Photorama, de Frank Loriou est sorti : on vous en parle!

Publié le 9 Octobre 2025

 

Le livre de Frank Loriou "Photorama" est disponible à partir d'aujourd'hui. Ceux qui l'ont précommandé l'ont reçu pour certains dès lundi. Le Boulon, la maison d'édition rock, sort donc avec lui un troisième ouvrage consacré à Jean-Louis Murat, tous très différents. 

Frank loriou photorama  jean-louis murat

Le format du livre  de celui de Frank est le même que celui de Pierre Andrieu (dont la couverture était déjà illustrée par le photographe), ce qui permettra de les réunir aisément dans la bibliothèque ou votre cabinet de curiosités à côté du petit caillou volcanique ramassé au Sancy, du billet de concert Olympia en l'an 2000 et du chewing-gum ramassé au koloko 2014 -ah oui, quand même? vous êtes bien atteint, vous alors-.   De fait vu le gabarit modeste, cela permet aussi d'avoir un livre de photos à un prix raisonnable.  

Le titre a un côté un peu technique (c'est les Frère Lumière qui ont créé ce nom pour un procédé visant la reproduction complète de l'horizon), mais cela reflète l'idée de Frank de donner à voir l'intégralité de son travail avec Murat (on ne découvrira pas de photos prises dans l'intimité de rencontres estivales).  L'intimité, on va la retrouver dans le texte très joliment écrit qui ouvre le livre. Il est question des coulisses des sessions, des secrets de confection des pochettes (la photo de Mustango, le blaireau de Toboggan...), et on aura donc envie de faire des allers-retours entre le texte et les photos dont il est question. Ne pas avoir à faire cette manipulation aurait été agréable  mais si Frank n'a pas fait le choix de morceler son propos, c'est qu'il nous livre un vrai récit, son histoire avec Jean-Louis, faite de beaucoup d'avanies au départ (2 pochettes que Jean-Louis finalement saborde), d'une longue période de silence puis d'une belle amitié et d'instants familiaux (souvenir d'un Jean-Louis conduisant sa voiture sur les chemins... avec  4 enfants installés dans une remorque, se faisant secouer comme au manège). Cette amitié qui se renforce alors que Frank arrive avec ses enfants, cela peut évoquer ce qui a pu aussi se passer avec son fils quand il est devenu père. Il est d'ailleurs évoqué une discussion à propos de son fils mais Frank n'en dévoile pas la teneur.  Le texte est intime, très sensible, dévoile un peu le "Jean-Louis Bergheaud" chez lui, mais pas question pour Frank de trop en dire... Par contre, on a au programme de jolis détails, des informations intéressantes sur certaines chansons ("Kids" dont il livre une interprétation) ou des anecdotes amusantes. Je vous en livre une :  un jour à Paris, fagoté comme l'as de pique,  Jean-Louis Murat pense avoir perçu dans le regard d'une dame qu'elle l'avait pris pour un SDF... Il décide aussitôt de rentrer dans un magasin et se rhabille de la tête aux pieds de vêtements neufs!

Le livre se poursuit donc avec toutes les photos liées aux différentes sessions que nous connaissons, et c'est assez intéressant et amusant de voir ce qui a été tenté par Frank et Jean-Louis (des idées viennent de lui)- ici ou là certains regards, certaines bouilles où Jean-Louis Bergheaud apparaît - ou de deviner ce qui a valu aux clichés de se faire écarter par Murat pour la promo.  

J'étais aussi impatient de découvrir la préface de Photorama, signée par Charles Pépin.

Il a eu envie de parler d'un instant qui l'a marqué. Il s'agit de la séquence dans laquelle Jean-Louis Murat réagit vivement aux propos de la rédactrice en chef d'un magazine people chez Ruquier, un samedi soir sur la terre.  Première réaction : ah, mais pourquoi revenir là-dessus alors que j'ai toujours regretté que ce soit une des vidéos avec Murat les plus vues sur les tubes (ça serait bien que ce soit une de ses chansons, non?)... mais le philosophe en tire bien-sûr une analyse efficace et juste, n'insistant pas finalement pas tant sur les paradoxes du personnage (un peu quand même : côté bourru vs l'amour courtois), que sur son entièreté.  Je ne veux pas trop en dire pour vous laisser découvrir ce textes de 3 pages. Deux petites remarques tout-de-même: Charles Pépin  insiste sur des chansons que Murat reniait un peu  ("Sentiment nouveau", "le lien défait"), -je n'en tire pas de conclusions, l'oeuvre doit échapper à son auteur de toute façon. Et Charles Pépin fait la confidence que la proximité qu'il avait avec la voix de Jean-Louis (dont il est assez souvent question) lui avait donné l'envie de lui écrire un texte de chanson. Frank lui a alors proposé d'organiser une rencontre, qui n'a pas pu se faire puisqu'on était en 2023, mais en lui disant que "Murat ne chantait que ses propres textes"... Et sur ceci, j'émets une réserve (tout en faisant l'hypothèse qu'il s'est agi pour Frank de faire une réponse diplomatique ou protectrice). Si un philosophe (un pédagogue qui plus est comme Onfray) lui avait apporté un texte écrit pour lui, je pense qu'il aurait été honoré de la démarche et aurait pu le mettre en musique (comme il a chanté Rose, Chloé Mons et quelques autres). J'indique bien "le mettre en musique" (pas le mettre sur un album). 

 

Frank LORIOU, Photorama, édition le BOULON, 204 pages, 09/10/2025, ISBN 248727078, 0,8780.kg.

https://leboulon.net/murat-photorama/ (Edition de luxe encore disponible, avec tirage photo (celle de la couverture)

Ps: merci à Frank  de me faire figurer dans les remerciements (avec mon nom dans le civil. Deuxième fois qu'il se retrouve imprimé à côté de ceux de Varrod et Vergeade*, ça vous pose un homme, ça. -  "être "de quelque chose", ça pose un homme, comme être "de Garenne", ça pose un lapin" comme le dit Alfonse Allais-. 

*Un article sur le livre signé FV est disponible dans LES INROCKS de cette semaine.

 

Première soirée de lancement aux Vinzelles (complet) samedi mais possibilité de s'y faire dédicacer le livre en fin de journée +  2e Soirée  à la librairie de la Polka Galerie  le jeudi 16 octobre entre 18h et 20h.   Rencontre et signature, avec la participation de JP NATAF, qui chantera plusieurs morceaux de Jean-Louis Murat

Polka Factory 12 rue Saint Gilles, Paris 03 / Métro Chemin vert

 

 

LE LIEN EN PLUS UN PEU COSTAUD 

Puisque le livre de Frank Loriou nous emmène dans le Sancy (notamment avec quelques photos paysagères), nous allons y rester un peu, pour un autre livre, sorti il y quelques années.  Le découvrir, pour une muratienne amatrice de Marie-Hélène Lafon, c'était bien sûr partir sur les traces de l'univers de Jean-Louis Bergheaud...  Florence D. nous écrit:

Il est des lieux presque familiers sans qu’on n’y ait jamais mis les pieds.

Celui-là, je l’ai rencontré à l’orée du récit de François Cassingena Trévedy (Cantique de l’Infinistère, dont Pierrot nous a parlé en 2016), qui y débute sa traversée de l’Auvergne. A travers l’enthousiasme de Marc Aymon qui s’y est régalé le lendemain de sa prestation au Fotomat pour le Yes sir ! 2025. Je l’ai souvent aperçu de loin au hasard de balades. Et enfin un samedi d’été devant la librairie Rémy de La Bourboule, où Corinne Legoy dédicaçait le livre qu’elle lui a consacré.

A la prochaine montée vers le col de la Croix Saint Robert, la prochaine descente depuis les crêtes, une halte s’imposera, enfin, à la ferme de l’Angle.

 

La ferme et l’auberge de l’Angle, donc. Depuis 1932, quatre générations s’y sont succédé, auxquelles Corinne Legoy, historienne, et surtout familière des lieux, donne la parole dans ce livre.

Par le carnet de Blaise d’abord, l’arrière grand-père né en 1897. Il y a raconté pour ses enfants et petits-enfants ses pèlerinages à Notre-Dame de Vassivière, de l’autre côté du massif, entre 1915 et 1967. Histoire de transmission, document précieux, très émouvant et remarquablement écrit d’un pèlerin, d’un paysan, d’un marcheur et grimpeur (mais uniquement de « montagne à vache » dit-il !), confronté aux caprices de la montagne, au brouillard, observateur attentif et toujours émerveillé de ces lieux pourtant tant de fois parcourus. De 1915 et la première montée, hasardeuse et épique, du jeune homme parti pour son premier pèlerinage avec son frère (qui mourra à la guerre quelques mois plus tard), au travailleur pressé par les travaux qui l’attendent, au père puis au grand-père heureux de monter en famille, dans ce rapport très physique au paysage, on voit défiler toute une époque, disparaître un monde. Il donne à entendre les conversations entre paysans dans leurs ascensions, les commentaires sur les vaches en estive, les recommandations des parents, les discussions après la messe. Il raconte le changement de la montagne et des pratiques, l’arrivée du téléphérique en 1937, les blocs de béton et les pylônes qui progressivement envahissent les pentes, les chemins délaissés et disparus. La métamorphose des hommes et des femmes, qui en moins de vingt ans ont abandonné « bonnets bergères » pour les unes, biaudes et larges chapeaux pour les autres. Il évoque le travail quotidien, la recherche de moutons égarés dans des courses interminables mais qui font de bons jarrets, le travail pour le syndicat agricole. En perspective, le Front populaire, deux guerres (et on apprend au début du livre, par le récit du colonel Rémy, résistant, comment il a caché puis fait descendre des maquisards, à quelques pas du Mont-Dore occupé par les nazis). On découvre un personnage très attachant, soucieux de précision, revenant sans cesse sur la question de la fidélité de la mémoire - il souligne d’un trait de crayon les faits dont il est certain. Le récit est souvent enlevé et parfois drôle, quand il raconte la panique qui saisit les passagers lors de leur premier voyage en téléphérique, ou ses contorsions à l’église pour cacher une grande déchirure sur le fond de son pantalon : il a fait une chute spectaculaire sur un névé…

Puis l’autrice a interrogé les générations suivantes. Ceux qui sont partis, devenus bergers ailleurs et qui parlent avec passion de leurs bêtes et des estives. Ceux qui sont restés, ceux qui sont arrivés. On découvre le quotidien, les difficultés, l’attachement à ce lieu, à ces paysages, aux bêtes, l’engagement pour un élevage respectueux, les évolutions du métier, les interrogations sur l’avenir. Ces paroles s’entrecroisent, se font écho, se complètent, et témoignent joliment de la confiance faite à l’autrice, l’amie.

Pour compléter ce très beau livre, outre la préface d’Alain Corbin et la couverture dessinée par Etienne Davodeau (encore un marcheur… qui a dû passer pas loin lorsqu’il a traversé la France de Lascaux à Bure pour sa BD Le droit du sol), deux films sonores de Philippe Busser, pour entrer de plain-pied dans l’intimité de ce monde, de ces vies. Comme Blaise dans son carnet qui multiplie les notations sensorielles, bruits, odeurs, sensations du vent ou la pluie sur la peau, on entend la nature, le travail, la vie quotidienne. Bruits de pas, de l’eau, du vent au sommet du puy de l’Angle, des enfants qui jouent, de cochons qui grognent. Entrelacement, comme dans le livre, des voix de toutes ces générations, lectures du carnet de Blaise, voix de ses enfants et petits-enfants guettant le sanglier, récit de la mise en place de la première croix au sommet du puy de L’Angle, et, particulièrement émouvante, une séquence où Virginie, qui tient aujourd’hui la ferme avec sa sœur, explique à une vache que son veau va partir.

Et, inévitablement, viennent à l’esprit la voix et les chansons de Jean-Louis Murat. Sans doute d’ailleurs a-t-il connu ce lieu et ses habitants (et le livre ?) : Blaise évoque un trajet à pied du Mont Dore à Orcival, 18 km, par « la Roche qui chante », la Sanadoire. Cette parole des paysans, qu’on entend si rarement, en tout cas dans son évocation précise d’un quotidien – avec, et ce n’est pas le moindre attrait de ce livre, son vocabulaire -, d’un rapport au travail, aux animaux, aux paysages, et, en perspective, à la ville (Virginie parle très joliment de l’odeur des vaches sur les vêtements). Ce passé qu’il a connu et vu disparaître. Ce monde de sensations. Ce rapport ambivalent au lieu de l’enracinement.

A découvrir, donc, avant de monter goûter la truffade et les cœurs à la crème !

Corinne Legoy, Le monde de l’Angle. Voix paysannes 1915-2020. Avec deux films sonores de Philippe Busser. Préface d’Alain Corbin. Bleu autour, 269 p., 27 €

 

PS: Les rédacteurs n'ont pas mangé à l'auberge, et il ne s'agit donc pas d'un reportage publicitaire! 😀... Et c'est bien dommage! Mais on vous met quand même le lien : https://www.fermedelangle.fr/restaurantlafermedelangle-montdore

 

photo :M. Busser

Rédigé par Pierrot

Publié dans #2023 après, #bibliographie

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