JL MURAT à MONTCEAU par M.
Publié le 16 Avril 2015
Ce petit cachottier ! Il n’a pas résisté à l’appel de Montceau (entre un ou deux râteaux en proposant des Inter-vious et Murat) !
Ce 10 avril, ce bon morceau de saligaud de M fit donc un saut à Montceau LM pour JLM sans que je le susse et a tardé à sceller à la mine le sort d’un sautillant billet sur le concert… Le voici donc…
Murat, en petits monceaux de frissons...*
En souvenir d'Émilie et de son Papa...
Il nous parut bien tristounet l'étang jaunâtre du jardin Lecoq de Clermont-Ferrand, lorsque nous le revîmes samedi matin, comparé au vaste lac Saint-Pierre du parc Maugrand. Allongé dans l'herbe, au bord de l'étendue majestueuse et calme, une fois surmontée la tentation d'une baignade sauvage (effets secondaires du Cahier bleu, sans doute...), nous aurions aisément pu en oublier qu'un concert de Jean-Louis Murat était programmé le soir-même, à deux pas de là. De rares promeneurs, des chevaux, des ânes, des cygnes, des canards – et puis ces bornes informatives retraçant le passé minier du parc, situé sur d'anciens puits d'extraction. Sont évoqués la dynastie des Chagot, l'évolution technique des lampes, les coups de grisou (décembre 1867, puits Cinq-sous : 89 morts), les grèves historiques (105 jours consécutifs en 1901). Rien sur l'état de santé des anciens mineurs, mais il aura suffi de converser, chemin faisant, avec un vieux Montcellien, pour entendre parler silicose et poumons ravagés. Nous sommes à Montceau-les-Mines, par une après-midi ensoleillée, le 10 avril. Sur le calendrier républicain, le mois de Germinal.
Un verre de Chablis et quelques heures plus tard, nous traversons le canal du Centre et pénétrons dans le hall de l’Embarcadère, espace culturel polyvalent d'une taille très respectable pour une ville de 20 000 habitants. De cette population, on ne retrouvera cependant qu'un mince échantillon à l'intérieur – 300-400 personnes dans une salle pouvant en accueillir 900, une affluence moyenne pour un JLM qui ne s'est pas souvent produit en Bourgogne au cours des dernières années. L'optimisme nous incitera à songer que le fait qu'il reste un peu partout dans le pays des gens disposés à dépenser, de temps à autre, une trentaine d'euros pour prendre des nouvelles de l'auteur de "Si je devais manquer de toi", "Au Mont Sans-Souci" ou "Amour n'est pas querelle" (autant de standards qu'il n'interprétera évidemment pas ce soir...) est une donnée encourageante. À l'approche du coup d'envoi nous nous faufilons vers le premier rang, où, bien enfoncé dans notre fauteuil afin de ne pas gêner la voisine de derrière, nous assistons à 21h00 à l'entrée des artistes. Quatre musiciens, quinze titres, du 100 % Babel – que dire de plus de l'antépénultième concert d'une tournée déjà abondamment commentée ici ou là ? Une poignée de sensations et réflexions éparses, éventuellement...
Noter, pour commencer, que cette tournée entamée voici dix mois aura permis de confirmer sur la durée la qualité de certains titres phares du dernier album. "Le blues du cygne", par exemple, avec le gimmick imaginé par Alex Rochon, demeure efficace malgré le changement de casting. Il est interprété ce soir sur un tempo très enlevé, ponctué par les claquements de mains de Chris Thomas à la fin des refrains. "Mujade Ribe" ("Vlà la beurrée", en patois bourguignon), joué dans une version assez funky, avec un Thomas remuant, offre à JLM l'occasion de se lâcher un peu à la guitare, tandis que la trompette originelle résonne dans notre tête en accompagnement subliminal. "Frelons d'Asie" ne dégage certes plus le même magnétisme qu'au New Morning, mais a gagné en tonicité, grâce aux trois acolytes déchaînés du meneur de jeu. Doté de tels morceaux (plus quelques autres) à la maturation fertile, Babel restera au final comme un très bon cru dans l’œuvre de Murat.
Cet album n'est pourtant pas parfait et l'on pourrait y trouver sans peine des chansons plus faibles. Mais c'est justement l'un des plaisirs de ce concert que de nous inviter à en réévaluer certaines. Telle ce "Chant soviet" initial, long, lourd et grave, paré d'une lumière rouge-URSS, qui nous donnerait presque envie de l'extraire de la poubelle où nous l'avions jusqu'à présent relégué. "Tout m'attire", dans un autre registre, se révèle ici une douce et agréable parenthèse (juste après une "Noyade au Chambon" boostée par les applaudissements du public), solidement structurée en quatre mouvements distincts (sifflements inclus). Voilà d'ailleurs un mérite de JLM ce soir : ne pas étirer systématiquement ses morceaux en se lançant dans d'interminables ponts, penché sur le manche de sa guitare. Même si l'on goûte ce genre d'échappées, la capacité du musicien à livrer des versions condensées et carrées de plusieurs compositions valorise, par contraste, les envolées instrumentales qu'il s'accorde à d'autres moments. Quant à l'ineffable "Chèvre alpestre", embellie par la contrebasse et un chant particulièrement sensuel, on se surprend à lui trouver une parenté avec "Le revolver nommé désir". Et de fait, quoique les rythmes et l'atmosphère diffèrent, la supplique de l'épouse patiente de 2014 : "Tu vas pas nous faire la tête le mardi / Nous faire croire qu'Davy Crockett est pas gentil" n'est pas sans évoquer celle de cette amante lilithienne d'une nuit de 2003 : "Tu m'files les pétoches / Redeviens léger léger / C'est en plume que je t'adore". Ainsi la scène nous permet-elle, au détour d'un nouvel arrangement ou d'un changement d'interprétation, de détricoter, puis de retricoter à l'envi la discographie d'un artiste chéri.
Pour le plaisir, une petite piqûre de nostalgie et de frelons...
On le sait, les spectacles de Murat sont sponsorisés par Rire et Chansons. La partie sketch de la soirée se situe cette fois dans la moyenne, ni outrancière, ni hilarante. Se plaignant d'une angine purulente et d'un doigt endommagé par un accident de tronçonneuse (vous savez, celle qui est rangée à l'arrière du break, à côté de la contrebasse...), JLM se lance dans une involontaire mais coquasse séquence "Pansement" d'environ cinq minutes, sorte d'hommage inversé au Capitaine Haddock (ici, le sparadrap ne tient pas...) ou de salut discret à Pierre Richard, son successeur sur la scène de l'Embarcadère ce mercredi. Il se fend aussi d'une prévisible allusion à l'Habitat Montebourg (ex-élu du département), puis, après avoir cité le nom du Delano Orchestra, annonce l'enregistrement imminent d'un nouvel album avec ses actuels partenaires de jeu.
La voilà la bonne nouvelle de la soirée ! Car l'entente entre les trois musiciens (dont deux sont nouveaux) et ce chanteur que certains s’obstinent à dépeindre en ours misanthrope semble bien réelle et participe évidemment de la réussite du concert. Chris, from Missouri, se montre le plus enthousiaste, donnant l'impression de se régaler, que ce soit à la basse, à la contrebasse ou lorsqu'il empoigne une percu pour endiabler "Neige et pluie au Sancy". Sa belle voix, grave et profonde sur "Col de Diane", avec ses "ooh-ooh" en réponse aux "aïe-aïe" du chanteur, nous fait même regretter qu'il n'intervienne pas plus souvent comme choriste. Gaël Rakotondrabe, lui, est nettement moins expressif, affichant un flegme non-dénué de second degré. Mais il se montre brillant derrière ses claviers, passant de nappes d'orgue efficaces à un piano élégant ("Les Ronces") et n'hésitant pas à bidouiller aux confins de l'électronique ("Neige et pluie"). Stéphane Reynaud, enfin, cheveux courts et silhouette affinée, fait preuve d'une belle vivacité avec ses balais. Son style, d'une légèreté aux accents jazzy plus prononcés qu'à l'accoutumée, tranche quelque peu avec la puissance pop-rock qu'il développait lors des tournées précédentes. Il faut aussi relever un fait qui n'a rien d'anodin : c'est la première fois depuis longtemps qu'un clavier s'intègre d'une façon aussi harmonieuse au sein de la formule guitare-basse-batterie de JLM. Un bon point à mettre au crédit des trois musiciens – Rako en tête.
Le pansement collé, la promo effectuée, l'avenir esquissé – retour aux chansons pour un final éblouissant. D'abord avec un "Long John" très doux, où la contrebasse, le piano et les caresses de Steph à la batterie parviennent (presque) à compenser l'absence de Morgane Imbeaud aux chœurs. Puis c'est "Chagrin violette", beau morceau qui pâtit sans doute de sa position lointaine sur le disque, interprété ce soir dans une version à la fois très rythmée et très mélodieuse. Gaël se décontracte et répond aux sourires de Chris, dont le plaisir ne paraît pas décliner à l'approche de la fin. Il faut dire que le meilleur est à venir, avec un rappel monstrueux : une longue introduction sombre et poisseuse, avant que n'émerge de ce chaos "Qu'est-ce qu'au fond du cœur" sous les oripeaux d'un blues ancestral d'une rare noirceur, où les griffures électriques de JLM se mêlent à d'obscures paroles en anglais, qui tirent le morceau vers une sorte de transe. Le genre de final qui rend inutile toute demande de rab : le concert est terminé et sa conclusion fut magnifique.
Sommes-nous seul à avoir (par déformation d'amateur) apprécié ce concert ? Il semblerait que non. Si l'on entend bien une ou deux remarques sur le manque de communication du chanteur, les spectateurs qui s'attardent nombreux dans le hall de l'Embarcadère ont l'air satisfait. Le stand de Jocelyne est assailli, vinyles, cd ou affiches sont achetés, puis aussitôt présentés à l'artiste pour dédicace. Murat est avenant, il signe et contresigne, consent aux photographies (juste derrière un panneau interdisant... les photos), revient volontiers sur ses pas vers les retardataires. À la chargée de communication de la salle, qui lui demande une signature pour l'ancienne directrice partie vers d'autres contrées, il lance un énergique : "Venez dans ma loge !", proposition inattendue qu'elle finit par accepter, après un temps d'hésitation. Elle ressortira indemne et charmée. La soirée se termine ainsi aux alentours de 23h30, dans une atmosphère chaleureuse.
Et c'est un point, là encore, sur lequel il convient d'insister. À force de se vouloir "imbuvable", JLM a si bien manœuvré au fil des ans que même lorsqu'il se montre courtois et aimable, il traîne avec lui l'image d'un chanteur peu sympathique. Si un jour un écrivain décidait de se lancer dans une biographie de l'artiste, il lui faudrait donc décrire avec soin, au-delà de ses manières parfois rudes ou carrément grossières, la chaleur diffuse, le réconfort et les émotions troubles que peut procurer une prestation scénique de Murat. C'est en tous cas empli de semblables sensations que nous quittons – à regret – l'Embarcadère pour nous diriger vers la gare de Montceau, l'âme provisoirement apaisée et le cœur brûlant d'un feu qui, comme indiqué dans le morceau final, "livre Bataille à la nuit"...
M.
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Sur ce même concert, le point de vue d'un vieil amateur de Murat, qui n'avait pourtant jamais eu l'occasion de le voir sur scène (il y en a !). Impression mitigée à découvrir chez ce blogueur qui semble réussir à quasiment tenir le rythme d'un article par jour (alors qu'on connaît des lambins à qui il faut une semaine pour écrire un CR...) :
http://www.manitasdeplata.net/archives/2015/04/14/31888449.html
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RAPPEL : Si le Babel Tour s'est achevé lundi soir au Palace, The Delano Orchestra sera encore présent sur scène ces prochaines semaines, notamment le 25 avril au Printemps de Bourges (on a beaucoup parlé du prolétariat au début de cet article, mais il ne faut pas oublier les Bourgeois...). Plus d'information sur la page Facebok du groupe et sur celle d'Alexandre (désormais) Delano. Et comme nous le signalait Yeult tout récemment, Morgane Imbeaud participera avec l'un de ses nombreux projets au Festival Voix de Femmes de Maury, le 12 juin prochain.
* : Les plus attentifs l'auront noté, la formule du titre est empruntée à Silvain Vanot (plus de détails ici).