«Je suis Auvergnat, j'habite là-bas donc je ne vais pas dire le contraire. Forcément, ma nature m'inspire plus.». Photo Carole Epinette
Des enregistrements qui disparaissent, des joggings dans sa campagne auvergnate menacés par des chasseurs ou des champions qu'ils envoient dans les balustrades comme les «saloperies de touristes»: même dans ses interviews, Jean-Louis Murat n'est pas un chanteur comme les autres. Le verbe haut et le regard fier, le poète prolixe promène sa plume dans la plaie avec humour et autodérision. A chacun ensuite de décortiquer le premier ou le second degré d'un artiste prêt à tout, même à rater son concert jeudi à La Nef.
Si on vous dit que vous êtes un poète du terroir, ça vous va comme définition ?
Jean-Louis Murat. Je suis Auvergnat, j'habite là-bas donc je ne vais pas dire le contraire. Forcément, ma nature m'inspire plus. Mais je me dis pas: "Tiens, je vais chanter la terre !"
Pourquoi ce titre d'album «Grand Lièvre» ? Comme dirait Flaubert à propos de sa Madame Bovary, «Grand Lièvre», c'est vous ?
C'est sûrement bien moi, oui. Tout ce que je fais, c'est en pensant à moi. Je suis un monstre égoïste. Et le grand lièvre est comme moi: une espèce en voie de disparition.
Aucune chanson de l'album ne s'appelle comme ça: pourquoi alors l'appeler «Grand Lièvre»?
En fait, j'ai paumé la chanson. ce n'est ni la première et ni la dernière fois que ça m'arrive.
Comment fait-on pour «paumer» une chanson ? !
Je travaille à l'ancienne. Faire une chanson, ça me prend comme une envie de pisser. Donc je mets le titre sur la cassette et les paroles sur des feuilles volantes. Et je les ai perdues. Ecrire, c'est comme être sur un transat au milieu de la mer: je ne vais pas plonger en arrière pour la récupérer. Faut avancer.
Pour composer, on vous imagine dans votre ferme d'Auvergne, à la tombée de la nuit devant une cheminée face à la chaîne des volcans...
Alors là, ça me couperait la chique ! Je suis dans une petite bergerie où je ne vois pas grand-chose avec un souk pas possible. Et j'écris aux heures où mes enfants dorment.
Vous débarquez en Charente: à quoi peut s'attendre le public de La Nef ?
Je vais faire comme je me sens. Je peux vraiment m'envoyer si je suis bien. Mais si je suis un peu grognon, je peux aussi saloper une chanson voire tout un concert. Ce qui est bien avec mes fans depuis trente ans, c'est qu'ils sont à la fois très attentifs et très sévères. J'aime quand ils viennent m'engueuler.
La Charente selon le Guide du routard, c'est «un département très discret voire secret, peut-être aussi jaloux de ses richesses et de sa tranquillité»: vous allez vous sentir ici comme chez vous dans le Cantal, non ?
Oui, c'est un peu l'esprit là-bas, avec en plus les montagnes comme signes d'indication. Si on peut préserver ça pour éviter les saloperies de touristes... Je les déteste ! Quand je dois passer par La Bourboule, je fais un détour de 10 kilomètres. Quand je pense que je suis né sur cette commune, c'est une profonde injustice !
A l'image de la chanson «Le champion espagnol» en hommage au cycliste Federico Bahamontes sur les pentes du Tourmalet, vous aimez aussi le sport à condition qu'il offre des moments de poésie...
J'aime les champions, les exploits. Ce sont souvent des gens simples qui se dépassent.
Vous faites le lien entre musique et sport ?
Il y a pour moi un challenge sportif dans la musique. On me demande souvent pourquoi je fais un album chaque année. C'est mon Tour de France et le Tour, c'est tous les ans.
Vous devez admirer Yannick Noah alors ?
Mais ça ne va pas ! Ce n'est pas un champion, lui: il a gagné Roland-Garros chargé comme une mule en 1983, tout le monde le sait. Et puis cet été aux Francofolies, il reprend «Highway to hell» d'ACDC... Où on est là ? !
Zidane ce n'est pas non plus votre tasse de thé: vous avez déclaré qu'il avait «le QI d'une courge»...
J'ai toujours eu de gros problèmes avec ses mauvais gestes. C'est une petite frappe à trois francs. Platini ou Messi ne mettraient jamais un coup de boule à un adversaire, c'est pour ça aussi que je les admire.
Après ces émotions sportives, revenons à la poésie: quel est le dernier moment poétique que vous avez vécu ?
C'était ce matin. J'ai couru dans le brouillard chez moi. On n'y voyait pas à dix mètres et il y avait des chasseurs tout autour. Et j'ai été obligé de mettre un gilet fluo. Je me voyais, petite tache fluo, au milieu du néant et des chasseurs, c'était pas mal. Même si une chose me pendait au nez: ils allaient me tirer comme un grand lièvre.
Jeudi 18 novembre, 20h30 à La Nef. Abonnés 17 €, non abonnés 22 € (24 € sur place).