ERYK e., en interview
Publié le 15 Février 2016
Il y a quelques jours nous vous annoncions la nouvelle colloboration de Jean-Louis Murat avec un jeune artiste: Eryk. e. Peu enclin à utiliser le téléphone qui m'aurait permis de réaliser son interview, j'ai demandé à M. de prendre la main. Il a fait mine de rechigner bien-sûr... avant d'effectuer avec le talent qu'on lui connait, un travail fantastique en quelques jours. Un mois avant la sortie du disque "Seize", voici donc la toute première interview d'Eryk e (désolé de la publier un quinze...).
Eryk E, opus 1
Toubib or not toubib a musician...
Eryk E publiera dans le courant du mois de mars un premier album intitulé Seize, collection de chansons à l'écriture sobre et soignée, construites autour d'un piano d'allure classique. À l'instar de celui (opposé) d'une sophistication plus ou moins alambiquée, le choix de la simplicité a ses avantages et ses inconvénients. Côté risques, celui de verser dans – ou pire : de ne jamais réussir à quitter – le banal, le mièvre, le quelconque. En un mot, de donner dans la chanson "bof". Quand les choses se passent mieux, une forme d'épure peut au contraire mener vers l'intemporel et l'universel – le jamais-démodé, parce qu'en-dehors des modes. Fort heureusement, il existe entre ces deux extrêmes un vaste espace où chacun peut chercher à nicher ses aspirations esthétiques.
L'album d'Eryk E, dans sa simplicité apparente, offre d'ores et déjà à l'oreille quelques attraits de toutes natures. Un bouquet de mélodies qui ne demandent qu'à être fredonnées, des approches originales dans le traitement de certains sujets, une tessiture vocale feutrée en harmonie avec la production, une seconde voix étonnante qui déterritorialise les morceaux, des contrastes subtils (entre texte et mélodie ou à l'intérieur d'un même texte), l'ombre d'un Murat qui plane avec ses tourments essentiels ("qu'est-ce qu'être heureux ?", "quel est ce jeu ?", "que fais-tu mon cœur?"), une bal(l)ade parisienne belle à se jeter dans la Seine, des nuances dans la noirceur (ici désespérée, là élégiaque, ailleurs vénéneuse ou plus simplement tragique), la délicatesse d'un harmonica qui surgit quand on ne l'attend pas, etc. Autant de pistes stimulantes, de tâtonnements prometteurs, d'épiphanies gracieuses... Si l'année (20)15 nous avait enjoints – groggy et chancelants – à scander "Je suis Charlie", l'album 16 nous inspirera plutôt un paisible "Je suis Charmé". Par les temps qui courent, ne boudons pas notre plaisir...
Retour à présent sur le parcours musical de ce nouveau-venu âgé de quarante-sept ans. En seize points, afin d'être raccord.
1. Paralysée d'un côté (grévistes par milliers, pénuries multiples), en totale ébullition de l'autre (barricades, négociations au sommet). Telle apparaît la France en ce samedi de printemps. Nombreux sont celles et ceux qui ont eu la sensation de naître – symboliquement, existentiellement – en Mai 68. Même dans le domaine plus circonscrit de la chanson, certains y ont fait leurs tout premiers pas : Renaud écrit "Crève salope" dans la Sorbonne occupée, Clerc et Manset publient leurs premiers 45 tours – tandis que les manifestants détournent "Paris s'éveille" et essuient leurs yeux rougis en écoutant "Rain and Tears"… Eryk Eisenberg, lui, est réellement né en mai 68, le samedi 25. Il lui faudra néanmoins attendre quelques années pour goûter aux joies des défilés et des AG sans fin.
2. Une date de naissance fait-elle un destin ? Sans doute pas. Il n'empêche que du côté de Cagnes-sur-Mer, un esprit de fronde postsoixanthuitarde semble régner certains soirs, le tout jeune Eryk ayant déjà compris qu'aux alentours de 20h00, il y a nettement mieux à faire qu'aller dormir… S'ensuit un concours de ruses et de stratagèmes entre le gamin et des parents plutôt compréhensifs, jusqu'au jour où le père, guitariste amateur, trouve un moyen efficace pour que son fils accepte de se coucher : le bercer avec du Brel et du Brassens. Une stratégie dont s'amusera, bien plus tard, celui qui fait désormais profession d'endormir les autres : "C'est finalement un grand paradoxe, car leurs textes puissants incitent au contraire à l'éveil, à l'agitation intérieure, à l'effervescence, aux réflexions profondes, à la révolution !"
3. D'auditeur à acteur, le pas est vite franchi, selon un parcours somme toute classique. Formation au piano à partir de dix ans (Bach et Rachmaninov restent parmi ses compositeurs préférés), clavier dans plusieurs groupes de rock, apprentissage en solo de la guitare. "La musique, ça a été vraiment très, très intense dans ma vie, émotionnellement parlant, à partir du moment où j'ai commencé." Dès le début (11-12 ans), il essaye de composer des petits airs. Un peu plus tard, stimulé par la créativité de ses amis du groupe de rock symphonique Psychose, avec lequel il joue parfois, il créé ses premières chansons et s'inscrit à la Sacem, alors qu'il est à peine majeur (il y dépose entre autres "Si tu savais"). "Je me faisais plaisir avant tout, j'avais un petit 4 pistes, je faisais mes petites maquettes, c'était chouette." Pilou, guitariste et batteur de Psychose, se souvient d'un garçon "adorable, avec de très bons textes".
4. Eryk grandit dans la région niçoise, mais entretient dès cette époque des liens étroits avec l'Auvergne, où il vit aujourd'hui. "Ma grand-mère maternelle était originaire d'Égliseneuve-d'Entraigues, mes parents avaient racheté une maison en 75 dans ce village et j'ai passé toutes les vacances de mon enfance là-haut." Il y fait d'ailleurs monter ses potes de Psychose pour un concert dans la salle des fêtes. Mais c'est en Indonésie, lors d'une nuit d'insomnie (tiens, donc…), qu'il écrira à l'âge de quarante-cinq ans un texte inspiré par le souvenir du cimetière de ce bourg du sud-Puy-de-Dôme, où reposent quelques uns de ses aïeux. Ce sera l'une des premières chansons de l'album à venir.
Eryk, avec un débardeur à l'effigie de Renaud, dans la maison familiale d'
5. Attiré par la médecine ainsi que par le métier de vétérinaire, Eryk pousse pourtant un cran plus loin sa passion, en s'inscrivant en Fac de musique. Il suit des cours d'harmonisation et de composition, s'essaye au jazz et à la musique expérimentale, enseigne lui-même le piano… Son objectif est alors de devenir professeur, tout en écrivant des chansons à côté, avec l'espoir – qui sait – de réussir à en vivre. Mais l'engagement dans les manifestations étudiantes de fin 86 perturbe quelque peu son année : "On a passé 3-4 mois à occuper la Fac de lettres de Nice, ce qui est une de mes plus grandes expériences politiques et humaines. J'ai des souvenirs émus de mes nuits passées dans la salle des profs qu'on occupait, à dormir sur mon perfecto et j'ai adoré. J'ai vécu cette année-là comme un 68 bis" Tandis que les périodes d'ébullition politique suscitent parfois une inclination romantique pour la marginalité, Eryk garde la tête sur les épaules et – lucidité ou manque d'audace ? – voit se profiler une carrière d'enseignant plutôt terne, avec des fantômes de chansons et des frustrations plein ses tiroirs… Il rétropédale et choisit la médecine, qu'il ira étudier à Paris, avec sa compagne.
6. L'implantation en plein Quartier latin le confronte avec la mythologie du lieu. Son goût pour la chanson rive gauche, la littérature, le jazz, Ferré, Hugo, Paris, etc. trouve naturellement à s'y épanouir. Ce coup de foudre (il dit être tombé "éperdument amoureux" du Quartier latin) se cristallise autour d'un nom : Vian. Boris, d'une part, dont le poème "Je voudrais pas crever", entendu un jour à la radio, interprété par Pierre Brasseur, le bouleverse : "J'ai vraiment flashé sur ce texte qui m'habite et qui me poursuit depuis." Alain, d'autre part, dont la rencontre, dans sa petite boutique du numéro 8 de la rue Grégoire de Tours, le marque profondément. Quelque temps plus tard, il mettra en musique le poème de Vian et l'enregistrera sur cassette, sans pouvoir – hélas – le faire écouter au frère du chanteur, entre-temps décédé. C'est également dans ces années qu'il écrit deux quatrains sur la guerre de 14, inspiré par les récits de son père et par un morceau de Le Forestier qu'il adore, "Les lettres". Il ignore qu'il vient de donner naissance à l'embryon de "Seize", la chanson qui fournit son titre à son disque. Ne se doute pas non plus qu'il lui faudra attendre 2015 pour réussir, après avoir remanié le poème original, à y associer une musique.
7. Il faut dire que les études de médecine exigent une grosse implication, d'autant qu'il s'interdit d'échouer, par loyauté envers sa famille qui le soutient financièrement. Il se concentre donc sur ce cursus et laisse de côté la composition. Sans regrets. "La médecine m'a littéralement passionné et je suis extrêmement heureux d'avoir fait ce choix a posteriori, parce que c'est un domaine dans lequel je me suis beaucoup, beaucoup investi – et je continue à le faire." S'il ne compose plus, il trouve toutefois le temps de jouer, s'adaptant parfaitement à l'esprit carabin tel qu'on l'imagine… mais en restant exigeant quant à l'écriture : "J'étais le pianiste officiel de la chorale de chansons paillardes de la Salpêtrière. C'était excellent, parce qu'il y avait des mecs qui étaient férus de chansons paillardes, avec des textes fantastiques. J'allais répéter dans la salle de garde de la Salpêtrière qui s'appelait la Charcoterie, du nom de Charcot, une petite salle de garde dans laquelle il y avait des fresques extraordinaires..." Cette bande de garçons-charcotiers aura même droit aux honneurs d'une émission de Laure Adler, sur France Culture : "La salle de garde, chapelle païenne" (en novembre 1994).
8. C'est peu de temps après qu'il s'installe à Clermont-Ferrand pour y faire sa spécialisation. Dans l'optique d'un voyage aux États-Unis pour aller présenter sa thèse, il s'inscrit à un cours d'anglais. Mais dès la séance d'évaluation initiale, il s'aperçoit que son professeur est aussi passionné que lui par Brassens. Ce saxophoniste de l'Oklahoma, Mark Delafleur, devient alors pendant trois ans son partenaire au sein La Mauvaise herbe, duo qui adapte le répertoire de Brassens dans des versions décalées et jazzy. Ensemble, ils donnent une cinquantaine de concerts, dont le plus marquant reste sans doute celui du 31 décembre 1998, où le tandem réveillonne en chanson à… Washington D.C. Même si ce n'est probablement pas à cette occasion qu'Eryk accomplit le plus de progrès en langues... "Au début de la soirée, nous étions seuls à comprendre les textes en français des chansons. Mais vers le milieu du concert, les fûts de chênes californiens aidant, nous avons nous-même commencé à avoir quelques difficultés..."
Présentation de La Mauvaise herbe, lors de son passage à La Baie des Singes, en 2000.
9. Après le départ de son acolyte (qui lui envoie parfois des cartes postales), la décennie suivante est plus calme pour le jeune médecin sur le plan musical. Loin de se tourner les pouces, il travaille à la publication d'un ouvrage de synthèse en anesthésie régionale échoguidée, domaine dans lequel il passe aujourd'hui, selon ses confrères, pour "un leader d'opinion reconnu et respecté". Mais côté musique, son activité se raréfie, à l'exception des chansons parodiques qu'il propose lors de congrès d'anesthésistes, dont il devient au fil des ans la coqueluche. Il y détourne joliment son cher Brel ("Ne le pique pas") ou raconte les mésaventures d'un brave anesthésiste, victime d'un chirurgien odieux ("Laisse béton"). Bien qu'il révèle lors de ces prestations une plume habile, une ironie plaisante et une certaine aisance sur scène, la perspective de publier un album paraît à présent bien loin.
10. Deux rencontres professionnelles vont changer la donne. La première est liée à son désir d'élargir ses compétences d'anesthésiste en s'intéressant à l'hypnose. Nous sommes au début des années 2010 : "J'ai fait une formation d'hypnose qui a duré à peu près un an et durant cette formation, j'ai rouvert certains domaines de mon esprit. Très rapidement, je me suis rendu compte que je changeais moi-même, que je n'appréhendais plus les événements et les relations interhumaines de la même manière. Ça m'a permis de modifier ma façon d'être, je pense, et c'est extrêmement instructif et positif dans plein de domaines – notamment le domaine créatif. J'ai recommencé à pouvoir écrire quelques musiques, mais sans avoir beaucoup de contraintes. Y avait pas de cahier des charges, je laissais les choses se faire et, finalement, rien n'aboutissait vraiment, mais je sentais que j'avais une capacité à écrire plus qu'auparavant." Le compositeur Eisenberg vient d'entrer en salle de réveil...
Eryk Eisenberg, de la clinique (ici en compagnie d'un patient)...
11. La deuxième rencontre, qui a lieu dans les mêmes années, est avec l'un de ses patients, un certain Jean-Louis Bergheaud, plus connu sous le nom de Murat. "J'aimais beaucoup ce qu'il faisait, mais je ne connaissais pas grand-chose de lui. Des chansons qu'on entendait à la radio essentiellement… c'est-à-dire pas grand-chose et pas forcément les plus intéressantes" Il semble qu'humainement, le courant passe bien entre le médecin-anesthésiste et l'auteur de "J'ai pas sommeil". "Je suis extrêmement curieux de tout ce qu'il a pu faire, vivre… Ce n'est pas de la curiosité mal placée, mais c'est passionnant de voir quelqu'un qui a une telle expérience de la musique, une telle expérience de la littérature – c'est un boulimique de lecture, quelqu'un qui a une culture immense, qui connaît énormément de choses… À chaque fois qu'on se voit, moi en tous cas, j'en tire un bonheur intense, parce que c'est passionnant de l'entendre, puis de sentir des choses... Il est plein d'émotions, c'est un homme qui est à fleur de peau… Après on interprète ça – c'est de la psychologie à la petite semaine –, cette carapace qu'il a – est-ce que c'est vraiment une carapace, j'en sais rien – si c'est pour se protéger de son émotivité ou pas, j'en sais rien, mais ça pourrait l'être... En tous cas, moi, j'adore cet homme, parce qu'il me passionne."
12. Le médecin et le musicien deviennent amis, si bien que le premier présente au second certaines de ses tentatives d'écriture – son poème de 1988 sur la Grande Guerre et son adaptation de Vian. "Je trouvais que cette musique était celle qui était la plus aboutie et, sur un plan littéraire, ce texte sur la guerre de 14 était celui qui était le plus abouti. Donc, finalement, je lui ai montré ce que je considérais de mieux de ce que j'avais fait." Murat le complimente, puis le pousse à persévérer, au point de lui suggérer de concevoir un album. Le Dr Eisenberg se montre très sceptique et doit en outre terminer la deuxième édition de son livre. Un travail "compliqué, douloureux, fastidieux". JLM lui laisse le temps, puis revient à la charge. En septembre 2014, le médecin-mélomane accepte le challenge et commence à composer quelques thèmes et à les harmoniser. Les textes lui posent plus de difficultés, il envoie donc trois musiques seules à Murat. "Une semaine après, je reçois un mail, trois textes. Ouah ! Je lis ça, je me dis : 'Mais c'est pas possible…' J'étais vraiment dans un autre monde…" Murat se mue alors en directeur artistique, incite son protégé à garder la même dynamique de création, balaye ses doutes, lui prescrit la fameuse règle des 3T (Tempo-Tonalité-Tructure, déjà en vigueur à ses débuts…) et, comme il l'a fait avec d'autres (cf. le témoignage récent de Matt Low), l'invite plus que jamais à lâcher prise, à ne pas se brider, à laisser s'exprimer ses émotions... Eisenberg accepte de le suivre : "Je suis parti aveuglément dans une relation de confiance avec lui et c'était génial. J'ai vécu – enfin, je continue, parce que nos relations sont toujours du même ordre – et je vis un rêve éveillé."
13. La majorité des dix chansons de l’album sont écrites par Eryk entre décembre 2014 et juin 2015, avec pour fidèle partenaire son premier instrument, le piano. Si ses capacités techniques sont réelles, lui chez qui l’un de ses professeurs détectait un potentiel de concertiste, il se sent limité comme compositeur. Le travail sur ses nouvelles chansons constitue donc aussi pour lui une auto-formation accélérée : "Auparavant, en tant qu'instrumentiste, j'avais tendance, en composant, à retomber un petit peu toujours sur les mêmes suites d'accords, sur des intervalles assez reproductibles et je m’enfermais systématiquement dans une sorte de grille qui ressemblait trop à celle que j'avais faite juste avant. À la lumière un peu de ce qu'on peut voir dans le système d'écriture automatique ou dans les écritures des cadavres exquis, j'ai commencé à essayer de trouver un début de thème et ne pas m'inscrire dans sa suite logique, essayer simplement d'entendre avant de jouer, d'entendre mentalement ce que pourrait donner cette suite d'accords, ce thème-là, avant d'essayer de le jouer. Parce que je me rendais compte que j'étais prisonnier de mes doigts et pas de mon esprit. Donc, finalement, j'ai laissé mon esprit guider mes doigts et pas mes doigts guider mon esprit. Étant un musicien tout à fait moyen dans le domaine de la composition, j'ai découvert cette technique, alors qu'elle aurait peut-être dû être à la base. Elle a émergé avec ma propre expérience."
... à la scène, guitare bien en main.
14. Quoique Murat lui ait répété que les chansons étaient la priorité et que le travail sur les arrangements viendrait plus tard, Eisenberg reste tout de même soucieux de ne pas s’enfermer dans un schéma piano-voix trop restrictif. Il souhaite que ses morceaux soient habités par une "tension", difficile à obtenir avec un simple clavier. Les orchestrations et le travail en studio participeront donc de cette recherche. Murat place quelques accords de guitare ici ou là, Denis Clavaizolle apporte claviers et bruitages, Julien Quinet pose sa trompette aux endroits opportuns, Stéphane Mikaelian donne une touche jazzy au morceau final... Mais deux musiciens occupent une place particulière dans ce processus : Gaëlle Cotte et Guillaume Bongiraud. Désireux d’associer les sonorités du violoncelle à son piano, Eisenberg sollicite le jeune membre du Delano Orchestra, dont il connaît et admire le travail. Bongiraud lui envoie en retour ses parties de violoncelle composées à partir des maquettes, notamment ces trois pistes de cordes superposées sur "Les lieux", qui donnent encore "la chair de poule" au médecin quand il en parle. La chanteuse Gaëlle Cotte, elle, est une copine depuis plus de dix ans. Il adore sa voix, son enthousiasme et la laisse donc improviser à sa guise. À l’écoute de l’album, on se dit que ce sont probablement ses interventions qui éloignent le plus les chansons de leur cocon originel et contribuent à cette "tension" recherchée par le compositeur.
15. Quand on interroge celui qui est donc devenu Eryk E sur ses projets à court terme autour de Seize, il reste relativement vague. Démarcher des labels, se produire sur scène... Mais il ne veut pas se précipiter. Il suffit pourtant de creuser un peu pour comprendre que sa motivation est grande : "Je continue à écrire parce que j'ai le secret espoir d'en enregistrer un deuxième, je pense, en septembre prochain. Je trouve que c'est un bon rythme, je vais me calquer sur celui de Jean-Louis. Ouais, si je peux en faire un par an, ça me plairait bien." En l’entendant, un doute nous effleure soudain. Ce quasi quinqua aux faux airs de hipster (dégarni), avec qui nous discutons agréablement depuis plus d’une heure, serait-il, sans que nous n’y ayons pris garde, un illuminé ? Un inconscient ? Un doux dingue ? Non, juste un scientifique qui a fait sienne cette phrase de Brel (placée en exergue de son livre) : "On est un accident biologique qui fait ce qu’il peut." Et s’explique en ces termes : "Biologiquement parlant, je crois que c'est inscrit en moi. Après j'en fais ce que je peux – c'est bien, c'est pas bien, ça plaît, ça plaît pas, c'est un autre problème. Mais en tous cas, je ne peux pas faire autrement qu'essayer de faire quelque chose avec la musique. Donc si j'arrive à trouver le moyen de le faire – c'est surtout les moyens financiers, parce que ça coûte un peu, quand même, de faire un disque en autoproduction –, si cet aspect-là est envisageable, eh bien j'ai vraiment la volonté, parce je me suis donné beaucoup, beaucoup de plaisir à le faire et je crois que c'est en train de devenir quelque chose d'indispensable à mon équilibre."
16. Ce vendredi 12 février 2016, Eryk joue pour la première fois ses chansons en public, dans un lieu éphémère ouvert le temps du Festival International du Court Métrage de Clermont. Dans une ambiance sonore et visuelle peu propice à l’écoute attentive de la musique (euphémisme), il joue la sienne, assis derrière un beau piano Pleyel des années 50. À ses côtés, on retrouve Gaëlle Cotte, Guillaume Bongiraud, ainsi que le guitariste Frédéric Leclair et un ami qui se joint à eux pour quelques chœurs. Ce dernier n’est d’ailleurs pas le seul, puisque Eryk, souriant et sans trac excessif apparent, réussit avec l'aide de Gaëlle à associer quelques spectateurs aux chœurs du titre "Seize", rejoué en clôture d'un set particulièrement chaleureux. Puis il s'en retourne dans le public, recevoir les premières réactions de ses proches, avant d'assister avec plaisir aux passages d’autres clavieristes un Babx brillant, un Cascadeur lyrique et une Morgane Imbeaud vaillante et touchante, lorsqu’elle se met au piano pour trois titres, vers 1h00 du matin, tout juste descendue de son train... Que le nouveau venu Eryk E qui les précédait sur la scène soit parvenu, pour sa première apparition en public, à ne pas faire tache au milieu d’un tel plateau, est déjà de très bon augure pour la suite...
Eisenberg s'est fait une devise de la phrase de Brel mentionnée plus haut. Mais un autre propos du même auteur, qu'il citait voici quelques années, nous paraît tout aussi important : "Brel a dit en 1973 lors de sa 'Radioscopie' avec Jacques Chancel sur France Inter : 'Je crois qu’un artiste, c’est quelqu’un qui a mal aux autres...' Je ne suis pas plus artiste que beaucoup d’entre nous, mais oui, c’est vrai que j’ai le douloureux sentiment que cette phrase me raconte un peu." Cette modestie qu'affiche le néo-chanteur n'est pas la moindre de ses qualités. Quand tant de projets souffrent d'une boursouflure et d'un décalage entre leur contenu et tout ce qui l'entoure, l'humilité et le sens de la mesure de sa démarche sont à mettre à son crédit. De sa créativité future, des progrès qu'il saura accomplir, de sa motivation profonde (il a déjà en projet, dans un coin de sa tête, d'adapter des poètes qui lui sont chers) et de sa capacité à se coltiner avec ce "mal aux autres", source d'inspiration incontournable de tous ceux qu'il admire, dépendra la possibilité pour lui d'accéder à de plus hautes ambitions, à tous les niveaux. Pour l'heure, laissons le profiter de ce nouveau départ dans sa vie en lui souhaitant bonne chance. Et que Dieu se charge des taureaux...
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Un grand merci à Eryk Eisenberg pour sa disponibilité et sa confiance. Les deux chansons extraites de son album actuellement disponibles sont à écouter ICI. On pourra suivre son actualité sur sa page Facebook.
Nos chaleureux remerciements vont également à Pierre André, dit Pilou (auteur de la photo prise à ), Lionel Rousset de La Baie des Singes, Thibault de L'Hacienda et Fabrice Borie du Transfo.
LE LIEN EN PLUS
Lui aussi porte un prénom à l'orthographe particulière (comme le disait Yves Simon à propos de Juliet Berto), lui aussi a croisé la route de Jean-Louis Murat,