Clichés n°26 : Au commencement était un graff...
Publié le 4 Décembre 2015
Zone de libre expression pour Pierrot dans l'éventualité où il aurait quelque chose de brillant à écrire en préambule de cet article...
- Et comment, je vais la prendre ma zone d'expression! Pour le brillant par contre, faudra peut-être repasser... D'abord, pour te remercier du beau cadeau, cher M, que tu nous offres pour fêter le 6e anniversaire du blog! Tu m'offres un beau scoop, comme je les aime, et comme j'adore vous les faire partager: des photos inédites datant de 34 ans... et l'objet du délit... délit que je me rappelle avoir commis... Et oui, j'y suis allé aussi d'un MALIK... et de quelques "sarces"... alors que mon acolyte qui a lui persévéré dans le dessin et l'animation s'attelait à un "Ceaușescu" de deux mètres de long... Certains diront que j'ai su rester bête, et grâce à Dieu, on a désormais internet... pour s'exprimer sans dégrader... sauf quelques murs... de facebook.
Pour une fois, la "randonnée" qui suit ne nous conduira pas vers les sommets enneigés qui ont habituellement la part belle dans cette rubrique du blog. Nous ne contemplerons pas le bleu profond des lacs de montagne et aucune marmotte ne pointera ici le bout de son museau. Non, aujourd'hui, notre balade sera urbaine et consistera en une déambulation parmi quelques inscriptions trouvées sur les murs de Clermont-Ferrand et de ses environs, qu'elles datent d'aujourd'hui ou d'hier, viennent de la droite, de la gauche ou d'ailleurs, expriment gravité ou dérision. Une flânerie accomplie avec en tête l'idée de retrouver un graffiti bien précis, devenu indélébile pour la plupart de ceux qui s'intéressent à Jean-Louis Murat. Voici donc Clermont sous les bombes… aérosols.
Les graffitis les plus visibles et nombreux ces temps-ci, sur les murs de la capitale auvergnate, sont aussi les moins créatifs, à savoir les graffitis militants. Souvent élémentaires et très "premier degré", ils portent la marque d'une opiniâtreté propagandiste inspirée par un engagement à la fois rageur et liturgique (où le "No Pasaran" serait un équivalent du "Corpus Christi"). Sur les parois de ce grand Taguistan en constante ébullition, on repérera donc des slogans communistes (tendance maoïste), fascistes (tendance raciste), antifascistes, royalistes ou anarchistes, ces différents courants s’affrontant pour trouver sur les murs une visibilité que l'espace médiatique dominant ne leur concède que difficilement.
"Ni Dieu ni maître !" crient les libertaires, qui politisèrent l'inscription murale dès la fin du XIXème siècle. Des libertaires à ne pas confondre avec les libertins – même si eux aussi, bien entendu, ont droit à leur bout de ciment…
Au-delà de la simple expression d'une position partisane, le graffiti politique se veut souvent revendicatif et vise à déclencher une prise de conscience. Il arrive alors qu'il convoque la figure d'un défunt dans le but d'entretenir sa mémoire, tout en l'érigeant en symbole plus ou moins mobilisateur. Là où les uns célébreront le souvenir d'un théoricien d'extrême droite qui voulut faire de son suicide, en plein cœur de Notre-Dame de Paris, une exhortation au sursaut national, d'autres rappelleront avec une exigence de justice tenace le nom d'un jeune habitant des quartiers populaires, mort lors d'une intervention policière musclée. Les causes défendues pourront être très locales ou beaucoup plus lointaines et les interpellations d'autrefois trouver d'étranges échos dans le présent...
Ce dernier graffiti pourrait paraître exotique au cœur de l'Auvergne, mais il est en fait un proche cousin du très récent "Erdogan fasciste vive le PKK", des indémodables tags pro-palestiniens qui ressurgissent de temps à autre (à Clermont comme dans de nombreuses villes de France) ou des plus anciens "Libérez les prisonniers politiques à Saïgon", "Pologne libre" ou "Assez de sang versé en Espagne", qui égayèrent le paysage urbain local en un temps où il était moins question de mondialisation que d'internationalisme.
Pourtant, il serait injuste de réduire l'art de l'inscription murale à sa seule composante militante. Souvent plus originaux et laissant davantage de place à l'humour, des graffitis non-encartés (mais pas forcément dépolitisés) animent ponctuellement l'espace public, au gré de l'imagination et de l'audace d'auteurs inconnus. Les escarmouches opposant la faucille et le marteau à la croix celtique cèdent alors la place à une littérature empreinte d'absurde, de poésie, de fantaisie, voire d'une certaine dose d'utopie.
Il suffit de parcourir les rues en scrutant les murs pour comprendre que s’intéresser aux graffitis revient à faire l'histoire de leur effacement. Sur de nombreuses façades, l'on devine en effet le passage des entreprises chargées de débarrasser la ville de ces écrits sauvages. Hydrogommage, aérogommage, recouvrement, solubilisation ou décoloration sont quelques unes des techniques utilisées pour lutter contre ce qui n'est plus guère considéré comme de la subversion, mais tout au plus comme une coûteuse pollution visuelle. Dès lors, l'amateur curieux n'a plus qu'à plisser les yeux pour tenter de déchiffrer les spectres d'anciens tags, à solliciter la mémoire de ses aînés ou à se plonger dans les archives de la presse locale pour retrouver la trace d'inscriptions dont la verve reste intacte, tous registres confondus : "Ras-le bol de mourir sa vie !", "Avorter, c'est tuer", "Waterlot = Morne Le Pen", "Supprimons l'armée pour supprimer la guerre", "Drogue en grève, libérez le prix du cannabis", "J'encule Dieu", "Nucléaire = Bébé mongol", "Usine à cancers", "Puisqu'il est temps de réver réveillons-nous", etc. Une bonne occasion de redécouvrir au passage le plaisir enfantin et jubilatoire de l'insulte, lorsqu'elle est gratuite et jetée à la face du passant anonyme, sans discrimination aucune : "Bonne année les connards", "Fesse d’huître", "Marie (03) vous emmerde tous".
Dans cette lutte entre désir (singulier ou groupusculaire) d'expression et volonté (municipale) de salubrité, le sort des graffitis s'avère précaire et soumis à l'arbitraire. La vie ne serait-elle qu'une loterie ? Prenez par exemple cet appel à la libération d'un célèbre dirigeant politique d'extrême gauche. Il remonte vraisemblablement à plus de quarante ans, celui qu'il concerne a quitté sa cellule depuis longtemps, mais il demeure encore bien visible aujourd'hui dans la banlieue clermontoise.
Cet autre tag, couleur rouge sang, n'atteindra pas une telle longévité. Le 4 décembre 1986, plusieurs centaines de milliers de personnes défilèrent à Paris contre le projet de loi Devaquet. Suite au refus exprimé par le gouvernement de retirer son texte, de violents affrontements éclatèrent en fin de soirée, faisant plus de soixante blessés. Parmi eux, le jeune Clermontois Malik, qui se retrouva à la Salpêtrière après une bagarre avec des CRS. Au lendemain de ces accrochages, quelques centaines de personnes défilèrent à Clermont contre la répression policière et en soutien à leur compagnon. Le soir-même, on apprit la mort d'un autre Malik – Malik Oussékine – après son passage à tabac par des policiers. C'est probablement le 5 décembre que fut inscrit ce tag, en référence aux violences survenues la veille. Il restera visible jusqu'à l'été 2014... où une main inconnue estimera nécessaire de lessiver la paroi de ce bâtiment universitaire.
Le sort de cette inscription est plus amusant. À l'origine (dans les années 80), son auteur avait tagué la phrase "Pourquoi pas / Les fleurs bleues", en référence à Raymond Queneau. Mais au fil des ans, plusieurs couches de crépi ont recouvert le "pas" et le "bleues", ne laissant aujourd'hui subsister que cette interrogation incongrue "Pourquoi les fleurs", comme un défi poétique et bucolique à la rationalité financière à l’œuvre de l'autre côté du mur – celui de la Banque de France, sise à Chamalières.
Un graffiti peut s'avérer provocateur soit par son contenu même, soit par le choix de son emplacement, soit par la conjugaison de ces deux paramètres. L'insolent qui traça celui qui suit sur les murs de l'Hôtel de Ville vers la fin de l'année 1978 devait bien se douter qu'il n'y resterait pas très longtemps… De fait, on ne distingue plus aujourd'hui sur la pierre de Volvic de la rue Philippe-Marcombes que d'infimes traces de peinture blanche. Le mur en question est-il pour autant devenu "plus propre" ?
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