Publié le 19 Août 2012
Hé, les chanteurs ! Ayez une pensée pour Jean Théfaine, notre confrère qui vous a tant aimé. Une plume, un enthousiasme, une passion.
MarinaBmk cite elle Jean Théfaine: "Toutes les musiques que j'aime forment un arc-en-ciel, dont j'ai envie de partager les couleurs." Jean Théfaine
Lors de notre précédente rencontre (pour sa "Chorusgraphie" 1),Jean-Louis Murat, auteur-compositeur-interprète singulier et trublion attachant de la famille chanson, venait de sortir Le Moujik et sa femme, et s’apprêtait à entamerune tournée qu’il annulera un peu plus tard pour raisons de santé.
Formidable album que ce double CD regroupant vingt-trois titres nouveaux, lui-même déclinaison d’un triple vinyle à tirage limité et somptueusement emballé, où l’ordre des chansons... n’est plus le même ! Point fixe avec le marathonien qui soupire, chevelure en pétard, l’œil allumé et le sourire carnassier : "J’aurais voulu sortir un nouvel album en mai 2004. Evidemment, ma maison ne voudra pas. Et ça me fout un peu dans la merde, car j’ai à peu près trois disques d’avance... Du coup, je commence à prendre un décalage dans le temps, je travaille sur des trucs qui ne verront le jour qu’en 2005... Entre autres choses, j’ai en tête, disons à échéance de trois ans, un projet qui devrait être très éclairant. Si j’ai le courage et si je parviens à le mener à son terme, il donnera une vue générale de tout ce que j’ai essayé de faire, depuis vingt ans..."
CHORUS : A un moment, dans le nouvel album Lilith, tu chantes : "Finies les grimaces / On sourit de se voir dans la glace..." Tu as réglé tes problèmes avec toi-même ?
JEAN-LOUIS MURAT : [rire] C’est un peu une boutade !
– On ne nous a donc pas changé notre Murat ?
– Non ! Ça correspondait à un moment. Et puis ça m’amusait de dire ça. Souvent, les gens pensent que je suis prisonnier d’un style, d’un genre, ou de je ne sais quoi. Mais je peux écrire aussi : "Allez, on sort de sa mélasse, on sourit, on est fier d’être en vie." J’ai aussi beaucoup ce côté-là... La sensation globale que je peux dégager peut être comme ci ou comme ça, ça ne m’empêche pas d’être habité par nombre de sentiments positifs ou offensifs. Je sais très bien qu’il y a toujours un moment où tu ne peux pas passer ton temps à faire la gueule. C’est une autre facette de moi, quoi. Une de plus !
– Trois pages à ton propos et la une pour la sortie de Lilith : le quotidien Libération t’a gâté...
– Je te le dis tout de suite : j’ai pas lu. Ça me perturbe trop. Lorsque Laure, ma copine, lit un article qui me concerne, elle ne m’en parle pas... Si elle tombe sur un magazine ou un journal où il y a un truc sur moi, elle déchire la page. Elle planque tout. Elle regarde, mais moi je n’ouvre pas les journaux. Vraiment, je reste étanche à ça. Pour garder un peu de fraîcheur. Et puis je pense que ce n’est pas terrible comme expérience de lire des commentaires sur soi-même... Je ne pense pas que ça soit très sain.
– Tu as tout de même lu le dossier que Chorus t’a consacré ?
– Je l’ai parcouru en diagonale... un mois et demi ou deux après. Pas sur le coup, quoi. Attention, ce n’est pas un problème de journaliste. Même si tu retranscris exactement ce que je te dis, beaucoup de choses ne seront plus là à la lecture : la présence physique, les gestes, le regard. Si tu veux, ça donne de moi une image projetée... dans laquelle je ne me reconnais pas. En général, cela me file la migraine... Je suis malade deux jours !
Dans l’interview de moi qui est parue dans Chorus, il y a toutes ces choses, par exemple, où j’apparais arrogant. Si, si. Il y a plein de passages où j’ai vraiment l’air d’un petit orgueilleux, d’un mec qui veut absolument être le meilleur... Et du coup, pour les gens qui ne m’aiment guère, je prête le flanc... Je leur file tous les arguments pour me vomir encore un peu plus. A leurs yeux, je suis forcément un prétentieux, une grande gueule, une langue de pute...
Alors, lorsque je lis ça, je n’y vois qu’un catalogue de tous mes défauts et cela m’est évidemment insupportable. Parce que je sais bien que je suis aussi autre chose, même si je n’ai pas envie de me présenter seulement avec des qualités. [haussement d’épaules] Je suis comme je suis, que veux-tu ! [soupir] Mais bon, je pense que la moitié, au moins, des lecteurs de Chorus ont dû me détester à travers ce qu’ils ont lu dans ce dossier...
– Ce dossier a généré, c’est vrai, pas mal de courrier...
– Beaucoup de gens m’en ont parlé, et notamment dans la profession. J’ai été très étonné... Même à Libé, tiens. Parce que Chorus leur sert vraiment de référence. J’ai même fait des interviews en réaction au dossier ! Récemment, TF1 m’a consacré un sujet ; eh bien la nana qui m’interrogeait avait le numéro de Chorus sous les yeux...
Pour en revenir aux insultes, j’en ai reçu pas mal aussi à domicile. Notamment à propos d’un truc que je déclarais dans l’interview : "Georges Brassens, m’en fous..." [il siffle] Ouah, tout ce que j’ai lu ou entendu !... Du style : "Pour qui vous prenez-vous, petit merdeux ?" Ce que je voulais simplement dire, c’est que nous, les chanteurs de maintenant, avons déjà tellement à lutter pour exister qu’on ne peut pas toujours être écrasé par l’ombre de nos aînés. Il faut bien qu’on respire, quoi. Sinon, on disparaît.
Je ne veux pas passer mon temps à parler de Georges Brassens et de Jacques Brel. C’est comme si eux avaient passé le leur à parler de Tino Rossi qui lui-même n’aurait pas cessé de parler de je ne sais qui avant lui. C’est étouffant, cette histoire... Ma réponse à ta question, c’était plutôt ça : "Laissez-nous vivre." Mais ça a été mal interprété. Pris, une nouvelle fois, comme de l’arrogance.
– Retour à l’album Lilith. Côté textes, tu as puisé dans ta malle aux trésors ou c’est du tout neuf ?
– Du tout neuf, à 90 %. Je me suis attaqué à l’écriture de cet album le 19 novembre 2002. Le 18, j’avais terminé d’aménager la grange où je travaille. Du lambris partout, avec des demi-arbres au plafond et vue sur les montagnes ! Maintenant, j’ai un vrai lieu où je peux ranger toutes mes grattes, faire de la musique. Plus encore que pour Le Moujik, j’ai travaillé là. Tout seul. Installé dans des conditions de concert, avec la bonne guitare : j’en ai utilisé seize sur ce disque. Après avoir tout calé soigneusement, et sans avoir fait la moindre "démo", je suis passé chez le luthier pour qu’il règle les tirants, les trucs. Une fois arrivé en studio, j’avais tout dans la tête. J’étais archi prêt. On entre cabine et on y va... C’est à ce moment seulement que j’ai réellement découvert comment sonnaient mes chansons...
– C’est vrai que, pour une fois, tu as enregistré en studio...
– A Davout... Mais l’enregistrement des rythmiques a eu lieu à St-Ouen ; là, ça a été extra. En quatre jours, tout était en boîte...
– Pourquoi cette urgence ?
– La première prise, il n’y a que ça de vrai. Tout ce qui fait le charme d’une certaine musique anglo-saxonne est là. Dans cette sorte de vigueur, de générosité, de spontanéité. Moi, j’essaie de mettre en place le même genre de processus pour saisir ce petit quelque chose... [il hésite] Déjà, à la troisième prise tu ne l’as plus. Je ne sais pas quel nom ça peut avoir... C’est comme de l’eau entre les mains, quoi. Je fais donc tout pour capter directement cet état de grâce de la première prise. J’espère que c’est encore mieux passé dans Lilith que dans Le Moujik...
Prends "On ne peut rien en dire". Il est 10 h du matin. Stéphane, le batteur, que je connais à peine, et Fred arrivent. On s’assied par terre. Je joue la chanson. Je donne le tempo avec mon métronome. Stéphane tape un peu par terre avec ses baguettes. Fred voit rapidement les accords. Pour permettre à l’ingénieur du son de faire ses réglages, on lui fait un truc d’une minute. Il dit : OK, ça roule... Je lui fais : tu prends. Et hop ! C’est la première chanson qu’on a enregistrée. Première prise, tout direct. Le chant, les guitares, tout. On a juste rajouté une voix dessus. Avec les musiciens, on s’est dit souvent depuis : c’est dingue, ce morceau on ne l’a joué qu’une fois ! Bon, ce n’est pas un exploit surhumain : il faut juste tout bien préparer avant. Ne rien laisser au hasard... [rire]
Je crois que j’ai trouvé avec Fred et Stéphane mon "power trio", comme on disait à l’époque ! Humainement, surtout. On est vraiment tous les trois sur la même longueur d’ondes.
– Lilith existe en CD, mais aussi en vinyle...
– Mon idée de départ, c’était de faire un double vinyle. Sauf que je me suis rendu compte que ne ça tenait pas sur un seul CD. De fil en aiguille, je me suis laissé déborder et c’est devenu un triple vinyle... dont le double CD est une réduction. Le vrai disque, c’est le triple vinyle, si tu veux. L’emballage a été conçu pour lui. Laure et moi, on a fait la pochette à la maison et elle est allée à Londres pour surveiller la fabrication de l’objet.
– Il y a combien d’exemplaires ?
– Très peu. Mille exemplaires. A part quelques disquaires fanatiques, les magasins n’en vendent plus. J’ai vraiment fait ça pour me faire plaisir et pour les gens qui aiment écouter les vinyles.