Inrocks, Le monde, RFI, La Montagne, télérama : Soirée du 25 mai "te garder près de nous"

Publié le 27 Mai 2024

Bonsoir, j'avais écrit une petite bafouille introductive mais elle s'est effacée par erreur... Alors, ça sera brut. Laissons la parole aux pro... qui eux sauvegardent leur article. Je dirai donc juste pour l'instant que c'était vraiment bien... l'ensemble du week-end, particulièrement riche... 

Voici quelques articles... (et pour le reste, vous pouvez surfer sur youtube)

- Inrocks   à lire en ligne

Hommage à Jean-Louis Murat : récit d’un concert émouvant à la Coopérative de Mai

par Franck Vergeade

Publié le 27 mai 2024 à 18h56
Mis à jour le 27 mai 2024 à 21h36

Samedi 25 mai 2024, un an exactement après la disparition soudaine du chanteur auvergnat, une vingtaine d’artistes lui a rendu un vibrant hommage à la Coopérative de Mai.

Le 25 mai 2023, disparaissait brutalement Jean-Louis Murat, laissant une discographie aussi riche qu’imposante et un vide abyssal dans la chanson française. Un an exactement après, ce triste anniversaire ne pouvait rester lettre morte.

Ainsi donc, autour de Denis Clavaizolle, complice historique et directeur musical du concert hommage Te garder près de nous – en clin d’œil à l’un des tubes de Cheyenne Autumn (1989) –, une vingtaine d’artistes étaient réunis sur la scène de la Coopérative de Mai à Clermont-Ferrand pour interpréter ses chansons en ce jour muratien hautement symbolique. Emploi du temps oblige, Dominique A, Camille ou Benjamin Biolay manquaient à l’appel, mais il fallait bien être à Clermont-Ferrand samedi 25 mai 2024.

Images d’Auvergne

Dans une salle où les 1 500 places avaient été vendues et où l’émotion était instantanément palpable, le concert s’ouvrait par une reprise du Col de la Croix-Morand par Morgane Imbeaud, l’une des régionales du soir avec laquelle Murat a souvent duettisé. Ce sont d’ailleurs les Auvergnats qui se succédaient au micro, entre une version électrique de Mujade Ribe par The Delano Orchestra (avec lequel il avait enregistré le triple album Babel) et une interprétation acoustique de Perce-neige par le guitariste Alain Bonnefont, compagnon de route de Jean-Louis Murat depuis le groupe Clara à la fin des années 1970. Attentif, le public voyait défiler sur l’écran géant des images filmées en Auvergne par l’équipe de Biscuit Production pour se replonger dans des paysages qui ont tant jalonné le répertoire muratien.

Après cette relecture de Perce-neige, l’album Dolorès (1996), absolu chef-d’œuvre, se taillait une place de choix dans le début du concert, avec Alex Beaupain, l’un des enfants spirituels de Murat, reprenant Le Train bleu et Fort Alamo, en duo avec Frédéric Lo. Autant d’indémodables chansons d’amour et de désamour traversant les décennies et nous frappant au cœur comme à l’époque : “Qu’il est dur de défaire/J’en reste KO”

Une bouleversante chanson testamentaire

Quand Laura Cahen s’attaque au Mont sans-souci, on a la surprise de voir Sophie Clavaizolle, déjà présente sur les chœurs pour l’enregistrement de Mustango (1999), la rejoindre sur scène aux côtés de son père Denis au piano. Encore une fois, l’émotion traverse la scène en même temps que l’auditoire. Camarade littéraire de Jean-Louis Murat, l’écrivain Éric Reinhardt vient lire un extrait de son livre Cendrillon (2007), “écrit en écoutant en boucle l’album Taormina, avant que Florent Marchet ne rythme la soirée sur l’air bossa du Mendiant à Rio, l’adaptation française d’Antonio’s Song de Michael Franks par “son professeur en mélancolie”. Sur Le Monde intérieur, le musicien et romancier a la bonne idée de varier les couleurs, vocales, pianistiques puis orchestrales pour ne pas ployer sous le poids de cette bouleversante chanson testamentaire.

L’une des surprises de la soirée, ponctuée par la voix off de Pascale Clark, est d’entendre chanter, pour la toute première fois, la réalisatrice Lætitia Masson, avec laquelle Murat entretenait une longue amitié artistique, sur L’Irrégulière/La Chanson de Dolorès, écrite à l’origine pour le projet d’album avorté avec Jeanne Moreau. En souvenir de Mustango, Elysian Fields et Matt Low, actuellement en tournée, ont envoyé leur version filmée de Jim, juste avant que Par.Sek, jeune trio local, ne vienne métamorphoser le cultissime Suicidez-vous le peuple est mort en mode post-punk/Suicide.

Les larmes montent puis s’évaporent

Les covers s’enchaînent, Jérôme Caillon (Rogojine) profite d’un unplugged des Jours du jaguar pour faire un clin d’œil aux Rancheros, le groupe récréatif de Murat dont il faisait partie et qui avait livré, le 19 juin 2002, leur unique et mémorable concert dans cette même salle de la Coopérative de Mai. Assise au piano, Jeanne Cherhal fait chavirer le public avec La Maladie d’amour, JP Nataf remonte aux sources du Troupeau (période Cheyenne Autumn) et se souvient de Gilet#4, charge anti-Macron que Murat avait enregistrée quand il avait documenté le mouvement des Gilets jaunes.

Le chanteur des Innocents, qui avait côtoyé Murat chez Virgin dans les années 1980, seconde Armelle Pioline (Holden) sur l’entraînante Foule romaine. Quand Morgane Imbeaud revient interpréter Le Cafard, les larmes montent puis s’évaporent (le single Sentiment nouveau par Frédéric Lo et Marie Audigier aux chœurs), jusqu’à se retrouver le souffle coupé dans la pénombre, en découvrant la version a capella de Je me souviens par Jean-Louis Murat, dont la voix nous déchire… Cela aurait peut-être été la conclusion idoine, fusse-t-elle éplorée, plutôt que la version chorale du Lien défait avec tous·tes les artistes réuni·es une dernière fois sur scène : “Oh, on se sent épris d’éternité/Mais revient toujours/Le temps du lien défait

J'étais à côté de lui sur la 2e partie et je le scrutais un peu quand a été repris sa chanson de coeur du "lien défait", et j'ai vu que ça ne lui plaisait guère... mais moi, j'ai eu un petit frisson.

 

 - LE MONDE du 27/05:

 

Musique

Un hommage clermontois à Jean-Louis Murat

Un an après la mort du musicien, une vingtaine d’artistes ont donné un concert à guichets fermés

Stéphane Davet

 

Clermont-Ferrand- envoyé spécial - Quand à bride abattue/Les giboulées se ruent/Je cherche ton nom/Oh j’en meurs mais je sais/Que tous les éperviers/Sur mon âme veilleront… » Chanté en ouverture de soirée par la voix apaisante de Morgane Imbeaud, le deuxième couplet de Col de la Croix-Morand semble désigner tous ceux qui, ce samedi 25 mai, ont choisi de rendre hommage à son auteur, le musicien Jean-Louis Murat.

Sidérés, il y a un an jour pour jour, par sa mort, d’une embolie pulmonaire, à l’âge de 71 ans, les « éperviers » – soit une vingtaine de musiciens, mais aussi un écrivain, une cinéaste… – se retrouvaient à Clermont-Ferrand, à l’initiative de la salle de la Coopérative de mai, pour un concert à guichets fermés. Baptisé « Te garder près de nous », celui-ci tenait autant de la célébration que de la thérapie de groupe.

Non loin de la demeure isolée du dandy paysan, à Douharesse, sur la commune d’Orcival (Puy-de-Dôme), et des paysages de montagne qui ont irrigué son répertoire, la scène de musiques actuelles de la métropole arverne de 1 500 places peut revendiquer un sentiment de proximité. D’autant que la direction du spectacle a été confiée au « directeur musical », Denis Clavaizolle, multi-instrumentiste et compositeur associé à une douzaine d’albums du chanteur. Le complice a structuré un noyau d’instrumentistes (lui aux claviers et à la guitare ; son fils Yann Clavaizolle à la batterie ; Guillaume Bongiraud au violoncelle et à la basse), et lancé ses invitations. La date n’était pas compatible avec l’emploi du temps d’admirateurs comme Benjamin Biolay, Camille ou Carla Bruni, « mais la plupart des réponses ont été rapides et enthousiastes », constate le claviériste.

« Professeur en mélancolie »

Jean-Louis Murat a eu un impact durable sur la scène pop française, conciliant une passion pour le rock anglo-saxon et une exigence d’écriture digne des meilleures plumes francophones. « Un peu comme le Velvet Underground, son influence artistique a été inversement proportionnelle à son succès commercial, une fois passé les disques d’or de Cheyenne Autumn [1989] etLe Manteau de pluie [1991] », analyse le musicien Alex Beaupain, après avoir interprété, avec Frédéric Lo, des versions délicates de Fort Alamo et Le Train bleu, tirés de Dolorès (1996).

Mêlant force d’incarnation, énergie pianistique et légèreté ironique, Florent Marchet brille avec Le Mendiant à Rio. Sur un écran au-dessus de la scène, des vidéos illustrent les chansons. Après les reliefs brumeux des volcans locaux, une route déroule son ruban d’asphalte au rythme de la lecture intense d’Eric Reinhardt. Un texte tiré de son roman Cendrillon(Stock, 2007) . « De 1999 à 2023, tous mes livres ont puisé beaucoup de ferveur dans l’écoute obsessionnelle de Murat » , indique l’écrivain. Il se dit fasciné par « son engagement total dans son art et sa relation au monde sensible, partagée entre amour de la vie et désespoir mélancolique ».

Rythmé par la voix off de la journaliste Pascale Clark, le concert alterne «classiques » et titres moins familiers. Ronde enfantine à succès, Au mont Sans-Souci est joliment ralenti par Laura Cahen, accompagné au piano par Denis Clavaizolle. Jeune Clermontoise soutenue par la Coopérative de mai, Koum insuffle une bouffée de soul au tube Si je devais manquer de toi.

Absents pour cause de tournée, les amis américains d’Elysian Fields, jadis au centre de Mustango (1999), ont tenu à envoyer une vidéo d’une version ultra-dépouillée de Jim, en duo avec le Clermontois Matt Snow. Complice local des années de jeunesse, Alain Bonnefont met en valeur le texte de Perce-Neige (« J’écris des chansons/Comme on purgerait des vipères »). L’amie cinéaste Lætitia Masson s’improvise chanteuse en puisant ainsi L’Irrégulière (écrite à l’origine pour Jeanne Moreau) dans Live in Dolorès (1998).

Engueulades et retrouvailles

L’ex-Cocoon Morgane Imbeaud rayonne dans Le Cafard, en experte du spleen, quand une remarquable Jeanne Cherhal, seule au piano, reprend La Maladie d’amour, figurant dans Lilith (2003). Chanteur des Innocents, JP Nataf choisit de reprendre Gilet#4, l’une des chansons-chroniques que le chanteur publiait sur son site au moment du mouvement des « gilets jaunes ». Une comptine acide dédiée à « Manu », comprendre Emmanuel Macron.

Jeune groupe clermontois, Par.Sek n’a découvert que récemment les chansons de Murat. Le trio électro-rock s’amuse depuis à rechercher sur YouTube les coups de grisou télévisuels de cette « grande gueule allergique à l’eau tiède », dont ils se sont approprié le post-punk de Suicidez-vous le peuple est mort (1981).

Parmi les invités, plusieurs se sont coltiné le caractère bougon de l’Auvergnat, jusqu’à la fâcherie. Leader du groupe The Delano Orchestra, avec lequel Murat avait enregistré l’excellent Babel (2014), Alexandre Rochon voit dans sa reprise de Mujade ribe une façon de se réconcilier avec l’aîné.

Des engueulades et des séparations, Denis Clavaizolle en a connu de sévères. Avant d’éternelles retrouvailles. Quelques semaines avant la mort du chanteur, ne répétait-il pas en vue d’un nouvel album ? « Des jams de quatorze à seize minutes, à la façon des Stones, comme un retour aux sources, avec des instruments vintage, se souvient Clavaizolle. Restait à écrire les textes. »

Voici que surgit dans la pénombre la voix a cappella du héros de la soirée. L’énumération perecquienne de Je me souviens semble murmurée à l’oreille de chaque spectateur. On entendrait une mouche voler.

L’émotion submerge aussi les musiciens. Au point qu’ils doivent s’y reprendre quatre fois pour lancer l’interprétation de J’ai fréquenté la beauté par Nicola Sirkis, chanteur star d’Indochine, pour lequel Murat avait écrit Un singe en hiver et Karma Girls. Tout le casting de la soirée se retrouve ensuite pour une version chaleureusement bancale du Lien défait. Preuve d’une indéfectible relation nouée avec les fans.

 

-  RFI (Anne-Laure Lemancel) dont j'ai fait la connaissance:

A LIRE EN LIGNE

27/05/2024

Un an pile après sa disparition soudaine, le 25 mai 2023, la salle La Coopérative de Mai, à Clermont-Ferrand organisait un concert-hommage à Jean-Louis Murat. À l’affiche ? JP Nataf, Nicola Sirkis, Jeanne Cherhal, Laura Cahen… et ses proches. Une soirée pudique, digne et pleine d’amour. 

Par vagues douces ou violentes, en torrents, l’émotion submerge la Coopérative de mai, salle emblématique de Clermont-Ferrand, comble ce soir du 25 mai. Dans la pénombre, une voix au timbre radiophonique si reconnaissable, s’élève. Elle pose des mots sur les sentiments partagés, elle endosse au "je", la douleur collective. Elle raconte une "mort subite", évoque la "disparition d’un ange", à chercher, peut-être, "quelque part dans le décor". "À croire qu’il voulait tester notre amour, le garçon ?", suppose-t-elle. L’occasion de "lui adresser un immense baiser… sait-on jamais ?".

Cette voix, c’est celle de la narratrice du concert, la journaliste Pascale Clark. Et bien sûr, elle parle de Jean-Louis Murat, l’Auvergnat devant l’éternel, le bluesman du Sancy, le poète des montagnes, les deux pieds dans la gadoue, hôte fidèle de ces lieux, qu’il fit résonner d’une myriade de concerts fous d’amour, généreux, de la "transe de ses chansons, étirées aux quatre coins de l’âme", de moments dont "on sortait lessivés, un peu ivres et tellement en vie", confesse en préambule l’équipe de la salle…

Alors, pour célébrer le premier anniversaire de sa disparition, le 25 mai 2023, des suites d’une embolie pulmonaire, l’établissement a lancé l’idée de cette communion XXL, si joliment intitulée "Te garder près de nous". Avec un casting de choix : une kyrielle de proches, de copains, d’artistes avec qui il nourrissait une complicité, de simples admirateurs…

Murat sous d’autres lumières

Il revient à l’évanescente Morgane Imbeaud, ex-Cocoon, Clermontoise, sa complice, d’ouvrir le bal, sur de sublimes paysages cinématographiques, en rase-motte, sur les étendues d’Auvergne, imaginés par Biscuit Production, scénographes de la soirée.

Seule avec sa guitare, elle entonne avec une justesse lumineuse et nimbée de tendresse bleutée, l’incontournable Col de la Croix Morand. Avant de céder le flambeau au cuivré Delano Orchestra de Matt Low sur Mujade Ribe. Puis à Alex Beaupain seul dans le Train Bleu et accompagné de Frédéric Lo sur Fort Alamo… Avec ses joues rebondies, ses yeux rieurs et sa bouche mutine, Laura Cahen reprend avec une gourmandise malicieuse et enfantine le Mont Sans-Soucis… Quand un grand échalas rêveur, à la chevelure de lion indomptée, un poète lunaire, s’installe au piano, en contrepied : c’est Florent Marchet, fan déclaré.

Avant le concert, il nous confiait : "Murat m’a offert une direction, le goût des territoires vierges et celui de la géographie. Dans son sillage, dans la construction de mes histoires, je privilégie toujours le lieu. Je lui dois cet amour des paysages, des mots incongrus… J’aime aussi ses fulgurances dans ses lâcher-prises…" Alors, derrière son instrument-paquebot, le voilà qui navigue sur l’écume des mots d’Un mendiant à Rio, et s’envole, accompagné à l’écran d’une armée de lucioles, dans les tourbillons de son Monde intérieur. 

 

Il y a la reprise nostalgique et élégante, en vidéo, de Jim par Matt Low et Elysian Fields. Et une audacieuse version, colorée et punkoïde, déjantée et gorgée de paillettes de Suicidez-vous, le peuple est mort, signée PAR.SEK.

Avec chaque interprète, les chansons de Murat se parent d’autres lumières. Comme, sous les doigts de Jeanne Cherhal, qui chante au piano avec une infinie délicatesse, La Maladie d’amour. Et dans les cordes de JP Nataf (des Innocents) qui s’attaque au Troupeau et à Gilets Jaunes. Lui aussi nous expliquait son attachement à celui qu’il croisait régulièrement, avec qui il nourrissait une franche camaraderie artistique : "Avec sa séduction absolue, par sa gueule, sa façon de parler, ses visions extralucides, sa poésie et ses audaces folles, il nous a tous décomplexés, nous qui avions du mal avec ces frontières parfois poreuses entre rock et variété. En France, il a rebattu les cartes, avec sa pop lettrée, qui me rappelle, en un sens, Bryan Ferry."

"C’était un animal libre et ultra-instinctif… qui me manque tant…", renchérit Armelle Pioline, qui donne la réplique à JP Nataf sur Foule Romaine… Avant de donner chair au rarissime Coup de Jarnac, sur la mort de François Mitterrand : "Une scène mortuaire d’une beauté invraisemblable, où il raconte le peuple qui pleure… Un morceau qui me transperce littéralement. Quel trac j’ai, vous savez, de la porter !", assume-t-elle.

Enfin, la Clermontoise Koum livre une version soul et suave de Si je devais manquer de toi. Et le tant attendu Nicola Sirkis d’Indochine (pour qui Murat avait écrit Un singe en hiver et Karma girls) éclaire avec sobriété J’ai fréquenté la beauté.  

Les copains d’abord

Le concert-hommage se déroule comme une histoire, une aventure en Muratie, sans pathos, mais avec dignité, et une émotion taillée à sa mesure.

Sans doute aussi parce qu’il y a là ses plus proches : la touchante Marie Audigier, son ex-épouse et manageuse, qui chante Sentiment nouveau, trente ans après en avoir assuré les chœurs, en duo avec Fredéric Lo. L’amie réalisatrice Laëtitia Masson qui donne sa voix à L’irrégulière. Le pudique Alain Bonnefont, qui interprète avec une immense pertinence Perce-Neige. L’autre pilier, Jérôme Caillon qui s’offre aux rugissants Jours du Jaguar. Et puis, eux deux, accompagnés du solide batteur Stéphane Mikaëlian, qui foulent à nouveau, le temps d’une chanson, Le chemin des poneys. "Hey ho, hey ho, c’est nous Les Rancheros !", clament-ils, pour reformer l’espace d’un clin d’œil, leur bande de quatre mousquetaires musiciens un brin potaches… De là-haut, Jean-Louis Murat rigole-t-il avec ses copains ? 

Enfin, il y a celui sans qui rien n’aurait été possible. L’homme discret, mais efficace, aux lunettes rouges, retranché derrière ses claviers, l’alter ego musical de Murat, artisan de nombre de ses albums, Denis Clavaizolle, chef d’orchestre de la soirée, d’une élégance rare dans ses arrangements musicaux, joués notamment par son fil Yann (batterie) et Guillaume Bongiraud (violoncelle).

En fin de concert, les larmes d’émotion, et de soulagement roulent sur ses joues, comme sur celles d’autres artistes... En épilogue, la voix de Pascale Clark résonne, avant qu’elle n’apparaisse enfin sur scène : "25 mai 2024 à la Coopérative de mai… Ce moment restera comme une flamme. À nous de la faire briller. Et ne croyez pas tout à fait ceux qui chantent le lien défait…" Et tous les artistes ici présents de l’entonner justement, en chœur, ce Lien défait. Comme pour l’invoquer. Le convoquer. Et le voilà qui apparaît sur l’écran, en générique de fin, en irrésistible Berger de Chamablanc. Et, à l’évidence, à son sourire éternel, il les reçoit bien, nos immenses baisers !

Par : Anne-Laure Lemancel

 

- La Montagne du 26/05... avec une rectification d'importance, un crime de lèse majesté: le Comte de Montlozier, c'est Stéphane Mikaelian, et non son frère Pascal.  Le journaliste sera brûlé rue montlozier dès qu'on l'aura retrouvé sur du Duke Ellington.  ET on retrouvera son altesse, et M. Bako, lors du week-end Murat!

 

La Coopérative de mai archi-comble pour l'hommage à Jean-Louis Murat, un an après sa disparition

 

Te garder (encore longtemps) près de nous

Alex Beaupain, Laura Cahen, Jeanne Cherhal, Nicola Sirkis, Morgane Imbeaud, Frédéric Lo, Florent Marchet, JP Nataf, Armelle Pioline et bien entendu les amis et représentants de la scène auvergnate Alain Bonnefont, Jérôme Caillon, The Delano Orchestra, et la scène émergente clermontoise, comme PAR.SEK et Koum; toutes et tous étaient hier soir à La Coopérative de Mai pour une soirée hommage à Jean-Louis Murat, mort il y a un an. Un rendez-vous que l'équipe de la salle clermontoise a préparé avec minutie tant il était essentiel que son rendu soit beau, à la hauteur de ce qu'était JLM. La collégiale qui lui a mis un terme a superbement symbolisé l'amour de chacun. « Il ne pouvait y avoir un autre lieu que celui-ci, que notre salle, pour imaginer et accueillir cette journée exceptionnelle, en compagnie de ta famille et de ces âmes soeurs. Et tu peux nous croire, personne ne s'est fait prier pour en être. Et pour quelques heures, encore un peu, te garder près de nous » a très délicatement dit Hervé Deffontis à la fois ami de Jean-Louis et directeur de la com' de la Coopé. Beaux mots, choisis, comme de nombreux autres partagés par la « muratie » de ce samedi.

Nicola Sirkis : « Il y a juste une année, j'avais prévu de lui envoyer un de nos nouveaux morceaux, comme en 2001, comme en 2017, et on se serait appelé, on aurait parlé de tout, de l'émotion des mots, de la phonétique et je lui aurai dit : tu as carte blanche plutôt carte noire comme d'habitude Sans lui ce morceau est resté sur le carreau, inachevé »

Jeanne Cherhal : « Sa musique, j'y suis venue étant adolescente par le duo qu'il a fait avec Mylène Farmer, Regrets. Leur association était si belle, et si mystérieuse que j'étais comme aimantée par cette chanson. Le premier album que j'ai écouté de lui doit être Le Manteau de pluie. »

JP Nataf : « Je l'ai toujours trouvé tendre et affectueux. Un affectueux bourru, il n'y a qu'un Murat ! Et même en promo où il m'a fait tant rire Et il est à mon sens une figure majeure de la musique (pas la chanson) française. Et je suis absolument admiratif et envieux de la manière dont il a mené sa carrière ».

« dans mon imaginaire, c'est le poète qui l'emporte »

Armelle Pioline : « Mon premier souvenir de Jean Louis Murat, précieux pour moi à bien des égards, c'est celui d'une voix chaude et rassurante qui m'invitait, par message vocal, à venir chanter sur l'un de ses titres, en 2003 [] Je le vois comme un poète avant toute chose; certes, doté d'une voix de rêve, mais dans mon imaginaire, c'est le poète qui l'emporte Où qu'il arrive, Jean-Louis semblait toujours trimballer des hectares de terre avec lui, il sentait bon les champs ».

Alain Bonnefont : « J'ai rencontré Jean-Louis pour la première fois en 76 je crois, devant la scène lors d'un concert à Paris regroupant Tom Petty, Nils Lofgren et les Kinks. Je dois dire qu'il faisait le meilleur pâté aux pommes de terre, ever S'il faut choisir un morceau ou un texte fétiche, je dirais Montagne , sur Vénus »

Jérôme Caillon : « J'ai rencontré Jean-Louis il y a environ 30 ans grâce à mon ami Christophe Pie. Jean-Louis est devenu pour moi un ami précieux, un exemple de pensée vivante, de liberté sans concession et très certainement un mentor Une de ces rencontres qui marquent une vie ».

La journaliste Pascale Clark, qui a beaucoup côtoyé Murat au cours de sa carrière, l'écrivain et dramaturge Éric Reinhardt, qui entretenait une correspondance avec l'artiste, et Laetitia Masson, réalisatrice de Falling in love again, documentaire sur l'enregistrement à Nahville de l'album Le cours ordinaire des choses , étaient également clermontois ce samedi.

Un moment particulièrement réussi, d'émotion - quelle version de Perce-Neige Alain Bonnefont; quelle lecture de Cendrillon Eric Reinhardt accompagné par Morgane Imbeaud; quelle classe Koum sur Si je devais manquer de toi -, d'écoute quasi-religieuse, de mémoire, de partage. Un moment étrange également parce qu'il s'est agi, inévitablement, d'entendre la voix de Jean-Louis Murat comme superposée à celles des interprètes du soir.

Un moment rare. Un moment d'hommage quoi qu'il en soit, parce qu'ainsi va la vie

-La veille:  La MONTAGNE, double page le 25/05, avec un petit encart pour parler du week-end Murat! C'était sympa!

Ici et là... Jean-Louis Murat

 
 

«Et puis, et puis voilà. Enfin, tu vois quoi, Jean-Louis s'en est allé. » Denis Clavaizolle est encore dans le difficile de le dire mort, Murat. Son pote. Il y a maintenant un an. Dans sa maison-studio de Cournon, où quelques jours encore avant ce 25 mai 2023, les deux hommes traçaient les pistes du prochain album; celui qui n'existera jamais, il se souvient : « Nous avions avancé sur la musique, travaillé une vingtaine de morceaux, mais il n'avait pas encore de paroles. Nous jouions et il faisait lalalala. Je le vois encore, avec sa guitare, dans le canapé »

Denis Clavaizolle, pianiste de son état, plus simplement musicien, partenaire très particulier, collaborateur protée, a bouclé une douzaine d'albums environ aux côtés de JLM. « Je crois que nous avons une centaine de titres cosignés à la Sacem ». Il est ainsi celui qui connaît le mieux l'artiste, l'homme certainement aussi tant il n'y avait pas l'épaisseur d'un vinyle entre les deux. Et si nous avons écrit dans ces mêmes colonnes à de nombreuses reprises que JLM était un champion, certainement le meilleur, Denis Clavaizolle confirme sobrement : « Ah oui. Il avait vraiment quelque chose de plus »

Celui qui faisait des chansons comme on chasse les vipères avait, ça fait partie du package, un caractère que l'on qualifiera de complexe et tempétueux; de fait, les deux hommes joueront plusieurs versions d'un Je t'aime moi non plus amicalo-professionel « je crois qu'une fois nous sommes restés deux ans sans nous parler » mais finiront toujours par revenir l'un à l'autre. « On se disait tout en fait. On se rentrait dedans. Parfois tu as besoin de quelqu'un qui te dit les choses. Avec Jean-Louis, personne n'osait vraiment, moi je n'ai jamais eu de filtres, c'est pour ça qu'il y a eu des étincelles (rires). Mais, à la fin, nous nous retrouvions toujours. Jusqu'à la dernière tournée avec mon fils Yann à la batterie et Fred Jimenez à la basse ».

« Avec Jean-Louis, j'ai découvert qu'il n'y avait pas de règles »

Le Murat de Denis Clavaizolle, « mon Murat à moi, c'est quelqu'un qui a changé ma vie au niveau musical. Il était d'une culture incroyable, c'était une encyclopédie, pas qu'en rock, aussi en peinture, en sport, en musique classique ou en jazz tu vois. Il m'a fait découvrir tant de choses et d'artistes que j'avais effleurés, exemple Robert Wiatt ».

Pour aller à l'essentiel, « j'ai également découvert, avec Jean-Louis, qu'il n'y avait pas de règles. Parfois tu te dis, on ne peut pas faire cet accord avec cette mélodie Lui rétorquait, mais si au contraire, on s'en tape [] Il m'a appris à sortir du chemin. Sur pas mal d'albums, où l'on cherchait à avoir une couleur de son particulière, en fait, on faisait un ping-pong permanent ». L'idée de l'un appelait une idée de l'autre.

« On s'est appris des choses mutuellement. Il faisait toujours des chansons sur trois accords en baissant le capo, parfois je l'amenais à d'autres trucs. Nous bossions beaucoup ».

Et puis sa façon d'écrire « Je me souviens sur les premiers albums, plus poétiques. C'était pfff Avec Jean-Louis, il y a également toujours eu du no-comprendo Si je lui disais, t'as voulu dire quoi , il répondait c'est perso Rien de plus. Pas la peine d'aller plus loin. Il n'expliquait pas. On était alors dans l'intime. Tu peux avoir ton idée sur ce qu'il a écrit, mais la vérité, il ne l'a disait que très rarement ». Ce qu'il y a de clair, c'est que le sentiment amoureux n'était jamais loin. « Ça a toujours tourné autour de ça » poursuit Denis. De ruptures en amours débutantes, JLM laisse une discographie magnifique, au coeur de laquelle Mustango tient une place toute particulière. Idem pour la tournée qui a fait vivre cet album paru au crépuscule des années 2000.

« Une sorte de happening tous les soirs, c'était magique »

« Sur Muragostang, nous n'avons jamais fait le même concert deux soirs de suite. C'était une volonté de Jean-Louis. Une sorte de happening permanent, c'était magique, les gens s'en rappellent » Tellement !

« J'avais préparé les rythmiques avec des râpes à bois, des pas dans les feuilles mortes, un marteau sur une enclume, des chants d'oiseaux, des bruits de rhinocéros. J'avais un sampleur à huit sorties, j'envoyais en fonction Ensuite, il mélangeait. Pour Belgrade, par exemple, on pouvait ouvrir un jour avec les pas dans les feuilles ou la voix des deux fous, là, Antonin Artaud et Jean Genet; le lendemain ça pouvait être des machines; nous étions à l'affût pour coller à son choix ».

Une façon qui disait quelque chose de l'état d'être Murat ? A l'image de son langage corporel sur scène. « Oui, c'est sûr. Surtout, il pouvait exprimer ce qu'il ressentait, son humeur du moment, selon qu'il avait soit un peu fumé, donc très cool, soit qu'il était énervé par je ne sais quoi [] Tu vois, j'ai fait d'autres trucs, beaucoup même, dont le tour du monde avec Zaz, mais cette tournée-là avec Jean-Louis, vraiment ».

Elle sera d'ailleurs marquée par quelques épisodes qui disent également ce qu'était faire de la musique pour et avec JLM. « Ce jour où l'on arrive en Suisse sans le moindre matériel, le camion avait été bloqué à la frontière. Jean-Louis a voulu jouer quand même, bien sûr ! J'ai oublié des détails, Alain Bonnefont s'en souvient mieux que moi certainement. En tout cas, avec un clavier récupéré à gauche, une boîte à rythmes à droite, une guitare acoustique et deux-trois trucs loués à Fribourg, nous avons fait un concert qui n'avait évidemment rien à voir avec tous les autres Un concert unique dont on n'a pas de traces. Une expérience. Il faut que je demande à un fan si jamais ». Avis à celles et ceux qui liraient ces mots.

Et quitte à dérouler le fil du caractère muratien, évoquer cette forme timide du respect dont il faisait preuve face à certains de ses pairs : « Comme lorsqu'il a rencontré Steve Crooper (*) à New York. Nous y étions, toujours pour l'enregistrement de Mustango, et du côté de Broadway peut-être, dans un club où il y avait les M.G's quoi. Il voulait faire signer son billet mais il était super-timide. Les M.G's On les a revus à Cannes ou Monaco dix ans plus tard, je ne sais plus trop; Jean-Louis n'a pas non plus osé aller vers eux. Il était trop fan ».

Réservé donc, souvent marrant également avec un sourire de gosse-garnement prêt à faire (à dire) une connerie. Ça, c'était plutôt le Jean-Louis des champs, celui des potes, des soirées à Douharesse, des Rancheros les neveux de Zorro-les copains de Bernardo , le groupe constitué de Crocojean, Mornac, le roi Saumon, Mayerling et le comte de Montlosier Autrement dit et dans le désordre pour respecter une forme d'anonymat : Christophe Pie, Jérôme Caillon, Alain Bonnefont, Pascal Mikaelian et JLM. « Son truc, c'était le naturel, ses potes, ici. Au début de sa carrière, il a bien essayé de faire ce qu'il fallait par rapport au milieu, d'être artiste heu je ne sais pas comment te dire, dans les clous quoi, classe, tout ça, mais il aimait être tranquille, faire ce qu'il voulait, comme il voulait, quand il voulait. Les soirées organisées durant les enregistrements d'albums à Paris, il n'y allait jamais; les séminaires non plus. Il préférait être à la ferme, boire un Justin voire un Justin hard funk ! un tiers de Ricard deux tiers de Salers et enregistrer ensuite dans la grange. [] Je ne faisais pas vraiment partie des Rancheros et si j'étais de la clique je faisais gaffe à garder un peu le contrôle (rires). Idem, en dehors de sessions studio, on se lâchait aussi, on faisait chacun nos vies. Nous avons toujours gardé une forme de distance même si nous étions en confidence La musique avant tout ».

Les Rancheros, les neveux de Zorro-les copains de Bernardo

« Beaucoup de choses resteront entre nous deux, poursuit Denis Clavaizolle. Nous avons passé une vie ensemble, depuis 1985 et son appart' clermontois de la rue Jean-Lolagne. Je crois, ouais c'est ça, c'est une vie. C'est un deuxième couple, pas une vie de famille, mais de couple [] Cela dit, il m'a toujours laissé libre, aucun artiste n'aurait fait ça. Même pour Cheyenne Autumn , l'album qui déclenche tout, il n'y avait aucune restriction. Si tu vas en studio avec un autre, il te remet à ta place, te fais aller là où il veut; Jean-Louis, non, confiance totale et absolue ».

Et de poursuivre : « Tu vois, toujours sur Cheyenne , il y a la voix d'un bebé sur l'intro de Déjà deux siècles , c'est Yann, mon fils. Lors de la dernière tournée, je me retrouve à jouer avec les deux. Je me suis vu dans les yeux de mon fils, trente ou quarante ans plus tôt. Ils parlaient beaucoup tous les deux. Et tu vois, on faisait beaucoup de route bien sûr, en camion, il s'arrêtait toujours dans les stations pour acheter des trucs à mes petites filles. Et la voix de Sophie, ma fille, on l'a retrouve sur Au mont sans souci ». Une vie.

(*) Steve Crooper, guitariste, auteur-compositeur et producteur américain de soul, funk et rhythm and blues, connu principalement en tant que musicien de studio pour le label Stax, comme membre fondateur des groupes The Mar-Keys et Booker T. and the M.G.'s, et pour avoir participé aux Blues Brothers. Source wk.

- Article dans Télérama autour des livres : 25/05

 

Un an après sa mort, Jean-Louis Murat couvert d’hommages

Sébastien Porte

Accueil Musique Un an après sa mort, Jean-Louis Murat couvert d’hommages Trois livres, un coffret vinyle, un concert… marquent le premier anniversaire de la mort de l’artiste auvergnat. Lui qui, discret et frondeur, fuyait les honneurs, le voici célébré de belle manière.

Le chanteur Jean-Louis Murat est décédé à 71 ans, le 25 mai 2023. Ici, en 2015. Photo Frank Loriou/Agence VU

Pas sûr que le songwriter auvergnat aurait goûté cette pluie d’hommages. Lui qui était hostile à toute idée de livre écrit sur lui, de compilation – la première véritable est sortie le lendemain de sa mort –, et qu’agaçaient royalement les falbalas du showbiz, le voilà servi. Jean-Louis Murat, né Bergheaud en 1952, brutalement décédé chez lui, à Orcival (Puy-de-Dôme), le 25 mai 2023, se retrouve honoré par la parution de trois livres, plus un triple vinyle (Parfum d’acacia au jardin), plus un concert hommage ce soir même, à la Coopérative de Mai, dans son Clermont natal. Comme si, après Gainsbourg puis Bashung, c’était à son tour de connaître une forme de panthéonisation tacite, une reconnaissance après coup teintée d’une lucidité nouvelle à l’endroit de son œuvre. Comme si, dans la variété française, il accédait au statut de dernier , celui après qui tout s’arrêtera. Fantasme que l’intéressé lui-même semblait nourrir secrètement.

Trois livres, donc, aux formes et aux tons radicalement distincts. Celui signé Antoine Couder, producteur à France Culture, se présente comme une divagation réflexive brillante et erratique autour de la chanson Foule romaine (Le Moujik et sa femme, 2002). Ni analyse musicologique, ni mémoires de fan, il brasse, dans une belle langue, une foultitude d’idées sur l’homme de Douharesse, sa démarche de créateur, son érudition, l’écho de ses disques avec son propre parcours intime et avec leur époque. Ainsi, Foule romaine, pour Couder, incarnerait un moment de bascule dans l’industrie musicale, celui où l’on passe des tubes grand public à la jungle des plateformes et à l’écoute en ligne archipélisée. Le titre, pensé au départ comme un tube, ouvre une ère où le chanteur au regard bleu excellera ensuite dans l’exercice d’un magistère discret et frondeur. Figure intermédiaire entre populaire et branché. Mais toujours avec ce magnétisme paranormal qui attire les femmes et les effraie en même temps.

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Mort de Jean-Louis Murat, poète singulier de la chanson française

Pour Pierre Andrieu, dans Les jours du jaguar, comme pour beaucoup de muratiens, l’instant charnière se situerait plutôt dans l’album Mustango (1999), enregistré aux USA. Il inaugure un âge d’or dans la discographie de l’artiste qui dure, selon lui, jusqu’à Taormina (2006). Les guitares, dès lors, supplantent les synthés. Le musicien, ayant repris confiance au contact de ses pairs états-uniens – notamment Marc Ribot –, joue au guitar hero, synthétise l’Amérique rêvée avec le Massif central de ses racines. Et entre dans une phase de prodigieuse boulimie créative. Plus un jour ne passera sans qu’il écrive un bout de chanson. Il n’y a rien à jeter, tout est sensationnel , s’emballe Andrieu. Son livre, objet singulier aux entrées multiples, se veut une biographie subjective, centrée sur ce qu’il considère – avec raison – être le meilleur de Murat. Un bel ouvrage entrelaçant interviews de JLM , critiques de ses albums clés, chapitres thématisés (sur la mort, l’expression de la sexualité, le rapport au paysage…). Le tout étayé de photos, notamment d’avant la célébrité, et de précieux témoignages de ses proches : musiciens, ingénieur son, ex-compagnes, la réalisatrice Laetitia Masson, l’écrivain Éric Reinhardt… Touchantes lignes de la muse et manageuse Marie Audigier, soutien décisif dans l’éclosion de sa carrière, sur leurs années de bohème à La Bourboule, aux temps du groupe Clara.

Quant à Franck Vergeade, dans Le lien défait, il ne jure, lui, que par Dolorès (1996), son absolu chef-d’œuvre, une œuvre immense et indémodable dans la chanson française, un très grand disque de rupture sentimentale, de deuil amoureux et de spleen baudelairien – consécutif, en l’espèce, à la séparation d’avec Marie. Dans cette biographie de facture plus linéaire, l’auteur, journaliste aux Inrocks, raconte d’une plume sensible et affûtée son Murat, qu’il a personnellement bien connu. Il détaille avec tendresse et sans concession toutes les facettes de ce parolier lettré, dont le goût de la provocation n’était qu’une façade , la maison renfermant un Artiste dont le A majuscule tombe sous le sens. Et émaille son récit de citations savoureuses, glanées au fil de leurs entretiens complices. Échantillon : Être adoubé par un peuple qui ne voit que par Johnny Hallyday ou Patrick Bruel m’aurait sacrément embêté. La France reste le pays de la revanche des médiocres.

 

De médiocres, en tout cas, il n’y en aura guère dans l’aréopage qui prendra ce 25 mai le micro sur la scène de la Coopérative de Mai : Jeanne Cherhal, Laura Cahen, Alex Beaupain, Florent Marchet, Morgane Imbeaud (Cocoon) – mais aussi Nicola Sirkis, d’Indochine. Sous la direction musicale de Denis Clavaizolle, alter ego musical de Murat, fidèle d’entre les fidèles, chacun ira de sa reprise, conférant une résonance inédite aux textes du chanteur disparu. Médiocre, en revanche, aura été le choix de la mairie clermontoise dans sa décision de créer une rue Jean-Louis Murat sur son territoire : de cet amoureux des montagnes et de leur beauté archaïque, elle n’a pas trouvé mieux que de donner le nom à une voie située en pleine ZAC, à Tremonteix, au milieu d’habitations récentes. On entend le Brenoï (son surnom) grincer de là-haut.

Rédigé par Pierrot

Publié dans #2023 après

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