Bayon délivre ses secrets... Libération du 28 septembre
Publié le 28 Septembre 2011
S'il faut un jour se plonger dans l'historique foisonnement des articles et des flots de paroles de Jean-Louis Bergheaud pour en tirer une infime vérité, il faudra sans doute jouer de l'"alt+suppr" sans grand discernement... et filer direct vers les articles signés B. Alors il vous reste quelques heures pour acquérir ce beau souvenir qu'est un journal papier, qui en plus prend très bien la poussière dans les placards...
Certes, ce Mister B. est très agaçant, donne l'impression de savourer ses scoops et de jouir de sa position parcequec'était lui- parcequec'étaitmoietesque... mais soit, j'imagine que c'est en plein accord avec Murat... qui lui délivre ses secrets... et tous ses inédits....
Ci-dessous, un précédent article sur Bruno Bayon, puisqu'il s'agit de bien de lui...
http://www.surjeanlouismurat.com/article-bayon-livre-ce-que-murat-donne-54022665.html
Alors, au rayon scoops de cet article,
- une révélation médicale, dont une accroche d'article un peu limite... et qui donne un peu le malaise... même si, outre la dédicace de l'album à une amie disparue, elle donne sans doute une clef importante pour comprendre l'inspiration de JLM.
- La liste des autres titres enregistrés... et qu'on espère pouvoir découvrir en live ou délivrés sur le site. Bayon parle de 33 titres à sélectionner, Murat avait parlé de 44 ailleurs.
- Murat dans le journal officiel, pour sa distinction à l'ordre des arts et lettres au grade de Chevalier... C'était en juillet, je ne comprends pas que cela nous ait échappé!
A part ça, style toujours au couteau (à noter ce "tel ce Murat se vaut, tel son zoo de survie va"...dont je me demande ce que ça veut dire)... même dans l'interview qui doit être l'objet de coupe....On a l'impression que Murat parle comme écrit Bayon...
Critique 28.09.2011
Murat dans son jus
Rock . Revenu d’une grave crise de foie et du disque, le baladin morose sort son album anti-Nashville, «Grand Lièvre». Limon et mouron des champs chantant.
Cela commence par un rembobinage - audible en amorce à l’ouverture de presque sept minutes de ratiocinations voix dedans, sur l’air flottant de Qu’est-ce que ça veut dire ? Double réticence à la clef. Comme si «le garçon de la montagne qui n’était pas paysan» aux vingt-cinq ans de carrière et albums rentrait en scène à reculons. Le reste au diapason, dizaine maison (1) d’abord assez opaque et monocorde, sur mode médium à peine diverti de deux-trois trots (dont les «singles d’appel» Il faut vendre les prés et les Rouges Souliers), décoré de chœurs dylanisants (un Saved maison ?), scandé d’un ou deux martèlements, entre Rémi est mort ainsi et Haut Arverne de fond de décor.
Atrabile. Front baissé, peu allègre - si le qualificatif convient aux précédents entraînants type Tant la vie demande à mourir -, cela creuse, endure, dirait-on. Les badineries trottinantes suscitées («Etre amoureux de toi / Pour qu’on s’occupe de moi») peinent à jouer le jeu, à se dégager du sol ; du souci à l’insouciance. La boucle baladine «en langue grecque, Alexandrie», à laquelle va notre penchant, entre le Champion espagnol «isolé» et le templier Sans pitié pour le cheval, serait ainsi une oraison funèbre (à une amie à moto). La légèreté même pèse au Grand Lièvre.«Le cœur lourd», sous «ciel boueux», «se soigne à la torture» et médite : «Entends-tu l’hallali ?» transi en regret au long du dérythmé Je voudrais me perdre de vue, qui parle d’«avant avant l’accident»…
L’évocation remonte le Cours ordinaire des choses,insuccès resté sur l’estomac de Murat, après le patrimonial «Baudelaire-Ferré» 2007. Rumination conclue en alerte sanitaire d’été 2010 avec ablation de la vésicule biliaire.
Au cœur du CD rentré sorti de la crise, une aspiration lancinante à «sentir un progrès radical», à «changer demélodie motrice» ; à «ne plus être clinique»,«contraint de vivre au rythme dolent de ces jours» ; une nostalgie de «finir où tout commence»… A force, on entre et s’installe, sans faste cosy, certes, dans cet enregistrement en rude retour localier du trip Nashville 2009 ; on piste ce Grand Lièvre à la force panique en arrêt.
On se fait à sa fuite immobile et comme ingrate, à ses ressources rythmiques, foulures mélodiques, cachotteries symbolistes, peurs bravaches.
L’impression morne initiale se résout en attrait doux-amer imprévu (de la complainte cabaret Ne t’attends qu’à toi seul par exemple), par émersion de sous-couches. C’est que «l’obscurité épaisse montre certaines choses…» On s’éprouve à la coulée durcie du volume, loin du récit, replié sur une partition d’incantations hermétiques ; modulation convertible de paroles gelées traversées d’angoisse ; motifs abstraits sans histoire (2), ni lien ni impératif ; canevas de notes imagées, chiffrées, confinées et dissociées ensemble… Ainsi en pleine Pampa (la Lettre de la…),«Toutes les sensations viennent de mon travail», puis «Je rencontre aujourd’hui, un agneau dans les bras / Ton grand paquebot blanc qu’on traîne à l’échafaud.».
Amphibie. Au long des dizaines d’années et sorties depuis 1981 (Suicidez-vous le peuple est mort), succès 90’s inclus (Si je devais manquer de toi, 1988, l’Ange déchu, 1989, Regrets, 1991…), Murat a pris du poids, de l’âge (60 ans en janvier) et du recul, étoffé d’une œuvre notable de «Léo Ferry» ou Cohen du cru, à la croisée de Neil Young, Cabrel et Calexico, riche de rencontres (3), un corpus profus évolué en «petite chanson» (comme dit celui que Murat appelle «Marcello», Proust) de plus en plus retirée - voix, mots, ton.
Ce n’est pas comme si la chose était produite à vif, par un John Cale tranchant mettons (4) ; sur Grand Lièvre, comme par antiphrase tortueuse, rien ne détale ni ne rebondit. Serait-ce «là où gît le lièvre» de l’adage ? Là où Philo ou Tous les chanteurs sont malheureux roulaient boogie encore récemment, sur l’élan de tels Cours dire aux hommes, Accueille-moi paysage, et autres 16 h, l’allure Grand Lièvre est à la suspension, minérale. Empreint de stupeur, menacé comme on dit d’une espèce, c’est un disque dans le désert, à l’écoute exigeante. «Si vous aimez qui vous aime, dit le crucifié, où est le mérite ?» Chevalier des Arts et des Lettres à la triste figure (5), tel ce Murat se vaut, tel son zoo de survie va. La photo qu’il choisit le montre amphibie, mi-airs mi-fonds. Sauvé des eaux ?
(1) Onze, avec le bonus fantôme vinyl : «Ne t’attends qu’à toi seul».
(2) Sauf «Sans pitié pour le cheval», qui conte la geste de Jean-Louis Bergheaud, poilu de 14 ; «Le Champion espagnol», sur le héros du Tourmalet Bahamontes ; «Il faut vendre les prés», sur l’exode rural ; ou «Alexandrie», donc.
(3) Julien Clerc, Claire Denis, DC Basehead, Elysian Fields, Jeanne Moreau, Marie Möör, Isabelle Huppert, Christine Angot, Camille, Laetitia Masson, Carla Bruni…
(4) Cf. «Extra Playful», EP de sortie.
(5) En même temps que Christophe, commandeur, ou Aubert et Bertignac chevaliers comme lui («J.O.» du 5 juillet).
«Chaque chanson parle de l’éloignement d’un rêve»
Comment, pourquoi et de quoi le successeur du «Cours ordinaire des choses» s’est-il fait ? Une notice explicative de la potion en quinze questions-réponses.
A la veille du lâcher de Grand Lièvre, le chanteur country rock local, de son grand terrier de Douharesse (Orcival), dresse un état des lieux poétique, en pur Murat des volcans éteints dans le texte.
Je me sens, comme les registres l’attestent dans ce chagrin de décor, un alpiniste avisé. Parfois, à l’abri des balles (ça te fait marrer !). Non ? Décidément ainsi, en foutre la paix, je me sens tranquille. Mobile lumineux dont tous ignorent l’utilité, ça me va. Après tout, qu’importe que le Kremlin comprenne ou pas.
Grand Lièvre serait comme le toutou dans la sexualité du chanteur. Un blouson par-dessus, pour bien cacher le flingue. Grand Lièvre ou le grand refoulement de mes talents de mécano. Import-export. Est-ce clair ?
Pas comprendre. Ou alors, pensées du temps au cul du sac, et chansons de même. Grand Lièvre est pris et va mourir au fond de ce sac, bien sûr.
Je choisis mes chansons comme un simple voleur. Les plus utiles. Je fais cette levée des cadavres pour compléter ma collection. Sans décrocher un mot. Et hop tout le monde dans le camion rouge ! A moi chansons et Paris… Et le public s’éloigne en pleurant.
Nous avons enregistré 15 titres. Les chutes : Ailes brisées, la Campagne sanglante, les Ruses de la nature, l’Escorte des Marines, la Prière du soir, Ne t’attends qu’à toi seul.
J’ai toujours dans la tête comme un mantra. Mes chansons ne sont jamais bourrées de fric ou de rigolade (comme le chant moderne). Chaque chanson parle de l’éloignement d’un rêve. Pendant l’enregistrement, l’éloignement devient définitif. Mais… Je ne suis pas d’accord. Je n’ai jamais été aussi loyal. Je n’ai qu’une seule arme : moi. Tout brise mon cœur de petit con. C’est bien le seul avantage : à moi les chansons !
Haut Arverne. A chaque écoute, je me sens tremblant comme une feuille. Je «sors de l’arbre» pour les foins. Tu vois je n’oublie pas Eloïse et Barry Ryan…
Vision, comme d’hab. Tard. Fatigué. «Le voyageur sort de l’arbre»… Après la lecture d’un conte de Grimm aux enfants. Ce genre-là.
J’ai essentiellement utilisé une guitare acoustique Takamine, achetée à Tucson, un très vieux modèle. Pas de chorus sur l’album. La seule guitare électrique (hors 12 cordes) est ma Fender Telecaster sur un vieil ampli de La Fabrique [à Nantes, ndlr]. Enregistrement direct sur le 24 [pistes] ; règle suivie : on ne corrige rien. Ce qui, j’espère, donne son côté live au disque.
Contrairement aux apparences, je délègue beaucoup. Les musiciens sont très libres, Aymeric a la bride sur le cou, Laure et Marie font ce qu’elles veulent, et la pochette, je m’en fous. La promo est toujours une convocation au tribunal sans avocat. Je déguste et dégusterai…
Je n’ai pas d’idée. Je sais que tous mes rendez-vous d’album se font au rez-de-chaussée. Sûrement un peu plus loin. Les chansons d’amour, c’est ce qui donne aux gens l’idée de tomber amoureux ou de rompre - ne trouves-tu pas ? Est-ce encore vrai ?
Comme dans chaque album, je pleure ma mort. Avec Grand Lièvre, le digicode me paraît bien simple…
Entasser le fumier ailleurs et labourer plus profond. Et… un peu plus taureau, Salers, d’aspect sauvage.
J’ai toujours beaucoup de plaisir à enregistrer. De plus en plus. Quand je bosse, je me sens comme au cœur de ma saison. En Roi de Sibérie. Seul dans ma robe noire. Indifférent. Mais après tout, je m’en fous, je ne suis jamais le même.
«Au coup de feu mortel / Entre z’oreilles / En débris d’un avion d’illusion / A l’état de miettes / Au bordel / Au monologue d’un klaxon / A la con / C’est la fin du parcours…» Je sais, pas terrible, mais je n’y suis plus.