Philippe Barbot (suite): ses articles
Publié le 27 Avril 2015
Après vous avoir proposé l'interview de Philippe BARBOT (à lire ici) à l'occasion de la sortie de son dernier livre BACKSTAGE, j'ai pensé intéressant de publier ses articles sur Murat.
1) Philippe ne garde pas de souvenir de la première interview indiquée comme coréalisée avec Anne-Marie Paquotte (l'article de 1984 qui a tant compté pour Murat à lire ici). C'est peut-être qu'il n'a en fait écrit que l'intro où l'on reconnait son style. Voici donc la première page de l'article:
2) la première rencontre en Auvergne:
3) Rencontre pour LILITH en 2003
"Lilith", nouvel album de Jean-Louis Murat
"Je ne suis pas fanatique de l'espèce humaine, c'est vrai"
En vingt-cinq ans d'expérimentations musicales, le rebelle auvergnat a peaufiné un univers à part, ténébreux et bucolique. Rencontre à flanc de coteau avec un artisan de la chanson un peu ronchon, mais vachement attachant.
On dirait la chanson des Beatles The Fool on the hill... Du haut de son promontoire auvergnat, face à une chaîne de volcans éteints depuis des lustres et tout juste bons à illustrer la pub d'une eau minérale locale, Jean-Louis Murat regarde le monde tourner. Avec la commisération du sage et l'agacement du rebelle. Ça fait déjà près d'un quart de siècle que le pâtre bourru de la chanson française joue les francs-tireurs marginaux. Après des débuts obscurs, à la fin des années 70, dans un groupe de rock intitulé Clara, puis un baroud solo entre déconnade punk et manifeste nihiliste (Suicidez-vous le peuple est mort, son premier 45 tours en 1981, jamais réédité depuis), le voilà qui mène une carrière à la longévité insolente, prolixe et dolente à la fois, comme un Manset new wave ou un Neil Young hexagonal. Depuis Cheyenne Autumn, son premier « vrai » album, il y a quatorze ans, Jean-Louis Bergheaud alias Murat (le nom d'un village du coin) a multiplié les expériences. Musicales, de Dolorès, un album électronique et solitaire enregistré en chambre, au Moujik et sa femme, retour à l'épure cinglante du trio rock, en passant par Mustango, escapade américaine mêlant sons et images. Poétiques aussi : qui d'autre que ce maniaque de la stance qui balance aurait pu mettre en musique, avec clavecin, luth et viole de gambe de rigueur, les vers perdus d'une obscure poétesse du XVIIe siècle, Mme Deshoulières, en compagnie de l'actrice Isabelle Huppert ?
Bref, le Murat des champs est un animal malaisé à cerner. Un dahu insaisissable qui caracole avec la même aisance nonchalante des coteaux pierreux du rock'n'roll aux vallées austères de la chanson de geste, d'un duo avec Mylene Farmer à des hommages à Leonard Cohen et Joe Dassin, en passant par un groupe de copains de bistrot, les Rancheros. Un campagnard urbain, un citadin rustique qui a naguère consacré un site Internet entier aux vaches, ces doux ruminants qu'il affectionne particulièrement, et est capable d'interrompre une interview pour observer une armada de mammifères à cornes galopant à flanc de colline. « Des fois, une bête se fait piquer par un taon et c'est la panique dans tout le troupeau. Faut être vigilant... » Attablé au bord d'un lac montagnard, au-dessus de Clermont-Ferrand, à quelques encablures de la ferme restaurée dans laquelle il s'exile pour concocter chansons, peintures et confitures, Jean-Louis le candide grognon parle de son dernier album, un double CD intitulé Lilith. « Pas un double CD, un vrai triple album vinyle ! corrige l'esthète. Y en a pas eu beaucoup dans l'histoire du rock : Woodstock, Yes, George Harrison... En fait, je n'ai pas fait exprès : c'est seulement au mixage final que je me suis aperçu qu'il y avait vingt-trois morceaux qui tenaient debout. Alors j'ai tout gardé. »
Comme pour le précédent opus, Le Moujik et sa femme, Murat a conservé la formule, à la fois simple et efficace, du trio basse-guitare-batterie, tout juste épaulé par quelques cordes arrangées par Tindersticks, le buggle du jazzman Stéphane Belmondo et des choeurs signés Camille, China et Jule. L'oeuvre, à la fois sobre et lyrique, entre folk-rock courtois et ballades rauques, s'articule autour d'un personnage de femme, Lilith. La troisième muse du troubadour, après Vénus et Dolorès, titres de deux de ses anciens albums : « Lilith, c'est la première femme d'Adam, l'anti-Eve. Au départ, Dieu fabrique un homme et une femme à partir de la boue. Il fait Adam et Lilith, et ça tourne à la catastrophe, un véritable fiasco : Lilith est incontrôlable, elle fait les quatre cents coups... Alors Dieu recommence, il prend une côte d'Adam et il fabrique Eve. Voilà le symbole qui a conditionné toute notre société et illustre les problèmes actuels du statut de la femme : elle ne peut être l'égale de l'homme puisqu'elle a été fabriquée à partir de lui. Lilith, dans la tradition hébraïque, ainsi que tous les prénoms qui comportent un double - (Lola, Lolita, Liliane, Leïla, ou la Layla chantée par Clapton), c'est la femme maudite, la pute, la salope. En opposition à Eve, la sainte, qui représente les valeurs familiales chrétiennes. Lilith, c'est l'inspiratrice des poètes, aussi. On retrouve son image chez les romantiques, au XIXe siècle : la femme à chevelure noire, libre, indépendante, la sexualité incarnée. C'est pour ça que les féministes américaines ont choisi Lilith comme symbole. Est-ce qu'une femme doit être une Lilith ou une Eve ? Moi je préfère les Lilith... »
Jean-Louis Murat, ou le seul auteur français à oser articuler le mot « testostérone » dans un couplet, ou à caser « gastéropode, gentiane et Poulidor » dans la même strophe. Une écriture qui ne s'embarrasse plus ni de rime ni de métrique, qui ressemble à une éruption de mots, jetés pêle-mêle, têtes par-dessus culs, âpres comme certaines piquettes du cru, coupants comme de la roche volcanique. Quelque chose comme le croisement de Ronsard, de Villon, de La Fontaine, de Brel, de Céline, de Dylan.
Avec, en leitmotiv rituel, des allusions aux mondes végétal et animal, qui associent jaguar et réséda, épervier et dahlia, cormoran et rhubarbe, grive et salsifis... « C'est vrai, mes chansons ressemblent à la fois à des bestiaires et à des herbiers : il y a même une fille, sur un site Internet, qui s'est amusée à répertorier tous les noms de plantes ou des bestioles que je citais. L'écriture, c'est très mystérieux, ça me dépasse. Des fois, quand je corrigeais les textes sur la pochette de l'album, je me disais mais merde, où es-tu allé chercher tout ça, toi ? Pourtant, je me sens de plus en plus à l'aise dans l'univers poétique ; ça me paraît infini, j'ai l'impression de faire mes premiers pas. »
Dans son antre bougnat haut perché, à des kilomètres du premier bistrot, entre collection de socs de charrue et home-studio boisé décoré de guitares (il en possède trente-six), Murat se réveille chaque matin et, spartiate, se colle au boulot : peinture, écriture de poèmes, de chansons, un exercice quotidien qui lui sert, assure-t-il, d'échauffement quasi métaphysique. L'homme écrit debout, comme d'autres jouent du piano, il a même une théorie là-dessus, à propos de cette créative station verticale : « Flaubert écrivait debout, paraît-il. Je me suis rendu compte que les chansons écrites dans la position assise passaient moins bien quand je les chantais debout sur scène. Il y a une façon de porter la voix qui est différente. Quand tu es debout, tu chantes beaucoup moins pour toi. Maintenant, quand j'écoute n'importe quel disque, je suis capable de reconnaître si la chanson a été écrite assis : ça pue la chaise... »
L'artiste peint, donc. Des kilomètres de toile, paraît-il, mais qu'il conserve farouchement hors de la vue des importuns, rejoignant ainsi involontairement la confrérie des musiciens barbouilleurs, de Captain Beefheart à Nino Ferrer, en passant par Manset et Bowie.
« La peinture m'intéresse, au moins autant que la musique, mais c'est à usage perso. Je ne suis pas un peintre, je peins, c'est tout. De même, je fais du vélo, mais pas le Tour de France. La peinture m'aide beaucoup pour la musique. On se voit de l'intérieur, on voit ses défauts, ce qu'on vaut. Quand je regarde mes toiles, je vois comment je fais des chansons. C'est comme une partition. Et puis la chanson est un métier de branleur, faut bien que je fasse d'autres trucs. »
Faire de la chanson son métier, à en croire Murat, c'est aussi dépassé que vouloir être savetier ou rémouleur. Un boulot désuet, un artisanat ingrat, voué à la disparition. Ça le fait râler, le Jean-Louis. Avec ce mélange d'analyse judicieuse et de mauvaise foi patentée qui fait, entre autres, son charme pervers... « Je crois qu'il y aura encore deux ou trois générations de chanteurs français et que ce sera terminé. La fête est finie, on n'existe quasiment plus. On est en roue libre, y a plus personne qui pédale. On va se diluer dans l'Europe, il n'y aura plus que de la chanson folklorique ou de la musique industrielle, de la variété internationale, de préférence anglo-saxonne. Moi je me sens un peu l'éboueur de la chanson, je ramasse tous les restes, je récupère. Je pille l'épave, le site archéologique. Je me vois comme une sorte d'ethnologue, de géologue, d'historien. Nous sommes dans un pays qui se déclare antiaméricain tout en bouffant de la sous-culture américaine jour et nuit. Et dont la plus pâle imitation est Johnny Hallyday. Je veux bien reconnaître qu'il a du talent, qu'il chante bien, mais c'est comme si Chaliapine n'avait interprété que la Danse des canards ou Rubinstein joué Oxygène de Jean-Michel Jarre pendant soixante ans. Et on pense défendre l'exception culturelle en aimant Johnny Hallyday ! Notre pays est un peu fou, il a besoin d'un psy. Quand on fait une activité artistique, on ne sait plus où se situer. Moi, je ne comprends rien. Je ne sais pas ce que veulent les gens, ce qu'ils ont envie d'entendre. Peut-être des trucs qu'ils ne comprennent pas. Ou qui ne disent rien. Ça nous pénalise beaucoup, nous les chanteurs français. Par exemple, il faudrait que je vende deux cent mille albums pour gagner mon indépendance. Là, je fonctionne à perte. C'est ce que dit le patron de ma maison de disques : "Toi, tu feras comme Van Gogh, tu rapporteras quand tu seras mort." »
Jean-Louis Murat a la réputation, dans le métier, comme on dit, d'être un sacré emmerdeur. Un empêcheur de marketer tranquille. Quand on lui reproche d'y aller un peu fort, de manquer de diplomatie, de ne ménager ni la chèvre ni le chou mais de les bouffer tout cru, lui, le fan de Dylan et de Neil Young, a une réponse toute prête : « S'exprimer comme ça, ça fait partie de la musique que j'aime. Le rock'n'roll, c'est le contraire du politiquement correct. C'est comme balancer un larsen. Jouer avec la saturation, ça suppose un certain comportement, un certain caractère, donc un certain franc-parler. Le rock est une musique de la franchise, pas de faux cul. C'est pour ça que c'est immortel. Pas comme la variété... On me dit souvent que je suis méchant et misanthrope, mais c'est faux. Y a pas plus gentil que moi, je suis même un vrai nigaud. Je ne suis pas fanatique de l'espèce humaine, c'est vrai, mais j'en aime quand même une bonne moitié : tout ce qui est féminin... ».
Philippe Barbot
4) La rencontre Murat/Wyatt retranscrite ci-dessous (Barbot consacre un chapitre de son livre à cet épisode et à Wyatt en particulier):
http://disco-robertwyatt.com/images/Robert/interviews/Telerama1997/index.htm
5) Le bougon fécond, critique de Parfum d'acacia (à lire dans l'interview)
6) A bird on a poire:
7) Mockba 1 CD Labels n°2882 2005
« J'écris une chanson tous les matins en me levant. » On peut penser ce qu'on veut de Murat, mais pas le taxer de vantardise. La preuve, l'effarante prolixité de l'Auvergnat boulimique, qui enchaîne avec un dédain superbe pour les us et coutumes commerciaux disques, livres et DVD. Pour tenter de résumer, quelques mois après un disque solo, un autre en duo avec Jennifer Charles, un DVD d'inédits et un bouquin de photos, revoilà le pâtre bougnat avec une cargaison de projets dans sa besace. Un nouvel album, d'abord, baptisé MOCKBA (Moscou) et qui, malgré son titre, n'est nullement la suite du Moujik et sa femme. Plutôt un disque au charme slave et suave, où les acolytes habituels du chanteur, le bassiste Fred Jimenez et le batteur Stéphane Reynaud, partagent l'espace sonore avec des pépiements d'oiseaux, de magnifiques arrangements de cordes, et la présence de Carla Bruni et de Camille pour deux duos gais et délicats.
On y retrouve, sous une pochette au goût discutable (Murat barbu et yeux bandés, entre colin-maillard et peloton d'exécution), la propension de l'olibrius à la pop douce-amère, ses halètements au vibrato caressant et à la diction ouatée, et ses textes chantournés célébrant des amours courtoises mais crues. Parmi eux, trois textes empruntés à Pierre-Jean de Béranger, poète et chansonnier parisien du XIXe siècle, à qui Murat consacre par ailleurs un autre CD, intitulé 1829, onze poèmes mis en musique. Comme si ça ne suffisait pas, l'insatiable JLM publie également un bouquin de dessins et poèmes, annotés et illustrés, avec un DVD et un CD encartés, le tout intitulé 1451 et narrant les processus de création de l'ermite de la Croix-Morand. Qui est actuellement en tournée. « C'est comment qu'on freine ? » demandait jadis Bashung. « Suffit d'accélérer », répond Murat.
Philippe Barbot
8) Et le dossier MURAT, avec la couverture (cf l'interview de P. Barbot). Carte blanche Juillet 2005... Je vous mets les trucs principaux :
JEAN-LOUIS MURAT
Autoportrait
L'artiste à travers ses doubles
Roger-Viollet Le maréchal Murat qui a inspiré au poète son pseudonyme.
"Une sorte de Ziggy Stardust napoléonien, de cow-boy impérial, avec un look spectaculaire, toujours entre femmes et festins."
Le brigand, le guerrier et le champion cycliste
J'ai toujours été fasciné par l'univers des chevaux, de la chevalerie. Western, cape et épée... Une passion qui me vient de ma petite enfance. Je suis persuadé qu'on n'échappe pas à sa préhistoire, ce quelque chose d'enfoui, d'avant soi, insaisissable, étrange. J'ai été élevé chez mes grands-parents en Auvergne, entre deux restes de châteaux forts, on prétendait même qu'un mystérieux souterrain les reliait. Aujourd'hui encore, ce qui m'intéresse, c'est ce qu'il y a en dessous, ce qui est enfoui, les cavités, les sources. Sans le savoir, on piétine peut-être des milliers de Lascaux ou de chapelles Sixtine...
Aymerigot Marchez le brigand légendaire
Ma grand-mère était un peu sorcière, elle connaissait des incantations secrètes pour arrêter les orages ou les incendies, elle disait qu'elle avait rencontré le Diable. Dans le village où je passais mes vacances, on racontait qu'un brigand légendaire, une sorte de Robin des bois local nommé Aymerigot Marchez, avait jadis enterré un trésor. Tous les étés, avec les copains, on allait à la recherche de ce trésor caché. J'ai grandi dans cette ambiance de mystère et d'aventure. Aujourd'hui encore, elle m'accompagne et m'inspire.
Quand j'ai enregistré mon premier 45 tours, Suicidez-vous, le peuple est mort, en 1981, la maison de disques m'a demandé sous quel nom elle devait le publier. J'ai répondu que je voulais m'appeler Aymerigot Marchez, le brigand de mon enfance. Evidemment, ça m'a été refusé... Alors j'ai choisi le pseudonyme de Murat, à cause d'un village auvergnat, mais surtout du maréchal d'Empire.
Joachim Murat le guerrier élégant
Un sacré personnage : grand, 1,81 mètre, beau, brun aux yeux bleus. Un voyou à la malice gasconne, mais surtout un guerrier extraordinaire, élégant, arrogant, une sorte de Ziggy Stardust napoléonien, de cow-boy impérial, avec un look spectaculaire, toujours entre femmes et festins. On raconte que sur les champs de bataille il se faisait suivre par une caravane de chariots remplis de fringues. Lorsqu'il est entré à Rome, il s'était fait confectionner un costume délirant, à l'orientale, avec des plumes et des dorures, qui avait nécessité le travail de cinquante couturières. Il pouvait changer de costume deux ou trois fois au cours d'un même combat. On s'arrêtait pour le regarder passer... Ce qui ne l'empêchait pas de se trouver toujours au coeur de l'action, là où ça chauffait le plus. Sabre au clair, il a participé à toutes les campagnes napoléoniennes, Italie, Egypte, Allemagne, Russie. Joachim Murat était le meilleur cavalier de son temps, descendant des Mourads, les guerriers arrêtés à Poitiers par Charles Martel. Ça ne l'a pas empêché de se laisser manipuler par son épouse, la très belle et très ambitieuse Caroline, soeur de Bonaparte, qui refusait de se contenter du royaume de Naples. D'où ses divers ralliements et trahisons, entre Napoléon et Louis XVIII, qui ont fini par provoquer sa perte. Lorsqu'il est mort, fusillé en Calabre en 1815, il a dirigé lui-même le peloton d'exécution. Un moment, il avait pensé se réfugier en Amérique pour s'y tailler un royaume : Murat, roi de Californie, ça aurait eu de l'allure...
Jean-Louis Bergheaud l'autodidacte dangereux
Donc, je m'appelle Jean-Louis Murat. Pour l'état civil, c'est Bergheaud. J'avais un ancêtre, un héros de la famille, qui était un zouave de la guerre de 14-18, un héros ultra décoré. Mais je ne sais toujours pas qui je suis vraiment. Pas étonnant que les gens aient du mal à m'appréhender. J'ai la réputation de quelqu'un de dangereux, une sorte de misanthrope parano qui dit du mal de tout le monde. En fait, je suis atteint de schizophrénie productive. Je suis aliéné à ma langue, façonné par ma culture. J'aime les formules assassines, j'essaie de faire preuve de créativité langagière, que ce soit dans mes chansons ou dans mes interviews. Pour un bon mot, je suis prêt à déclencher une guerre mondiale ! Ma machine inconsciente crache des mots et n'a aucune limite, je suis capable de dire des trucs effroyables. La dimension morale de la langue m'échappe complètement. Je ne suis ni sévère, ni jaloux, ni amer, juste un autodidacte qui pense que les choses doivent être dites. J'ai toujours voulu être poète. La poésie, c'est typiquement incorrect. Baudelaire, Rabelais sont des auteurs incorrects. La poésie, c'est faire cracher toute sa beauté au Mal. Mais aujourd'hui, elle est devenue une langue étrangère perçue par une minorité, comme le patois auvergnat de mon enfance. Le travers majeur de l'époque, c'est qu'il faut toujours montrer une belle âme, être poli, bien-pensant. Par exemple, on ne peut plus faire le bègue ou prendre l'accent africain sans se faire taxer d'ignoble raciste. En fait, ce sont les âmes laides qui dirigent le monde, en se faisant passer pour de nobles coeurs. Comme tout le monde, j'ai une face sombre, au moins 50 % de mon individu, mais je ne cherche pas à la dissimuler.
Lance Armstrong le chevalier du Tour
J'ai du mal à me situer dans ce qu'on appelle le monde de la chanson. Elle ne fonctionne, comme le cinéma, que sur la nostalgie collective. Les Choristes, Amélie Poulain ou le jazz manouche, c'est la même imposture. Pour moi, le grand art en chanson serait de ne pas écrire pour les esprits fins et délicats. Je me sens plus brutal que délicat. La finalité de mon job de chanteur, c'est d'être populaire. Je me sens en porte-à-faux avec ça. Je ne suis pas démocrate, je ne crois pas à un collectif de la médiocrité. Je suis persuadé que si l'on se laisse aller à la facilité, il faudra tôt ou tard en payer le prix. Le plus grand laisser-aller que je m'autorise, c'est, parfois, d'être obscur. Mais, je crois que c'est Nietzsche qui a dit ça, un esprit de premier ordre ne doit jamais avoir peur d'être ennuyeux.
Pour moi, vivre, c'est écrire. J'écris par volonté de rejeter le plus loin possible tout ce qui veut mourir en moi. Je hais les forces de mort partout en action. Le seul remède pour moi, c'est d'être excessif, de faire de l'excès un art de vivre, un combat contre les faux-semblants et l'hypocrisie. J'ai la nostalgie d'un temps où l'on se battait pour l'honneur. Aujourd'hui, quelqu'un comme Lance Armstrong personnifie ces valeurs, courage, droiture, bravoure. Rien que son prénom, Lance, évoque l'époque de la chevalerie. Quand il chevauche son vélo, on dirait Lancelot dans les Pyrénées. Une véritable épopée. Deux siècles après Joachim Murat, il est l'un des derniers guerriers.
Propos recueillis Philippe Barbot
Télérama n° 2896 - 14 juillet 2005
9) 2006 Taormina :
23 août 2006
Têtes de mules
Murat et Miossec : les deux ombrageux sortent chacun un album. L’un décline sa mélancolie suave, l’autre égrène ses amours en rade. Et ils persistent…
Soit deux personnages de la chanson d’ici, « indés » comme on dit, c’est-à-dire peu dépendants des modes et des courants, des ventes et des vents, des parades et du paraître. Deux artistes dissemblables, plus cousins ennemis que frangins complices, mais liés par la même impérieuse nécessité : se raconter sans compter, se mettre à nu sans se dévoiler, désabusés sans abus, passionnés et patients. Chantres du vague à l’âme et de l’alarme qui divague, baladins de l’amour vache, vain, parfois vil. Arpentant aussi les mêmes terres désolées mais fertiles, les mêmes bocages musicaux, poussière blues et herbes folk, ornières rock aux buissons épineux. Jean-Louis Murat et Christophe Miossec, le Bougnat et le Brestois, têtes de mules lyriques et artisans à la pudeur impie, publient donc, à une semaine d’intervalle, leurs nouveaux albums respectifs. Taormina pour le premier, adepte des noms de femmes ou de lieux (Dolores, Vénus, Lilith, Polly Jean, Croix-Morand, Moscou), L’Etreinte pour le second, spécialiste de la sémantique laconique (Boire, Baiser, Brûle, A prendre).
Cimes et sentiers pierreux pour l’Auvergnat misanthrope, comptoirs et récifs écumants pour le Breton noctambule. Tous deux s’exprimant à la première personne du singulier (je), pour s’adresser à une personne singulière (tu), amoureux courtois ou amant courtaud. « Ne pleure pas, je t’aime », dit l’un ; « Je ne pleure pas, aime-moi », implore l’autre. Miossat et Murec, parfois emmêlés, jamais confondus. Taormina, donc, cité balnéaire sicilienne choisie comme emblème du quinzième album (avec les live mais sans compter DVD et premiers enregistrements « reniés ») d’un Murat prolixe et ombrageux. Paysage accueillant et désormais familier d’un folk-rock aux accents de Neil Young, sculpté par les fidèles Fred Jimenez (basse) et Stéphane Reynaud (batterie), avec un Jean-Louis à la sobre efficacité guitaristique. Des chœurs féminins parfois, pour appuyer cette voix au suave trémolo chuchotant, diapason de séducteur caressant à l’élégance dionysiaque. « Tout ce qui mène au tombeau ici-bas devient beau et fait la mélancolie des gens de mon pays », scande un Murat plus mutin que morose, à la langue toujours aussi chantournée. « La mélancolie c’est communiste, tout le monde y a droit de temps en temps », réplique Miossec dans L’Etreinte, son sixième album. Qui se distingue par ses cordes, ses bois, enregistrés sous la houlette de Jean-Louis Pierot (Valentins), avec la participation du groupe belge Zita Swoon et de Gérard Jouannest, pianiste, compositeur et ancien accompagnateur de Brel. Avec, immuable quoique aguerrie, cette voix un peu pâteuse, à la diction chantonnée et à la poésie délicatement crue, aux mots fouettés par les embruns, aux mélodies parfois atonales mais irrésistiblement attachantes. Et ce personnage d’amoureux repenti et penaud, qui a oublié de payer la Facture d’électricité mais ne renie pas ses crimes et ne « chipote pas sur le châtiment », dédie une ode à sa maman et affirme qu’on peut tout faire et tout dire le temps d’une chanson.
Pas question ici d’improbable match entre un Ronsard terrien et un Bukowski marin. Plutôt d’heureuses similitudes, malgré les dix ans d’âge et les divers paysages qui séparent Jean-Louis Murat de Christophe Miossec. Au hasard des titres (L’Heure du berger pour l’un, Le Loup dans la bergerie pour l’autre) et des dédicaces où tous deux sacrifient à la fibre paternelle (Caillou pour Jean-Louis, Bonhomme pour Christophe). A chacun la manière de faire et défaire l’amour (Est-ce bien l’amour ? s’interroge l’un, « L’amour, c’est plus lourd que l’air » répond l’autre ), de se « démarier » (Murat) ou d’y « laisser sa peau » (Miossec). Dans le disque de Miossec, il y a une chanson qui s’intitule La Grande Marée. A la fin de celui de Murat, on entend des vagues et des mouettes. Comme deux pêcheurs lançant inlassablement leurs filets, deux pécheurs qui ont choisi de ne jamais se défiler.
Philippe Barbot
- Fin de l'épisode de TELERAMA...
10) On retrouve ensuite P. Barbot en maitre de cérémonie pour deux FORUMS FNAC parisiens (il en existe des enregistrements pirates)... et à la rédaction du texte promo du cours ordinaire des choses et de Grand Lièvre (à lire ici).
Sur le COURS ORDINAIRE DES CHOSES:
« I love songs ! » Cette enthousiaste exclamation a jailli de la bouche de chacun des musiciens qui ont participé au nouvel album de Jean-Louis Murat. Des musiciens qui en ont pourtant vu et entendu bien d’autres, car à Nashville, Tennessee, la cité où le moindre chauffeur de taxi a déjà enregistré au moins deux disques, la musique, c’est peu de dire qu’on connaît. « I love songs … » A peine revenu de là bas, il en est encore tout retourné, Jean Louis Murat. Comme il dit, « je me suis senti comme un poisson dans l’eau, j’ai su dès les premiers jours que j’étais au cœur du sujet : l’amour des chansons. »
Un bougnat chez les cow-boys ? Mais qu’allait donc faire notre trouvère auvergnat dans la patrie de la country music ? Assouvir un fantasme, se frotter à la mythologie, effectuer une sorte de pèlerinage obligatoire, de retour à la source d’émotions adolescentes qui, affirme t-il, ont donné un sens à sa vocation de chanteur et musicien. « Bizarrement, je n’ai jamais été un grand fan de country music, avoue Jean-Louis, mais ça fait une bonne dizaine d’années que j’avais cette envie là : enregistrer à Nashville ».
La décision a été prise en quelques semaines, presque par hasard, résultat d’un coup de fil fortuit avec son fidèle ingénieur du son, Christophe Dupouy. Pas le temps de tergiverser ni de peaufiner, voilà Jean-Louis débarquant au studio Ocean Way, celui de Willie Nelson, Robert Plant ou The Raconteurs, avec une douzaine de chansons en poche. « Je les ai jouées aux musiciens, juste guitare-voix, avec un petit métronome, et tout s’est enchaîné simplement ». Le résultat ? Rien à voir avec Jean-Louis Murat endossant la défroque de Johnny Cash ou de Tony Joe White. Si slide guitar et bottleneck habillent la plupart des chansons, on y retrouve, intacte et comme transcendée par ce nouvel équipage, la veine lyrique du créateur de « Fort Alamo » ou du « Cri du papillon ». Onze odes muratiennes à l’intemporalité frémissante et aux stances fulgurantes, entremêlant amours courtoises et émois organiques, lumières ombrageuses et nuits pyromanes, flammes et glaces, chaud et froid, anciens et modernes, cœur, chair et âme à l’unisson vibrante.
A l’image du premier extrait, « Comme un incendie », brulôt aux envolées guitaristiques incandescentes, dont le refrain donne son titre à l’album, « Le cours ordinaire des choses ». Explication du responsable : « C’est ma façon de signifier que tout me paraît ahurissant »
« Chanter est ma façon d’errer » informe ailleurs Jean-Louis Murat, entre héritage classique et vagabondage novateur, au diapason d’une « Mésange bleue » qui fera, on prend date, partie des futurs fleurons du loustic. Errer, entre hasard et erreur, plus « M Maudit » que chevalier à la triste figure. Murat maudit, Murat bénit, mais jamais oui-oui. Priant Sainte Taïga (« donne nous la sève, donne nous la joie »), vision d’un Far East disparu, ou s’apitoyant sur « Lady of Orcival », immuable icône de pierre ornant la basilique de son terroir, avec la ferveur d’un mécréant mystique.
Nashville oblige, le disque est aussi lardé de fantaisies caracolantes (« Comme un cow boy à l’âme fresh » et son fiddle endiablé), ou roucoulantes (« Falling in love again », espiègle mais respectueux clin d’œil à Elvis), gratinées (« 16 h, qu’est ce que tu fais ») ou satinées (« La Tige d’or », métaphore sexuelle que n’aurait reniée ni Ronsard ni Eluard). Sans oublier « Ginette Ramade », drame paysan aux faux airs du « Marie Jeanne » de Dassin, mixé avec la voix d’une prédicatrice locale.
Le tout porté par l’enthousiasme des musiciens du cru, cordes et frettes en goguette, loin des clichés réducteurs du genre, et illuminé des épousailles vocales avec la choriste Cherie Oakley. Un disque, malgré son titre, peu ordinaire et résolument à part dans l’œuvre du barde prolixe. Un disque qui donne envie de s’exclamer, tout comme les gaillards de Nashville, là bas dans le Tennessee : « I love songs ! »
On participé à l’enregistrement en février 2009 : Ilya Toshinskiy (guitare acoustique, mandoline, banjo), Dan Dugmore (guitare électrique, pedal steel, steel guitar), John N. Hobbs (piano, B3, wurlitzer, rhodes), Cherie Oakley (choeurs), Shannon Forrest (batterie, percussions), Eddie Bayers (batterie, percussions),Mike Brignardello (basse), Michael Rhodes (basse), Carl Marsh (arrangements cordes), Larry Franklin(violon)...
Ces musiciens exceptionnels ont travaillé notamment avec Linda Ronstadt, James Taylor, Crosby Stills Nash and Young, Alison Krauss, Taylor Swift, Willie Nelson, Jerry Garcia, John Fogerty, Roy Orbison, Dolly Parton, Randy Travis, Lynyrd Skynyrd, R.E.M, Al Green, Dusty Springfield, etc.
Un DVD de 45 mn « Falling in love again », documentaire-fiction de Laetitia Masson, tourné à Nashville pendant l’enregistrement et à Paris, avec Elsa Zylberstein, accompagne le disque dans l’édition limitée en digipack.
Open disc sur l’édition standard et sur l’édition limitée : 2 titres inédits + des bonus exclusifs
Application i-phone à télécharger gratuitement à partir du 21 septembre
« Le Cours Ordinaire Des Choses »
11) Voici enfin en pdf une ultime interview de 2011 pour le compte de ROLLING STONE. fichiers en pdf: