Inter-ViOUS ET MURAT- N° 11 : Michel ZACHA
Publié le 15 Mars 2012
Inter-ViOUS ET MURAT-, Numéro 11 :
Michel ZACHA
©Michel Zacha
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Bonjour, je suis Michel Zacha! Je suis à ta disposition ;-)"
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- Oh, mince! Zacha - prononcez Zaka - ! Il me contacte! J'avais bien vu sur le net qu'il était encore dans le circuit, que du côté des studios d'ALIGRE FM, on l'avait croisé... mais je n'osais plus espérer quelque contact avec le producteur du LP MURAT (1982) et de tant d'autres disques, notamment avec Kent, Higelin... Mais je ne vais pas vous le représenter : je l'ai fait en détail dans l'article Zacha et Dejacques: producteurs de Murat en 82/84.
La découverte de sa musique, de son parcours (débuté en 1969 dans Hair aux côtés de Julien Clerc) et l'éloge dressée par Claude Dejacques avait aiguisé ma curiosité... C'était l'assurance d'une "Inter-ViOUS ET MURAT" passionnante... et l'occasion de lancer les festivités pour les 30 ans du premier LP de Jean-Louis Murat.
Après avoir vérifié la bonne identité du propriétaire du mail, je fonce:
- Bonjour,
Votre mail était tombé dans la boite de spams... et je viens juste de le voir...
Merci de cette prise de contact! J'avais essayé de vous trouver lors de ma première publication de l'article vous concernant.
Etes-vous d'accord pour répondre à quelques questions? Par mails ? (je préfère)...
ZAC: Pose-moi tes questions, amitié, Zac
- Vu qu'en fouillant un peu sur le net, je n'ai pas trouvé de bio suffisamment complète, j'aimerais bien que l'on en profite pour la faire... et on évoquera l'épisode Murat... en espérant que vous l'avez bien gardé en mémoire!
ZAC: Je ne sais pas si j'ai envie de partir sur une bio.
Ce que je peux te dire pour le moment c'est que je vois, posé à côté de mon Mac, le mini album 6 titres intitulé "MURAT" sorti en 1982 chez EMI :
Face A : MURAT (3'35) - SEVICES AMOUREUX (5'05) - CASSIS MOUILLÉ (3'11)
Face B : LES HANCHES DE DAIM (3'40) - LES MILITAIRES (3'10) - LE CUIVRE (4'22)
C'est Claude Dejacques, qui était mon directeur artistique entre 1970 et 1976 quand j'enregistrais ma trilogie "les Promesses d'Atlantides", qui m'avait fait écouter le joyeux premier 45 tours de Jean-louis Murat "Suicidez-vous, le Peuple est Mort !" -comme tu le vois, il ne nous a pas déçu depuis- en m'expliquant qu'il s'était déjà fait mettre le grappin dessus par Jean Bernard Hebey et son label SUMO qui pensait tenir un nouveau Manset, et s'était évidemment adressé à EMI... Je sais que la première chose dont nous avons parlé avec Dejacques c'était justement d'essayer d'éviter toute référence à Manset... évidemment !
A l'époque, j'étais devenu, avec la complicité de mon ami Philippe Constantin -mon éditeur chez Pathé-EMI - le spécialiste des accouchements difficiles d'artistes et de groupes de rock jugés pas commerciaux par les sourds du showbisenes qui n'avaient, comme d'habitude, rien vu venir et signaient tout çà "au cas où"( je peux te faire la liste).
J'ai donc réalisé ce 1er album de MURAT...
Je l'ai enregistré dans un studio à la campagne et mixé aux studios d’EMI, rue de Sèvres à Boulogne.
Je dois avouer que c'était difficile, je n'avais pas pu, au dernier moment, réunir l'équipe de musiciens idéale (je voulais faire ça avec Jean Pierre Alarcen et Georges Rodi mais ils étaient en tournée, l'un avec Béranger et l'autre avec Jonasz, et je dois dire que c'est l'un des grands regrets de ma vie de producteur d'avoir raté cette rencontre entre Jean-Louis et ces deux oiseaux) et j'ai foiré quelques titres (j'ose pas réécouter "Murat" ! mais je remixerais bien "Les Hanches de Daim" et "Le Cuivre").
Jean-Louis était exactement comme il est aujourdhui, en plus jeune et donc complètement à vif, intraitable et inspiré.
P.S.: Quand à "L'Étrangère" je n'en ai aucun souvenir ! je viens d'écouter un extrait sur internet. ça me dit vaguement quelque-chose mais j'ai plutôt l'impression que c'est une maquette et pas une "prod".
On se tutoie?
- Tant pis pour la bio (il semble que tu aimes la discrétion... Trop? Mais soit...). Concernant Murat, un flot de questions: je n'avais pas tilté sur ce label "sumo"... un label mais qui ne faisait ni production, ni distribution? donc à peu près, rien?
ZAC: C'était justement le label qu'avait créé J.B. Hebey pour coincer Murat (contrat de cinq ans, édition et tout le bazar... sans aucune structure conséquente). En effet, il avait été l'un des premiers à avoir entre les mains le 45 tours "Suicidez-vous le peuple est mort ". Murat à l'époque ne connaissait rien au showbizz et mettra plusieurs années à s'en débarrasser.
- Constantin n'a pas joué de rôle à ce moment là ? Où bien était-il le supérieur de Dejacques?
ZAC: Dejacques qui était un free-lance arrivant en fin d'une longue carrière, et déjà malade, avait accepté la sécurité d'un poste de directeur de la production française salarié chez EMI. Constantin, lui, gérait les éditions. Ils faisaient partie de ces quelques rares personnes infiltrées dans les structures rigides du "métier" de la variété qui avaient de l'oreille, un véritable amour pour les créateurs et défendant véritablement les artistes sur le long terme.
Des alliés et des amis: En 1976 Le Directeur Artistique était Michel Poulain (Michel Bonnet Directeur général) qui, intelligemment, nous laissaient faire. EMI avait du blé à l'époque, car l'argent gagné avec les Beatles... ou Tino Rossi restait dans le secteur du disque et servait à produire de nouveaux talents et pas à engraisser des trust mondiaux. C'est justement grâce à ce système qu'on pu exister chez Pathé de gens aussi différents que Manset et Yves Duteil.
- Concernant le lp Murat, ton nom ne figure pas sur le site officiel... Est-ce que c'est le signe d'une collaboration vraiment difficile?
ZAC: Non. La collaboration était rude. C'était difficile parce que je découvrais comment Murat fonctionnait réellement (il était exactement comme aujourd'hui en plus jeune, en plus écorché et en plus intransigeant -si tu vois le topo-, intraitable et inspiré). Et si c'était délicat de travailler avec une personnalité aussi forte, j'étais bien obligé de me rendre compte qu'il avait raison ! Il fait partie de cette poignée d'artistes rares avec qui j'ai travaillé et que je respecte encore aujourd'hui.
La vie est un éternel apprentissage et un disque à moitié raté, c'est pas la fin du monde... surtout quand on à affaire à un artiste aussi prolixe.
Si, à cause de nos parcours individuels, on ne se croise pas souvent, y'a pas de malaise. Nous sommes finalement restés assez fidèles à nos idéaux d'il y a 30 ans et je partage toujours avec lui des colères identiques sur l'apologie faite de la médiocrité et du panurgisme par tous les pantins du prime time, même si nous n'avons pas l'occasion d'en parler ;-).
Concernant ce mini LP, sur le site, effectivement, les crédits sont faux, mais Murat n'a rien à voir la-dedans et je le vois mal perdre du temps à visiter son site pour vérifier ce genre de détail!
Je te confirme bien que c'est bien moi qui l'ai réalisé. Qu'il a été enregistré au Studio de Flexanville par Vincent Chambraud.
Pour les crédits, il y'avait Bernard Paganotti à la basse et Georges Rodi qui a pu venir plus tard, et ça, c'était du gâteau !
Je ne suis pas sûr du batteur mais ce devait être Jean Paul Prat celui d'Elisabeth Wiener dont je venais de produire l'album "Sauver sa Peau" dans ce même studio.
Je l'ai mixé au studio 2 Pathé Marconi avec Claude Wagner. Dominique Blanc-Francard n'est pas intervenu sur cet album référencé: 2C 030-72642 Z 1982
- Bon, tout ça m'a obligé de repartir dans des recherches... J'étais un peu perdu, notamment parce que j'avais oublié que Dejacques ne raconte dans son livre que l'épisode du disque de 84... pas "suicidez-vous le peuple", ni ce LP MURAT ... qui sont donc tous issus de sessions différentes d'après ce que tu nous apprends!
Donc, pour résumer puisqu'on est en train de lever un grand lièvre... Il y a le 45 T "suicidez-vous..", puis il y a la session que tu diriges (et là, on ne laisse pas le choix à Murat des musiciens...
ZAC: ...Il n’a pas été obligé d’accepter, j’étais allé le rencontrer en auvergne et il m’avait laissé choisir le studio et les musiciens.
- Ah... ok... Puis c'est l'enregistrement de "passions privées", où Murat reprend ses musiciens (Pie, Bonnefont...et encore RODI)...Et c'est ces mêmes musiciens qui sont indiqués sur les deux disques sur le site officiel et musikafarance (site d'où provient peut-être l'erreur)...
J'aurais bien aimé quand même que tu me dises qui était le guitariste : je le garderai pour moi!
ZAC: J'étais libre de choisir les musiciens mais j'ai du remplacer Alarcen à la dernière seconde. Ensuite on était en studio et je me suis rendu compte que ça ne collait pas avec Norbert Galo (tu l'aurais trouvé sur le site de Wiener crédité sur le disque que je venais de produire au même endroit). Norbert est un excellent guitariste, mais si il collait pour Wiener, ça n'a pas collé avec Jean-louis, en particulier dans "Murat" ou c'est du sous-Christopher Cross qui ne ride pas du tout comme le vent !
Je te l'ai dit :c'est un de mes grands regrets de producteur: Les Hanches de Daim, le Cuivre ou Sévices Amoureux en direct live avec Alarcen, Rodi au Fender Rhodes et à l'Arp Odyssée, Paga et François Auger... Mea Culpa.
- J'ai eu confirmation de la part de Jean-Paul Prat (via FB): il se rappelle effectivement d'une session, pas du disque. Je ne sais pas si c'est du fait d'avoir croisé Murat, mais Il a trouvé la foi....
ZAC: Ah, rigolo! A l'époque, il était plutôt bon vivant et j'ai été vraiment surpris en apprenant, en 86, qu'il avait joué à Lyon, devant le pape, et qu'il a viré mystique! Les batteurs, c'est vraiment une drôle de race et les voies du seigneur sont impénétrables!
- Pour faire un point le plus précis sur cette session, tu dis qu'il ne connaissait rien au milieu, mais même s'il débutait, savait-il déjà parfaitement ce qu'il voulait musicalement? Et c'était quoi : être réellement neuf par exemple? (je t'ai mis deux chroniques du disque en pièces jointes: sont cités "Manset, Higelin, Simple Minds, Brian Eno, Capdevielle, Bashung")? Etait-il curieux aussi de la technique?
ZAC: Je n’ai pas le souvenir qu’il savait exactement ce qu’il voulait (comme moi d’ailleurs). Dans ce genre de projet on avance au feeling, mais il savait parfaitement ce qu’il ne voulait pas et en particulier les influences trop perceptibles, les citations et le manque d’imagination créatrice. Ce n’était pas une volonté de sa part ou une simple attitude : Il était réellement original et désespéré quand ça ne volait pas assez haut, et encore plus exigeant avec lui-même ; d’où son insatisfaction permanente, qui se manifeste encore aujourd’hui dans cette débâcle artistique qui nous entoure.
Pour la technique, c’était à moi de me démerder …
- Pour en revenir sur la référence à Manset, dont tu dis que vous avez cherché à l'éviter, il faut croire que c'est un peu raté, car elle a été faite immédiatement par la presse...
ZAC: (Nous, on le savait depuis le début, connaissant le panurgisme des médias de variété...)
- Emi avait d'ailleurs demandé à Manset de produire Murat en 81/82...
ZAC: (ce qui prouve la connerie des gens du marketing qui commençaient à s'immiscer dans l'artistique).
- ...D'où une fameuse rencontre sur les champs entre les deux... Murat en a tiré la conclusion qu'il n'aimait pas le bonhomme, et Manset, que Murat n'avait besoin de personne...
ZAC: Sur MANSET, "Murat en a tiré la conclusion qu'il n'aimait pas le bonhomme" et bien, moi non plus... Ni Constantin, ni personne, sa vie privée n'étant vraiment pas à la hauteur de son talent.
- Ca m'a amusé de découvrir que vous figuriez sur une même compile : "pop in france"... que j'ai dû du coup acheter... Est-ce que, - mise à part la personnalité du Monsieur - , Manset est pour vous quelqu'un qui a joué un rôle important pour la pop française?
ZAC: Pas vraiment ! D’alibi, oui !
PopFrance Tome 2
- Sur le LP MURAT, pas de Dominique Blanc Francart donc... Tu le connais?
ZAC : Il était déjà à l'époque un des meilleurs ingénieurs du son, un des rares qui possédait la technique ET la feuille ! C'était de plus un excellent "mixeur" et un véritable producteur. Moi j'étais un musicien qui faisait de la prise de son et lui un ingénieur du son qui faisait de la musique. On a souvent travaillé ensemble d'ailleurs et il nous pliait de rire en nous racontant son passé de galérien ( il était bassiste dans des groupes de rameurs des sixties, dont "les pingouins"). Il était déjà sur la route quand moi je finissais ma licence de lettres classiques à la fac de lettres de Nice ! On a le même âge (66 ans), mais on est resté très rock an roll.
Et toi, t'es vieux de combien?
- Je ne sais pas si je donne cette info sur le net: 35 +3...!... Mais je peux te dire que je n'ai pas grand chose de rock and roll j'avoue... A 18 ans, je devenais fan de Manset au lieu d'écouter du grunge... et reste un peu centré sur Murat, Manset, Marchet... Depuis 20 ans, le groupe lyonnais VOYAGE DE NOZ qu'a produit YVES ROTHACHER, ex-starshooter et Factory (que tu connais donc!), m'accompagne (je dois citer ce groupe ici le plus régulièrement possible: obligation contractuelle!). D'ailleurs, as-tu un rapport particulier avec Lyon pour avoir travaillé avec autant de lyonnais : Starshooter, Factory, Taha, Marie et les garçons?
ZAC: Lyon, c'est grâce à Constantin : il m'a emmené écouter Starshooter et tout s'est enchaîné...
Disque culte de Marie et les garçons (avec RE-BOP): John Cale, Michel Esteban et Zacha
- Je suis vraiment content de t'avoir en interview, après celle de Stéphane Prin et peut-être bientôt celle de Dupouy (l'invitation avait été faite et acceptée...). On avait discuté avec Stéphane Prin de savoir si l'ingé-son devait avoir un son particulier, ou être neutre. Qu'en penses-tu? et y a-t-il un son ZACHA?
ZAC : Je ne me suis jamais posé ce genre de question ! Chaque groupe, chaque artiste est particulier.
Je n’ai aucun ego en tant que réalisateur et je n’ai aucune frustration en tant que musicien. Je sais parfaitement comment obtenir techniquement le son que je veux mais je sais aussi ce que c’est d’être devant un micro et de chanter comme si ta vie en dépendait. Le gros son de caisse claire, j’en ai rien à foutre… sauf quand c’est nécessaire ! J’ai bien sûr une manière de mettre en image la musique. Une chanson, c’est comme un tableau, j’aime bien une certaine symétrie, une mise en perspective, un point de fuite. Mais c’est le chanteur ou le groupe qui dessinent, qui proposent des couleurs. Moi je suis la pour encadrer, éclairer et transmettre. On n’encadre pas un Warhol comme un Fragonnard. Le son, c’est d’abord les musiciens. Je peux faire du très joli mais j’aime bien aussi quand c’est vraiment brutal. Je ne laisse rien passer question justesse et mise en place, j’ai une oreille de chauve-souris mais je suis indulgent si l’artiste est généreux et je ne suis là que pour le mettre en valeur tout en ayant le plus grand respect pour le public qui va l’écouter. La phrase que je déteste le plus c’est « on verra au mixage". Un autre test, c’est d’écouter le play-back sans la voix du chanteur : si tu ne t’emmerdes pas, c’est que la chanson est ratée. Je peux passer trois heures pour "faire" un son de piano mais j’ai aussi capté en 5 minutes, pendant une répétition, une chanson à la volée qui a été gravée telle quelle sur un CD ( “Elle voulait revoir sa Normandie“ de Gérard Blanchard ) … Disons que je fais de la mise-en-son.
Hommage d'Higelin (pochette d'"HIGELIN 1982") à Zacha (et Dejacques) :"le musicien Michel ZACHA célèbre musicologue et accoucheur des cas désespérés" :
LA SUITE :