Tout a commencé par une épigraphe : "J'ai fréquenté la beauté chaque jour abreuvé à l'illusion des toujours". Qui tenait donc à citer Jean-Louis Murat en exergue de son roman ? Le nom de l’auteur me disait vaguement quelque chose, mais ce n’est qu’après une rapide recherche que j’ai pu lancer mon habituel « Bon sang, mais c’est bien sûr!» : Franck COURTES! Magic 1999, ses magnifiques photos de Jean-Louis en Auvergne, les premières à Douharesse... Une série parmi tant d'autres pour un photographe qui a travaillé pour Les Inrockuptibles”, “Liberation”, ”Telerama”, “Le monde”, ”L’Optimum". Ni une, ni deux, contact pris via Facebook et demande d’interview, semble-t-il acceptée de bon cœur. Ni trois, ni quatre, lecture de ses deux derniers livres « Sur une majeure partie de la France » et «Toute ressemblance avec mon père» (édition JC Lattès). Un travail réalisé avec un grand plaisir : la plume de Franck est sobre, même si elle ne se refuse pas des pauses en pleine nature, le tout avec un découpage percutant au service du récit et de personnages attachants. Le fait que les deux livres soient « autobiographiques » ou inspirés de faits réels renforce leur attrait, même pour ceux qui n'auraient pas à préparer une interview de l'auteur.
Celle-ci sera une inter-ViOUS ET MURAT pure et dure : anecdotes remarquables (belle évocation de Daniel Darc...) et infos inédites (où comment un photographe a réussi à coucher Murat un soir à New-York), petit jeu des points communs, discussion sur la littérature… et un magnifique cadeau en prime : notre invité a accepté de nous offrir quelques photos inédites de Jean-Louis ! J’espère que cette interview donnera envie à beaucoup d'entre vous d'aller plus loin, en découvrant les livres de Franck...
↕ Devant des fenêtres,
Franck prend la pause et la photo:
©Franck Courtes/VU’ (photo que conservait Franck sur son téléphone) verso: ©Jérôme Bonnet
Bonjour Franck,
- Je voudrais d'abord revenir à la photographie... et en premier lieu, votre travail avec Jean-Louis Murat. Il me semble que vous l'avez photographié à deux reprises, avec un travail très différent, l'un peut-être représentant un Murat des champs et l'autre, un Murat des villes. Pouvez-vous nous en parler?
F. Courtès: J'ai photographié J.L. Murat à New-York la première fois, dans un grand loft d'artiste intimidant qu'on lui prêtait. On a regardé ensemble mon travail le soir, et il m'a avoué préférer de loin mon travail personnel qui est une sorte de journal intime en photo, plutôt que mon travail de commande où apparaissait de nombreuses personnalités connues en train de faire leur promo. On était bien d'accord sur le côté vain et parfois pathétique de ces gens qui ne cherchaient qu'à paraitre le plus beau, le plus séduisant possible. Il est impossible d'y résister, même les personnes les plus dignes s'y vautrent. C'est bien pour cette raison que je pense qu'il faudrait en finir avec ces beaux portraits d'écrivains, de musiciens, de politiques. En tout cas, moi, j'ai arrêté (en même temps que le sucre d'ailleurs, c'est drôle, non ?). Bref, J.L. Murat et moi, on partait en silence sur de bonnes bases, parce qu'on était sans s'embêter à le dire, bien d'accord. On a bu et il a fini à poil dans le lit avec sa guitare ! Habituellement c'est le genre d'idée qui vient aux filles, ça m'a plu ce pied de nez à la promo, car évidemment les photos n'étaient pas publiables...Une de la série new-yorkaise.
En Auvergne, c'était autre chose, il m'a fait écouter des démos magnifiques, il est une source inépuisable ! Et puis il a plongé ses mains dans une mare pour me montrer des oeufs de grenouille, on buvait de la tisane à la reine des prés, et il me répétait que c'était pas rien pour une plante, de s'appeler "reine des prés", qu'on devait y prêter attention. Et puis ma voiture n'a jamais voulu redémarrer, et on a fini les mains dans le moteur avec les pinces crocodiles. Sans lui, je ne repartais pas. C'était tout un symbole pour moi que Murat, avant de partir me refile de l'énergie, m'aide à redémarrer, mais je ne lui ai pas dit. Mon petit moteur intime tourne encore en partie grâce à lui...
©Franck Courtes/VU’
- Ah, c'était à New-York... Vous aviez l'habitude de travailler pour Labels ou d'autres maisons de disque?
F. Courtès: Oui, il me semble qu’ils me donnaient pas mal de commandes photos. Je travaillais pour tous ceux qui me le demandaient en fait, je ne faisais pas attention aux en-têtes sur les bons de commandes. Je travaillais vraiment beaucoup et pour le plaisir, il m’arrivait d’oublier d’envoyer mes factures.
- Concernant l'autre session, comment elle s'organise? A la demande de Magic ou via la maison de disque?
F. Courtès: C’est venu de la maison de disque je crois. J’ai du mal à me souvenir, mais je ne serais pas étonné si on me disait que c’était pour rattraper la séance de nu de New York…!
- Ces photos sont très belles (à ce moment où on n'avait pas encore l'habitude des photos dans son environnement naturel), avec Murat cinglé dans un blouson d'aviateur et cette couleur sepia (utilisée par la future Mme Bergheaud sur Live in Dolores). Il me semble que vous êtes pourtant peu utilisateur de ce genre de filtre?
F. Courtès: Je n’ai jamais utilisé de filtre. Le sépia, c’est un bain de conservation dans lequel on trempe son tirage papier pour en augmenter le pouvoir de conservation. C’est pour ça que les vieilles photos sont sépias, parce qu’à l’époque on fabriquait les choses avec une idée d’éternité, la pérennité était dans la tête des artisans, regardez les églises ou les maisons en pierre… Photoshop aujourd’hui imite ces rendus à la perfection, sauf que l’esprit n’y est pas. Comme le plaqué chêne imite le chêne. Dans un mur, aujourd’hui, même bien crépi, on sent le parpaing… La beauté, c’est avant tout l’esprit qui se cache derrière les choses et les actes, pas la surface.
- A la lecture de vos premières réponses, j'ai pensé à ce que vous disiez sur votre travail de portraitiste: "Réflexion, le mot n’est pas approprié, c’est plutôt une complicité d’un moment. Il y a même une part incroyable de hasards dans toutes mes images. Il faut juste être concentré sur ses sentiments envers ce qui nous entoure. Moi, j’imagine très peu, c’est déjà tellement riche de sens et même de poésie ce que font les gens". L'art d'être en empathie?
F. Courtès: Oui, il y avait une véritable empathie pour les gens dans mes photos, parce que j'en ai beaucoup dans la vie en général. Je suis assez admiratif des gens, j'ai toujours l'impression qu'ils ont des qualités que je n'ai pas. Il m'arrive d'aimer quelqu'un alors même qu'on est pas d'accord, juste parce que son raisonnement est sincère. J'aime beaucoup la sincérité, même si l'idée exprimée ne me plait pas entièrement. Maintenant, est-ce qu'il y a un art de l'empathie, je ne pense pas. Il n'y a pas d'art de tout. Etre dans l'empathie n'a pas grand chose à voir avec l'art. J'ai connu de très bons portraitistes qui méprisaient leurs sujets. Leurs photos étaient vraiment belles quand même. Disons qu'avec moi, il y avait de l'amour pour mon modèle, et s'il n'y en avait pas de prime abord, j'avais tendance à en rechercher.
- Vous faites parti des fondateurs des Inrockuptibles, je vous ai vu faire photo commune avec JD Beauvalet – j’aime citer Marie Audigier qui racontait que la consécration pour elle était d’avoir une critique de JD pour son disque-. Vu l’histoire entre ce journal et Murat, je dois forcement poser une question (avec mon étonnement que vous n’ayez pas shooté Murat pour ce journal justement) : est-ce que vous pouvez nous dire quelques mots sur cette période de collaboration avec ce magazine ?
F. Courtès: Je n’étais que le troisième photographe des Inrocks, après Renaud Monfourny et Eric Mulet. J’étais plus jeune et arrivé après eux, donc on me confiait les reportages que les deux autres ne voulaient ou ne pouvaient pas faire. J’étais très fier de travailler pour ce magazine, on faisait à peu près ce qu’on voulait en photo. Et puis ça s’est mal terminé à cause de l’argent. Ils ne payaient pas ou avec des mois et des mois de retard et des dizaines de relances humiliantes où j’ai perdu ma confiance en eux. Ils disaient qu’ils ne pouvaient pas, qu’ils n’avaient plus d’argent. Le jour où ils ont revendu une photo de moi à un magazine sans me le dire alors qu’ils ne m’avaient même pas payé le reportage commandé (à New York, les Fun Loving Criminals), j’ai arrêté, écoeuré. Les journalistes n’étaient probablement pas au courant de la manière dont ça se passait avec le règlement des factures des indépendants. Sinon, jamais ils n’auraient pu continuer à écrire certains articles emprunts de valeurs morales… J’en ai pleuré un moment. J’étais déçu, mais je n’ai rien dit, je n’ai pas fait de procès, j’aimais ce journal. Le mieux, c’était de prendre mes distances et d’en tirer les leçons, pas d’en donner. C’est la première fois que j’en parle publiquement. J’avais l’enthousiasme et la naïveté de la jeunesse, c’est cocasse de la perdre avec un journal qui a pour beaucoup été le journal de l’intégrité, et de l’élégance.
- Quelles sont vos rencontres les plus marquantes? (vous avez je le signale photographié au moins deux prix nobel et un double ballon d'or... Feu Cruyff...) . Est-ce que vous avez quelques anecdotes?
F. Courtès: Ma rencontre avec Arthur H et Eric Holder ont débouché sur deux amitiés, mais je pourrais citer des dizaines de rencontres intéressantes. Je pense à Arletty qui m'a reçu chez elle quelques temps avant sa disparition. J'étais très jeune et ne faisais de photo que pour moi, je demandais aux comédiens un rendez-vous, au culot. Je l'avais contactée et elle m'avait reçu. Main dans la main, assis dans le canapé, elle m'a dit de cette voix extraordinaire: " Je suis heureuse qu'on s'intéresse encore à moi, mais ne faisons pas de photo, s'il vous plait, je suis aveugle, je ne les verrai jamais. Voulez vous encore un peu de thé ? Si vous avez du temps, j'aimerais qu'on discute plutôt." J'avais l'après-midi... Elle n'a pas une seconde quitté ma main qu'elle serrait de temps à autre quand elle éclatait de rire.
- Un des prix nobel, c’était Modiano, dont la séance est évoquée dans « toute ressemblance avec le père » : « il était en chaussette ce jour-là, mais je n’avais pas osé le cadrer de pied. Avec un homme politique, j’avais eu moins de scrupules en remarquant sa braguette ouverte, un jour, et m’étais arrangé pour que, dans le cadre, on ne voit que ça » . Il y a prescription : c’était qui ?
F. Courtès: Il m’est arrivé des choses semblables, mais en réalité ce n’est pas arrivé à moi, c’est une photo que j’ai vue sur la planche contact d’un photographe de Libération, je crois que c’était Hugues de Wurstemberger. J’avais trouvé ça génial.
- Vous avez beaucoup photographié des auteurs et romanciers pour Lire et dans les coulisses de la Grande Librairie (France 5). Est-ce que cela a pu jouer un rôle dans votre vocation d’auteur ? Ou est-ce que c’est votre vocation d’auteur qui vous a permis de réaliser ces représentations photographiques ?
F. Courtès: Ça m’a donné en tout cas l’occasion de lire quelques pages ou le livre entier des auteurs contemporains que je ne connaissais pas. J’avis un réel plaisir à photographier les écrivains, parce que la plupart du temps, ils ne sont pas très conscients de leur image, ce ne sont pas des cabotins. Et puis leur univers est toujours vaste et intéressant.
- Vous parlez de cette vocation dans « toute ressemblance…. « je me suis mis à la photographie pour m’inventer un nouveau décor, une histoire à moi, pour remplir le vide. Circonscrire le monde, l’apprivoiser, l’épingler au mur. Par goût de la promenade aussi. Mes portraits comme autant de têtes réduites, avec l’âme à l’intérieur si possible, des prises de guerre[…] ». A la lecture de ce livre, on se dit que ce vide n’a pas été rempli par la photographie… et qu’il a fallu l’écriture, et notamment de ce premier roman, pour se construire. (je ne trouve pas de question… mais cela vous inspirera-t-il une réaction ?).
F. Courtès: Je trouve aujourd’hui plus d’écho dans la littérature que dans la photographie. Ce matin j’ai discuté avec le peintre Emmanuel Fandre qui m’a avoué qu’il ne pouvait plus poursuivre sa série sur le corps humain, qu’il en avait fait le tour, qu’il devait passer à autre chose, un travail sur la couleur. Moi ça m’a pris vingt ans à faire le tour de mon travail photographique, il fallait que je passe à autre chose sous peine de tout perdre. J’y reviendrai peut-être un jour, mais je n’en suis pas du tout là.
- Est-ce que vous avez encore eu des contacts avec Jean-Louis Murat?
F. Courtès: Je n'ai pas vraiment de contact avec lui. Mais je pense à lui très souvent. Je vais le voir en concert bientôt [Pias nites de mai] et il m'a écrit qu'il avait aimé mon dernier roman. Enfin un peu plus qu'aimé...
- Le nom de Murat était déjà dans votre précédent livre : « il se moquait de la musique qui passait dans le bar, de Morrissey qui ne valait rien, selon lui, sans Johnny Marr. English tarlouze, il ricanait, mais toujours mieux que les french fiotes ! Une chanson de Murat commençait ».
F. Courtès: Oui, c’est une histoire vraie, un de mes amis très cynique, qui vivait indirectement de la musique justement.
- On va passer aux questions rituelles. Quand avez-vous découvert Murat? et écouté? Vous le connaissiez avant New-York?
F. Courtès: Oui, je connaissais Murat bien avant de le rencontrer, une fille m’avait mis ses disques en bande son durant une nuit d’amour, ça m’avait troublé.
- Votre album préféré de Murat? et pourquoi?
F. Courtès: Le manteau de pluie, parce qu’il y a dedans ma chanson préférée Le lien défait.
- 3 chansons? et ce qu'elles vous inspirent?
F. Courtès: J’ai fréquenté la beauté, Le lien défait, Dordogne. Elle m’inspirent la campagne, l’amour, la mélancolie. Il chante si bien la campagne ce lieu où le mariage entre l’homme et la nature est possible et apaisé.
- Vous irez à la maroquinerie, mais l'avez-vous déjà vu en concert ? Si oui, quels souvenirs? impressions?
F. Courtès: Un concert de Murat est toujours unique, c’est à chaque fois une prise de risque, une expérience. On sent son humeur, qu’elle soit bonne ou mauvaise, il ne triche pas.
- La dernière question rituelle est normalement : Est-ce qu'il y a dans votre répertoire une chanson qui vous évoque Murat ou dont il aurait été l'aspiration? On va la modifier ainsi:
Pourquoi avoir mis cette citation de Murat dans votre dernier roman? Est-ce qu'il a une influence dans l'écriture ou la genèse du livre?
F. Courtès: Murat me conforte dans ma colère face à la destruction de la campagne et des valeurs au nom du dogme borgne du modernisme, alors pour mon dernier roman, « Sur une majeure partie de la France », son esprit a plané sur mes pages.
- Olivier Adam (que vous avez photographié) aime citer la musique qui l'a accompagné dans l'écriture d'un livre à la fois dans le livre lui-même (Murat, St-augustine...) et aussi en interview. Est-ce que la musique joue un rôle dans l'écriture?
F. Courtès: J’ai toujours vécu entouré de musique, elle influe sur toute ma vie, la littérature y compris. La prose doit être musicale, sinon, elle sonne mal. Tandis que la musique n’a pas besoin d’être littéraire. La musique peut commencer avec le doux battement du coeur de votre fiancée.
- Pour poursuivre le petit jeu des rapprochements avec Murat, il y a le sport, vous concernant, le judo et la course (sur laquelle vous avez écrit), Murat a également beaucoup pratiqué la course, le vélo, le ski. Vous avez dit : « On peut l’appliquer à tout le reste. C’est grâce à la course que je me suis mis à écrire. Du jour au lendemain, cinq heures par jour ». Murat lui : « « Se surpasser physiquement complète l’effort de la création artistique ». Est-ce lié au sport, mais vous vous retrouvez aussi dans une certaine discipline du travail artistique comme écrire le matin… ?
F. Courtès: Oui, j’ai infiniment plus de ressort intellectuel le matin. Je dois toujours faire un choix le matin : aller courir ou travailler. Je sais que si je ne cours pas, je travaille moins bien. C’est si pénible de rester assis des heures pour un garçon qui a tant détesté l’école… Même au bar, je prends rarement le tabouret. J’ai vu un auteur allemand à Berlin qui s’était fait construire un bureau haut pour rester debout pendant son travail. Un jour j’essaierai.
- Dans toute ressemblance… : « j’étais contrarié à l’idée de rencontrer un directeur artistique. Le titre m’effrayait, ça sonnait comme chef des nuages, ou préfet de l’eau vive ». Là, encore, j’ai pensé à Murat, qui travaille certes avec une Directrice artistique, mais dans une relation très particulière, et jamais avec un « producteur ». Vous –même, vous avez toujours refusé d’avoir un patron… On peut imaginer le travail d’auteur très solitaire, mais il peut y avoir des relectures, un travail avec un éditeur. Est-ce que vous avez appris à gérer cette peur ?
F. Courtès: Mais mon éditrice est tout sauf un patron, c’est quelqu’un dont je bois les paroles, que j’aime profondément. Elle fait partie de mon travail au même titre que ma compagne ou la bougie que j’aime allumer au dessus de ma feuille.
- Ma question est sans doute liée au fait que vous êtes les seuls auteurs contemporains français que j'ai lu récemment (avec Arnaud Cathrine), mais Est-ce que vous vous sentez proche d'Olivier Adam justement? "Sur une majeur partie de la France" et cette description de cette "3e" ou "4e couronne" m'a évoqué la façon dont il traitait cette "lisière" ou ce bord de mer dans "peine perdue" ?
F. Courtès: Je me sens proche d'Olivier Adam parce que nous aimons tous deux raconter les gens dont on ne fait pas habituellement grand cas. Nous avons dû éprouver un jour une même tendresse pour des gens croisés ça et là. Je ne connais pas ses motivations, mais les miennes sont assez simples : les gens sans pouvoir m'ont toujours moins intimidé et davantage attiré que les gens à la recherche de pouvoir. C'est peut-être finalement par peur des puissants que je me suis réfugié auprès des plus faibles. Et c'est à leur contact que j'ai découvert leurs forces et leurs beautés discrètes.
- Pour en venir au livre, vous disiez que «son esprit avait plané sur les pages ». C’était ainsi l’évidence de mettre un vers de « Babel » en exergue du livre ? Avez-vous hésité avec une autre citation ? J’ai envie de citer une phrase du livre qui fera tilt bien sûr auprès des lecteurs réguliers du site : « ma passion pour cette terre, cette liberté, cette beauté, attachait pour toujours mon être au paysage ».
F. Courtès: J’ai failli mettre une citation d’Ernst Junger mais ça aurait fait un peu trop.
- Ce qui m’a paru intéressant dans la campagne que vous évoquez, et cela n’a pas été indiqué ainsi sur France 5 (voir ci-dessous), c’est que votre décor est loin d’être « le paradis pastoral » qui est l’univers de Murat, un environnement à potentiel touristique : c’est un coin de région parisienne presque sans charme – beau que quelques semaines par an écrivez-vous – alors que Murat lui chante aussi les louanges d’une environnement protégée, une terre avec une identité, une personnalité…. Et cela renforce d’ailleurs votre discours… (là encore pas de question qui me vienne, mais j’espère que vous en trouverez à me répondre…]
F. Courtès: J’ai discuté avec un auvergnat il n’ y'a pas longtemps pour une radio. Il me disait qu’en Auvergne, l’identité et la beauté n’avaient pas autant subi les affres de la banlieue totale. Il reste des lieux magiques Sur une minorité de la France…
- En lisant le livre, je n’avais pas forcement connaissance que vous vous inspiriez de faits réels et vécus. C’est sur l’évocation par le narrateur d’une rencontre avec Daniel Darc que je me suis dit que c’était bien vous qui parliez. L’anecdote est bien réelle (c’était vraiment du cannabis ?) ? Avez-vous encore fréquenté Daniel par la suite?
F. Courtès: Oui, du cannabis trop fort pour moi ! Je n’ai pas revu Daniel à part dans un concert où il était tout seul à tituber dans un coin. Je me suis approché et très vite lui ai dit à l’oreille : « Je t’aime Daniel ». Mais je me suis vite éloigné avant qu’il pense que j’en attendait quelque chose. Je l’ai vu me sourire. Et puis une dernière fois dans la rue. J’étais avec ma file Daphné et quand j’ai aperçu Daniel arrivé en face au bras d’une jeune punk, l’air si clochard, je n’ai eu que quelques secondes pour avertir ma fille de dix ans qu’on allait croiser un des plus grands musiciens français, un poète, je ne trouvais plus les mots, mais ma fille a compris que c’était quelqu’un d’important en tout cas. Et il l’a embrassée, en lui parlant d’une voix extraordinaire, douce et rocailleuse. C’était un peu avant sa mort.
- L’autre chanteur juste évoqué dans le livre, c’est Bruce Sprinsteen (« un chanteur d’une voix éraillée qu’elle ne connaissait pas chantait qu’il était né aux Etats-unis. Né dans une ville paumée »). Murat aime à le citer quand il faut se justifier sur son « ancrage » territorial. Pourquoi en parlez-vous ? Un marqueur (comme on dit maintenant)?
F. Courtès: Oui, c’était juste pour voir si des gens prendraient la peine de traduire et de le reconnaitre. Ce morceau nous faisait conduire vite, boire plus, faire des bêtises. Pourtant on ne comprenait pas les paroles !
- Le livre a certes un contexte, avec un discours sur la campagne, mais ce n’est pas non plus ce qui fait le livre. C’est un vrai roman, avec des personnages dont on veut suivre la destinée, une tension dramatique (accentuée chez moi fortement par le contexte « drogue » ). Vous annoncez le drame, mais il y a un vrai suspens autour du dénouement. J’ai l’impression que, comme dans le précédent livre, on a l’impression de lire des nouvelles à chaque chapitre ?
F. Courtès: J’adore découper le livre en morceaux dramatiques. Ça me permet de jouer avec les ressorts, les suspens, comme dans les feuilletons. Je dis feuilleton, pas série…
- Il me semble que vous vous pliez de bonne guerre à la tournée de « promo » : visite en bibliothèque, rencontre scolaire, librairies et salons. Murat à propos de la séance dédicace post concert, faisant parler sa mère, disait : « ah mais à quoi t’en es rendu, mon fils ! ». Est-ce que l’exercice vous plait ? Est-ce que le retour des lecteurs vous surprend, peut aussi vous influencer par la suite ?
F. Courtès: Ce qui me surprend, ce sont les messages que les lecteurs m’envoient. C’est déjà tellement gentil de prendre le temps de m’écrire. De m’expliquer ce qui leur a plu, ce qui les a touché. Ça ne m’influence pas, mais ça me met de bonne humeur, et c’est déjà énorme, non ? Parce que c’est assez long l’écriture d’un livre, et si solitaire. Ces messages me font penser aux cris sur le bord d’une course cycliste : « Vas-y ! t’es le meilleur ! Fonce ! » Bon, je plaisante un peu, certains sont plus troublants, quand je découvre la résonance intime, la vibration que mes livres ont provoqué sur les cordes d’inconnus…
Et toi!! ©Franck Courtes/VU’
Interview réalisée par mail du 30/03/2016 au 18/04/2016. Un grand merci à Franck Courtès, et à l'agence VU. (Si vous souhaitez partager des photos, merci de ne le faire qu'en utilisant le lien vers l'image ou de mentionner: ©Franck Courtes/VU’).
L'ensemble des portraits de Murat de Franck publiés dans la presse (et d'autres infos) à découvrir ICI