Publié le 28 Avril 2021
Prologue humoristique : Le tycoon taquin Paulo, les mains dans le dos, est penché à sa fenêtre et regarde les fourmis s'agiter dans la rue, ah que la vie semble dérisoire du haut de son Xanadu building d'un étage sis à Pontgibaud (Dauphiné d'Auvergne) à partir duquel il gère d'une main de fer "le blog de Paulo, toutouttouvoussaurezstoutsurJLM.com" depuis 2009. Depuis une heure, il a vu passer deux tracteurs, un cueilleur de champignon et deux vaches. Certains jours, il a dû mal à s'y mettre. Il a conscience que depuis que Fred Plainelle s'est évaporé, le blog a perdu de son mojo, et de son rayonnement. Il ressasse : "et si j'avais été moins pingre pour les notes de frais-bar?, et si je lui avais offert une nouvelle veste multipoche pour ses reportages? ou renommer le blog, le blog de pierrot et de Fredo? Le téléphone sonne et peine à le sortir de sa torpeur mélancolique. Il laisse sa secrétaire Irina prendre l'appel (irina, c'est la voix féminine de son répondeur, sa plus fidèle collaboratrice et qui ne se plaint pas quand on la tripote un peu).
- Oui, bonjour, Paulo, c'est Florence D. Je vous écris de temps en temps. J'ai vu que vous aviez acheté "Reclus, histoire d'un ruisseau"... Si vous voulez, je peux me charger de ça... Bon, de toute façon, je l'écris, et je vous l'envoie..."
Paulo est interloqué. Qu'est-ce que c'est que toutes ces Florence qui veulent écrire sur Murat? Et puis, d'abord, il l'a déjà potassé le Reclus: Il a déjà lu 10 pages du livre en un mois en ne s'endormant que 20 fois; dans un an, il aura sans doute fini, et pourra commencer à rédiger... C'est une histoire de deux ou trois ans quoi, c'est rien! (sur Manset, il prend des notes depuis 2009). Bon, d'un autre côté, se faire piquer un sujet? Ça ne sera pas la première fois, et cette outrecuidance n'est pas sans lui rappeler quelqu'un... Mais il reste quand même une question centrale... De toute évidence, Florence est un prénom portée par une personne possédant une "M.N. de mon malheur". Collaborer avec une femme? Cette idée saugrenue ne lui avait pas traversée l'esprit. Et encore il y a peu, les ennuis de son collègue du blog de Pierrot... non, l'autre, Pierre Menès... l'avaient accablé... Bon, Fred avait déjà les cheveux longs, et des idées progressistes et humanistes, il avait fait avec... mais des histoires de flotte, il s'en serait tenu éloigné, lui. Sans réfléchir, poussé par une envie soudaine de rompre sa solitude, il prononça imperceptiblement le mot "bud rosé"... en arrachant les toiles d'araignée autour de son combiné de téléphone:
- Allo, Florence? C'est Paulo! Bon, c'est d'accord, je vous prends pour ma tige... Ah, bon sang!!... pour cette pige, je vous dis!! Mais faut pas compter sur les notes de frais! Et je n'ai pas de canapé dans mon bureau, faut pas compter monter dans l'orgasm... dans l'organigramme! l'organigramme! Et vous n'oubliez pas, on fait dans la culture, mais light, on pense ménagères et fans de Mylène Farmer!! Et pas de gnangnans mièvreux!, et inutile de me parler de charge mentale, j'attends l'article pour hier ! On ne va pas parler d'eau en pleine sécheresse. En Auvergne, c'est en ce moment que ça mouille!
(Alors pour le lecteur qui débarquerait dans cet article par hasard, euh... désolé... et je vous invite à retrouver les articles de Fred Plainelle en tapant ce nom dans la partie "recherche" du blog. Et comme toujours: Pensées à Matthieu G. qui a créé ses personnages de pure fiction).
Introduction sérieuse: Jean-Louis nous a parlé plusieurs fois de M. RECLUS:
En 2020, - à propos de son "engagement" à parler de la nature, "en ce moment, je lis à haute dose du Elisée Reclus" disait-il aux inrocks (là).
A cette occasion, j'avais fait cette courte bio: "géographe libertaire (qui explique que les études universitaires l'aient un peu mis de côté) qui a une renommée mondiale à la fin du 19e siècle (autant qu'HUGO et Pasteur nous dit wikipédia), précurseur de l'écologie. livres: La Terre en 2 volumes, sa Géographie universelle en 19 volumes, L'Homme et la Terre en 6 volumes, ainsi que Histoire d’un ruisseau et Histoire d'une montagne..
En 2018: - "J’ai toujours pratiqué cela. Un fan très attentif m’a assuré que le mot rivière est celui que j’utilise le plus dans mes textes. Rivières et ruisseaux sont mon spectacle de la nature préféré. J’ai été élevé non loin d’un ruisseau, et d’une rivière, la Dordogne, qui m’a inspiré de nombreuses chansons : Ma femme, Joconde, Mon unique au monde, Dordogne. Un ami universitaire m’a envoyé une édition originale de Histoire d’un ruisseau d’Élisée Reclus, un auteur au sujet duquel nous conversons régulièrement. Toute mon imagination commence par la rivière. C’est un spectacle apaisant et sans cesse renouvelé. Et j’ai ce rêve récurrent d’une rivière dont je calcule les forces des courants entre les pierres. Mais je n’irai pas faire une psychanalyse pour cela" (ici)
- Dans Ouest France, il assurait que "histoire d'un ruisseau" était l'ouvrage qui l'avait le plus inspiré. là Il fallait donc s'y pencher!
Alors, voyons ce que FLOrence peut nous en dire !
"Histoire d'un ruisseau", source de BERGhEAUd.
par Florence D.
« Viens, partons en balade… »
Les chansons de Murat sont un espace rêvé pour qui aime les jeux de piste et accepte le risque de s’égarer…
On peut s’amuser au jeu des clins d’œil et des citations, trouver çà et là des échos de poètes et de romanciers. On peut aussi (re)lire les ouvrages qu’il cite régulièrement, en y cherchant les sources d’inspiration. Par exemple Elisée Reclus et son Histoire d’un ruisseau. Que trouve-t-on si on met en regard le géographe élevé entre Périgord et Béarn et le chanteur grandi sur les bords de la Dordogne ? Voici quelques amorces de pistes…
« La voilà, belle et nue… »
Il y a d’abord ce qu’on trouve toujours lorsqu’on parle des cours d’eau. Reclus ouvre son ouvrage par le rappel des mythes et croyances attachées aux sources, et d’abord la figure de la nymphe et de la naïade. Le savant rigoureux, « l’observateur studieux de la nature » est aussi un « discret amant des fontaines », et se plaît à décrire les courbes onduleuses et les abords frémissants des rivières et ruisseaux… Murat, lui, fait sonner langoureusement le nom de la Dordogne, « son unique au monde », et associe l’eau sous toutes ses formes (de la pluie au glacier !) au féminin. Tous deux redoutent les séductions de l’eau courante qui peut perdre ses amants, Murat noyé dans la morte fontaine ou Reclus entraîné par le fond par le murmure du courant et les caresses de ses ondulations… Dans l’eau des fontaines et des rivières, on cherche aussi son reflet. Assis sur un tronc tombé en travers du ruisseau, le jeune Reclus médite et se laisse fasciner par le mouvement du courant, symbole du temps qui nous conduit à la mort. L’homme de science, lui, rappelle que la source, image idéale de pureté, était un lieu sacré chez les anciens, et que Numa Pompilius, selon la légende romaine, ne manquait pas d’aller y chercher conseil auprès de la nymphe Egérie. Chez Murat, l’eau courante est vigueur et principe vital, qui coule et gronde en lui. Epanchée immobile dans le lac nocturne elle devient « l’eau noire des regrets »…
« Je rêve en secret au pied du rocher… »
Lieux communs ? Le motif ici n’a rien d’emprunté ; nourri des longues heures passées dès l’enfance sur les bords de la rivière, il retrouve sa capacité à dire et à faire sentir. Reclus raconte ses jeux de Robinson, la joie intacte de s’ébattre ou se laisser glisser nu dans le courant, ses longues observations des bêtes, des plantes, et des ondulations sur la nappe liquide. On marche, on se promène beaucoup dans les chansons de Murat, et il revient constamment « rêver en secret » au Vendeix. Le promeneur attentif et curieux, le rêveur du bord de l’eau goûte tout le plaisir de tremper ses mains dans l’eau à Fontsalade, par un mois de mai trop chaud, d’aller se rafraîchir au Servières ou de se baigner à la nuit tombée. Aux bains glacés de Reclus semblent répondre ses photos nu dans la neige (époque Mustango et sa variante confinée…).
Mais le ruisseau n’est pas que rondeur et babil ; les deux notent aussi la terreur du gouffre et son appel secret, des ravins de Reclus au saut de la pucelle au-dessus du Chambon ou dans la crevasse du glacier.
Passer de longues heures au bord du ruisseau finit par en donner une connaissance intime; et Murat peut avoir le regard et la précision du géographe. Le ruisseau qui chante auprès de l’enfant qui dort dans Chamablanc est infiniment « vieux » ; on suit dans Dordogne le cheminement secret de l'eau, "fureur muette", jaillissant "du creux de l'enfer", nourrie de la "neige sur le Sancy" et versant sa rosée au Vendeix (et si c'est le ruisseau la boucle est bouclée…). Les enfants du Mont-sans-souci vont « soigner à l’arsenic » leurs « souffles affaiblis », les thermes de Choussy illustrant là les développements de Reclus sur les origines des eaux thermales et leurs bienfaits. Parcourent aussi les chansons des noms d’arbres, de plantes et d’animaux, des insectes aux oiseaux, aux loutres et autres lapins de garenne. Il y a des esquisses naturalistes chez Murat, et chez les hommes de science qu’il aime il y a d’abord des observateurs curieux et des poètes. De Reclus on peut rapprocher Jean-Henri Fabre, cité dans l’album En plein air, entomologiste mais aussi félibre.
« Se refaire une âme par la contemplation de la terre et de ses grands paysages… »
Mais revenons au ruisseau. Reclus est aussi l’humaniste et le communard, qui voit dans le parcours du ruisseau une utopie réalisée. L’ouvrage finit sur l’image rêvée des peuples qui se mêlent aux peuples pour ne faire plus qu’un, comme les ruisseaux aux rivières. En attendant, le spectacle de la nature, les horizons de la montagne offrent aux opprimés une vision de l’harmonie et de la liberté et leur donnent la force de relever la tête. L’enfant, confronté à la violence normatrice de l’école, y retrouve la liberté et l’indépendance. Aller explorer le ravin, c’est s’écarter du bourgeois satisfait contemplant des champs bien ordonnés, c’est retrouver une nature libre, dont le désordre et la variété n’ont pas été domestiqués, et rencontrer les animaux eux aussi réfractaires et chassés (magnifique page qui pose si bien la question aujourd’hui cruciale de la diversité des milieux et des interdépendances). Et celui qui jouit vraiment de la promenade au bord de l’eau est celui qui a travaillé, pas l’oisif qui a besoin de tuer le temps et pour qui le spectacle restera monotone et la nature muette. Cette position (cette morale ?) est bien celle de Murat dans son travail de création : indépendant, à l’écart, à côté – et le surjouant volontiers dans ses prises de parole publiques. Parlant de Béranger ou de ses levers matinaux, il a dit bien souvent l’importance qu’il accorde au travail, comme les paysans qui l’entourent. Et autour de son vieux ruisseau, dans le paysage de Chamablanc, vit un monde qui ne serait peut-être pas si étranger à Reclus, même s’il peut aujourd’hui être survolé en avion ou parcouru en « auto » : celui où l’on cueille la rhubarbe pour le petit qui tousse, où il faut ramasser le foin, où le vacher dans l’étable prend soin du veau malade…
« Le vieux ruisseau part en chantant… »
Et enfin, évidemment le ruisseau chante. Cliché encore ? C’est qu’il faut savoir le faire chanter. Reclus le sait. Il s’attache à rendre toutes les voix du ruisseau, de la plus cristalline à la plus grondeuse, et la cascatelle dont il parle si souvent chante toute seule. Murat, lui, épouse tour à tour le rythme de la cascade ou de l’eau paresseuse ; il chante l’eau et l’invite à chanter dans le mystérieux Lait des narcisses, gouttes d’eau tombant des roches ou neige sous les pas du marcheur…
« Je suis encore enfant quand je m’élance dans le ruisseau bien-aimé… »
On croit partir à l’affut des références et des emprunts, on se retrouve à arpenter tout un monde… D’un bout à l’autre de la Dordogne, la rencontre entre Murat et Reclus sonne comme une évidence. Ils ont la fraternité de ceux qui savent regarder patiemment et amoureusement, retrouver les joies de l’enfance dans le contact avec la nature, se laisser envahir par sa sensualité. Et de ceux qui savent donner à voir, à entendre et à penser.
Paulo: Je n'aime pas étaler ma culture, mais je citerai le grand Mac Mahon: "que d'eau, que d'eau"! Bon, c'est pas mal, ça, Florence, des phrases courtes qu'on comprend tout, et sans aucune archive poussiéreuse de "la montagne"... J'ai juste failli me fouler le cerveau sur le mot "félibre"... mais il y a un truc qui manque... Enfin! du sexe!!! Certes, on ne peut pas réduire RECLUS à CUL (et on va même s'en éloigner un peu) mais Murat et l'aqueux... il faut taper dedans là! Ibidem libid'eau... Et Nadine et Joël Cornuault qui commentent le livre dans l'édition poche nous disent:"Le livre de Reclus est une incitation à jouir sensuellement des cours d'eau et de leur univers, [...] par tous nos pores". Alors, allons-y, allons-y! et sans entraves!
Histoire d’eaux… (suite)
Paulo qui décidément a de la suite dans les idées regrettait que je n’aie pas développé davantage la dimension sexuelle de l’eau dans mon évocation des liens entre Murat et Reclus… Subitement, il se trouvait saisi du noble souci de la « précision » et même de la « pédagogie »…
Allais-je, sous couvert de rigueur et volonté de transmettre, aller flatter ses pulsions libidineuses ?
Bon, comme je suis quand même un peu lâche, j’ai commencé par réécouter Murat…
Bien joué Paulo, on ne peut que se prendre au jeu, et plonger dans cet imaginaire que l’eau érotise constamment…
être frappé par la cohérence du réseau d’images,
la force d’évocation souvent retrouvée des plus traditionnelles,
le glissement permanent du paysage à l’univers intérieur,
de la nature aux corps,
l’alliance du très cru et de l’idéal,
du lyrique et du trivial…
Alors allons-y pour ces « histoires d’eaux… »
(Modeste amorce de promenade thématique dans les chansons de Murat, que je vous invite à compléter...)
L’eau est d’abord bain, nage, immersion heureuse et sensuelle. « Vivre, vivre tout le long, comme un poisson, dans le secret des mers », décide le voyageur de « Long John », qui semble rêver un retour dans un univers amniotique. Y fait écho « Coltrane », où l’eau n’est plus mère mais amante : « Partir, partir au fil de l’eau, jouir, jouir en poisson dans ton eau ».
La nage est aise, joie du corps, jouissance sensuelle dans cet espace à la fois vaste et enveloppant. L’eau peut se faire miroir du ciel, les deux se confondent dans « L’amour qui passe » : « C’est l’azur qui passe, irons-nous nous y baigner ? ». De la nage au vol, c’est la même exaltation de glisser dans cet espace infini. L’amant se fait ainsi poisson, volontiers joueur, ou nuage qui « se glisse dans mon corps », chante Morgane Imbeaud dans « Dis le le », ou lui-même fleuve, unissant ses eaux avec celles de la femme dans « Pluie d’automne » :
« Comme Rhône à la Saône
Tu te mêles à moi
Les feuillages les ramages
Dans ton onde vagabondent
Et l'automne est là
Etreinte acharnée
Ventre contre ventre »
Et l’amant comblé est imprégné de cette eau toute féminine :
« Au-dedans de moi ta rivière
Au-dedans de moi ta liqueur
Au-dedans de moi ta fontaine
Au-dedans de moi tes merveilles
Par le chemin creux ta fontaine », chante Murat dans l’album Taormina.
L’amante est donc fontaine de délices, de « douceurs » dans « La surnage dans les tourbillons d’un steamer », eau enivrante, tout imprégnée des saveurs et odeurs de l’automne dans « Pluie d’automne » :
« Jus de pomme, grappe jaune
Tes ivresses tes tendresses me manquent déjà »
A cette fontaine, nichée dans une “vallée” ou un “chemin creux”, l’amant vient boire, se désaltérer –images où se condensent la scène érotique et les aspirations qui s’y révèlent. Murat chante à la fois dans Tristan « Viens donzelle bavarde, viens m’offrir ta peau, Dieu m’a prié de boire, d’avaler le joyau » et dans Lilith « C’est l’approche d’un oued le contentement de ma lady » et même « c’est boire au fond d’une âme que le contentement de ma lady ». L’union des corps fait l’intimité la plus profonde, jusqu’au rêve d’unité marqué dans “Pluie d’automne” par l’image des fleuves mêlant leurs eaux, fusion et disparition de soi dans la violence de l’ « étreinte acharnée »... (Mais plonger si profond, se perdre ainsi ne va pas sans inquiétude. « Qu’est-ce qu’au fond du cœur » met en parallèle le cœur, l’eau, les yeux, le feu, et les cieux dans la version live, images de profondeur et d’intensité, et interroge : « Qu’est-ce qui te retient d’y plonger ? Qu’est-ce qui te retient d’y aller ? » - « Oui, je sais, sexe et effroi, l’horizon est infini »…)
Cette eau claire et profonde, odorante, qui dit l’aise, l’ivresse, la fusion des corps et des âmes peut toutefois devenir « flot amer au gosier d’amant », et tout se trouble. « Quand tu n’es pas là », l’amant, dans un « vain désir de vivre et de mourir », se retrouve pris en « eaux troubles et tièdes », où nage la langoureuse et inquiétante « Raie manta ». Si le désir n’enivre plus les amants de son « triple galop » il les jette dans un « marigot » (« Royal Cadet »)… Et c’est ce qui arrive dans « Mousse noire », où l’amant rejeté s’en « va pataugeant » « dans la boue ». Dans « La surnage… », il se traîne même dans une « noire Sibérie », « mort, sec de désir ». L’eau courante, enveloppante, s’est figée en glace, le désir s’y brise. La jeune fille de « Démariés » s’en va ainsi « dans sa pluie de flocons bleus », « sa bonne âme grelotte sous le grésil et le gel », bien loin du babil enfantin du ruisseau égrenant son « dernier glouglou » au début de la chanson. Et l’amant de « Perce-neige » ne veut plus que cesse la neige.
La femme elle-même peut se faire glace. « L’eau de ma rivière n’aura pas eu le temps d’atteindre ton cœur », regrette Murat qui s’adresse à une femme qualifiée de « neige éternelle, tendre tourment ». « Que fait cette tige d’or dans ton glacier ? » s’interroge-t-il douloureusement, face à l’amante « entourée de pluie », alors qu’il égrène son nom dans la pluie du matin, et peut par là-même, nouveau Ronsard, « l’arracher à la terre, au tombeau ». L’amour, le sexe ouvrent à l’abîme, « abîme liquide » de « La surnage… » ; le « corridor humide » est une « allée ténébreuse où le malheur m’attend »…
L’ivresse du corps n’est alors plus que rêvée, désirée, ou regrettée. « Je veux sucer la fleur secrète », « je voudrais une fontaine de douceur » martèle en vain l’amant de « La Surnage… » ; et de conclure, reprenant la poétesse du XVIème s. Louise Labé (dans le poème qui commence par l’appel ardent « Baise m’encor, rebaise-moi et baise »…) : « Pourquoi ne plus jouir l’un de l’autre à notre aise ? »
Toute l’ambivalence féminine se trouve dans la figure de Lilith la séductrice, sensuelle et glacée, caressante et dangereuse :
« Hello Lilith
Je croule sous la neige
La neige de ton pommier
Hello Lilith
Dans tes flocons je glougloute
Hello Lilith
Gorgée de lait pour mes poumons
Mes nuages
Hello Lilith
Sur ton cresson quelle contumace
Ma Lilith
Hello Lilith
Gonfle le sein
Un lac pareil
Tout à moi »
Pire encore, l’absence d’eau, la sécheresse, congédiée avec mépris dans « La surnage… » : « adieu souillon échevelée, adieu putain sèche », ou adorée dans un souvenir sacré : « j’ai votre poussière d’eau sur mon autel », poussière odorante qui imprègne et subsiste : « J’aime le parfum que la femme me donne »
Mais Murat questionne aussi la jouissance masculine, ses impasses et ses échecs. Plus d’étendue liquide, mais une dispersion en milliers de gouttes, un « embrun de passage » dans « Les voyageurs perdus », suivi d’un éternel retour à l’enfermement en soi-même dans « Royal Cadet » : « Alors sur un saphir, je tombe en gouttes d’eau ; en mille éclats j’expire, j’éclabousse ma peau ». Le septième ciel est bien gardé, interdit aux touristes de passage. Avec l’ivresse dissipée s’évanouit toute illusion...
Murat chante donc les corps qui exultent, la fusion des âmes, et toutes les misères du sexe et de l’amour. Dans ce parcours chaotique, passée l’extase, il reste à se maintenir à la surface d’une eau périlleuse, poursuivre les désirs et les rêves sans se laisser engloutir. « Et je surnage dans les tourbillons d’un steamer… Et je surnage dans les tourbillons d’un dreamer »
f.
Un grand Merci Florence!
"histoire d'un ruisseau" chez Babel-acte sud, livre de poche, 8,70 euros. sortie initiale : 1869. De la source au fleuve. Les dernières lignes: "L'humanité, jusqu'ici divisée en courants distincts, ne sera plus qu'un même fleuve, et, réunis en un seul flot, nous descendrons ensemble vers la grande mer où toutes les vies vont se perdre et se renouveler".
Je souhaite vous permettre de lire un petit peu du livre... alors, voici quelques pages du livre (un peu au hasard... mais pas que... il est question du "bain" dans le lien en plus qui suivra.
LE LIEN EN PLUS
Pour mémoire, JL MURAT nous avait également conseillé la lecture de "Comment chier dans les bois?"... guide américain écolo, dont l'essentiel du message est de comment éviter de souiller la nature et notamment l'eau avec nos matières fécales...
La thématique RECLUS n'est pas épuisée... puisqu'il faudrait notamment parler de l'anarchisme... notamment via la reprise par JLM de Charles d'Avray, et autre "suicidez-vous". A bon entendeur! Paulo n'est pas si méchant... (même appel pour traiter de VS NAIPOL et son "guerilleros"!
LA SOURCE EN PLUS
Du côté de la Bourboule et du Mont-DORE, la polémique a enflé depuis un moment. La cause; des travaux de la Mairie de la Bourboule pour "détruire" ou "aménager" selon les parties la source chaude de Croizat... qui permettait de se baigner dans un bassin à 35° (malgré une interdiction de s'y glisser (comme au Servières) fixée depuis 2016).
Puisque tenir un "lieu secret" est désormais impossible au temps des réseaux sociaux, des cahiers bleus, voilà ce qui arrive... J'ai parlé du sentiment que donnait La Bourboule il y a peu dans un reportage photographique: le conflit qui oppose petite gens et bourgeois tenant de l'ordre, et élus archaïques, le renforce...
PS: je ne sais plus si j'en ai reparlé récemment, mais pour rester dans le domaine de la nature, JL avait alerté sur le problème des rats-taupiers sur le plateau de Nulle Part Ailleurs... Il en a beaucoup été question dans l'actualité car c'est une année très mauvaise: ils ont pullulé. La solution écologique est de laisser vivre leurs prédateurs, dont le renard. Je découvre ce matin que cela aurait aussi un effet pour lutter contre la maladie de lyme (et les tiques).