rencontré d’autres artistes qui habitaient Paris et qui m’ont dit de venir y chanter. Nous nous produisions dans des lieux qui programmaient des jeunes artistes, des lieux comme Ailleurs ou le Limonaire. Pour moi, chanter dans ces lieux, c’était comme faire l’Olympia.
En 1996, j’ai rencontré Romain Didier et Allain Leprest, dont j’écoutais les disques depuis des années. Romain a été extrêmement gentil et m’a donné des conseils aussi. J’aime infiniment ces artistes qui font œuvre à partir de ce que je suppose être leur journal intime dévoyé.
J’ai gagné quelques concours. Et j’ai enregistré mon premier album.
Je viens donc de cette chanson-là.
Voilà pour les débuts !
- On te voit surtout sur scène dans des spectacles collectifs, finalement tu portes peu ton répertoire personnel, tes propres chansons?
A. Klingler: Oui, depuis quelque temps en effet. Pour l’album qui vient de sortir, je fais une date en Suisse [NDLR : le 13/10/23], et il y aura peut-être une ou deux dates à Paris. Je suis très mauvais vendeur de mon propre projet. Je ne sollicite personne, je ne réponds qu’à des demandes : donc si on veut que je chante quelque part, je le fais, mais je ne mets plus en place des choses en ce qui concerne mon propre répertoire. Je l’ai fait à une époque mais c’est fini.
Cet album est né parce qu’il y a eu le confinement, je me suis remis à écrire des chansons et à envisager ce disque, mais cela faisait dix ans que je n’avais pas écrit une chanson.
- Comment en es-tu venu à enregistrer ton premier disque ?
A. Klingler: Dans mon parcours, j’ai eu une révélation avec la chanson française. Mis à part David Bowie je ne m'intéressais pas aux chanteurs anglo-saxons : je ne connaissais que la chanson française, jusqu’en 1999 en tout cas. Je n’avais pas de connaissances sur le son. Pourtant il y avait bien des gens qui avaient travaillé le son, Bashung, Christophe, Berger, mais ce n’était pas quelque chose que j’avais repéré, je m’intéressais surtout aux mots, et à la façon de les mettre en musique. En 1999, Sophie Rockwell, avec qui j’ai écrit Je ne suis pas narcissique, et qui est chanteuse aussi, m’a dit deux choses le même jour : “tu devrais écouter un album de Stina Nordenstam, People are strange”, cet album de reprises où elle reprend des chansons de Rod Stewart, de Prince : je n’avais jamais entendu ça, le travail sur le son et la production était impressionnant. Et elle m’a dit aussi : “tu devrais te mettre à l’informatique musicale”. Je n’avais jamais allumé un ordinateur, je n’en avais pas ! On m’en a prêté un et d’un coup, pris de passion pour l’écriture des arrangements… j’ai écrit un album, Cercles d’amis.
Avec Chloé Mons, Je ne suis pas narcissique (2023 au Lucernaire) :
- Tout seul ?
A. Klingler: Oui, quasiment. Gérard Poli, un ami chanteur qui a son propre parcours passionnant [NDLR: Monsieur Poli], a écrit des textes avec moi, j’ai écrit aussi, et surtout j’ai fait tous les arrangements de ce disque, chose que je n’ai plus faite après. J’ai passé un an dans un studio à Saint-Ouen, à raison de quinze jours par mois, et des musiciens incroyables sont venus jouer, un qui jouait avec Calogero, un autre avec Sapho, un avec Arthur H, Brad Scott...
C’est là que j’ai découvert le son, c’est une chose à laquelle je n’avais jamais pensé avant. Cela m’a tenu pendant une dizaine d’années.
En 2001, je me suis installé à Grenoble. J’y ai rencontré un musicien qui s’appelle Etienne Dos Santos, qui jouait dans un groupe culte de Grenoble, Rien. Je suis allé vers lui et nous avons enregistré deux albums, No culture et Un invisible écrasement, et un projet de poésie musicale écrit par Anne Calas, Chroniques d’Ici, avec Arthur H. dans le rôle du récitant. Nous avons aussi fait beaucoup de spectacles ensemble, et c’était très intéressant. Je venais d’arriver à Grenoble, la Ville, le Conseil Général, le département me soutenaient, je faisais des résidences. C’était super. Cela a duré jusqu’en 2010.
Et puis il s’est passé une chose : en 2005 je suis allé au Festival d’Avignon pour accompagner un spectacle en tant que pianiste, et là le hasard a voulu qu’on m’invite à un spectacle de Marina Abramovic : elle rejouait sur scène ses performances. La même semaine j’ai vu un spectacle de Mathilde Monnier avec Christine Angot. Là, j’ai découvert un champ que je ne connaissais pas : l’art contemporain, le théâtre contemporain, la danse contemporaine - j’avais déjà vu des spectacles, mais ça ne m’avait jamais fait cet effet-là. J’ai aussi découvert un festival à Marseille qui s’appelait Actoral, où j’ai vu un performer qui est devenu un ami, Yves-Noël Genod, et ça a été une révélation, un choc esthétique. C’était en 2007, et à partir de ce moment-là, en deux ou trois ans je crois que j’ai vu 500 spectacles. Je courais ventre à terre voir deux spectacles dans la même soirée, je découvrais aussi des lieux comme La Ménagerie de verre. Et à partir de ce moment-là, la chanson française a totalement cessé de m’intéresser. Les chanteurs français, ça n’existait plus, mis à part Jean-Louis Murat, qui curieusement, proposait à chaque fois quelque chose qui me semblait transversal et actuel. Moi-même dans ce dispositif-là, je ne m’intéressais plus. J’étais entièrement passionné par les questions qui traversaient les disciplines comme la danse contemporaine, le théâtre contemporain, la performance, il y avait quelque chose que je ne connaissais pas, et que j’ai essayé de comprendre en lisant, en faisant des stages : moi qui savais à peine arriver au piano et en repartir, j'ai fait des stages de danse contemporaine pour apprendre à me déplacer sur un plateau, j'ai fait des stages de danse buto…
À la suite de ça j’ai quand même sorti deux albums encore, en 2010 puis en 2011, et j’ai chanté pendant 10 semaines à Paris, mais c’était au mauvais moment, au mois de mai, où il y avait beaucoup de ponts, je n’ai pas eu beaucoup de public. Et puis je voyais que ça ne m’intéressait plus, que ce qu’on passait à la radio ne m’intéressait plus, je n’allais plus voir des chanteurs, et c’est donc tout naturellement que je me suis mis à écrire pour le théâtre.
Donc à partir de 2012, je ne me suis plus produit sur scène en tant que chanteur.
Mais je crois que si j’ai quitté la chanson, la chanson m’a quitté aussi. Il suffit d’arrêter pendant quatre ou cinq ans pour ne plus être repéré par les programmateurs.
Il a fallu qu'on me propose de rejouer en 2017 ou 2018 pour que je rechante. J'ai multiplié les collaborations et depuis cinq ans, je fais des spectacles avec les autres, très rarement tout seul, et sur des répertoires autres que le mien.
- Il faut aussi se montrer, rappeler qu’on existe, en étant présent notamment sur les réseaux sociaux ?
A. Klingler: Oui, et ça, je ne le fais pas vraiment. Ça ne m'intéresse pas du tout.
Je trouve l’auto-promotion ridicule. Ou alors il faut que ça soit fait génialement : comme mon ami Yves-Noël Genod, qui, de toute façon n'a plus rien à vendre depuis un moment : il tient sur Instagram un journal littéraire, et là, c'est passionnant, une œuvre d'art en soi.
- Il est plus facile de monter et vendre un spectacle de reprises finalement ?
A. Klingler: Je ne fais pas de spectacles de reprises, du moins je ne le vois pas ainsi.
- Il reste quand même des lieux pour la chanson (A tout bout de chant, la salle du Rancy pour parler de Lyon), tu n'as jamais travaillé avec un tourneur ?
A. Klingler: Si, mais cela n’a jamais été très concluant.
- Tu dis que tu abandonnes l’activité d’auteur-compositeur-interprète, que ça ne t'intéresse plus et pourtant, c'est à ce moment-là que tu sors le disque J’étais là avant, en piano-voix, où tu reprends une partie de ton répertoire…
A. Klingler: Oui, mais ce n'est pas moi qui l'ai décidé. C'est un ami, Sébastien Riou, qui est ingénieur du son, qui m'a dit «J'aimerais t'enregistrer tout seul au piano, c'est moi qui décide où et quand et c'est moi qui produis. » Donc j'ai dit oui. Et là, ça a été génial, on a été à la MC2 à Grenoble qui est une salle extraordinaire, un auditorium où les plus grands orchestres européens viennent enregistrer. Il y a une acoustique extraordinaire. Il y a là un des dix meilleurs pianos européens, un Steinway à queue. Nous avions trois après-midi et la gageure, c'était d'enregistrer live sans retouche. On faisait une à trois prises, et on a gardé les meilleures de ces trois après-midi de trois-quatre heures. C’était le choix de Sébastien Riou, qui est venu me chercher et c'était la première fois qu'on me proposait un truc pareil. Et cet album a eu trois clés dans Télérama, mais malheureusement l’article est tombé juste après mes dix semaines de concert à Paris. Donc, j'ai pris cet article comme un cadeau, mais un cadeau de rupture, un cadeau d'adieu. J'étais déjà parti ailleurs, je crois. Et je me suis mis à écrire du théâtre assez rapidement.
- On en vient à l’album ? Tu dis que tu l’as composé pendant le confinement. Est-ce que c’est ce qui t’a conduit à te recentrer sur toi ? Tu as toujours chanté l’intime, mais il me semble que là tu proposes de toi un portrait à la fois beaucoup plus ample, avec des facettes multiples, et aussi beaucoup plus précis ou référencé, sur les lieux, les circonstances, les événements, les rencontres.
A. Klingler: Je ne sais pas. Je ne me rends pas compte. Peut- être que c'est le fait de ne pas avoir écrit de chansons pendant sept ou huit ans. Peut-être que cela a convoqué d'autres choses. Pour la précision, je m'étais donné pour chaque chanson des contraintes d'écriture pour sortir de certains schémas qui étaient les miens : des contraintes de versification. Par exemple pour “L'Inconnu du lac”, écrire une chanson dans une forme assez classique.
- En alexandrins !
A. Klingler: Voilà ! D'autres chansons sont en octosyllabes. Je me suis fixé des contraintes formelles assez précises, sur la métrique, les rimes, le champ lexical, chose que je ne faisais pas toujours avant. J’avais une envie de forme. Et comme toujours quand j'écris une chanson, j’écris d’abord 20 à 30 pages. Et puis vient le moment où je vais composer la musique de ces textes, et là, ça se joue en trois ou quatre heures : je rassemble ces 20 ou 30 pages et je compose la chanson. Je fais une espèce de cut up à l'intérieur de ce que j'écris et ça devient la chanson. Un journaliste vient de me dire que mes chansons lui semblaient être un concentré de ce qui aurait pu devenir une nouvelle, c’est assez juste.
Donc, peut-être que la précision est dans la forme. Peut-être aussi que j'ai été moins nébuleux que par le passé sur certaines choses. C'est possible. Il y a des chansons qui sont volontairement un peu nébuleuses comme “Rêve d'ours”, mais “Rêve d'ours”, c'est un clin d'œil que je me suis fait : je me suis écrit le texte que Jean-Louis Murat aurait pu m'écrire si j’avais oser le lui demander. La contrainte, c'était de m'écrire une chanson à la Murat. Une chanson comme “Ton corps est mon décor”, c'est au contraire assez minimaliste, je choisis peu de mots. Il y a des chansons qui jouent avec l'idée de poésie, comme “Rêve d'ours” ou “L’anthropocène”, où je me permets de mettre des références à la poésie, au “coup de dé” de Mallarmé.
Je crois que je me suis mis à écrire dès le lendemain du début du confinement, pour ne pas déprimer à cause des annulations de dates. J’étais très concentré. Pendant trois mois, j’ai été dans un seul et même élan.
- Et les citations ? Elles sont très présentes sur les chansons.
A. Klingler: Il y a des phrases qui sont comme des viatiques que j'ai toujours avec moi. Par exemple, il y a une phrase de Lacan « Ne jamais céder sur son désir » : ça fait 30 ans que je pense à cette phrase et je ne suis pas sûr d'en avoir épuisé le sens. Une autre de Rimbaud : "J’ai seul la clef de cette parade sauvage", qui pourrait résumer toute l'œuvre de notre ami Jean-Louis, il me semble.
Suivant les époques de notre vie, nous ne sommes jamais au même endroit face à ces phrases-là, à ce qu’elles provoquent en nous - poétiquement.
Il y a aussi que j’adore l’idée du cut up. Et qu’il faut que les chansons soient faites de choses hétérogènes. C'est pour ça que je fais faire des arrangements par quelqu'un d'autre, il ne faut pas que ça soit moi tout seul. Il faut qu'il y ait sans arrêt d'autres couches qui soient ajoutées.
- C’est sans doute ce que faisait Murat aussi. Il faut qu’il y ait une forme de dialogue, dans tes chansons ?
A. Klingler: Oui. Peut- être aussi parce que j’ai fait les choses tout seul pendant longtemps et que je ne veux pas me contempler moi-même. Ce qui m'intéresse est ce qui se passe avec quelqu'un d'autre. D'ailleurs, c'est vraiment ce qui me frappe maintenant avec la scène, c'est que ça n'existe pas sans le spectateur. Ce qui sort sur scène ne peut sortir que parce qu'il y a un regard, des circonstances, une énergie que l’on ne peut pas convoquer tout seul.
C’est pour cela que j’insère des mots qui viennent d’autres, des citations. Ou des mots que l’on ne met jamais dans une chanson. Comme “l’anthropocène” par exemple ! Quand j'ai découvert ce mot-là, j'ai eu envie de le mettre dans une chanson, tout en me disant que normalement on ne fait pas cela, ce mot est trop compliqué pour une chanson. On dit aussi que dans une chanson il ne faut pas mettre des adverbes de trois syllabes. J'en ai donc inséré dans “La vie est chic par accident”.
D'ailleurs, en pensant à Murat, et au risque de me faire tuer par les fans, je dois dire que les albums qu'il a fait tout seul chez lui ne sont pas ceux que je préfère, comme Tristan. J'aime bien quand il y a les autres. Quand il y a le Delano, quand il y a Stéphane Belmondo sur “Le Mou du chat”, je trouve ça sublime, parce que je pense qu'il y a l'autre qui vient avec quelque chose, un souffle, un truc. L’apport des autres, c’est essentiel, la batterie de Stéphane, la basse de Fred, les claviers de Denis... Bien sûr, il y a des chansons qu'il a faites tout seul que je trouve indépassables, comme”La surnage dans les tourbillons d'un Steamer”. Parce que sur ce titre, c'est extrêmement radical et il ne peut le faire que tout seul. C’est la grâce d’un moment.
- L'homosexualité est beaucoup plus présente à la fois dans cet album - même si tu en parlais aussi dans les précédents, avec “Game Boy”, “Les maisons louées” par exemple - mais surtout dans ta communication sur les réseaux. Pourtant tu as dit aussi que tu n’aimais pas l’idée des revendications identitaires et des communautés ?
A. Klingler: On avait parlé de ça à propos de la question de savoir comment on est perçu en tant que fan de Murat dans la communauté gay. Or je ne sais pas ce qu’est la communauté gay, parce que je ne fais pas partie de la communauté gay. Et je ne me vis pas comme fan. Je ne fais partie d'aucune communauté. Il y a une boutade que j'aime bien, c'est « je ne suis pas gay, je suis triste ». Cela dit, je n'ai pas l'impression qu'il y ait beaucoup d'homosexuels dans les concerts de Murat.
- C’est-à-dire qu’il a eu mauvaise presse, suite à quelques propos polémiques !
A. Klingler: Et qui étaient parfois très drôles… Oui, il faisait régulièrement des bons mots sur tout, dans cette époque tiède et misérable. Mais Murat parlait aussi souvent d’un professeur qui lui avait tout appris, et qui était homosexuel.
Par rapport à l'homosexualité, j'en ai parlé dès mes premières chansons écrites en 1993, comme “Les maisons louées”, je les ai chantées dès mon premier spectacle. Je n'ai jamais fait mystère sur l'objet d'élection de mon désir.
- Ma question portait davantage sur la façon dont tu présentes cet album : dans les réseaux, tu multiplies les hashtags (dont #jeanlouismurat !), et beaucoup te rattachent à cette identité ou font signe vers cette “communauté”.
A. Klingler: Ah oui ? C'est mon attachée de presse qui m'a dit qu'il fallait que je fasse des hashtags ! Je suis très obéissant, en tout cas avec les attachées de presse, pour une fois que j'en ai une ! Il se trouve qu’il y a un auteur dont j'aime bien le livre, actuellement, Nicolas Chemla, et qui maîtrise assez bien Instagram, j'ai vu que c'était ce qu'il mettait en avant, parce que son personnage est homo, alors que son livre parle plutôt de l'abîme (c’est son titre,L’Abîme). Cela m’a amusé de reprendre un peu ces hashtags. Et puis parce que moi, je ne sais pas comment faire. Mais je ne revendique rien en particulier.
Je ne crois ni aux origines, ni aux identités, ni aux assignations. Je pense que nous sommes multiples. Ça serait terrible que d'être qu’une seule chose.
- Pour revenir à l’album : est-ce qu’il y a une continuité entre ton travail au théâtre et cet album ? Sur les questions de la mise en scène de soi, la vie privée et publique, l’image de l’artiste, ce qu’est un personnage ? Ce qu’est ton personnage à toi ? D’ailleurs j’ai été frappée de te voir jouer un rôle en tant que comédien dans Dalida sur le divan, avec tes bagues et tes bracelets, comme si entre ton personnage et toi la frontière était vraiment très poreuse.
A. Klingler: Dans le spectacle sur Dalida, je joue le rôle d'un psychanalyste, mais la plupart des phrases que je dis dans le spectacle, c'est moi qui les ai réécrites. Même si je sais que sur scène je joue un psychanalyste, je pars quand même d'une base, de mon moi scénique. Parce que j'ai tendance à penser que dès lors qu'on va sur une scène, du fait de ce cadre, on devient autre chose que soi, une part de soi qui n'est visible que sur une scène. Et je tiens à ce que la scène reste cet espace sacré afin que, justement, puisse y advenir autre chose. D'ailleurs, c'est ce qui me frappe toujours quand on enregistre sa voix : on a à faire avec cet autre en soi. Cette voix qu'on entend dans le casque et qui passe par un micro, qui passe donc par un média, c’est une part inconnue de soi. C’est ça que je trouve intéressant et qui est sûrement matière à art. D'ailleurs, Bergheaud l'avait bien compris puisque c'était Murat qui s'exprimait sur scène et qui empiétait peut-être parfois sur Bergheaud. Il a mis en scène un personnage. Il a joué avec, l’un nourrissant l’autre.
Quand on est sur une scène, dans cet espace de représentation, quelque chose se modifie en soi. On a rendez-vous avec cette chose-là uniquement dans les circonstances de ce moment-là. Et puis, c'est aussi la part rêvée de soi, c'est la part fantasmée de soi, etc. Et cette part-là, curieusement, c'est la part la plus intime, mais elle ne peut être révélée qu'à cet endroit-là, ou encore sur le divan d’un psychanalyste…. Ou dans une maison close peut-être.
Mais il y a sûrement quelque chose qui se joue là, entre les uns et les autres, d'une vérité à nu, si j'ose dire, mais aussi de la part des rêves et des fantasmes et des vérités de chacun.
En tout cas cette part autre, qu’on l’expérimente ou non, existe en chacun de nous. C’est pourquoi on peut choisir de s’exprimer sous un nom de scène pour mettre à l’extérieur cette créature : Bergheaud devient Murat, Monique Serf devient Barbara. Sébastien Vion, avec qui je chante “La vie est chic par accident”, devient sa propre créature, Corrine. Et n’allez pas l’interpeller ainsi dans la vraie vie ! Dans le disque, et quand il est DJ, il est “The man inside Corrine”.
- Pourquoi “Larbin de personne” (ta chanson sur Murat) n’est pas dans le disque ?
A. Klingler: Parce que j'ai fait l'album avec un garçon qui s'appelle Mathieu Geghre, qui en écoutant la chanson m’a dit qu’elle sortait de l’album. Peut-être qu’il trouvait que c’était une chanson de fan. Je le regrette un peu parce que j’adore cette chanson et il n’en existe qu’un enregistrement public. Quand je travaille avec les gens, ils ont carte blanche et donc si on me dit « cette chanson, on ne la retient pas », je n'insiste pas.
- Et le titre, 38 470 ? Ce code postal, alors que l’album n’est pas ancré en Isère ou dans le Vercors… S’il y a un lieu, c’est davantage Paris.
A. Klingler: Parce que c'est là où j'habite. C'est le code postal de mon village, j'ai écrit les chansons dans cette maison, nous avons pris la photo qui est devenu le visuel du disque dans un petit champ voisin un jour de promenade. Je voulais l'appeler Rêve d'ours au départ, qui est la chanson du confinement, avec l’image de la tanière, qui est aussi un hommage à Jim Harrison, et qui est muratienne… Mais 38 470, je me suis dit que c'était un titre à la Murat aussi, que Murat ne l'avait pas fait et qu'il risquait de le faire. Donc je l’ai fait. Avant qu’il ne le fasse !
- Tu donnes aussi le code postal d’Orcival dans “Larbin de personne”. Mais on perd l’écho puisque la chanson n’est pas sur le disque.
A. Klingler: Oui, c’est vrai. J’ai trouvé intéressant de mettre le code postal d’Orcival dans la chanson.
- En quoi te sens-tu ancré à la région grenobloise? On ne te soupçonne pas contemplatif, ou avide de sports de plein air?
A. Klingler: J’y ai rejoint celui avec qui je vis. Et je me suis infiniment attaché à ces champs de noyers, aux bêtes, à cet environnement où les hivers sont parfois un peu rudes. À ce silence, cet isolement.
- Tu nous as parlé de tes découvertes de chanteurs et chanteuses, quand tu étais adolescent. Tu ne mentionnes pas Murat, parce que tu l’as rencontré plus tard ? Cheyenne autumn date de 1989…
A. Klingler: En fait, la même disquaire qui m'a fait découvrir Guidoni m'a fait découvrir deux disques qui étaient sortis au même moment : un album de Nilda Fernandez, Entre Lyon et Barcelone, qui est très beau, et Cheyenne Autumn de Jean-Louis Murat. J'ai découvert Murat dès cet album et à partir de là, j'ai acheté tous ses disques. Je les écoutais en boucle. La première fois que je l'ai vu sur scène, c'était en 1993 pour la tournée filmée dans Mademoiselle Personne : j’ai reconnu des choses en voyant le film. Je l'ai vu à Marseille, à l'Espace Julien. C'était un spectacle très particulier parce qu'il y avait non seulement les chansons du nouvel album qui venait de sortir, mais aussi six nouvelles chansons, dont la reprise de “Au fin fond d’une contrée” d’Akhenaton, et “Verseau”, que j'adore : “C’est la courroie du temps qui se détend, je la retends…” Je découvrais tout ça. Il était avec plusieurs musiciens, six ou sept, je crois. Je le revois encore, il avait un très beau pull-over blanc. C’est donc la première fois que je l’ai vu sur scène et après j’ai tout écouté. Cheyenne Autumn, l'album suivant, LeManteau de pluie... J’avais aussi la cassette avec le “Mendiant à Rio”, qui est sublime… À l'époque, il y avait de grandes interviews dans Les Inrockuptibles qui faisaient 15 pages. Tout ça était très nourrissant. Et après, la deuxième fois où je l'ai vu sur scène, c'est à l'Olympia pour la tournée Muragostang. Ensuite, je l'ai vu très régulièrement tous les ans ou tous les deux ans, ou parfois deux fois dans l'année. Au fil des ans, j’ai trouvé qu’il s’incarnait davantage, sa concentration, son magnétisme étaient impressionnants. La voix, de plus en plus belle.
- Tu as des souvenirs de concerts vraiment mémorables ?
A. Klingler: J’ai adoré l'Olympia avec Mustango. Je sais qu'il y a plein de gens qui disent que ce n'était pas un bon jour, moi j’ai trouvé ça extraordinaire. Il y a eu aussi un concert à Grenoble pour le lancement de la tournée de A bird on a poire, donc sans Jennifer Charles. Il sortait d’une semaine de résidence à Grenoble et il y a fait la première date. C'était énorme parce qu'il a chanté pratiquement toutes les chansons de l'album, plus d'autres nouvelles qu'il a enlevées dès la deuxième date. C'était un très beau concert… dans une salle où nous étions 150. J'ai aussi adoré La Cigale à l'époque de la sortie de l'album Lilith. Il avait fait durer le "Jaguar"… Extraordinaire. Je l’ai vu aussi la première fois où il a fait un spectacle en solo, en Suisse, dans un endroit qui s'appelle Le Cube. Là, on aurait dit une performance. Il était nimbé dans une espèce de brouillard, on ne le voyait pas beaucoup. A l’époque du Moujik, c’était très beau aussi. De toute façon, à chaque fois, c'était différent, il y avait toujours des montées, des moments incroyables… Il a fait un très beau spectacle aussi à Fontaine à l'époque de Grand Lièvre. “Qu’est-ce que ça veut dire”, sur la maladie de son père, c’était magnifique.
- Et toi qui es allé voir plein de gens dans leur loge, même Léo Ferré à 13 ans, tu hésitais à aller le voir, lui ?
A. Klingler: Pour Murat, oui, c'était plus compliqué. Parce que j'avais des échos sur son caractère, et comme j’aimais vraiment beaucoup son travail et que je l'aimais beaucoup, lui, je n'avais pas envie de vivre une mauvaise expérience. Je pense que j'aurais eu du mal à m'en remettre. Il y a aussi le fait que, pendant très longtemps, je suis allé voir les gens dans leur loge, j'ai rencontré beaucoup d'artistes qui étaient importants pour moi, j’ai vécu des moments inoubliables, comme avec Barbara, mais avec le temps, cela m’a passé, car je pense que ce n’est pas le meilleur moment pour rencontrer quelqu’un. Et, puis, aussi, avec l’expérience, je préfère rester à bonne distance de l’illusion…
Et finalement, je l'ai rencontré après le concert à la Marbrerie de Montreuil fin 2022, je suis allé le saluer pour lui dire que j’avais repris son "Jaguar" dans la compilation Aura aime Murat. Il a été d’une très grande gentillesse, et aussi, ça m’a frappé, d'une très grande douceur. Et puis, il m'a surtout dit qu'il serait là au concert de Clermont en juin [NDLR : le week-end Murat, yes sir!]. Je lui ai dit « Mais tu es au courant ? Tu sais qu'il y a un concert qui se prépare à Clermont-Ferrand ? » (parce que je crois que j'ai commencé par le vouvoyer, et après on s'est tutoyé). Et là, il a interpellé Fred Jimenez : « Fred, si les jeunes font un concert, on y va. » Fred a dit « Oui. » Et Murat a fait : « Oui, on y va, on viendra foutre le bordel ! » Je me suis dit : « Peut- être qu'ils vont nous faire les Rancheros ! » C'était étonnant.
- Toi qui es grand lecteur, tu suivais ses conseils de lecture ?
A. Klingler: Oui, je lui en demandais. C'est-à-dire que quand il y avait Libération qui disait « On va interviewer Jean-Louis Murat. Avez-vous des questions pour lui ? » J'envoyais ma question et il répondait.
Il m'a fait découvrir un texte de Hofmannsthal, la Lettre de Lord Chandos. Il parlait de Proust, mais je connaissais déjà.
- Ton album de cœur, c'est Lilith, je suppose ?
A. Klingler: J'aime énormément Lilith. Je l’ai beaucoup écouté à sa sortie parce qu'il y avait le "Jaguar" et puis "Un revolver nommé désir", et "Se mettre aux anges", aussi… J’ai beaucoup aimé Dolores, et Le Moujik aussi… Parfum d'acacia... Il y a eu toute une période où je plongeais vraiment dans ces disques-là, dans une très grande concentration. Mais j’aime les derniers aussi… C'est difficile pour moi d’en isoler dans la discographie, parce que, dans un album, il y a peut-être trois chansons que j'adore vraiment. Et puis il a eu tellement de périodes... C'est comme un peintre, en fait.
Je pense que lui aussi se donnait des contraintes d'écriture, des contraintes d'enregistrement, qui sont un peu comme les stratégies obliques de Brian Eno. C'est-à-dire que ça amène une autre manière de créer. Je ne sais pas s’il y a un équivalent, à part peut-être Bowie. Si tu lis Rainbow Man de Jérôme Soligny, une biographie en deux tomes de 1000 pages chacun, tu verras tous ses albums, ses concerts, racontés par chacun des protagonistes, disséqués. Et tu te rends compte que Bowie ne s’arrêtait jamais, parfois il terminait une tournée le vendredi et le lundi, il entrait en studio avec un nouveau projet. Chez Murat, il y a ça aussi et je trouve que c'est fascinant. J'espère qu'on aura un jour accès à tout ce qui dort chez lui… Même aux écrits, au journal : si c'est un journal à la Philippe Muray, on va pouvoir s’amuser un peu !
- Autre question rituelle : tes trois chansons préférées ?
A. Klingler: “Les jours du Jaguar” étant indépassables… j'aime beaucoup “Ami, amour, amant”. Je trouve que c'est sublime. “Accueille-moi paysage”, c'est sublime. “Aimer”, c'est sublime. J'adore “La lune est rousse dans la baie de Cabourg”... “Le Venin”, c'est quand même très, très beau. “Tout est dit”, c'est très simple, magnifique. “La pharmacienne d'Yvetot”, très beau. C'est difficile d'en choisir trois ! J'adore “Qu'est- ce que ça veut dire ? “... “Plus vu de femmes” aussi, et “Le chemin des poneys” me fracasse. "Perce Neige". "Sweet Lorraine". "Si je m'attendais". "Je me souviens"…
- Qu'est-ce que tu apprends quand tu reprends et réinterprètes une chanson ?
A. Klingler: Est-ce que j'apprends une chose? Je ne sais pas… Ce qui est intéressant pour moi, pour l’amener à moi, pour pouvoir la chanter, c’est qu’il faut que je trouve son secret. De trouver à l'intérieur de la chanson un point à partir duquel je vais pouvoir déployer quelque chose. Bien sûr qu'on apprend des choses parfois, mais ça ne nous sert pas. Moi, je croyais à un moment qu'apprendre une grille d'accords qui ne me serait pas du tout familière, ça m'aiderait : eh bien non, pas du tout. Ce sont vraiment des mondes étanches. J’apprends juste en tant qu'interprète : je pense que je suis un peu plus interprète que je ne l'étais avant. En chantant les chansons des autres, je deviens traducteur d'un secret, de ce que la chanson livre, en passant à travers moi... J’apprends aussi en me confrontant à ce qu’un autre a déposé dans cette chanson-là. Mais je ne la dissèque pas : je la laisse dans sa nébuleuse et dans son secret et je tiens à ce que ça demeure opaque. Je ne tiens pas à qu'on m'explique “Les jours du Jaguar”, je tiens à ce qu'elle me reste toujours énigmatique. “Rendre l'âme”, à chaque fois que je vais la chanter, je veux être surpris.
Dans le spectacle que je fais avec Hélène Gratet, Si en plus il n'y a personne, nous n’avons que des chansons immenses, écrites par Léo Ferré, Thiéfaine, Murat, Barbara, Dominique A… À chaque fois que je commence une de ces chansons, je me demande comment je vais pouvoir y arriver, et à chaque fois, le chemin m'amène à un autre endroit. C'est toujours surprenant car que je crois que ce sont des chansons alchimiques, nouvelles à chaque fois. Peut-être que trouver leur secret, c’est achopper sur un endroit d’où on peut relancer le désir, finalement. La question du désir est centrale à nos vies, il y a là un endroit qui permet de relancer la machine.
- Et dans ces spectacles de reprise, il y a le désir de transmettre aussi ?
A. Klingler: Pour les spectacles que nous faisons avec Hélène, oui, tout à fait. Ce sont des spectacles de transmission. Nous partons évangéliser les foules !
Pareil pour le spectacle que je vais créer à Avignon l’été prochain, sur Christian Bobin et Allain Leprest.
- Bobin et Leprest : quel est le point de rencontre entre les deux ?
A. Klingler: C’est moi ! J’adore les deux, j’ai eu la chance de connaître un peu Allain Leprest, et Bobin c’est une grande histoire finalement aussi. J’avais depuis longtemps envie de faire un spectacle sur Bobin, je voulais mettre des textes de lui dans le spectacle avec Hélène. Et tout à coup je me suis dit que j’allais faire comme l’exposition Beckett / Giacometti, rassembler deux œuvres et les mettre en regard. À partir du moment où j’ai décidé cela, tout s’est éclairé. Ces deux créateurs viennent du milieu ouvrier, les deux se sont enracinés dans un endroit, et à partir de cet endroit ont témoigné du monde : Bobin n’a pas quitté le Creusot et finalement son œuvre s’adresse au monde entier. Il lui suffisait de prendre un train pour Paris, d’arriver sur le quai pour tout comprendre en une seconde de la modernité, de la folie qui y règne. Leprest, lui, quand il n’était pas en tournée, était à Ivry, dans son bar, avec les discussions des parleurs de comptoir, qui étaient sa prise directe sur la vie, sur le monde. Les deux ont aussi beaucoup parlé de l’enfance. L’un est athée, l’autre croyant, mais chez les deux, ces questions métaphysiques reviennent tout le temps… La vie et la mort !
Il y aura des textes de Bobin, et une dizaine de chansons de Leprest. Sur Bobin, je voudrais sortir du cliché qui fait qu’on le voit comme un écrivain mièvre. Quand on le lit vraiment, on voit une forme de radicalité, c’est quelqu’un qui ne cède jamais sur son désir. J’ai très envie de faire ressortir cela, d’amener le spectacle vers l’ombre et la lumière. On revient à Nicolas Chemla !
Et puis chanter les chansons de Leprest, qui était un grand interprète, qui les a marquées énormément de son empreinte, de sa voix, et qui a été aussi chanté par d'autres… Il faut trouver son chemin là-dedans et c’est passionnant.
-Tu as envisagé un spectacle sur Murat ?
A. Klingler: J’y pense. Ce serait une proposition littéraire et musicale. Une sorte de constellation Murat. Il faudrait que je monte ce projet avec un.e autre artiste afin que cela soit ouvert.
Merci Alain!
Cette interview d'oct-nov. 2023 a été préparée par Florence et Pierrot, débutée par mail (première réponse), puis poursuivie lors d'un rendez-vous parisien avec Florence en octobre 2023. Alain Klingler a retravaillé et élagué ensuite la retranscription.
Nouveau spectacle, cet été en Avignon, Festival off.
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LES SOUVENIRS EN PLUS
Je ne connaissais pas Alain Klingler avant de découvrir son nom parmi les artistes ayant choisi une chanson de Murat dans le livre de Baptiste Vignol "le Top 100 des chansons que l'on devrait tous connaître par cœur, lui par contre lisait le blog (on a vu ci-dessus comme Jean-Louis a été important pour lui). Quelques temps plus tard, je le voyais pour la première fois en concert, où il m'offrait :
Quelques années plus tard, il gravera cette version sur AuRA aime Murat :
J'ai assisté une ou plusieurs fois à chacun de ses spectacles : Le cabaret des Garcons d'honneur - avec "Le lien défait", "Amor sulfurosa 15 ch", avec "Se mettre aux anges" je crois - , Dalida sur le divan, toujours avec Lionel Damei, et, avec Hélène Gratet, Chansons d'écrivains, puis Et si jamais il n'y a personne... avec "Rendre l'âme" dont il parle dans l'interview. Toujours des excellents moments entre grandes chansons, perles à découvrir, émotions et rire... et, donc, très souvent du Murat... jusqu'à ce que je vous propose de le découvrir "en vrai" à Clermont, au Fotomat, en juin dernier (ça a été une grande joie pour moi d'avoir vos retours positifs). Le voir prendre son cahier pour suivre la conférence de Pascal Torrin est une des nombreuses images de ces deux jours gravées dans ma mémoire, comme ses quelques mots avant de chanter "Larbin de personne". On retrouvera des vidéos de tout ceci sur ma chaine youtube.
On se quitte non sans que j'aie pris mon petit plaisir, toujours renouvelé, ma chanson préférée, à laquelle on a eu droit le 23 juin au Fotomat (qu'on pourra aussi écouter version piano ici) :
Je vous propose une petite archive inédite avec des propos sur Murat par des participants du disque "Aura aime Murat" (stardust.acp), récoltés par Nicolas Brulebois pour son article pour le magazine Hexagone (124a-2022). Il semble que des derniers exemplaires du cd soient encore disponibles sur la Fnac (Merci à Superflexe pour le commentaire que je découvre: "A largement sa place avec les meilleurs disques de Murat interprétés par lui-même. Avec quelques pépites).
On débute par ceux qu'on retrouvera lors du week-end Murat, Yes sir! Le 23 et 24 juin à Clermont. Billeterie. un soir/deux soirs, programme complet - de ouf!- dans le lien, notamment le film "mlle Personne" inédit!). On y découvre un peu pourquoi ils acceptent de venir gratuitement, parfois en traversant la France, pour rendre hommage à l'oeuvre de Jean-Louis Bergheaud. C'est une petite déception que si peu d'autres fans amis se soient décidés pour l'instant (même si les réservations sont bonnes)... mais il n'est pas trop tard!
1) ALAIN KLINGLER
En plus de sa participation de samedi, il jouera son répertoire, seul au piano, notamment des chansons de son nouvel album, vendredi 23/06 (en co-affiche avec LE FLEGMATIC) ! On pourra voir son spectacle avec L. DAMEI sur DALIDA en région parisienne le 12 mai (espace Jean Vilar, Arcueil), je vous le recommande!!, et également au Lucernaire, son spectacle "je ne suis pas narcissique", seule en scène de Chloé Mons (du 10 mai au 11 juin).
1) Quand avez-vous découvert Jean-Louis Murat? Avez-vous suivi/aimé toutes ses périodes? Laquelle vous a le plus intéressé, et pourquoi?
J’ai découvert JLM en 1987 avec Cheyenne Autumn, cassette que j’ai écouté beaucoup beaucoup. J’ai tout suivi, à partir de ce moment là, les interviews dans les Inrockuptibles, à l’époque où ils étaient encore un mensuel de référence. J’ai vu JLM la première fois sur scène en 1993 ou 1994, pour la tournée Vénus. J’ai suivi toutes les périodes. La période Mustango et son live, Le Moujik, Lilith m’ont passionné. Il y a là des chansons grandioses, comme Nu dans la crevasse, Les Jours du Jaguar, Le mou du chat, Jim, Foule romaine. J’adore aussi Dolores, Taormina.
2) Pourquoi avez-vous choisi cette chanson? En quoi vous a-t-elle interpelé au premier abord? Que comprenez-vous du texte, que vous inspire-t-il? Quel parti-pris d'interprétation avez-vous choisi, par rapport à la version originale?
J’ai choisi Les jours du Jaguar, parce qu’au terme de milliers d’écoutes (oui, à un moment, je me la chantais tous les jours), elle garde encore sa part de mystère. Il y a là une fulgurance, une fidélité à l’éclair dont parle Roberto Juarroz, qui persiste. Elle demeure à jamais pour moi dans son état d’apparition. Peut-être parce qu’elle a été enregistrée par Murat à l’arrache… Je me souviens de la première fois où je l’ai écoutée, le jour de la sortie, juste après avoir lu l’article / interview dans Libé. C’était une chanson de feu.
J’ai choisi de l’interpréter seul au piano, parce que c’est mon instrument confident, pour la tirer jusqu’à moi. En espérant qu’elle me livre son secret.
3) Êtes-vous sensible à la dimension "paysagiste" de Murat, son inscription dans un territoire? A sa façon de dire la chose amoureuse? Quels éléments de sa poétique retiennent votre attention?
Oui, je suis très sensible à cette dimension paysagiste. Un jour, revenant de vacances, je me suis promené vers chez lui, et j’ai été très troublé de me retrouver au coeur de ses chansons. Ce fut une révélation tellurique.
Je ne sais pas pourquoi son écriture me touche autant. Probablement l’aspect autobiographique, façon journal intime, plus ou moins crypté (jusque dans sa façon de chanter), qui explore les moindres soubresauts de sa vie, la vraie, et l’autre, tout aussi vraie, du rêve et de la fiction de soi.
2) SEBASTIEN POLLONI
Le samedi soir, il sera accompagné d'un groupe complet pour interpréter deux tubes de Jean-Louis Murat. En 2016, il avait déjà répondu à mes questions.
1)Quand avez-vous découvert Jean-Louis Murat? Avez-vous suivi/aimé toutes ses périodes? Laquelle vous a le plus intéressé, et pourquoi? J’ai découvert Murat tellement jeune que je ne saurais situer la période exacte...Il y a plus de trente ans, c’est sûr. J’aime à peu près toutes les périodes,exception faite de «Travaux sur la N89». Il y a au moins 3 titres sur chacun de ses albums que je trouve magnifiques. L’album que je préfère dans son intégralité est certainement «Mockba». J’aime la poésie des textes, leur intemporalité et j’ai chanté de nombreuses fois «lafille du capitaine» à ma plus grandefille, sur sa table à langer...
2) Pourquoi avez-vous choisi cette chanson? En quoi vous a-t-elle interpelé au premier abord? Que comprenez-vous du texte, que vous inspire-t-il? Quel parti- pris d'interprétation avez-vous choisi, par rapport à la version originale?
J’ai été intégré au projet sur le tard et sur le cd bonus, et il y avait comme «contrainte» de choisir un titre de l’album Babel. J’ai choisi «j’ai fréquenté la beauté» car j’aime le texte et le décalage assumé du clip me plaît beaucoup. Le texte est assez limpide, le narrateur parle de l’amour et de la beauté qu’il a fréquenté et certainement pas su garder... L’être désiré est comparé à une hirondelle, insaisissable et migrant selon les saisons, on y parle de lieux typiques de la campagne auvergnate et l’hirondelle étant qualifiée «des faubourgs» on perçoit la vision de l’artiste, entre les lignes, concernant ville et campagne ; l’impossibilité de concilier les deux univers, comme la difficulté de faire coexister les êtres composant le couple. Le clip appuie encore sur le côté rural et assumé de l’artiste avec comme personnages principaux le voisin de ce dernier (enfin je crois) et son tracteur. Mon parti-pris a été de ralentir légèrement le tempo, de ne pas reproduire le côté bluesy de l’original. J’ai fait tourner les arrangements autour d’une guitare rythmique simple et j’ai remplacé les contre-chants à laflûte par une guitare saturée typée fuzz, sur une ligne mélodique complètement différente. J’ai voulu ne pas dénaturer l’univers de départ mais en faire une interprétation proche de mon univers habituel.
3) Êtes-vous sensible à la dimension "paysagiste" de Murat, son inscription dans un territoire? A sa façon de dire la chose amoureuse? Quels éléments de sa poétique retiennent votre attention?
Je crois que la réponse à la question précédente, répond aussi à celle-ci... Parler de Murat sans évoquer sa vision de l’amour et son inscription dans la culture du territoire auvergnat est impossible, il est l’incarnation de ces deux composantes.
(J'aime beaucoup cette version, moins rentre dedans que l'originale, et qui rend honneur à l'"art" muratien: tempo, texte)
3) ADELE COYO
Elle vient de dévoiler deux titres de son premier disque : les orages et j'attends l'été (Je vois qu'ils atteignent un nombre de vues très respectables). Après Le fotomat, elle ouvrira pour ANGELE à Aurillac le 30/06! https://www.adelecoyo.fr/
1) J’ai découvert Jean-Louis Murat avec the Delano Orchestra lors du BABEL Tour en 2015. Je connaissais peu ces œuvres avant ça. Si mes souvenirs sont bons, c’était un soir d’hiver au théâtre d’Aurillac en première partie, il y’avait Matt Low. La première fois qu’il est apparu sur scène, il a débarqué nonchalant sans un regard vers le public… avec un harmonica pour accompagner la première partie, j’avais trouvé ça étrange et dénotant. J’aime bien la désinvolture alors ça ne m’a pas choqué. JLM était d’humeur taciturne ce soir-là.
Je me suis plongée dans ces textes et mélodies, et j’ai trouvé un univers sensible qui m’a touché. J’ai passé un très bon moment et j’ai découvert un artiste singulier. À partir de là j’ai suivi son parcours, j’ai travaillé un peu avec Denis Clavaizolle un de ses acolytes. J’ai particulièrement aimé son dernier album « la vraie vie de Buck John » inspiré d’un héros de son enfance, ça parle d’amour, de voyage, de transmission des thèmes qui m’inspirent. La production est impeccable et je trouve qu’il a une identité vocale de plus en plus marquante.
2) J’ai choisi de reprendre une chanson de son album « Vénus » « Tout est dit ». C’est avant tout une chanson que je trouve assez accessible. Il y’a un côté simple, évidant et très direct dans cette ballade. La mélodie et le texte nous offre tout de suite une place confortable. Je suis sensible à cette facilité quand la chanson me touche. Pour autant ce ne sont pas toujours les titres les plus simples à écrire. Dans « tout est dit » il y’a peu de mots mais ils sont suffisants. Ils disent tout. Ça parle d’amour, c’est universel, c’est la fin d’une histoire et comme je suis une grande romantique en musique, je me suis dit, je vais essayer de l’amener dans mon univers.
J’ai voulu lui enlever son enveloppe un peu « enjouée » de la ballade folk variété classique. J’ai voulu une guitare moins prenante mais plus comme une ligne, un guide en fond. Proposer une version plus moderne, épurée, plus aérienne … avec un rapport plus proche au texte.
3 ) Oui clairement, j’aime beaucoup sa façon d’utiliser le paysage dans ses textes, je me retrouve dans cette facette de l’auteur, sa liberté, son authenticité et son côté poète « paysan ». La nature est partout, l’horizon, la plaine, les vallées, … Je crois que l’Auvergne nous y inspire forcément. Par sa géographie, sa culture, sa préservation … C’est un territoire marqué par la musique folk et là aussi on retrouve souvent ce rapport à la nature, à l’amour. Mes chansons sont totalement dans cet esprit aussi. Il y’a aussi quelque chose que je trouve assez singulier chez Jean-Louis Murat c’est l’utilisation de nombreux personnages ou d’animaux. Souvent dans des situations improbables. D’un titre à l’autre vous passez de l’éléphant à la génisse… on comprend que son imagination est sans limite et que c’est un artiste unique dans toute ses complexités.
... Et on la remercie encore d'avoir pris l'initiative de faire un clip :
4) DORY 4 (représenté par FAYE alias Jean-Philippe Fayet, le Dory des chants qui répond, vu que c’est lui le grand fan de JLM dans le duo. Mais à force de persévérance, il a réussi à convertir son camarade guitariste Chris !)
C'est lui qui m'a suggéré de faire un projet sur Murat... et encore lui qui avait vraiment envie de faire une "date" à Clermont...
Quand avez-vous découvert Jean-Louis Murat ? Avez-vous suivi/aimé toutes ses périodes ? Laquelle vous a le plus intéressé, et pourquoi?
En bon auvergnat de souche, j’ai découvert JLM très vite dés 1985. J’étais étudiant à Clermont. Je me souviens notamment de l’album Passion Privé (sorti en 84) avec des allusions au pays qui m’avait interpellé (déjà) « Et je cours rue Montlosier donner mon sang pour l’Afrique » sur « Je traine et je m’ennuie ». Bien avant le succès national de « Si je devais manquer de toi ». Globalement oui j’ai tjrs suivi l’actu de Jean-Louis avec plus d’assiduité au début certes. Je suis donc surtout fan de la période Cheyenne Autumn, Le Manteau de Pluie, Dolores, Mustango… J’attendais la sortie des albums de JLM fébrilement. J’ai peut-être perdu en fébrilité mais pas en fidélité ! Si je devais ressortir un album je dirais Dolores parce que je l’ai écouté en boucle !
2) Pourquoi avez-vous choisi cette chanson ? En quoi vous a-t-elle interpelé au premier abord ? Que comprenez-vous du texte, que vous inspire-t-il ? Quel parti-pris avez-vous choisi, par rapport à la version originale ?
On a choisi « Brûle-moi » parce que c’est ma chanson fétiche sur Dolorés et mon acolyte m’avait laissé carte blanche. Brûle moi c’est une chanson sensuelle, très « gourmande » et virile avec ce phrasé si particulier de JL. Et puis y a ce petit « accident » sur le refrain où JL se plante et balance un gros « Meerde » mais parfaitement dans le tempo et le groove. D’ailleurs, anecdote amusante, quand on a remis l’album a JLM, le 1er titre qu’il remarqué dans la liste c’est « Brûle moi ». Et nous de rougir avec mon Chrichri.
Lui : « Ah ouais, y en a qui ont repris Brûle-moi… Et vous avez repris le « meeerde » aussi ? »
Nous : « Ah noooon Jean-Louis ça c’est copyright absolu la patte de l’artiste inimitable. On est resté sur le texte original ! »
Notre idée en reprenant ce titre était d’imaginer une version beaucoup plus féminine et introvertie comme une réminiscence, un souvenir d’une histoire forte et éphémère qui remonte. Comme une réponse à la version testostéronée et dansante de JLM. D’où l’idée de cette version cool, naturelle avec piano, guitare douce et voix féminine… Pour l’occasion on a demandé à Nathalie Pétrier, la talentueuse clavier/voix de nos amis du Voyage de Noz de nous accompagner. Et cette touche féminine fait la différence je pense. On a été d’ailleurs très flatté et ô combien honoré de constater que notre version semblait plutôt appréciée par les fans de JLM. Et le fait d’avoir eu une petite citation dans Télérama alors là c’était notre victoire de la musique à nous.
3-Êtes-vous sensible à la dimension "paysagiste" de Murat, son inscription dans un territoire ? A sa façon de dire la chose amoureuse ? Quels éléments de sa poétique retiennent votre attention ?
Un peu qu’on y est sensible à la dimension territoriale… puisqu’on vient de là-bas ! En plus, comme nous sommes 2 auvergnats exilés à Lyon, Murat, c’est un lien fort qui nous rattache au pays, à nos racines. Personnellement, je suis un amoureux de la langue française et de poésie. Et Jean-Louis incarne cette tradition du beau, de l’élégance, de la classe, de la french touch… en version arverne ! J’ai tjrs admiré cette liberté d’esprit et sa façon d’avancer sans compromis avec le risque de déplaire et de ne pas se faire que des amis. JL Murat, quand tu disparaitras – le plus tard possible évidemment, je crois que c’est moi qui manquerais de toi. J’ai un lien viscéral inexplicable avec cet homme-là… D’ailleurs nous avons enregistré une chanson tribute to jlm dans notre dernier album qui s’intitule « La complainte du bougnat ». Avec « Aura aime Murat » on peut dire que la boucle est bouclée. Encore un concert à la Coopé et on pourra mourir en paix.
Pour finir, les Dory tiennent à remercier Pierrot et Xavier les 2 initiateurs de ce super projet. Bravo bravo et merci merci à vous les gars. Et bravo bravo aussi à tous les artistes qui ont fait un super boulot je trouve. D’ailleurs je crois que JL a été très touchée par l’initiative.
5) STEPHANE PETRIER
Le chanteur lyonnais des VOYAGE DE NOZ ne sera pas présent avec son groupe historique mais avec une partie de son nouveau side-project "THE HAPPY YUGOSLAVIANS". Mais on retrouvera les Noz en cloture du Eh Cherry festival le 9/07 dans l'ouest lyonnais (rejettant Marc Lavoine et Louane au premier jour du festival le 6/07)
1) Quand avez-vous découvert Jean-Louis Murat? Avez-vous suivi/aimé toutes ses périodes? Laquelle vous a le plus intéressé, et pourquoi?
J'ai découvert Murat, je devrais être ado, sans doute avec "l'Anche déchu", et ensuite le duo avec Mylène Farmer. Au début,je crois bien que je détestais ça. Je trouvais ça prétentieux,bizarrement un peu « parisien », trop "Télérama"... Et en même temps j'étais assez fasciné par la classe du bonhomme. J'imaginais que toutes les filles devaient être amoureuses de lui et je faisais mon jaloux.Je suis vraiment tombé dedans bien plus tard, avec l'album« Mockba », par hasard, comme souvent avec la musique. Il faut que la chanson vous touche au bon moment. Et là, ça a fonctionné.Ensuite, j'ai tout pris, avec comme apogée « A bird on a poire »qui est pour moi son meilleur album... et qui est paradoxalement le seul dont il n'a pas fait les musiques. J'ai adoré cette collaboration avec Fred Jimenez. Au-delà de mon attirance naturel pour son côté « pop », j'ai l'impression que le fait que JLM se soit concentré sur les textes et sur des mélodies qui n'étaient pas forcément sa came au départ, l'ont forcé à se surpasser et à sortir de sa zone de confort comme on dit... Ce disque fait partie de mon top album et certains de ses textes de mes préférés.
2) Pourquoi avez-vous choisi cette chanson? En quoi vous a-t-elle interpelé au premier abord? Que comprenez-vous du texte, que vous inspire-t-il? Quel parti-pris d'interprétation avez- vous choisi, par rapport à la version originale?
Comme je suis dans une période boulimique je me suis permis de reprendre deux titres. Un titre de « A bird on a poire », forcément. Il s'agit de "Petite luge » qui est pour moi un hymne à l'amour physique, tout en douceur. Avec comme souvent chez JLM, des images, des décors, pas toujours intelligibles mais qui évoquent beaucoup. L'autre titre est un classique « Perce-neige », une chanson de « terroir » comme les aime Murat. Au-delà de la beauté de la mélodie, je crois que j'ai choisis cette chanson justement parce qu'elle évoque le rapport à la nature. « Perce- neige », ça sent les foins et la bouse et il se trouve que moi l'urbain forcené, je me suis fait rattrapé par la campagne depuis quelques années. Je fuis la ville et je ne pense plus qu'à retrouver mes vaches et mes bocages bourguignons, alors forcément
tout ça me parle. Concernant l'orchestration, je voulais faire quelque chose de très minimaliste, me concentrer sur l’interprétation et sur le jeu « live » avec mon ami et grand guitariste Jérôme Anguenot, essayer de ne pas me cacher derrière des effets. Tout en sachant que je n'ai malheureusement pas la voix de Murat...
3) Êtes-vous sensible à la dimension "paysagiste" de Murat, son inscription dans un territoire? A sa façon de dire la chose amoureuse? Quels éléments de sa poétique retiennent votre attention?
Aïe... j'ai répondu par anticipation à cette troisième question. Il se trouve qu'avec ces deux titres j'ai en effet balayé les deux sujets clés chez le bonhomme. L'amour et la terre. Il y a quelque chose d'essentiel dans ce qu'il raconte. Une façon de nous dire :"il y a la nature et la baise... et tout le reste n'a aucune importance ». Et je ne suis pas loin de penser qu'il a raison. Ensuite, j'aime aussi sa façon de le dire, sa capacité à écrire des vers d'une poésie très classique, très XVIIème, et la ligne suivante nous balancer un truc bien trash qu'on pourrait trouver chez Orelsan. Il ose tous les mélanges. Et il s'en fout. Bref, il est libre et c'est peut-être avant tout ça que j'aime chez lui.
6) MARJOLAINE PIEMONT
On entendra certainement parler de Marjolaine dans les prochains mois pour son nouvel album (avec la participation de Vincent Baguian). Après la soirée "Murat- livre unplugged" à Paris où je l'avais invité à jouer avec Antonin (Soleil Brun, qui sera là vendredi 23), elle figure dans "aura aime Murat"... à l'invitation de Fred BOBIN avec laquelle elle fait un duo sur "Le Mont Sans Souci"... et malgré son agenda bien chargé, elle a encore répondu présente pour le Week-end Murat, yes sir! La classe. Je sais que certains sont impatients de la retrouver, après son passage au Sémaphore en chansons à Cebazat.
Quand avez-vous découvert Jean-Louis Murat? Avez-vous suivi/aimé toutes ses périodes? Laquelle vous a le plus intéressé, et pourquoi?
J’ai découvert Jean-Louis Murat avec l’album « Dolorès » en mai 1997. C’est un ami qui me l’a fait découvrir. Je ne connaissais pas du tout cet artiste. Au départ, c’est vraiment le son qui m’a happée. Et c’est ensuite que j’ai vraiment écouté les paroles. Je me souviens avoir écouté Fort Alamo en boucle.
J’ai depuis « Dolorès » acheté tous les albums de Jean-Louis Murat. L’album Mustango est peut-être celui que je préfère.
Pourquoi avez-vous choisi cette chanson? En quoi vous a-t-elle interpelée au premier abord? Que comprenez-vous du texte, que vous inspire-t-il? Quel parti-pris d'interprétation avez-vous choisi, par rapport à la version originale?
Lors d’un concert au Festival Chant’Appart en mai 2021, je discutais avec Frédéric Bobin des artistes qui nous avaient marqués. Et nous avions évoqué l’artiste Jean-Louis Murat et notamment l’album « Mustango ». C’est là où Frédéric m’a parlé de l’initiative du label Stardust. Lui qui est originaire de la région Rhône Alpes, il m’a fait l’honneur de m’inviter à partager un duo avec lui sur ce disque. Nous sommes tombés très rapidement d’accord pour reprendre la chanson « Au Mont Sans souci ». Nous voulions une version douce et épurée de cette chanson. Frédéric a envisagé de reprendre la chanson à la guitare. Nous avons chanté à l’unisson certains couplets et nous avons eu envie de glisser de temps à autres des chœurs sur certains couplets. Je suis très heureuse d’avoir pu partager ce moment musical avec Fred Bobin.
3. Êtes-vous sensible à la dimension "paysagiste" de Murat, son inscription dans un territoire? A sa façon de dire la chose amoureuse? Quels éléments de sa poétique retiennent votre attention?
Quand on écoute les chansons de Jean-Louis Murat, on a envie de découvrir les lieux qui l’ont inspiré. Moi qui suis alsacienne et qui aime ma région et la faire connaître, j’ai voulu partir à la découverte de l’Auvergne, apprécier les lieux, qui sont cités dans ses chansons, comme un pèlerinage en terre auvergnate pour peut-être encore mieux comprendre les chansons de Jean-Louis Murat.
Voilà donc pour nos 6 participants au Week-end Murat, yes sir! Le 24 juin, on retrouvera également Eryk e (son inter-ViOUS et Murat par Matthieu Guillaumond à relire ici), Arcwest (ses propos sur Murat là), Le Flegmatic (qui nous a aussi parlé de Murat là ), et Morgane Imbeaud, Elvinh, Belfour, Coco Macé, Tristan Savoie et Stéphane Mikaelian.
Voici maintenant les réponses de Frédéric Bobin, Gontard, Nicolas Paugam, Pierre Schott et Richard Robert.
a) Frédéric BOBIN
1)Quand avez-vous découvert Jean-Louis Murat? Avez-vous suivi/aimé toutes ses périodes? Laquelle vous a le plus intéressé, et pourquoi?
Mes premiers souvenirs liés à Jean-Louis Murat remontent à mon enfance, lorsque je regardais les clips sur M6 en rentrant de l’école… Je me souviens notamment des clips de « L’Ange déchu » (1989)et de « Regrets » en duo avec Mylène Farmer (1991). Mais ma vraie « rencontre » avec l’univers de Murat a été l’écoute de l’album « Mustango », l’été 1999. J’ai eu un énorme coup de cœur pour cet album dont j’ai énormément aimé le son, l’ambiance musicale. Avec un côté « grands espaces » américain à la fois très assumé (le groupe Calexico travaille sur cet album) mais aussi complètement adapté à l’écriture singulière de Murat.
Murat étant très prolifique, je n’ai pas toujours suivi toutes ses périodes de très près, même je suis son parcours avec grand intérêt. Ma période préférée reste le trio « Mustango » / « Le moujik et sa femme » / « Lilith » qu’il a publié entre 1999 et 2003.
2) Pourquoi avez-vous choisi cette chanson? En quoi vous a-t-elle interpelé au premier abord? Que comprenez-vous du texte, que vous inspire-t-il? Quel parti-pris d'interprétation avez-vous choisi, par rapport à la version originale?
Cette chanson figure sur mon album préféré de Murat, « Mustango ». C’est une chanson à part dans l’album, puisqu’elle est très épurée (juste un piano avec un peu d’harmonica) et qu’elle ne sonne justement pas « américain » comme la plupart des chansons du disque. Ce qui m’a séduit dans le texte, c’est le côté poétique et imagé (que l’on retrouve très souvent chez Murat) mais aussi (et c’est plus rare chez lui) l’impression que c’est un petit film qui se déroule sous nos yeux. C’est un texte nostalgique qui nous ramène à des souvenirs de jeunesse, avec un univers très suranné (les villes thermales, les westerns, les vieux cinémas…) et une chute sublime qui évoque la persistance de la mémoire et le souvenir, comme refuge. C’est quelque chose qui me touche. De plus, je trouve la mélodie imparable, très évidente. Elle flirte avec des airs de comptines, des mélodies issues du folklore… J’aime beaucoup ce côté intemporel, presque folklorique, qu’a parfois l’écriture musicale de Jean-Louis Murat.
Par rapport à la version originale, j’ai choisi un picking de guitare acoustique, plutôt que le piano. Je trouvais que le côté folksong de la chanson s’y prêtait bien. Comme une confidence, une histoire que l’on raconte au coin du feu. Et puis surtout, j’ai proposé à Marjolaine Piémont de la chanter en duo avec moi. J’aimais bien l’idée du dialogue homme/femme qui symbolise à la fois la rencontre amoureuse de la chanson mais aussi le dialogue présent/passé du texte… comme si la voix de Marjolaine était une réminiscence d’un passé lointain.
3) Êtes-vous sensible à la dimension "paysagiste" de Murat, son inscription dans un territoire? A sa façon de dire la chose amoureuse? Quels éléments de sa poétique retiennent votre attention?
Je suis sensible au côté imagé de sa poésie, avec souvent des textes qui ne donnent pas toutes les clés et qui laissent beaucoup de place à l’imagination, beaucoup de place à l’auditeur. C’est une poésie parfois assez influencée par Leonard Cohen, me semble-t-il, où l’amour, le sexe et la mort se rencontrent… Son inscription dans un territoire me touche peut-être moins, même si je trouve ça très intéressant et très singulier, à une époque où on parle beaucoup de Paris et de la vie urbaine…
b- Nico Gontard
Il ouvre le disque car on a adoré sa version. Son nouveau disque 2032 vient de sortir chez Petrol chips.
1) Quand avez-vous découvert Jean-Louis Murat? Avez-vous suivi/aimé toutes ses périodes? Laquelle vous a le plus intéressé, et pourquoi?
Murat c'est une borne, un repère comme Manset ou Ferré, tu peux toujours te raccrocher à des titres peu importe la période. J'ai découvert Murat très jeune via ma cousine que je n'ai jamais recroisé depuis d'ailleurs. Elle aimait Georges Michael, Den Harrow et venerait JLM. Certainement une manière de se démarquer des niaiseries de Goldman et de ses histoires 1er degré. Voile de mystère sur le bogosse auvergnat en duo avec Mylene F. Trop jeune pour m'acheter les disques ou lire Libé, j'attends Venus pour plonger la tête la première. C'est l'époque romantique Elodie Bouchez, on a les petites amoureuses que l'on mérite. Ma trilogie préférée : Dolores- Le moujik et sa femme- Murat en plein air.
2) Pourquoi avez-vous choisi cette chanson? En quoi vous a-t-elle interpelé au premier abord? Que comprenez-vous du texte, que vous inspire-t-il? Quel parti- pris d'interprétation avez-vous choisi, par rapport à la version originale?
Nous sommes 2 aficionados de JLM dans le groupe, Noel Bingo et moi, on a fait des listes de titres reprenables (avec la règle absolue de ne jamais reprendre les hits, faut jamais reprendre les hits) , la plupart relativement obscurs, puis mon choix s'est arrêté sur ce titre un peu oublié qui était dans la liste de mon pote : le troupeau. Simple, un brin lyrique et possédé. Vague quête muratienne d'un ailleurs, d'une prise de responsabilité. Frustration au combat. Joli texte. Actuel même si pas à la mode. Nous avons enregistré cette reprise lors des sessions d'enregistrement de mon dernier album en date AKENE (Ici d'ailleurs 2021) en
première intention. Ambiance un brin poisseuse à la Stones. Il fallait que ca rugisse groove.
3) Êtes-vous sensible à la dimension "paysagiste" de Murat, son inscription dans un territoire? A sa façon de dire la chose amoureuse? Quels éléments de sa poétique retiennent votre attention?
Au fil des années j'aime de plus en plus ses morceaux simples et pop. Gimmick accrocheur, textes malins comme sur l'album a bird on a poire. C'est parfois un peu trop ésotérique à mon goût sur d'autres formats. Par contre, c'est brillant sur l'inscription dans le territoire, on sait d'où il parle. C'est devenu rare même
invisible dans l'autre chanson française, la bankable, celle des gendres ideals. Ras le bol. On ne parle plus de rien ni de nulle part et pourtant les micros se tendent et ces chanteurs endives saturent les salles de concert et les médias dits défricheurs. . L'enfer, c'est où l'interrupteur ?
c) Nicolas Paugam:
J'avais commencé a travailler sur baby carni bird mais le résultat était décevant, trop proche de l'original et beaucoup moins bien. Faut dire que murat est un sacré chanteur et bien plus grave que moi. Alors j'ai testé mes rythmes bizarres sur the reason why et ça fonctionnait. J'étais chez moi en quelque sorte !... Bon, il est vrai que je connais très mal la discographie de Murat cependant j'ai écouté beaucoup de titres pour le tribute et encore aujourd'hui dans le train ou j'ai perdu mon satané texte mais encore de belle découverte comme cette lettre de la pampa superbe.
Je me suis permis de rajouter un passage instrumental en changeant l'harmonie au centre de la chanson... Je trouve que Murat a une façon de chanter très sensuelle et le texte de cette chanson est intriguant, alambiqué comme on aime et aussi assez chaud ! Poupée champouine pas besoin de mettre la gomme on est encore a la Bourboule. Pas besoin de faire un dessin ahah. Murat traite et traie. On pourrait faire un parallèle entre le cinéaste Alain Guiraudie et le troubadour jlm, tous deux poétisent très intelligemment leur quotidien (Murat a du beaucoup aimer !) et leur région ( vache, dindes, un florilège de beaux mots... La pampa etc...)
Sexe, lac, vaches et pampa se marient très bien chez Murat ! D'ailleurs dans le peu que je connais je n'entends pas beaucoup les klaxons des villes mais plutot les clochers de village.
d) Pierre Schott
Murat et moi.
Au début des années 90, je connaissais de Murat ce que le public en connaissait. Il se trouve que nous étions à cette époque tous les 2 artistes dans la même maison de disque (Virgin) et que nous partagions parfois, du côté des Abesses, le même petit hôtel où le label avait l’habitude de loger ses provinciaux. Mais de prime abord réservé et distant l’un comme l’autre, nous ne nous étions jamais parlé. Quelques années plus tard, nous avions aussi en commun le même ingénieur du son (Christophe Dupouy) lequel me présenta à l’auvergnat dans ses loges, après un (bon) concert à Mulhouse. Je me souviens d’une discussion franche et intéressante sur des thèmes pragmatiques et inhabituels pour un artiste dans laquelle le chansonnier me mettait en garde de la précarité de ma propre situation et du risque fatal qui guettait ma carrière, à une époque où j’étais encore très optimiste. Dans les années 2000, j’avais appris que JLM pratiquait (?) le cyclisme sportif et qu’un vélo de belle marque était entreposé dans la grange de sa ferme de montagne. Comme je pratiquais assidument le même sport et que j’avais moulte fois pédalé à travers l’hexagone en solitaire, j’avais fait transmettre l’idée d’une sortie commune sur les pentes du puy de Dôme. Sans réaction.
Concernant ma reprise sur Aura aime Murat, la sollicitation par la production m’a beaucoup touché, d’autant plus que je suis alsacien et pas auvergnat! Parmi la demi douzaine de chansons qu’on m’avait suggérée, j’ai choisi sans hésiter « la nature du genre » pour son format « popable » et son texte court.
Concernant mes choix de réalisation, je l’ai simplement passée à la moulinette qui était sur mon propre établi à cette période là. JLM aura usiné obstinément une sorte d’americana plétorique à la française dans laquelle l’écriture l’emporte sur la réalisation. Attaché à la fois à son terroir natal et à la culture française, deux choses à ne pas confondre, il exprime ainsi, presque seul, tous les paradoxes, les contorsions et les blessures que le pays s’est infligé lui-même dans ses mutations depuis deux siècles. Mais, comme le romantisme ne marche bien que sur ses deux pieds, sans doute que rien de son témoignage ne nous serait parvenu si l’auvergnat avait échoué de séduire d’abord un certain mais solide public féminin...
Pierre Schott, mai 2022
La libre parole de Pierre Schott... notamment sur la dernière phrase, mais mesurée: Quand il dit "l’écriture l’emporte sur la réalisation", il s'est un peu arraché les cheveux sur le titre (la règle muratienne des 3 T -Tempo, Tonalité et TRUCTURE- n'est pas indicateur d'une grande rigueur). Je suis en tout cas fier de lui avoir indiqué ce titre qui collait bien à son univers. Pour rappel, il nous avait fait un compte-rendu de concert.
1) Quand avez-vous découvert Jean-Louis Murat? Avez-vous suivi/aimé toutes ses périodes? Laquelle vous a le plus intéressé, et pourquoi?
J’ai découvert Murat sur une grosse radio commerciale, un jour de 1989 où passait “L’Ange déchu”. C’est la texture de sa voix, je crois – ce chant de velours et de métal mêlés, à la fois lame et fourreau, qui m’a alors arrêté. Mais c’est par Le Manteau de Pluie, dont j’ai emprunté deux ans plus tard la cassette dans une médiathèque, que je suis vraiment entré dans son univers. Mon arrivée aux Inrocks m’a ensuite rapproché de lui, au point que je l’ai interviewé deux fois pour le magazine – la seconde pour un entretien fleuve réalisé chez lui, juste avant la sortie de Dolorès. Je ne l’ai jamais revu ni recroisé depuis, et je me dois d’avouer que je ne me suis jamais mué en muratophile invétéré, épiant chacune de ses apparitions. Depuis Lilith, beaucoup de ses albums ont échappé à mes radars, ou ne me sont parvenus que par bribes et bouts. Pour cette seule raison, qui n’a rien à voir avec une quelconque nostalgie, ma période préférée est celle qui s’articule autour de Dolorès et de Mustango ; simplement parce que j’étais alors beaucoup plus attentif à ce qu’il produisait. Un jour peut-être, je prendrai le temps de visiter sa discographie en long, en large et en travers. J’aime cette engeance de bâtisseurs, qui comme lui construisent des œuvres longues et copieuses, dans lesquelles il faut accepter de s’égarer – et de s’ennuyer parfois. Mais il faut du temps pour cela, et je ne me suis pas encore résolu à le prendre. J’ajoute ici que je n’ai jamais vu Murat sur scène, ce qui achève de faire de moi un auditeur coupablement dilettante.
2) Pourquoi avez-vous choisi cette chanson? En quoi vous a-t-elle interpelé au premier abord? Que comprenez-vous du texte, que vous inspire-t-il? Quel parti-pris d'interprétation avez-vous choisi, par rapport à la version originale?
Après L’Ange Déchu sur RTL, c’est à la téloche que j’ai vu autant qu’entendu Terres de France, niché dans le film « Murat en plein air ». Je crois bien que mon frère et moi l’avions même enregistrée sur une cassette vidéo, ce qui m’a permis de m’en imprégner à l’envie. Il m’a semblé alors, et il me semble toujours, que dans la production pourtant très éclatée et protéiforme de Murat, c’est une chanson à part ; mais c’est sans doute moi qui, en raison de ce qu’elle m’a fait alors, lui prête ce statut. J’en aime la coulée harmonique simple et implacable, la passion un peu lasse qui la traverse, le refrain qui l’ouvre et la referme soudain comme une clairière, le chant qui adopte une sorte de flânerie résignée avant de s’autoriser un sursaut de lyrisme – lyrisme sans rodomontade, sans arrogance, lyrisme du condamné peut-être… Mon parti pris d’interprétation a été celui que, grosso modo, j’applique à toutes les reprises que, en solo, en duo avec ma compagne Marguerite Martin ou avec nos amis, nous commettons sous l’appellation « Morning Dew » ou au sein du collectif Whatever(shebringswesing) : je dénude, j’effeuille, je ramène les mots et les notes des autres aux proportions de mon souffle et de mes doigts. Il en résulte ici, j’espère, une sorte de folksong sans âge ni nationalité.
3) Êtes-vous sensible à la dimension "paysagiste" de Murat, son inscription dans un territoire? A sa façon de dire la chose amoureuse? Quels éléments de sa poétique retiennent votre attention?
En répondant à cette question, je m’aperçois que la dimension paysagiste – et climatique, aussi, pour ne pas dire météorologique – de son écriture est ce qui me touche le plus (bien plus que sa poétique amoureuse, sur laquelle je n'ai hélas pas grand chose à dire d'intéressant). Il y a chez Murat un attachement au monde sensible que certains trouveront probablement désuet, pour ne pas dire rétrograde, alors qu’il est évidemment de tous les temps, et donc indémodable. Et je pense pour le coup que le territoire dans lequel son regard s’ancre et son écriture s’inscrit compte davantage pour lui-même que pour moi, auditeur. S’il était kazakh, bushman ou patagon plutôt qu’auvergnat (et je pense de fait qu’il est un peu tout cela à la fois), je prêterais la même attention à l’attention que Murat porte aux eaux du ciel et de la terre, à la forme des collines, aux lueurs et ombres qui recouvrent le monde.
Vous n'avez pas eu l'article de Nicolas Brulebois et vous vous demandez comment il a pu se dépatouiller de tout cela... sans parler des questions qu'il a posé à Stan Mathis... et à moi... Vous pouvez encore vous procurer la revue papier : https://hexagone.me/produit/124a-numero-24-de-la-revue-version-papier/ ou en digital! 8 pages consacrées au disque + la chronique! (et vous pouvez même retrouver l'ami Bertrand Louis...), ce qui me donne de passer directement à UN LIEN EN PLUS: La 3e interview de Bertrand sur le blog: http://www.surjeanlouismurat.com/2022/10/bertrand-louis-interview-2022-verlaine-baudelaire-jeanlouismurat.html Et de là, j'en profite pour indiquer un nouveau spectacle sur Baudelaire: avec François Staal, en juin en Haute-Marne (10 juin 2023 au théâtre de Saint-Dizier) :
Un pari audacieux. Léo Ferré a chanté Baudelaire, magistralement, Serge Gainsbourg, Jean-Louis Murat et Damien Saez, aussi, oui, s’attaquer à un poète maudit chéri de Rimbaud, Breton ou Valéry demande, au-delà d’un simple amour des textes, une sensibilité particulière. On appelle ça le talent. Ça tombe bien, François Staal n’en manque pas. (https://jhm.fr/francois-staal-ideal/)
ET UN DEUXIEME LIEN EN PLUS
Et encore des gens qui aiment Murat: le chanteur du groupe CANCRE qui tourne avec Matmatah vient de le dire à Froggy delight:
Continuons à faire connaissance. Si tu avais une baguette magique et que tu puisses soit partager la scène, soit enregistrer avec un artiste avec qui voudrais-tu le faire ?
Robin Millasseau : J’aimerai beaucoup partager un moment en studio avec Jean-Louis Murat, ça me ferait très plaisir !
Mais en plus, c'est plutôt très bien! Je vois que Francofans approuve (coup de coeur).
ELYSIAN FIELDS + JEAN-LOUIS MURAT Cette soirée sera une occasion rare de voir Jean-Louis Murat et Jennifer Charles (Elysian Fields) se retrouver sur le même plateau 24 ans après leur collaboration sur le très célèbre album "Mustango" qui mêle balades acoustiques et sons électroniques & rock. Une rencontre gravée dans l'histoire du rock puisqu'ils seront amenés à recollaborer autour de l'album rétro pop "A Poire On A Bird" (2004). Album concept évoquant la rencontre amoureuse et éphémère (mais fictive) des deux interprètes.
30e inter-ViOUS et Murat-, et pour une occasion spéciale, le WEEK-END MURAT, yes sir! En effet, JACK DAUMAIL (et le groupe ARCWEST) rejoint la liste des participants au tribute le samedi 24 juin au cours duquel on retrouvera plus de 30 chansons de Jean-Louis Murat! Et ce n'est pas fini : un nouveau nom sera dévoilé très vite! Mais pour cette heure, faisons connaissance avec JACK. Avec Elvinh (Vincent Rostan) et Stéphane Mikaelian, c'est un autre "historique" du rock à Clermont que l'on retrouvera. Comme eux, il a eu droit à son interview dans le livre de P. Foulhoux 50 ans de rock à Clermont, méritée avec plus de 40 ans de scène avec des multiples groupes, dont les fameux "jack et les éventreurs". Inarrêtable quand il s'agit de faire de la musique, il a mené des projets solo mais se glisse aussi comme guitariste pour jouer avec les amis. On l'a également retrouvé aux côtés de Cocoon (et pas seulement en tant que papa de Mark Daumail). On revient sur tout ça dans l'interview où l'on découvrira en outre un auditeur attentif de Murat depuis 1981.
NDLR post mai 2023: Jack n'a finalement pas participé au Week-end Murat, suite au décès de JL, et la non-participation de Denis Clavaizolle qui devait fait la surprise de venir, comme Jean-Louis Murat lui-même.
- Dans un document regroupant plus de 500 groupes de rock clermontois, vous occupez presque une case entière, avec vos groupes successifs, sous le nom "Succursale mozacoise» (Murat, Clara et les jeunes de Plexiglas occupent eux une case Bourboule). Vous n'avez pas de mal à vous dire clermontois (à la différence de Murat ou de certains autres…) ? Comment ça a commencé?
Jack Daumail :En effet je n’ai aucun problème à me dire clermontois, j’ai vécu à Clermont toute mon enfance et j’ai commencé à faire de la musique très tôt, j’avais déjà une guitare entre les mains à l’âge de 12/13 ans, et j’ai fait mes premières compos à cette époque (même si c’était loin d’être concluant…).
À l’âge de 14/15 ans, avec mon meilleur ami Nicolas Stoufflet [natif de Chamalières] aujourd’hui présentateur du « Jeu de Mille Euros » sur France Inter) nous avions créé une radio indépendante où nous affirmions nos goûts musicaux. Notre émetteur n’était pas d’une grande puissance, mais ce fut une expérience intéressante.
Lorsque j’avais 16/17 ans, (fin des années 70) je suis allé enregistrer quelques unes de mes premières compos pour la première fois en studio, au studio Magic Productions à Riom (là où enregistrait également JLM) avec Patrick Vacheron, mon père m’avait fait ce cadeau.
En 77, à mon retour d’un séjour en Angleterre (où j’avais croisé de nombreux punks dans la rue notamment à Londres) j’ai participé à une émission sur France Inter, invité par José Artur, avec notamment Bernard Lenoir (dont j’étais un fidèle auditeur) et Marcel Dadi, le fameux guitariste de picking, (à l’opposé des punks londoniens…) .
Ils m’ont demandé de jouer une ou deux de mes compos, j’étais loin d’avoir son niveau évidemment, mais c’est un joli souvenir.
Par la suite j’ai pu venir assister (à la Maison de la Radio à Paris) plusieurs fois à l’émission « Feed Back » de Bernard Lenoir.
Un premier duo, devenu trio, puis différentes formations, notamment Jack et les Éventreurs (répertoire moitié compos/ moitié reprises). Nous jouions souvent au Pocoloco à Clermont, et c’est à cette époque que j’ai rencontré Jean-Louis, car il venait parfois faire des « bœufs » sur des reprises des Kinks, des Clash ou autres Stones…
Nous nous sommes croisés d’autres fois, notamment pour le concert pour la Pologne à la Maison du Peuple, ou pour des premières parties. Il faut dire que Denis Clavaizolle est un ami de longue date, pratiquement un ami d’enfance, ce qui me liait un peu plus à la carrière de JLM.
J’ai également joué dans d’autres formations clermontoises, avec les Pale Riders (Rivets Sauvage), les Coyotes, des membres de Folamour …
- Comment se retrouve-t-on chez José Artur à la sortie de l’adolescence ? Les bandes de Riom avaient circulé ?
Jack Daumail : L’émission de José Artur s’appelait « Avec ou sans sucre », elle était diffusée à l’heure du café, ouverte à qui postulait en écrivant une lettre de motivation, ce que j’ai fait sans trop y croire, et j’ai été le premier étonné d’y être invité.
Je me suis retrouvé à déjeuner au côté de José Artur et Bernard Lenoir, très sympa, nous avons évidemment parlé musique, il m’a parlé entre autres d’un jeune groupe qui venait de sortir son premier album : Dire Straits avec notamment « Water of love » et « Sultans of swing »… Puis Marcel Dadi est arrivé avec sa guitare ( J’ai quelques photos de ces moments).
Les enregistrements de Riom n’ont jamais circulé, mais j’ai toujours gardé les bandes, il faudrait que je trouve un magnétophone capable de les lire… ou sans doute est-ce mieux de les oublier dans un tiroir…?
-Je voulais aborder votre premier vrai concert à Riom, avec Chaos, dont faisait partie Christophe Pie, et Tachycardie... de M. Papelard ?
Jack Daumail : Ce concert a eu lieu en juin 82 me semble-t-il.
Je découvrais alors la scène locale, Tachycardie avait déjà une certaine réputation et Chaos était impressionnant en effet, très influencé par les Clash ou les Sex Pistols à mon avis.
De mon côté je jouais dans un trio sans bassiste (sic…), les Mongols, en clin d’œil au « Mongoloïd » de DEVO, j’avais revêtu pour l’occasion le manteau de fourrure de ma mère, et nous nous étions peint le visage. Nous proposions à l’époque nos premières compos…
- A ce moment-là, que saviez-vous de Murat ?
Jack Daumail : J’avais son premier album, dont on parlait beaucoup dans le milieu musical clermontois, surtout avec la pléiade des musiciens présents sur ce disque. Sinon j’avais entendu parler de Clara, jamais vu, mais j’ai connu les musiciens plus tard. Il y avait ce disque, Suicidez vous le peuple est mort, avec la pochette de Mondino, qui avait fait grand bruit également, j’avais réussi à me le procurer.
En fait j’ai commencé à vraiment apprécier Murat avec Cheyenne Autumn.
- C’était l’époque Spliff, label, fanzine... Que diriez-vous de cette période-là ?
Jack Daumail : Le label Spliff est né peu après la disparition de « Sirènes » le magasin de disques tenu par Bertrand Casati. C’était un peu l’équivalent de « Mélodie Massacre » à Rouen, disquaire très actif, de renommée très rock, Lionel Hermanni ayant fait émerger les Dogs. J’ai personnellement bien connu Lionel qui invitait les groupes de Clermont sur Radio France Puy de Dôme. J’ai d’ailleurs tenu une chronique sur la bande dessinée (dont je suis passionné) pendant une douzaine d’années dans l’émission de Lionel.
C’est Gilbert Biat, sympathique et excellent disquaire chez Spliff, qui m’a fait rencontrer Michel « Mick » Moreau, qui nous a rejoint au sein de Jack et les Éventreurs (guitare/chant).
Je collaborais également à quelques fanzines étudiants clermontois à l’époque, La Gazette des Gazelles, entre autres, en tant que dessinateur bd (sous le nom de JED)…
- J avais partagé les mots de votre fils sur Gilbert Biat dans l'article qui était consacré à ce dernier. : "J'avais 15 euros par semaine, j'achetais le disque du siècle de la semaine" à Spliff. C'était comme le cd des inrocks, c'était un peu la bible ce disque. J'achetais aussi des trucs obscurs... je découvrais tout ça à Spliff".
Malgré ce rock en français bien présent, de votre côté, vous avez toujours choisi l’anglais ?
Jack Daumail : J’ai toujours choisi l’anglais pour plusieurs raisons. C’est la langue qui colle le mieux avec notre style de musique je pense, de plus j’écoute essentiellement de la musique anglo-saxonne. Par contre nous envisageons un projet en français avec Arcwest, nous avons commencé à composer quelques titres.
- Ah, sacré nouvelle après 40 ans d'anglais… En préparant l'article, je suis retombé sur une mention des bœufs au POCO LOCO sur le blog, j'avais oublié... Pouvez-vous nous en dire plus sur ces soirées ? Et sur le Poco loco cher à votre cœur de rocker? C'était scène ouverte ?
Jack Daumail : Le Pocoloco n’était pas une scène ouverte, Philippe Grand avait « ses têtes », il était bougon et grande gueule, mais il faisait tourner son établissement, incontournable à l’époque. Nous y jouions régulièrement, il y avait donc des habitués, c’était deux soirs de suite (vendredi et samedi), les concerts ne commençaient pas avant minuit…
Il y avait du monde et parfois ça bougeait beaucoup, au point que certains copains comme Topper se plaçaient devant nous pour éviter que l’on se prenne des coups de micro dans les dents tellement ça « pogotait »….
C’était souvent les mêmes groupes qui tournaient au Poco, outre les Eventreurs, nos amis de Last Orders, les Pale Riders, Folamour…
Jean-Louis venait parfois, sans prévenir, nous jouions des standards, c’était très festif et j’en garde d’excellents souvenirs. Il a sûrement dû venir chanter avec d’autres groupes, je ne m’en souviens pas… en tous cas je ne l’ai jamais vu se produire sous son nom au Poco.
les boeufs: une trace ci-dessus: en 1983
-Vous partagez encore la scène lors d'une soirée pour la Roumanie en 86, dont Matthieu Guillaumond nous a parlé ( avec une quinzaine de minutes de votre prestation visionnable ci-dessous) . Des souvenirs ? On voit que votre préférence comme Murat va au Rolling Stones.…
Jack Daumail : Ce concert réunissait pas mal de groupes très actifs sur la scène clermontoise, des Flying Tractors aux Real Cool Killers… avec JLM en tête d’affiche évidemment. Notre ami Jacques Moiroud en était l’instigateur me semble-t-il. Jeff Caron, l’ex batteur des Real Cool Killers, jouait avec nous à cette époque (guitare / chant), il avait même composé un morceau, très stonien, les Stones nous ont énormément marqués…
1992
Nous avons fait une tournée (sous le nom original des « Touristes ») dans le sud de la France (Hyères, Le Lavandou, La Grande Motte…) en proposant beaucoup de reprises de standards et quelques compos. C’était une façon de se faire plaisir tout en passant des vacances au soleil. Mon fils Mark nous avait rejoint quelques jours avec sa mère, nous passions la journée à la plage, et les soirées en concert sur des terrasses de cafés ou sur les scènes de grands campings…
- Vous êtes là également pour la soirée franco-kurde en 96, où cette fois Murat, christique en barbe et long pull blanc, participe en son nom... et avec moins de succès en terme d'affluence...
Jack Daumail :J’ai personnellement peu de souvenirs de cette soirée, moins d’affluence sans doute, pourtant Murat était encore plus connu… Je me rappelle qu’on est allé boire un café Jean-Louis et moi, en attendant une conférence de presse avec les médias régionaux pour ce concert, j’avais alors sorti un album de Paul Westerberg des Replacements Eventually que je venais de m’offrir et Jean-Louis avait approuvé cet achat…
-Vous évoquez les compositions (membres) des groupes qui changeaient régulièrement. Et quand on voit le nombre de groupes dans lequel Pie, Bonnefont, ou vous-même, ont joué par exemple, je me dis que c'est peut-être remarquable... Est-ce que c’est le signe d’une scène clermontoise unie et bouillonnante, un attachement rock à la notion de groupe ?
Jack Daumail : Il n’y avait pas pléthore de groupes dans la scène clermontoise durant les années 80, du moins en centre-ville et sur le « plateau central » comme on disait, on se connaissait bien entre musiciens, certains s’évitaient volontiers, il y avait des histoires de jalousie ou de styles qui créaient des « clans », mais également de belles histoires d’amitié (ce qui, pour moi, primait avant tout…). Mais en effet il y avait une sorte de noyau dur en centre-ville, peut-être grâce à Spliff (?). Buck [NDLR: chanteur des real cool Killers] m’avait d’ailleurs « adoubé » à notre retour de Londres en 88, lorsqu’il avait écouté « She interrupted me » que nous avions enregistré dans la capitale britannique…
Je me souviens de toutes premières sessions à la guitare début au des années 80, avec Marc Verne (il s’est rapidement tourné vers le jazz, excellent batteur aujourd’hui !!) car il habitait dans mon quartier.
- Je ne veux pas vous fâcher avec certains mais quels sont les musiciens clermontois qui vous ont le plus marqué artistiquement ? Amicalement ? Celui qui n'a pas eu le parcours au niveau de son talent ?
Jack Daumail :Les musiciens clermontois qui m’ont le plus marqué artistiquement, m’ont souvent marqué amicalement également. Au début il y a eu Jack et les Eventreurs, avec Philo B Jones (Philippe Moinard); Mick (Michel Moreau); Bruno Chabrol (qui a monté 6 Tone Records), une véritable amitié qui perdure.
Depuis quelques années nous vivons une très belle histoire dans ARCWEST, avec Philippe « El Drummo » Ramirez, Thierry Chanselme, Fred Roz [Le Tremplin de Beaumont] et Laurent Berthon [qui joue notamment avec Adèle Coyo].
Avec Denis Clavaizolle, mon ami de toujours, nous avons pas mal joué ensemble, et toujours actuellement pour différents projets ponctuels. C’est également Denis qui a permis à Cocoon d’émerger, il a beaucoup aidé et guidé mon fils Mark à ses débuts [avec Sophiane Production].
Joël Rivet, rencontré lors d’une fête de la musique alors qu’il jouait avec les Guêpes, m’a directement invité à monter sur scène alors qu’on ne se connaissait pas, nous avons rapidement joué ensemble avec son frère Christophe, François, Bruno Sauvage, puis Christophe Adam.
[Joël Rivet dont M. avait gardé l'anonymat dans son article sur le festival de La Bourboule en 78... "Je me rappelle avoir chanté peut être sweet little 16 accompagné par Jean Louis qui en avait fait un arrangement inédit, c'est vague..."]
Dominique Auger, « Rocky », excellent chanteur charismatique des Coyotes, avec lesquels j’ai joué également. [on voit Jack dans l'assistance de ce concert]
Dominique Cartier, de Folamour également, avec qui j’ai commencé un projet pendant les confinements de ces dernières années, projet en suspens actuellement. [NDLR: Dominique qui joua dans Les salles gosses et CLARA et qui se dispute parfois en Haute-Savoie..]
Il y a beaucoup d’autres musiciens qui m’ont marqué, surtout amicalement, c’est assez compliqué de répondre à ces questions.
Pour celui qui n’a pas eu le parcours à la hauteur de son talent, je pense à Philippe Masoch, bassiste, avec qui j’ai joué pendant plusieurs années (nous avons représenté l’Auvergne avec les JACKS, au Printemps de Bourges en 95). Il a joué dans de nombreuses formations, LAST ORDERS entre autres, et côtoyé JLM d’ailleurs . Il est toujours resté dans l’ombre et nous a quittés il y a deux ans.
- J'ai un peu cherché mais je n'ai pas trouvé de lien entre Philippe et Jean-Louis...
Jack Daumail : Philippe Masoch a joué dans « Steve Mc Queen » avec Alain B. et Stéphane M., mais il me semble qu’il avait joué avec Jean-Louis… En tous les cas, ce dernier lui avait offert une jolie guitare acoustique cordes nylon, mais je ne me souviens plus en quelles circonstances.
-Murat a parfois parlé des "jobs à côté" (en opposition avec ceux qui se consacraient entièrement à la musique), mais j'ai l’impression que cette distinction n'a jamais vraiment eu une grande importance dans le microcosme clermontois ? (on parlait avec Yann Pons des nombreux profs) Qu'en pensez-vous?
Jack Daumail : Cette distinction entre « amateurs » et « professionnels » de la musique n’a jamais eu grande importance à Clermont je pense. J’ai davantage senti un clivage entre les musiciens de jazz et les rockeurs. Mais également une sorte de chauvinisme entre les Clermontois et les gens de l’Allier, du Cantal, ou même de Riom… Cela s’est plutôt estompé avec le temps je pense.
- Vous avez évoqué le printemps de Bourges, l'enregistrement à Londres, ce sont des moments où vous avez pensé signé sur un label / avec un tourneur ?
Jack Daumail : Un petit label parisien nous avait contacté, nous faisant miroiter des alouettes… Nous nous étions déplacés à la capitale pour rien, car au final nous devions investir au moins la moitié des frais d’enregistrement et de production, alors que nous n’en avions ni l’envie ni les moyens.
- On en arrive à la période Coopé, Kütü folk, Cocoon... Un changement musical que vous avez pu un peu analyser comme lié à l’embourgeoisement de la ville... Mais en tout cas, la coopé vous soutient et vous faites encore des belles premières parties…
Jack Daumail : La naissance de Kütü Folk (2008) peu après l’émergence de Cocoon (2006) a donné un renouveau à la couleur de la ville, longtemps cataloguée (voire auto-proclamée) «Capitale du rock » de manière plus ou moins gratuite selon moi. La Coopé m’a seulement soutenu pour le premier e.p. (solo) d’Arcwest en 2008. J’ai pu faire quelques premières parties (Sarah Lee Guthrie reste un excellent souvenir). Mais les plus belles premières parties de cette période en solo sont celles offertes par mon fils Mark : la toute première au Ninkasi Kao à Lyon, puis La Cigale à Paris ont été des moments forts, puis en invité sur des festivals à Bruxelles (Brussels Summer Festival), Toulouse (Garorock), Paimpol (Chants de Marins) avec parfois des scènes fantastiques devant plus de 20 000 personnes. Ces concerts m’ont mis une belle claque, surtout pour un musicien régional habitué aux petites salles…
- Est-ce qu'il est déjà possible de faire un constat sur l'époque actuelle, l'après Veillault ? Malgré les problèmes au Tremplin, le manque de curiosité, j'ai l’impression qu’il existe toujours une offre importante, des lieux d'accueil, comme le Fotomat qui va nous accueillir ?
Jack Daumail : Il m’est difficile de faire un constat sur l’après Veillault, je ne suis pas suffisamment proche de la Coopé pour juger quoi que ce soit. Je ne suis pas certain qu’il existe plus de lieux d’accueil à Clermont qu’il y a quelques années.
Le Fotomat est un lieu incontournable, mais pas aussi adapté que le Tremplin par exemple, qui est une salle spécialement conçue pour les concerts, au niveau du son, de l’accueil et avec une vraie scène…
Duo avec Morgane Imbeaud:
- Pour revenir à Cocoon, il faut noter aussi votre participation à l'album de 2007 et le très joli duo avec Morgane (un an après Charles et Léo) en 2008. Je ne crois pas que vous vous soyez tourné vers la production comme Denis, Christophe Adam... Ce n'est pas quelque chose qui vous intéresse ?
Jack Daumail :Participer à cet album a été un plaisir et une fierté évidemment, tout comme le concert à la Coopé. Morgane et Mark ont participé au premier E.P. d’Arcwest, ils sont également venus me rejoindre sur scène (très beau souvenir du concert avant Sarah Lee Guthrie).
Des concerts également avec Cocoon dans la grande salle de la Coopé en tant que guitariste et l’émission Taratata en 2008 avec Denis à la basse et son fils Yann à la batterie, nous avons joué « On my way ».
[Taratata visionnable ici - famille cheveux courts et famille cheveux longs, manquait le papa Philippe!
Je ne me suis jamais vraiment intéressé à la technique en général en matière de musique (mis à part pour la guitare), en revanche j’ai toujours participé à la production de nos enregistrements. Mark me sollicite régulièrement pour savoir ce que je pense de ses nouvelles compositions et mes idées de production. Mais je ne suis absolument pas technicien et suis incapable de me servir des logiciels de musique.
Avec ARCWEST nous venons d’enregistrer 4 nouveaux titres avec Éric Toury (qui a enregistré les derniers albums de JLM). Le mixage est presque terminé.
- Est-ce que vous pouvez nous parler un peu plus de Denis?
Jack Daumail : Nous faisions partie du même groupe d’amis avec Denis, j’ai le souvenir de grosses fêtes dans les années 80, nous faisions parfois de la musique ensemble, même si nous n’étions pas dans la même catégorie, j’ai toujours été amateur. Denis est venu jouer avec nous, nous avons fait quelques concerts et enregistré un album. Et puis plusieurs fois j’ai enregistré quelques titres intimistes en solo (qui ne sont jamais sortis… un jour peut-être ?).
Musicalement nous avons vécu de belles choses avec Denis, l’Olympia pour Cocoon et les grosses scènes étaient un aboutissement, c’était incroyable de voir cette évolution assez fulgurante.
Denis n’est pas seulement un ami, c’est un excellent musicien évidemment et un grand professionnel.
On a évoqué les musiciens restés injustement dans l’ombre, je pense que Denis en fait partie. Il a été le compagnon de route idéal pour Jean-Louis, tant par son adaptation que par son talent d’arrangeur et de producteur. Il faut je pense lui rendre cet hommage.
- C'était avec quel groupe que vous avez joué avec Denis?
Jack Daumail : Denis a joué dans les « Jacks », avec Philippe Masoch et Bruno Chabrol.
Nous avons enregistré l’albumSmiles dans le studio de Cournon, Denis en tant qu’ingé son et musicien (claviers, guitares…). À cette époque le dessinateur de bandes dessinées Jean-Pierre Gibrat, que j’apprécie beaucoup, également guitariste, était venu dîner à la maison et nous avions joué toute la soirée… J’en avais profité pour lui demander d’illustrer la pochette de cet album.
Récemment nous avons joué et enregistré quelques titres pour le projet d’un ami commun, mais cela reste privé pour l’instant.
- Dernier petit clin d'œil : Murat qui s'est essayé à la peinture chante parfois le paysage... Votre ancrage, à vous, passe par les aquarelles de votre Bretagne maternelle et l’Auvergne ?
Jack Daumail : Je suis très attaché à la Bretagne, mais également à l’Auvergne du côté paternel. Peindre ces deux régions est un plaisir, mais j’envisage également de consacrer une expo au sud-est, dans le Var, où j’ai des attaches.
L’aquarelle est une passion depuis pas mal d’années, c’est une technique beaucoup plus complexe que l’on pourrait imaginer et je suis encore loin d’en maîtriser toutes les possibilités. Certains peintres me portent et me poussent à expérimenter de nouvelles façons de faire.
Je ne savais pas que JLM s’était essayé à la peinture, Denis également.
- Vous avez écouté Murat dès ces débuts... Est-ce que pour autant vous avez continué à écouter ses productions annuelles ?
Jack Daumail : J’écoute toujours Murat, son dernier album est très réussi, j’aime moins le précédent. Il fait partie des rares auteurs français à avoir une écriture érudite, variée et originale. Ses compositions montrent des influences éclectiques allant du folk à la soul (on pense parfois à Dylan, Cohen jusqu’à Otis Redding par exemple) en passant par le rock et la pop. Plutôt intemporelles, les anciens albums se réécoutent sans problème.
- J'ai des questions rituelles : est-ce que vous avez un album préféré de Murat ? 3 chansons préférées ? Et mises à part les scènes partagées, est-ce que vous avez un souvenir d'un de ses concerts?
Jack Daumail :Je n’ai pas d’album préféré de Murat, j’ai beaucoup aimé Mustango (je suis très fan de Calexico), mais je trouve que Jean-Louis a fait encore mieux par la suite ; j’écoute souvent Grand Lièvre, Le cours ordinaire des choses, Taormina… Je suis très fan du jeu de Stéphane Reynaud, sa caisse claire sonne fabuleusement bien !
La voix de Jean-Louis ne change pas, il s’est même amélioré, tout comme dans son écriture.
Trois chansons préférées c’est difficile, JLM est vraiment pluriel dans ses styles musicaux … « Ginette Ramade », « Je voudrais me perdre de vue », « Caillou », « Si je devais manquer de toi » … il y en a tellement…
J’ai vu Jean-Louis en concert de nombreuses fois, rarement déçu, à part une fois au Sémaphore à Cébazat où il était arrogant et provocateur, il donnait une mauvaise image de lui comme ça lui arrive parfois dans les médias. C’est très dommage car je pense que c’est quelqu’un d’hyper sensible et très cultivé.
- Oui, le fameux concert qui lui a valu d’être black-listé par le maire furieux… Matthieu nous avait raconté ça.
- Jack Daumail : Si je peux rajouter un mot, je voudrais dire qu’une de mes plus grande fierté est d’avoir transmis l’amour de la musique à mes trois enfants :
Mark, mon fils aîné, que l’on a déjà évoqué avec Cocoon entre autres.
Marie, qui joue de la guitare et du piano, et chante et compose dans Wio (avec Christophe Petit un ami d’enfance…).
Marie nous a rejoint plusieurs fois sur scène avec Arcwest, et a participé à certains enregistrements.
Loïc, qui joue de la batterie et de la guitare. Il compose également et vit depuis quelques années à Nashville (Tennessee).
J’ai eu la chance de le rejoindre l’année dernière, il m’a fait découvrir sa ville. Dès le soir de mon arrivée nous sommes allés voir un excellent concert dans un bar de Broadway. Il a la chance de voir d’excellents concerts là-bas ( The Black Keys, Spoon, Hermanos Gutiérrez…).
Salutations à la 2e génération qui continue l'histoire du rock à Clermont et en France (chez les Clavaizolle, Mikaelian, Rivet, Izoard...et Daumail!)
Un grand Merci Jack, et on se retrouve le samedi 24 juin! BILLETTERIE week-end Murat!
Programme complet (vendredi : le film "mlle personne", et concerts, samedi : conférence, tribute)