Archives! : Pseudo histoire... (Suite) Bayon en 2006
Publié le 8 Février 2011
Un petit article de l'autre BB (Bruno BAYON) pour compléter l'article précédent évoquant MARCHES... où Bayon encourage Jean-Louis de tenir ses promesses... d'écriture....
Jean-Louis Murat
Jean-Louis Murat a décollé au début des années 1980. Puis il a un passage à vide. Sur la foi d'un single, «Si je devais manquer de toi», Bayon, journaliste à «Libé», part dans le Massif central à sa rencontre. L'article dopera la carrière de l'artiste. Paru le 15 février 1988.
- A Ecouter sur le CD : «L'ange déchu»
«C'est déjà fini, ce n'est plus qu'une musique de la nostalgie de la mort, et donc le désenchantement vient de l'impression d'avoir loupé le train.»
Dans sa cuvette arverne de trois mille têtes à microclimat étouffé de New York du Massif central, Clermont-Ferrand, à une distance horaire de deux fois Londres-Paris aller-retour, n'est rien.
Jean-Louis Murat, 34 ans, réformé pour «tendances suicidaires», deux divorces et enfants, profil rock de Bashung reprenant Chasseur d'ivoire (avec un soupçon d'accent Cabrel) ou de Manset chantant Bijou bijou, beauté de soleil mouillé sous ciels brouillés, notre nouveau page rock a choisi Clermont-Ferrand.
«Une ferme isolée où il n'y avait même pas l'eau courante, un endroit tout petit qui s'appelait Lecreu.»
Descendu des cimes où ses quinze premières années d'enfant du divorce s'écoulèrent, entre petite soeur, grands-parents et Bourboule, dans la fente d'un volcan éteint, Jean-Louis Bergheaud, las d'entendre son nom torturé par les écoliers, emprunte son titre rock corse au village natal auvergnat de Murat-le-Quaire, d'une, et a peut-être présumé de ses forces en s'enterrant à Clermont-Rien pour faire carrière, de deux... En 1981, année de grand lancement officiel de Murat sous pochette noir et argent suppliciée Mondino, il peut être considéré comme complètement HS.
«Ça commence par quinze jours d'hosto. En 1978. Je quitte Paris, dépressif. En sortant de l'hosto, je suis allé voir des musiciens.»
C'est l'hiver 1981. Un bel inconnu au dégoût étrange venu d'ailleurs est propulsé par Europe 1 dans la fatidique «play-list» : Michèle Abraham s'est entichée de l'anonyme Murat.
Murat : «J'ai touché le fond en 1985. Je préfère ne pas y penser. Je m'étais enlevé tous les poils, les sourcils, tout, je me pissais dessus, j'avais envie de sauter par la fenêtre.»
D'où journée-puzzle avec le nouveau membre dissocié du club des maniaco-dépressifs obsessionnels (Manset, Christophe, Bashung, Dutronc, Gainsbourg), au fond du Puy (-de-Dôme, 63).
Quartier Vallière, impasse en pente (J.-L'Olagne), rez-de-chaussée sur rue (60 m2 ?), au décor terne (lumière chiche, rideaux de filet), canapé, pouf and co verts (?), salon replié, minichambre d'étudiant-studio, chambre conjugale invisible et petite table à bancs de bois dans la cuisine sur cour goudronnée. On n'en bouge pas.
Nerfs. S'assied, se lève toutes les deux minutes : pour laver (couverts, assiettes blanches), éponger (une goutte), frotter (une tache). Avale de l'aspirine debout à côté des tas de sacs plastique bourrés de journaux («bag women») étouffant l'évier, dit : 1) «Je vais te demander de bien vouloir me céder cette place-là (sourire), je n'en change jamais», 2) «Je suis un peu maniaque», en s'asseyant. Pour immédiatement se relever, etc.
Menu : salade d'endives, oeufs durs («ils sont un peu mous, ça ne te dérange pas ?»), pain grillé, lasagnes-alu, ananas. Sur quoi, il enfile un tablier bleu (?) et se retape toute la vaisselle, en tablier.
«J'ai commencé le solfège très très jeune et le saxo dès que j'ai pu porter un alto. Douze ans à peu près. J'ai démarré sur le cornet à piston. Un ancien de la garde républicaine comme professeur. Classique, messes, fanfare, harmonie...»
Murat-Bergheaud marche à la Véganine (codéine). Petit, il portait des lunettes qui lui brouillaient la vue contre ces migraines chroniques soi-disant oculaires, et sa soeur, c'est pire : par terre, hôpital. Il a tout essayé : gueule de bois, dépenses physiques effrénées, colmatage activiste de chaque seconde d'anxiété possible, chansons. En vain. Le test, verre d'eau du réveil : s'il ne peut pas dégurgiter, c'est reparti. Un jour de passage télé récent, il en dégueule, le mal cesse le temps du numéro, pour reprendre aussitôt après. Oui, c'est associé aux obsessions sexuelles.
Spartiate. Sa nourriture : le fromage. Ne fume pas, sobriété, frugalité. Une tasse de café, bagarre. Non à la défonce, mais sport à l'excès : ski de fond à Laqueuille. Bien découplé (1,75 m ?), dégaine sportive, le visage en pâte à modeler fripée, regard d'Iggy mi-glace intérieure cassée, mi-chien couché, «triste et beau comme un grand reposoir».
«Jamais personne n'a réussi ! J'ai fait Mondino, Bettina Rheims, je vais faire Jeanloup Sieff. A chaque fois, c'est des catastrophes. Depuis que je suis petit, je ne me reconnais pas, personne ne me reconnaît.»
Murat avance en tombant, tel un Robert Smith dégraissé. Dont il a (outre la compagne homonymique Marie) l'air hérisson straight perdu Boys don't Cry 79 et les baskets avachies quelconques. Jean noir ajusté, hanches minces, blouson rouge bicolore bouffant sur chemise de menuisier pendante (justement) au goût de Cure (d'habitude, c'est la déjà célèbre chemise à carreaux trappeur), et l'odeur tiède de Bashung à qui il a pu ressembler parfois. Qui encore ? Mel Gibson, un rien hagard, dans Mad Max 8 (Beyond the Kitchen Dome).
Trifouille de ses pouces, à coups de mains recroquevillées, dans les fentes de boutonnières fermées de sa chemise.
«Je prends le clavier ou je me mets à la guitare, et, sur chaque ligne mélodique, il y a des mots : donc, je ne sais vraiment pas ce que c'est que de mettre un texte sur une musique.»
Levé 7 h, douche froide, travail dans la chambre de lycéen-studio en déjeunant symboliquement («j'ai toujours du raisin»). Cinq à sept heures de rang. Vers 13 h, mange, légèrement, descend Chez Cass, à droite, où il dépouille (archives pour Marie) l'Equipe et Libération à sa table habituelle (vue sur carrefour côté stade) en écoutant la FM d'ambiance. De là, un saut à faire jusqu'au stade, pour courir comme tous les jours après déjeuner. Avant de rentrer, se mettre à son scénario historique (1792, proclamation de la République) pour Lepetit (Trois Hommes et un cousin). Jusqu'au soir.
Jean-Louis Murat aurait pu être professeur d'histoire. Il a avec lui l'Histoire de la Révolution de Jules Michelet.
«Toujours un bouquin sous le coude.» En ce moment, le Gai Savoir de Nietzsche et la Correspondance érotique de Flaubert.
D'amour (toutes les siennes, en tout cas). Comme Otis Redding. Autrement, Neil Young, Leonard Cohen, Tim Buckley, Al Green, Ferré (la Mémoire et la mer), Robert Wyatt, Play Blessures.«J'ai eu un prof d'anglais, en 3e, qui m'a ouvert au jazz et au rhythm'n blues. Et l'horreur absolue, c'était la musique anglaise. Je suis resté longtemps à gerber dessus ; je n'écoutais que du noir. J'ai écouté mon premier Beatles quand ils se sont séparés. Et je n'aimais pas ça du tout. J'ai dû passer à côté de plein de trucs, je m'en fous.»
Il a morflé ? Et Rita Mitsouko, alors ? Gainsbourg ? Bergen Bas(c)hung ? Quand Murat dit : «C'est du rabe», on sent là certaine saveur d'amertume et de gâchis à remâcher. A douter de tout pour toujours. Comme on dit : «C'est trop tard.» Fastoche.
Dans le tunnel, tout de même, il y aura eu des lueurs. William Sheller surtout, avant Europe 1, dès l'époque Clara (1978). «Il avait entendu ce qu'on faisait, il est venu en avion, avec Jean-Bernard Hebey, nous voir en répète.»
Couture aussi : «Il a téléphoné, je venais de faire Passions privées (1984), Pathé en avait pressé 1 500, et j'ai fait toute une tournée d'été en première partie de Couture.»
«Beaucoup de rigueur. Faire tourner trois ou quatre accords sur la guitare, comme Dylan, ces gens-là : couplets-refrains, trois accords, guitare acoustique. Toujours plus simple.»
«Je l'ai rencontré après le minialbum (1982). Tout de suite, blocage : "Ouais, tes arrangements, les trucs-machins que tu fais sur tes chansons, rien à foutre... Je te fous derrière un micro avec ta guitare, tu me fais tes chansons et je vois ce que je peux en faire..." C'est ça, mon loustic ! Enfin, ça a été bref. Accord sur rien. Je l'ai planté sur les Champs : j'ai horreur de sa façon de regarder les filles.»
«Des fois, j'ai eu peur... Mais non, c'est un ressort qui ne se brise jamais. Petit, c'est les coups de cafard qu'on sent vite venir. Maintenant, les cafards tournent en chansons. Si je suis malade, que je fais une chanson, je ne suis plus malade. Ma copine dit : "Si tu fais des chansons quand tu vas mal, en arrêtant d'en faire, ça ira peut-être mieux ?" J'ai essayé, la vie est invivable sans.»
Tant pis pour Virgin, depuis des années, Murat pense à une seule chose : présenter son dossier pour faire «paysan», là-haut. Le tracteur : «Je me sens enraciné.»
Géographie et mythologie mêlées, l'Auvergne à goût d'arsenic. Paillers, la Roche-Vendeix, plateau de Chamablanc, Laqueuille, etc. Le Siège et son trésor perdu de Mérigot Marchés, «roi des pillards», qui terrorisa Louis XI et finit écartelé : Jean-Louis Bergheaud voulait prendre son nom ; il en fera un livre (dont acte).
«Tout petit, le seul moyen de faire venir ma mère, c'était de me rendre malade. La mécanique n'a pas changé. Si je manque de matière, je suis capable, vraiment comme un salopard, de tout mettre sous tension pour que ça vienne.»
C'est un souvenir : «Si je remonte le fil d'Ariane, c'est Spooky-Spooky Little Girl Like You (tou-dou-dou) de Percy Sledge.»
Ce n'est pas une histoire de fille, mais de nostalgie... «La nostalgie de ce qu'on n'a pas vécu. Un peu le "spleen"... Quand je dis : "Ton plus beau nom est portugais/hongrois, brésilien, puis français", c'est ça. La "saudade". Nostalgie de nostalgie.»
1985 (1986 ?). Murat chez CBS. Vingt titres enregistrés, dont Si je devais manquer de toi. Enlisement.
1986-1987, chez Virgin : un simple doit sortir : Marendossa. Démocratie de bureau s'en mêlant, c'est Si je devais, etc., réenregistré, qui sort. Ça mord. Rebelote : troisième enregistrement en guise de remix. C'est une somme : 60 000 exemplaires vendus pas un flèche.
En attendant la Sacem (l'an prochain), Marie (Ushi 2), professeur de centre de gravité, qui a d'ailleurs ramené Murat à la surface chaque fois qu'il a «disjoncté».
En d'autres temps, la démerde : «Boulots saisonniers, à Avoriaz, Saint-Tropez. Je servais à bouffer à tous ces gros porcs du show-business, Eddie Barclay et Cie tous des salopards... J'étais baba, je me suis marié tôt, 17 ans, je voyageais, bossais à droite, à gauche, divorçais, six mois au Maroc... J'avais envie de je ne sais pas quoi, être journaliste (j'ai rencontré Farran de RTL), écrire des chansons... Moyens d'existence extrêmement précaires.»
Jusqu'à dealer ?
«Ah non, pas de ça !»
Les casses, alors ?
Pas de réponse, bonne réponse?
19 titres pressés 1981-1988. Tout bon sauf : Masque d'or. Très bons : Pourquoi n'as-tu pas dit je t'aime, Cargo de Dieu (Col de l'oiseau mort), Murat, Lindbergh Bizness («Ce dernier duel où il te cribla/ Les pattes et les ailes, Tupamaro paiera»).Parfait :Ushi.
Avant, 1978, c'était Clara, et le sadisme communautaire expérimentaloïde. Bon titre : Nous resterons 27... («Abrutis»).
En stock : 500 morceaux.
«J'ai peur de ce que je pourrais devenir : une sorte de chanteur de charme. Crooner français à la manque.»
On redoute le pire gâchis samba. De la fadeur curieuse Petite Beauté aux Amours fanées néo-Louis Chedid. Que nous réservent Marendossa, le Venin («Méchant comme une teigne/ Ton amour est une hyène (...) Viens ce soir je t'attends/ Dans tous les pièges que tu me tends»), et le tube Le garçon qui maudit les filles («Je déteste pour toujours les familles») ?
Si Murat en a fini avec la Débâcle, c'est fini.
http://www.liberation.fr/hors-serie/010145620-couleur-murat
Je ne sais pas si ce livre est écrit... Bayon évoque cela au futur... gageons qu'il a encouragé Murat à l'écrire... mais à part Groenland (nouvelle diffusée sur le site en 99) et 1451.... on ne connait, il me semble, d'autres oeuvres littéraires stricto sensu de la main de Murat....