On n’attendait pas autant de suavité de la part de l’auteur de Suicidez-vous le peuple est mort (1981), mais bienvenue à elle ! Sur Baby Love, son vingtième album, le berger auvergnat, chef de file de la chanson française pessimiste, s’offre une tangente inespérément pleine d’espoirs et de groove. En studio avec son collaborateur Denis Clavaizolle, il s’est donné pour mot d’ordre de s’imaginer «en 1985, comme des débutants en quête d’un premier contrat discographique. Nous avons recherché la simplicité, avec des chansons au format 3’30"».
Prolifique sur le tard, Jean-Louis Murat s’est offert un battement de deux ans depuis son dernier album, Il Francese, d’italo-pop moderne mais francophone, aux textes endeuillés. L’année d’avant, le trésor expérimental déroutant Travaux sur la N89 nous préparait déjà à tous les rebondissements, partageant un passionnant terrain de fouille autant dans les circuits électroniques détournés que dans les fils de textes expérimentalement embranchés. Il y a déjà un quart de siècle, Murat racontait à Libération : «Je n’ai pas beaucoup d’estime pour ce que je fais : se regarder dans une glace en croyant parler pour les autres. En Europe, on est tous des chanteurs du XIXe, alors que Snoop vient du XXIe.» De plain-pied dans le XXIe, Snoop Dogg n’est plus vraiment dans les radars, et Murat, 68 ans, pourrait ne pas être resté XIXe siècle si en 2020 il ne venait pas mépriser la génération actuelle. Dans une piteuse déclaration à Paris Match, il avançait récemment, tout bougon, que d’Angèle à Beyoncé, «si elles n’avaient pas des mecs derrière, elles n’en seraient pas là». La police est suffisamment dehors pour qu’on lui emprunte sa casquette pour ce type de bassesses dont nous rabattent régulièrement les jaloux.
Jean-Louis Murat sort donc à 68 ans son premier album disco. Hyper décomplexé et référencé, Baby Love est dans sa trame romantique un album d’entre-deux amours, mais surtout une étreinte en direct de la pop culture la plus cajolante, comme l’atteste son récent coup de foudre pour Earth, Wind and Fire, cette inclination funk qu’il n’a pas toujours assumée, sur laquelle il a peut-être éternué dans d’autres interviews que nous n’avons pas lues. Le voici qui désinhibe les cuivres, s’entiche de la new wave 80’s et de ses chœurs chatoyants. Sur la Princesse of the Cool, il se glisse, avec un minimalisme moins daté, dans la jeune vague actuelle de chanson discoïde et feutrée, et chante : «Voilà le rebirth of the cool / C’en est bien fini de l’éternel retour du blues.» Calmos, l’album se termine, cinq titres plus tard, sur un hommage au maître swamp rock Tony Joe White, dans une évocation voodoo où il finit par un «P’tit gars fais gaffe à celle qui n’aime plus la guitare», qui brouille comme toujours les indices sur ses prochaines inflexions.
Charline Lecarpentier
Jean-Louis Murat Baby Love (Le Label [PIAS])