Bibliographie : Olivier ADAM "Et toute la vie devant nous", et Murat à l'intérieur
Publié le 31 Octobre 2025
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Ici, l'OLIVIER est un marronnier du blog (j'ai déjà dû la faire celle-ci), je parle de l'Olivier ADAM. Le dernier épisode était en 2023 mais vous en retrouverez quelques autres dans cet article. qui portait sur Tout peut s'oublier, livre que j'avais apprécié et chroniqué. Murat y apparaissait en épigraphe... Chanson de la ville silencieuse est aussi recommandé (tiens, la mort de JL justifierait peut-être une relecture "muratienne" après celle que j'avais faite en 2018. A l'époque, la sortie de Travaux sur la N89 rentrait déjà en résonance avec l'ouvrage nous avait dit Olivier).
Encore une fois, aucune de mes alertes médias ne m'avait orienté vers le nouveau livre Et toute la vie devant nous sorti en août (encore un signe du peu d'intérêt porté à Murat en dehors du cercle habituel?), mais il y est bien souvent question de musique, et de Murat dans ses pages. Merci à Laure Desbruères de nous en avoir glissé un mot l'autre soir. Olivier Adam sera aux Vinzelles le 14/11 (réservation ici).
Bon, le fait est que je devrais m'intéresser à tous les livres d'Olivier Adam tant l’œuvre de Jean-Louis Murat fait partie de son paysage, décor, de son intimité (même celle de son couple avait-il dit), et qu'elle est finalement peut-être toujours présente... Rappelons que Grégoire Bouillier nous avait appris que c'est suite à une discussion avec lui que l'hommage à Jean-Louis à la Maison de la poésie a vu le jour.
Si Murat est convoqué cette fois, c'est que le livre est l'histoire de trois amis sur 40/50 ans de leur vie, et qu'il sera question énormément de leur rapport à l'art, à la pratique artistique. Murat sera présent dans la construction de Paul, double d'Olivier Adam déjà présent dans plusieurs ouvrages. Celui-ci devient donc romancier, l'autre garçon se consacre à la peinture pendant un certain temps avant de disparaître (oui, on est bien dans un livre d'Olivier Adam, sans parler de la Bretagne). L'héroïne, elle, aurait pu être actrice ou chanteuse, mais s'oriente vers le social. Le récit dans cet aspect-là m'a un peu interrogé, tant j'imagine plutôt les artistes porteurs du feu sacré, qui ont une intime conviction de ce qu'ils doivent faire, qui sont les "monstres" dont je parlais en fin du précédent article. Ici, place aux doutes, aux hasards, aux rencontres... et c'est sans doute assez juste. On peut trouver des exemples facilement de personnes devenues écrivains sur le tard je pense.
Le côté monstrueux de l'artiste (cette appellation m'est peut-être propre) est néanmoins présent dans la façon dont le personnage écrivain va piocher son inspiration dans la vie de ses amis. Comme dans Les lisières, les parents vont refuser de lire les livres qui dévoilent trop de leur intimité et de leurs erreurs et les amis se déchirer par moment. Je ne l'avais pas pris comme tel, mais un passage du livre pourrait mettre mal à l'aise les muratiens. Acte de brigandage littéraire cette fois d'Olivier Adam lui-même : les circonstances du décès de Jean-Louis Bergheaud sont clairement reprises pour décrire la mort d'un des parents des personnages (On reste malgré tout assez loin du côté sordide de l'affaire Desplechin/Denicourt dans le livre et l'inspiration d'O. Adam).
Olivier a accepté de me répondre à ce sujet:
-L' allusion au décès apparaît clairement dans votre livre. Était-ce une façon de faire écho au propos du livre sur les emprunts du romancier à la vie réelle? (et comme dans le livre, ça peut être choquant, ma coéquipière sur le blog m'a fait ce retour)
- Disons qu’il s’agit d’une illustration parmi d’autres de ma façon de procéder. Et de ma foi en l’impureté chimique du roman. Se superposent dans ce passage plusieurs « fantômes ». Comme toujours je tords, mélange, recompose. Et évidemment, tout vient de quelque part. J’ai bien sûr pensé au décès de Murat pour cette scène. Comme il est pas mal cité par ailleurs, il y a un système d’échos qui traverse le récit. Que certains entendent (ceux qui savent savent) et d’autres non. Mes livres jouent sur plusieurs niveaux. Ils sont très codés, cryptés, sous l’apparence de l’évidence et de la fluidité. Du côté des chanteurs, il y a des invariants, un clin d’œil caché (au delà de la citation de son nom) à Dominique A. Bien sûr Murat. Daho d’une manière ou d’une autre (par exemple dans Chanson de la ville silencieuse, où je prête à mon personnage certains épisodes tirés de sa vie). (Je sais par ailleurs que Murat n’aimait pas Daho et ça m’amuse d’autant plus de les faire cohabiter). Pour la scène en question, effectivement, Murat est en filigrane, mais mélangé à deux autres personnes « tirées » de ma vie… la mère d’un amie très proche. Et un ami de mes parents(cycliste patenté) décédé dans des circonstances assez similaires, qui m’avaient beaucoup marquées adolescent. Dans ce livre, il y a des éléments très recomposés et réinventés. Et d’autres quasi autobiographiques (si tant est que l’autobiographie existe, ce que je ne crois pas.). L’épisode du faux producteur par exemple (même si « dans la vraie vie » le « groupe » était composé de mon frère, de ma compagne et de moi-même), la soirée du Goncourt raté (même si je mélange deux finales « perdues » de ce prix), la fête du BDE de l’université etc etc. D’autres sont inspirés directement de la vie de proches que j’ai connus et connais pour certains encore (Sarah et le prof de théâtre, même si tout est inversé : dans la vraie vie c’était un coach sportif, alors que dans le bouquin c’est la version fictive de Paul…). Etc etc
Et dans ce joyeux mélange, il y a aussi tout ce que je tire d’autres œuvres ou que je vole à des gens que je ne connais pas directement.
À quoi s’ajoute quelques trucs que je crois inventés mais dont je m’aperçois en fait qu’ils viennent de quelque part et de quelque qu’un, mais j’ai juste oublié (il n’est pas rare que le quelqu’un en question me le rappelle…)
Et sûrement, mais ce n’est même pas sûr, quelque part, quelques lignes « purement » inventées. Voilà, en gros. Ah oui, un petit exemple de truc un peu codé que personne ou presque ne voit : Paul essaie de jouer le "basket Ball" de Sheller. Puis il se rabat sur "l’ange déchu". Sheller Murat. Bon. Ceux qui savent savent. Ceux qui voient voient. C’est presque une coquetterie. Mais en même temps c’est un passage de relais que j’ai vécu dans mon propre apprentissage. Sheller, puis Murat. Bien sûr j’ignorais à l’époque qu’ils étaient liés… Idem par exemple, dans dessous les roses pour la scène où le narrateur découvre que son père écoutait Dominique A. Écho direct à la chanson Manset de Dominique. Alors que dans la vraie vie, étrangement mon père écoutait Manset (ma mère détestait et c’est comme ça que moi je l’ai découvert). Bon, j’arrête là. Mais des trucs comme ça, ou j’emprunte à la fois à ma vie, à celle des autres, et aux artistes que j’admire, et même à leurs œuvres, il y en a presque à chaque page.
Merci Olivier !
Je n'avais pas tilté au clin d'oeil qu'il nous faisait en réunissant Sheller et Murat (mais la mention de Basket Ball est deux pages avant celle de Murat). NDLR: Sheller est un des "découvreurs" du chanteur, il est venu le voir en concert à la Bourboule et aidé le groupe Clara en les embauchant pour faire des jingles pour Europe1. Voici l'extrait :
Et voici l'extrait sur le décès:
Autre mention anecdotique :
Je retire mon œillère du blog muratien (ce n'est pas vraiment l'essentiel ici) pour dire quelques mots du livre.
Et toute la vie devant nous ne désarçonnera pas les fidèles lecteurs d'Olivier Adam car les thèmes chers à l'écrivain sont présents : la disparition comme on l'a indiqué, les gens de peu, les classes sociales, le romancier et son inspiration. La particularité de l'ouvrage sera peut-être à trouver dans le côté générationnel, la mienne. Les personnages ont l'âge d'Olivier Adam, un an ou deux de moins que moi, et c'est une plongée dans la musique, les événements politiques et sociaux que nous avons vécus (notamment les attentats, #metoo sur la fin). Cela m'a beaucoup évoqué le deuxième livre de Florent Marchet (sans surprise, on est dans la famille, avec Arnaud Cathrine) dans cette tentative clinique de plongée dans nos années collège, lycée. Cela passe beaucoup par le nom d'artistes ici alors que Marchet citait la télé, les produits du supermarché... On aura le droit d'y trouver du plaisir par moment, le plaisir de l'identification... ou du désintérêt puisque finalement, on a vécu tout ça, et certains préféreraient découvrir la vie d'un paysan du Cantal - ou d'un fermier du col de la croix saint-Robert -, voire d'un glouton du Kamtchatka... Ah, je n'ai pas placé mon adjectif préféré : séculier.
L'exercice de style du livre est de faire un récit, au passé, à deux voix qui s'adressent -littéralement- l'une à l'autre, un récit de 50 ans de vie et d'une amitié exceptionnelle, dans lesquelles deux drames particuliers interviennent, éléments plus romanesques que la sociologie "des lisières" qui sert également de fond (d'ailleurs, le personnage tient à retourner à la fin sur les lieux de son enfance). L'un permet à l'auteur de réagir à l'actualité, Le consentement de Vanessa Springora est évoqué par exemple. Les lecteurs découvriront donc comment les personnages se dépatouillent de tout ça. Personnellement, je me suis interrogé : comment une amitié aussi forte peut-elle être synonyme d'autant de non-dits à la fois face à des difficultés et aux sentiments ? C'est par l'art que deux des personnages s'exprimeront... mais est-ce suffisant dans leur cas ? Ces réflexions m’amènent à nouveau à Grégoire Bouillier*, et ce qu'il aurait fait lui de ces événements, Grégoire qui est aussi un "pilleur" (la fin de son dernier livre pouvait aussi être déplaisant à ce titre). La confrontation au réel, à soi, et à sa vie, est moins direct chez Olivier, mais il est romancier, et au fil de ses livres, il nous en aura dit tout autant sur lui.
*je le fais sans scrupule: Olivier fait référence au "Le syndrome de l'orangerie" dans le livre! "la référence aux nymphéas de Monet semblait explicite. Alex avait toute une théorie à leur sujet. Ces toiles étaient des tombeaux. Monet y cachait un cadavre".
PS: Photo d'illustration "et toute la vie devant nous- et Murat derrière" par Frank Courtès, devenu lui aussi.... écrivain de sa vie...
Archives:
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et dans Tout peut s'oublier :
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Petit truc en plus :
J'ai trouvé intéressant ce propos de Sfar (plutôt sur la fin) par rapport à ce qui est écrit ici et dans l'article précédent: https://www.instagram.com/reel/DQZMM58jJDR/?utm_source=ig_web_button_share_sheet&igsh=MzRlODBiNWFlZA==
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