Le journaliste , parce qu'il a peut-être eu vent de Paris-Match (l'article de l'humanité était pourtant en ligne jeudi 16 avec un titre différent: Jean-Louis Murat, le mec qui aime jouer) n'occulte pas le côté grande gueule, les paradoxes et contradictions des propos de Murat à travers le temps. On pourrait d'ailleurs en trouver dans certains propos de l'article. A propos des buzz : "ses diatribes ne sont que jeux et et paris avec son ami ALAIN" (Bonnefont)!! Ah bien, voilà, ce n'est pas de sa faute! (bon, il pourrait éviter la misogynie... même si c'est la transgression la plus prometteuse en terme de retombée...).
"J'ai toujours trouvé amusant de balancer des boules puantes dans la salle de classe"! Sale gosse!
"Notre job a un côté comique et grotesque. On ne va pas se la raconter".
Et JL d'indiquer qu'il s'inflige aussi une discipline: "je suis le premier à penser contre moi. Chaque pensée doit être contournée et vu d'un autre angle. Il faut s'efforcer à être incroyant face à toutes les croyances [...] Penser contre soi est un acte de vitalité et de santé mentale. La vie est dense et les contradictions intrinsèques sont des moteurs". Et ajoute encore ensuite: "le chanson française est pleine de petits Pétain qui donnent au public ce qui veut entendre et lui disent quoi penser". Penser contre soi... dans la vie de tous les jours? dans les interviews? Musicalement, je me dis qu'excepté sur travaux sur la n89, son artisanat est plus marqué par la cohérence, peut-être équivalent à une sincérité, qu'à des remises en cause artistiques. D'ailleurs, plus loin:
"Je fais joujou. La pop est une boite à légo. je m'acharne à prendre mon pied".
Et le journaliste de dire que baby love est "impeccable".
La dernière partie, avant un dernier pied de nez pour s'amuser à Neil Young, m'a le plus interrogé: Murat indique: ""Je ne serais pas autant dans ma merde si j'étais soumis aux compromissions". "Ai-je été opportuniste?" s'interroge-t-il (sur twitter, on lui reproche Regrets par exemple...). Il indique ensuite que ses disques ne payent pas les frais de production, et qu'il les fait quand même, tout en indiquant que ces disques sont là pour faire vivre sa famille... et en même temps, on sait que Baby love était censé être commercial. Le chat noir qui se mord la queue? "je ne fais pas partie de la famille du business et ses logiques de bazar"... Ne pas avoir proposé un "best of", des live réguliers sont des actes qui accrédite ce propos.
LES ARCHIVES EN PLUS HUMANITE
Avril 2001: Il y a presque 20 ans donc... à l'occasion du disque avec Isabelle Huppert. (il est ressorti en vinyle en 2019 pour rappel).
L’amour inévitable de Jean-Louis Murat
Sortie du dernier album de Jean-Louis Murat. La résurrection d’une poétesse du XVIIe siècle, Antoinette Deshoulières. Et une invitée de marque : Isabelle Huppert.
" Deshoulières (Antoinette du Ligier de La Garde, Mme). Poète français. (Paris 1637. Id 1694) ". La notule du Robert consacre à cet écrivain quatorze lignes. On y apprend qu’elle participa à la cabale contre la Phèdre de Racine, qu’elle admirait Corneille, tint salon et publia, entre autres, des poésies manifestant " une grâce déjà romantique ". C’est à peu près tout et on remarquera le masculin de poète qui a son importance. Les histoires de la littérature française ne sont guère plus gourmandes de détails sur cette femme de lettres saluée en son temps et plus tard encensée par Voltaire puis Sainte-Beuve. Une femme engagée, emprisonnée pendant la Fronde, amie de libres penseurs, partie prenante de la querelle des Anciens et des Modernes. Trois siècles plus tard, en 1992, Jean-Louis Murat, notre chanteur le plus précieux, déniche dans un marché aux puces une édition des ouvres de Madame Deshoulières. Et c’est lui qui ressuscite aujourd’hui les vers d’une légèreté trompeuse, d’une modernité étonnante, aussi charmeuse d’esprit que charnelle dans la métaphore, signée de la plume de cette érudite du XVIIe siècle dont l’histoire personnelle rejoint l’écriture " frondeuse ", effrontée, à la pudeur élégante. On y parle du corps féminin et masculin, de la mort et des amours défuntes, de plaisir et de soif de liberté en ces temps de chape de plomb que furent parfois les années " solaires " du roi Louis. On ne s’étonnera pas que Jean-Louis Murat ait eu envie de mettre en musique des textes dont la grâce sceptique ne pouvait que le séduire. Dans sa voix et ses arrangements, ils résonnent comme le prolongement de certaines de ses plus belles compositions, comme les doubles de la mélancolie de Cheyenne Autumn, des sonorités de Murat en plein air sans qu’à aucun moment l’ensemble ne sonne d’un rétro baroque à la mode depuis quelque temps. Il fallait aussi sans doute que cette rencontre peu banale, transgressant les siècles, devienne une aventure hors du commun, en l’occurrence celle d’un couple à trois. Pour habiller la voix d’Antoinette, Jean-Louis Murat a fait appel à Isabelle Huppert, qui, coïncidence, sortait à peine du tournage de Saint-Cyr, le film de Patricia Mazuy dans lequel elle incarne Madame de Maintenon, une amie proche d’Antoinette Deshoulières. Le résultat est l’un des plus envoûtants et beaux disques de cette année. Une osmose réussie commentée par son initiateur.
Ce qui vous a rapproché de Madame Deshoulières s’apparente à un véritable coup de foudre. Comme si son vers " Soyez inexorable / L’amour est inévitable " était une adresse qui avait traversé les siècles.
Jean-Louis Murat. C’est que la femme est étonnante. Mais la découverte pour moi s’est faite en deux temps. D’abord la lecture de ces deux volumes de poésies trouvées sur un marché de Clermont-Ferrand. Fascinés, avec ma compagne, nous nous sommes lancés dans une longue recherche. Et rencontré un personnage rare. Une révoltée, même si le mot a pris un autre sens aujourd’hui. Il faut se souvenir du contexte : Louis XIV, un pouvoir fort, totalitaire. Parvenir à ouvrir une brèche dans ce carcan est remarquable. Cela s’est traduit par un mouvement, les Précieuses, dont Antoinette a fait partie. Pendant quatre ou cinq ans, autour de 1650, ces quelque 150 femmes fondent une véritable République des lettres. Les féministes américaines ont particulièrement mis au jour cette histoire. Selon leur thèse, ces femmes du XVIIe siècle annoncent 1789. Elles s’appuient sur des revendications précises, des valeurs : le divorce, l’égalité hommes-femmes, le contrôle des naissances, l’éducation pour tous. Elles prennent les choses en main pour limiter le pouvoir des hommes. Jusqu’à ce que Louis XIV s’en mêle. Et Antoinette est aux premières loges. Au cours d’une des premières réunions de l’Académie, dans les années 1630, plusieurs de ses membres proposent son adhésion. Le roi refuse avec cette phrase : " Le mot est mâle. " J’ai lu dans Sainte-Beuve que, par la suite, pas dégonflée, Antoinette Deshoulières créa le mot " académicienne ". Pour les Précieuses, pour ce siècle, la langue est un enjeu.
Et Molière écrit les Précieuses Ridicules fin 1659.
Jean-Louis Murat. C’est un salopard, même si on a retrouvé une lettre où il regrette. Le message passe avec lui. Quoi qu’on dise, il était du côté du manche. Quand on voit les pensions dont il a bénéficié, il fait toujours partie du Top 50 de Louis XIV. Pendant longtemps, Antoinette ne mettra pas les pieds à Versailles. Cette tension entre elle et le roi, on peut la lire parfois dans ses textes. Toutes les références au soleil sont négatives. Le soleil " ruine " est une " catastrophe ". D’où son aversion pour Racine, image même du courtisan, du lèche-bottes. Elle, ses amis s’appelaient Corneille, La Fontaine, des proches de Fouquet. Entre eux et Racine, on retrouve le clivage Modernes et Anciens. Pour en revenir à Molière, avec sa pièce, il ouvre grandes les vannes de la moquerie, du retour du machisme. Même si on peut avoir une lecture plus ambiguë de la pièce, le mal est fait.
La langue d’Antoinette Deshoulières est à la fois très directe et métaphorique pour l’époque.
Jean-Louis Murat. Dans ses textes, se révèle une sorte de perspicacité féminine qu’on ne trouve pas toujours dans la poésie féminine. Elle est vraiment hétéro, parle des hommes de façon directe, franche, dans leur entier. Ce n’est pas si commun, même aujourd’hui. De la même façon quand elle évoque le corps féminin. Un texte comme Entre deux draps sur la masturbation féminine, c’est pas mal pour le XVIIe ! À ce moment, la langue se faisait. Et les Précieuses ont essayé d’y mettre un peu de pudeur par des métaphores, de régénérer le langage amoureux. Elles en avaient assez d’avoir affaire à des brutes.
Ces enjeux de langue sont-ils encore d’actualité dans la poésie, la chanson française ?
Jean-Louis Murat. Comme à l’époque, la langue reste à réinventer. Les Précieuses menaient une bataille dans un domaine précis, le langage amoureux. Aujourd’hui aussi, il reste à réinventer. Les seules innovations sont des anglicismes ! Umberto Eco explique très bien dans l’un de ses textes comment le langage amoureux des langues latines, comme le français ou l’italien, est désormais conditionné par les mauvaises traductions et adaptations des soap-operas et des sitcoms américains.
Vous avez dit un jour vouloir lutter contre " la tyrannie du présent ". Cet album en est une illustration. Plus profondément, ce besoin paraît lié à votre propre histoire.
Jean-Louis Murat. Malheur à la tyrannie du présent. L’actualité, le fond sonore. Écoutez, on est là, dans cet hôtel, on ne peut pas être tranquille, il y a toujours NRJ, RFM ou je ne sais quoi, une espèce de tyrannie musicale, des sons, des harmonies. Il faut échapper à ça. Voir un peu ce qui se fait ailleurs. Pour moi, c’est une manière de résister. D’autre part, c’est vrai, j’ai dit un jour avoir le sentiment d’avoir sauté comme une génération. Je me sens toujours dans ce manque. Comme s’il y avait eu un creux dans le passage de témoin. L’impression d’avoir pris le relais, après des gens, mes grands-parents qui m’ont élevé, qui ne parlaient que le patois, qui vivaient comme au XIXe siècle, sans eau courante avec des vaches et un jardin potager. Je croyais que la vie, c’était ça. À quinze ans, j’ai basculé. Je suis passé d’une ferme à l’internat. Et tout de suite, je me suis intéressé à la musique. J’ai voyagé en stop, je suis parti en Angleterre voir des concerts. Mon univers musical est d’abord venu de ma grand-mère. Ses chansons. Elle avait une voix très juste et une mémoire prodigieuse. Je n’ai pas de nostalgie. Simplement, ça donne des racines, des références, du lien. Et puis, j’ai fait la rencontre d’un homme incroyable. Je lui dois énormément. Un professeur d’anglais. Il était arménien. Orphelin. À quatorze ans, il est entré dans la Résistance. Et il est devenu la mascotte d’un régiment américain. À la Libération, ils l’ont emmené avec eux aux États-Unis. Et là-bas, après quelques galères, il a rencontré le jazz. Il était également homosexuel. J’ai compris plus tard. Il ne restait jamais plus d’un an dans une ville. À chaque fois, il y avait des plaintes. Moi, il m’a pris en affection. Et il n’y a jamais rien eu d’équivoque entre nous. J’allais faire mes devoirs chez lui. J’écoutais Miles Davis, Lionel Hampton. Il m’a fait lire Gide, ce qui m’a beaucoup marqué. Il m’emmenait voir des concerts. Il connaissait des tas de gens. À quinze ans, j’ai passé une journée avec John Lee Hooker et Memphis Slim. Oui, je suis passé d’un coup d’un monde à l’autre.
Pour en revenir à Madame Deshoulières, pourquoi le choix d’Isabelle Huppert ?
Jean-Louis Murat. Je n’ai jamais pensé à quelqu’un d’autre. Je la connais depuis la Vengeance d’une femme, de Doillon, que nous avions tourné ensemble. Pour moi, elle incarne l’éternel féminin français. Une énergie, une intelligence, un caractère. Elle m’a dit : " D’accord, mais tu te comportes avec moi comme un metteur en scène. " Et je me suis retrouvé avec cette responsabilité.
Les lieux sont très importants pour vous. Murat en plein air a été enregistré dans la chapelle romane de Roche-Charles en Auvergne. Là, vous avez choisi un château.
Jean-Louis Murat. Je cherchais la même formation que le salon d’Antoinette. Chez elle aussi, on écoutait l’orgue positif, le luth, la viole de gambe, le clavecin, le théorbe. Avec Daniel Meier, qui dirige cet ensemble baroque et a arrangé dans cet esprit sept morceaux, nous avons littéralement campé trois jours dans les murs XVIIe du château de Chazeron. Nous avons ensuite terminé l’enregistrement, batterie, guitares, mini-moog à Paris. Le tout a pris à peine huit jours. De toute façon, vu son emploi du temps, Isabelle n’aurait pu être présente plus longtemps. Et j’aime cette rapidité dans la création.
Didier Rochet
Madame Deshoulières (Isabelle Huppert et Jean Louis Murat) (Labels/Virgin).
Madame Deshoulières, livre présenté par Jean-Louis Murat, dessins de Carmelo Zagari. Éditions des Cahiers intempestifs, 112 pages, 118 francs.
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Ci dessous en 2008: