Un grand site belge (souvent référencé"par Google) avec un bel article sur Murat :
il y a un baiseur amoureux métaphysique, acharné, lyrique et cru, une sorte de bouc bandant de son auto-malédiction de marginal,
http://www.lamediatheque.be/mag/selec/selec_8/j-l_murat.php?reset=1&secured=
Le travail mérite le respect de la propriété: je ne le copie pas pour le moment!
Mais maintenant, le voilà:
Ecrit par Pierre Hemptinne
Jean-Louis MURAT
LE COURS ORDINAIRE DES CHOSES - NM8822
Je ne suis pas un inconditionnel de Jean-Louis Murat. Souvent sa nonchalance snob et son flux verbeux invertébré m’agacent ! Tout en avouant des attachements singuliers pour certaines fulgurances, des traits de génie, entre intransigeance, voyance et postures romantiques pour midinettes. En faisant connaissance avec ses dernières créations, il me semble vain de comparer ce CD par rapport au précédent ou aux plus anciens.
Ce que ce nouvel album me rend évident avant tout, c’est que Murat, justement, n’est pas une suite de CD, un travail à la chaîne dont on jaugerait la production en fonction d’un modèle, une marque déposée par ses plus grands succès ! Non, c’est un entrelacs de paroles que n’enferme pas l’enregistrement, un rhizome textuel, ruisseaux d’encres et de salive, la respiration et circulation de l’oxygène et du sang dans l’organisme transformées en jus et palpitations d’écritures. Par le rythme, le débit, la structure, la récurrence des thèmes, la richesse du vocabulaire et des métaphores, la complexité maîtrisée de la métrique, c’est le plus littéraire des chanteurs français. Ruissellement de mots dans lequel l’artiste s’égare, s’enveloppe, palpite, se protège et d’où il jette ses anathèmes.
Ciselés, vénéneux. Jean-Louis Murat a une production abondante comme s’il ne pouvait arrêter de composer et chanter sous peine de ne plus supporter la vie. Donc, forcément, des hauts et des bas. Mais, au lieu de se diluer, il installe son œuvre dans l’incalculé, l’incalculable, qui ne repose pas sur une recette, irréductible aux lois du marché, étrangère aux boutiquiers de la chansonnette. Et il peut à son gré en dévoiler tous les méandres, mornes ou brillants, ils appartiennent au même fleuve. Un fleuve d’épanchements raides ou larges, hors du temps, dont l’eau, les couleurs, parfums et chansons se constituent de ce qui s’y décompose, long et lent recyclage des déchets du passé, de la nature et fredonne au contact de l’air et des berges : « chanter est ma façon d’errer ». Errer et errance, termes qui ont à voir avec la folie, comme manière de prendre en main sa déraison, son inadaptation, de l’aménager en lieu hospitalier, en dialogues avec l’inimaginable, le « défaut de », la perte: « Allons à l’inimaginable/ Où beauté cesse d’exister/ Amour j’ai perdu ton image/ Aimer est chercher ton reflet ».
Les chansons de Murat convergent vers cet inimaginable, comme le fleuve qui retourne où commence le cycle de l’eau, en déroulant ses lacets et sa rengaine lascive, au creux du vaste paysage que le désir veut épouser, rengaine en « Hymnes à jet continu/ Crache le cœur/ Vagabond éperdu/ Vagabonde erreur. » Il y a ce côté traînant, ce parti pris d’abandon, une drôle de mollesse que certains considèrent comme relents de guimauve et penchant gnangnan. Mais en dessous, les idées, les mots, les émotions charriées sont en ébullition, en révolution, en osmose avec ce qu’il y a de plus sauvage dans la volupté de vivre, une volupté à la fois brute et maniérée, morbide de côtoyer la mort, faisandée de surfer sur le désenchantement et le dégoût des hommes. S’excitant de tout ce qui dépossède au fil de l’usure et du froid envahissant : « Que sert d’aimer/ Une entourée de pluie/ Qui à chaque instant/ Coupe une grappe de vie/ Me regarder de près/ Tout voir de loin/J e ne sens plus/ La chair même/ Entre mes mains/ Que fait cette tige/ D’or dans ton glacier ».
Au fond des chansons, des buissons de métaphores et des taillis de rengaines, il y a un baiseur amoureux métaphysique, acharné, lyrique et cru, une sorte de bouc bandant de son auto-malédiction de marginal, « plein de déchets/ plein de baisers/ plein de secrets/ comme un b.b./ plein de raclées », scrutant la chair et le plaisir, la vie et la mort, lieu de basculement de l’être, une exaltation visionnaire, intello-charnelle, qui contamine tout le verbe et ses humeurs. Avec ce besoin vital de revenir toujours à la forêt, renouer avec l’espace vierge parmi les arbres et les mésanges : « On prend son plaisir en forêt/ Oiseau sauvage ou noisetier/ L’inconnu nous tient de tous côtés ». Cet inconnu indispensable pour avancer, avoir encore envie et qui ponctue le chant d’errance de sens et d’inanités : « On vit en état d’ivresse/ En petits points d’un S.O.S./ Ce hors d’haleine est sans fondement. » On sent dans le texte fluide de Murat, surtout quand il « passe la frontière des dents », parsemé de césures, de points d’abîme et de liaisons-trouvailles au point de faire monter le sang au cerveau, on sent le terreau, le limon, les cailloux, les herbes et le sol spongieux, le vent, les branches qui fouettent, le pas dans les tapis de feuilles, la sève qui bouillonne ou se retire, « Qui m’a fait cette chose/ Giclante à ton gré ». C’est bien le chanteur en Arcimboldo que l’on voit sur la pochette du CD. L’image n’est pas volée. Ce camouflage, cet enfouissement dans les fruits de la terre qu’accomplit une langue entre insolence et courtoisie passée, rejoint la récurrente image du lien charnel à la mère : « Dans la chambre obscure/ Où tu m’allaites », « 16h00 c’est la tétée/ 16h00 à ton ourlet », « Vivre caché dans un cylindre/ À l’utérus qui m’a fait »…
Mais tout ça ne serait rien sans le feu qui s’embrase en dessous et balance un formidable brasier au premier titre du CD. Quelque chose d’inattendu se lâche, un galop, une charge, sans prendre de gants, presque inconvenant. C’est trouble, pas net, pas propre, pas poli, pas gentil, mais balancé avec une rage d’une beauté qui décoiffe et enivre. Vieux beau qui brûle ses vaisseaux avec superbe et fausse compagnie, magistral. Il est là le misanthrope poète qui règle ses comptes et tire dans le tas de la petitesse au nom d’une soif de liberté immense, « Je t’informe de ma présence/ C’est un besoin d’infini/ J’invoque ta substance/ Dans ce purin d’idéaux/ Où tout fabrique des sots/ Par la chose immuable/J e n’ai plus confiance/ En vous ». La chanson avance ravageuse, équilibriste exacerbée, trouvant le chemin d’un vers à l’autre à la dernière seconde, poursuivie par les flammes. Il n’y a pas de rémission possible, pas de retour en arrière, rien ne peut éteindre cette foudre. Ce qu’exprime à merveille la formule épatante : « Le cours ordinaire des choses me va/ Comme un/ Incendie ». C’est épidermique, viscéral, la peau s’enflamme au contact du quotidien comme ces météorites, « chus de nulle part », en rentrant dans l’atmosphère. Chanson météorite. Mais ce n’est pas juste un rejet, un crachat, toute la chanson clame aussi le besoin de sentir cet incendie, d’épouser cette brûlure comme une quête d’authenticité. Merveilleuse combustion d’amour haine. À l’impossible nul n’est tenu, mais à peu de chose près, Murat a trouvé, là, « De la chose infernale/ Comment faire une chanson ». Cette chanson est un tourment. Et si l’on peut dire après un tel éclat : « Reste que dalle à chanter », le fleuve continue néanmoins son cours ordinaire, aux sécheresses vachardes et crues inflammables, errant et murmurant « Quel ténébreux/ Conduit bouleverse/ Ma nature ».
Pierre Hemptinne