Interview dans l'Humanité...
Publié le 20 Octobre 2014
Après le titre du MATIN (cf article précédent), on reste dans le thème avec la vaseline... Je vais mettre Regg'Lyss, "mets de l'huile" si ça continue... Et encore une phrase qui n'a pas été dite de cette façon-là...
Jean-Louis Murat : "La chanson contribue à imposer une démagogie, à vaseliner le réel " -
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Humanité Dimanche. Pour votre nouveau disque, vous revenez accompagné du Delano Orchestra. Est-ce dû au précédent album particulièrement personnel et intimiste ?
Jean-Louis Murat. Toboggan a été fait dans la solitude. Reproduire cette démarche aurait été une impasse. Travailler tous les deux, trois albums avec d’autres musiciens permet d’éviter l’enfermement. Et l’enfermement n’est jamais agréable à écouter en musique.
HD. Vos thèmes de chansons sont aussi plus fictionnels...
Jean-Louis Murat. J’ai tenté une écriture plus prosaïque. Les gens s’y retrouvent davantage. Il existe une tyrannie insupportable du « je ne comprends pas ce que vous voulez dire ». Je suis ni journaliste ni scénariste de série télé. De nombreuses oeuvres demeurent peu compréhensibles. Knut Hamsun ou William Faulkner n’étaient pas toujours compréhensibles. On voudrait que la chanson soit d’essence démagogique. Le public aimerait que l’on parle de façon simple de ce qu’il pense ou de ce qu’il vit. Caresser le peuple dans le sens du poil me dégoûte.
HD. Il existe toutefois une chanson réaliste ?
Jean-Louis Murat. Elle est aujourd’hui d’essence démagogique. La chanson, le cinéma et une sorte de littérature journaleuse ont contribué à imposer une forme de démagogie. Cela vaseline le réel et le réel devient simple. Or, le réel est rugueux et complexe. Une chanson devrait permettre d’appréhender le réel. Mon job n’est pas d’être compréhensible. L’être ? Pourquoi ? Leur expliquer la vie ? Pour qu’ils consomment comme des cons et s’achètent des iPhone ? Pour leur apprendre à se coucher ? Abaisser l’exigence conduit à l’avachissement général de la société. Nous sommes devenus collectivement cons. Nous en sommes tous responsables. Et les chanteurs aussi. La conscience de soi, des autres et de la collectivité est aujourd’hui dégradée. Même nos démocraties sont devenues démagogiques. À ce rythme, nous allons finir avec la famille Le Pen au pouvoir. Les artistes portent leur responsabilité. Ils n’ont pas tenu le bon rôle. Nous sommes débordés de pseudo-chansons réalistes totalement vaselinées qui ne correspondent à rien.
HD. Lors de notre précédente rencontre, vous disiez que « Murat vous fatiguait » et que vous arrêteriez la promo... Malgré votre « inconfort », n’existe-t-il pas un jeu implicite installé entre vous et les journalistes ?
Jean-Louis Murat. Je vends peu de disques. Chaque disque doit financer le prochain. Je sais très bien ce que signifie de jouer le chanteur, le poète ou le souffreteux à grande conscience. Mon seul souhait est de pouvoir me regarder dans la glace. Malgré mon inconfort, je dois faire de la promo. Mon problème est que je ne simule pas. Je suis sincère. Or, l’authenticité ne passe pas en promo. 99 % des artistes la revendiquent. Ils font de la fausse sincérité. Le public le ressent. Il a d’ailleurs raison.
HD. Dans Blues du cygne réapparaît l’image de la victime sacrificielle, le Christ amoché déjà aperçu sur Agnus Dei Babe du précédent disque. Est-ce une figure qui vous poursuit ?
Jean-Louis Murat. Cette figure vient de Nietzsche. Chaque artiste se rêve en Christ. La traversée du désert par exemple. Les artistes raffolent de ce type d’expression. Il existe un cheminement christique. Le monde moderne est si athée, si démythifié que les artistes endossent les oripeaux du Christ. Les rues sont pleines de Marie-Madeleine et de Christ amochés. De nombreux hommes séduisent les femmes avec cette posture. Cette christianisation laïque, païenne est une stratégie de conquête et, en sous-main, une volonté de pouvoir.
HD. La posture du chevalier blanc est également très prisée...
Jean-Louis Murat. L’on pourrait me le reprocher. « Et toi Murat, tu te prends pour qui ? Tu te prends pour Zorro ? » L’inconfort que je ressens avec ce job se trouve là. « Rends grâce à ton ennemi, c’est lui qui te fait. » Ce milieu est si pourri que, finalement, j’en suis son esclave car j’essaie encore de le prendre à contre-pied. Cette dialectique en promo ne passe pas. L’insuccès estil un succès ? Peut-être que dans ma vanité, je tente d’avoir du succès dans mon insuccès ? Va savoir. Quelque part, c’est de l’orgueil et je suis un connard.
HD. Dans Col de Diane, vous évoquez Murat l’Arabe...
Jean-Louis Murat. La ville de Murat contient un château, jadis, tenu par des Arabes. Murat vient de « Maures ». L’idée que des Arabes aient pu être présents en Auvergne dès le Haut Moyen-Âge me séduit. Cela questionne les origines.
HD. Murat l’Arabe, n’est-ce pas aussi le moyen de tordre le cou à Murat l’Auvergnat cher aux médias ?
Jean-Louis Murat. L’Auvergnat bougon, l’Auvergnat bourru, l’Auvergnat retors... Je n’ai échappé à aucun cliché. Qu’ils y aillent franchement. Ils m’appellent l’Auvergnat comme ils diraient le bougnoule ou le youpin. L’Auvergnat est un mélange de Vikings et d’Arabes. Je chante un pays et non une race. Je sais d’où je viens.
HD. Vous ne revendiquez pas d’origines ou, du moins, vous les tenez secrètes. L’époque est pourtant aux revendications identitaires...
Jean-Louis Murat. La définition par les origines est une catastrophe. Il existe une folie de l’époque qui consiste à chercher ses origines tout en pensant qu’il est ringard d’être ancré. Cela relève du mythe. Récemment, une amie m’a confié avoir des origines polynésiennes. Et alors ? Ça fait 30 ans que je la connais, jamais elle ne m’en a parlé. Ça me fait une belle jambe. Pour moi, elle reste « Ginette ». Elle n’est pas petite-fille de Maori. Ô combien même, ça ne change rien ! Qu’importe de savoir si ma grand-mère a fauté avec un Sioux. Je ne demande pas à être appelé « Petit-fils de Geronimo ». Entretien réalisé par Lionel Décottignies