« Porter ce qu’on aime et l’offrir aux autres » :  la médiathèque imaginaire de Jean-Louis Murat (Rosny-sous-Bois, 16 avril 2022)

Publié le 25 Avril 2022

Sur ce blog, il y a une catégorie d'articles, que l'on peut retrouver dans la colonne à droite,  qui s'appelle "le goût de qui vous savez"... Elle était nécessaire car il est habituel que Jean-Louis Murat  partage ses coups de cœur quand on l'y invite, et pas seulement. Même s'il fait parfois le fanfaron en laissant penser qu'il démolit tout, il est plus juste peut-être de croire qu'il lit TOUT, écoute TOUT, sans oublier de plonger son oeil et ses mains sur la peinture ou son esprit dans la philosophie. En la matière, c'est aussi un OGRE. Après une discussion sur le cinéma au Toboggan de Décines, juste avant d'enregistrer le live "innamorato", en 2018, et auparavant des rencontres FNAC, des multiples articles dans lesquels on demande à Jean-Louis Murat ses coups de cœur dans les divers arts,  et des promos dans lesquelles il glisse les auteurs ou chanteurs qui l'ont accompagné durant la période de création,  voici donc un reportage de Florence D. sur une nouvelle occasion qui nous était offerte d'entendre Jean-Louis Murat nous parler de culture. C'était à l'invitation de la médiathèque ARAGON à Rosny, sise au côté  du théâtre où il allait jouer deux heures plus tard. 

« Porter ce qu’on aime et l’offrir aux autres » : 

la médiathèque imaginaire de Jean-Louis Murat (Rosny-sous-Bois, 16 avril 2022)

 

Même pour une familière de la petite couronne parisienne, l’arrivée à Rosny-sous-Bois peut paraître un peu décourageante. Pourtant, passés les ronds-points de la zone commerciale, le pont sur l’autoroute, et une entrée sous une barre d’immeubles, on se retrouve dans une cour intérieure, îlot vivant et serein : vaste dalle où des espaces fleuris mettent une touche printanière, notes échappées d’une fenêtre, baigneuses sortant de la piscine, et porte vitrée de la médiathèque, juste au-dessus du théâtre - on y entendait dans l’après-midi les répétitions pour le concert de ce soir. 

Nous, c’est La Vraie Vie de Buck John qui nous accueille, diffusée par les haut-parleurs, alors que les bibliothécaires nous incitent à commencer à déambuler en attendant l’invité du jour - lequel sitôt arrivé, accompagné de Jocelyne,  se trouve embarrassé de s’entendre. La musique est coupée, on lui offre un café qu’il laissera refroidir, et la séance commence. Le charme opère immédiatement, sur un public acquis d’avance : même Arno Cayotte, le bibliothécaire qui anime la rencontre, se présente d’emblée comme un fan, que Murat accompagne depuis 1991. 

 

On commence dans la section jeunesse, colorée et lumineuse, avec sa grande baie vitrée qui ouvre sur un coin d’herbe. Questions sur le rapport aux bibliothèques et aux livres, sur les liens entre littérature et chanson. Murat raconte : enfant issu d’un milieu populaire, il n’avait pas de livre à la maison, et a beaucoup fréquenté la bibliothèque de La Bourboule. Depuis longtemps il vit dans les livres : jeune homme, il s’est constitué une première bibliothèque, disparue, dilapidée par un héroïnomane, aujourd’hui les livres envahissent sa maison, colonisent une pièce après l’autre. Il rappelle aussi que son ex-femme a ouvert une librairie (le formidable tiers-lieu Les Vinzelles à Volvic). 

Sur le rapport entre ses lectures et les chansons, il se fait modeste. Il dit passer l’essentiel de son temps à lire ou à écrire, mais si l’univers des chansons peut avoir un « relent poétique », « globalement c’est de la blague » lance-t-il. Il présente plutôt ses lectures et la constitution de sa bibliothèque comme une façon de poursuivre ses études. Et éludera soigneusement la question sur un éventuel projet d’écriture romanesque.

« Ma bibliothèque, conclut-il : ce sera sans doute ce que j’ai fait de mieux » ; et, clin d’œil à l’espace où se déroule cette conversation : « j’ai une mission, comme Dora. » 

Ce sera la seule référence à l’espace dans lequel nous nous trouvons – avec le Mortelle Adèle qu’il a feuilleté à son arrivée. Immédiatement se dessine ce qui sera la joie et la limite de cette rencontre. Murat qui sait si bien parler de ce qu’il aime, rendre curieux d’une œuvre, d’un auteur, s’en tiendra à des généralités sur son rapport à l’écrit : son intimité avec les livres, l’importance de la transmission…  Introduction extrêmement plaisante, souvent drôle, parfois touchante, mais qui fait rêver d’une deuxième partie où il aurait sorti des ouvrages des étagères pour partager ses goûts et ses enthousiasmes, ou même, pourquoi pas, nous aurait lu des passages à voix haute puisqu’il raconte que c’est un de ses exercices favoris.

Arno Cayotte nous invite à passer dans « l’espace adultes » (frissons dans l’assemblée), et on aborde plus précisément ses auteurs et ouvrages de prédilection. « A mon âge, on lit et relit les classiques », dit Murat, qui a toujours sur son bureau L’Iliade, L’Odyssée ou les Pensées de Pascal. Il nomme Montaigne, Tchékhov, et bien sûr, Proust et la Recherche, lue en sept ans puis partiellement relue. Tout en parlant, il parcourt les rayons, s’arrête sur des titres séduisants, s’émeut des voisinages auxquels contraint le classement : Cervantès et Borges, très bien ! En revanche Will Self et Shakespeare, pas question : jamais ces deux-là ne feront de petits, et il ne manquerait plus que Will Self se croie au niveau de son illustre voisin !  Illico il les sépare. Le principe de classement chez lui ? Avant tout, éviter les compagnonnages contre-nature : « Il faudrait inventer un classement par lequel les livres pourraient se reproduire », s’amuse-t-il. Lui leur parle, à ses livres, les bichonne, répare ceux qu’il achète en mauvais état, et surtout s’excuse s’il leur a imposé un voisin mal assorti.

Nous rions, ravis, mais il est aussi très touchant de voir ainsi formulé ce qui habite beaucoup de lecteurs : la présence familière des livres, cette relation d’intimité avec eux et leurs auteurs, et un amour qui nécessairement se partage : porter ce qu’on aime et l’offrir aux autres, dit Murat. Alors tout le monde n’ose pas, comme lui, se lancer dans la lecture de quelques pages quand l’apéro bat son plein, mais il nous dit bien là la joie à transmettre et le délice qu’est la lecture à voix haute, même quand on a beaucoup grandi et que l’on n’a plus droit, depuis longtemps, à l’histoire du soir. 

Sur l’histoire du soir, justement, il développe longuement la façon de transmettre à ses enfants le goût de la lecture, et l’exigence. Il dit avoir lu tout ce qui passait entre leurs mains, pour éviter des romans jeunesse mauvais ou médiocres, achetés ou offerts trop vite. Il n’hésite pas non plus devant le difficile ou très difficile, racontant qu’il a lu un peu chaque soir à ses enfants encore petits Une enfance de Jésus de J.M. Coetzee, prix Nobel de littérature en 2003. Il revient aux classiques, racontant sa méthode pour leur faire découvrir les Fables de La Fontaine, dans un joli cheminement pédagogique, depuis le récit pour enfant de cinq ans jusqu’à la lecture avec la prononciation du 17ème siècle…

 

Bon, c’est Jean-Louis Murat, alors inévitablement il lance aussi quelques vacheries. Au rayon presse, sur le peu d’estime qu’il a pour les journalistes, bien qu’il les lise très régulièrement, et surtout « ceux du bord opposé » (il serait donc lui-même d’un certain bord ?), l’essentiel restant de "penser contre soi-même" comme il l'a déjà dit à plusieurs reprises. Sur la BD aussi ; sans partager le mépris qu’il manifeste, on goûtera son sens de la formule lorsqu’il la qualifie de « culture pour les nigauds », « marche pour les claudicants » (« Oui, c’est vrai, je suis réac », reconnaît-il.)

 

On le préfère dans ses admirations. Pour Berthe Morisot croisée au détour d’une allée : il raconte qu’elle a toujours les yeux sur lui dans son studio d’enregistrement, où il a affiché un de ses portraits. Il en parle avec affection, de cette grande peintre, un peu oie blanche dit-il aussi, entre les frères Manet... Même tendresse pour Madame Deshoulières, rencontrée au marché aux puces, et devenue son « Antoinette », qu’il a contribué à refaire découvrir. Exclamation devant un ouvrage de Mona Ozouf, aveu de son admiration qui l’a empêché de l’aborder lors d’une séance de dédicace, comme avec Tony Joe White, ou Anne Sylvestre - émotion redoublée du fait qu’il lui trouve la voix de Suzanne Flon dans Un singe en hiver.

Elles passent vite ces 45 minutes en compagnie de cet homme si curieux. Interrogé sur ses voyages, il dit qu’il cherche avant tout à aller là où ont eu lieu des événements qui l’intéressent, où ont vécu des écrivains et artistes. Il clame une fois encore son amour pour la Grèce (« Ah ! Mourir à Delphes ! »), et rêve d’aller à Sils Maria, dans le Sud-Est de la Suisse, lieu de villégiature, entre autres, de Nietzsche, Thomas Mann ou Marcel Proust. Les tournées, malgré un rythme qu’on imagine fatigant, sont aussi l’occasion de découvertes : il s’enthousiasme pour le musée de Bourgoin-Jallieu, visité avec Jocelyne à l’occasion du concert de la veille, sourit aux souvenirs de déambulations nocturnes dans les musées, précieux privilèges qu’a pu lui apporter sa propre notoriété ou celle d’Isabelle Huppert… Gourmandise et générosité, donc, et si je ronchonne un peu après coup, ce n’est pas que Pierrot a une mauvaise influence (encore que…), mais que ce moment invite à en vouloir plus, soulève des questions notamment sur son rapport à la création contemporaine, suscite le désir de le voir pleinement dans ce rôle de passeur…  Ou de s’interroger sur les livres qu’il a cités ailleurs comme sources d’inspiration. Mais cela, ce sera pour le prochain épisode.

                                                                         f.

                                                                                                 
 

 

 

Merci! Merci beaucoup Florence ! Tu gagnes tes galons de "reporter à  veste multipoches'! 

J'ai particulièrement apprécié les éléments sur le  rapport physique de Jean-Louis Bergheaud à ses livres. En autodidacte, il se constitue littéralement un corp-us.

Même s'il n'est bien sûr pas rare que l'ultra-sensibilité d'un A.C.I.  l'amène à se faire séduire par toutes les muses qui passent, entre autres choses,  à la lecture de cet article,  voici deux réflexions :

Murat dans un ciné club  va transpirer le 7e art; dans une bibliothèque, ne sembler respirer que pour la littérature, et invité chez Lenoir ou Zégut, c’est toute sa vitalité qui s’incarne dans la musique, et il s’affirmera avant tout musicien...  Entier.  Ce n'est pas un jeu ou une posture, juste la passion et la sensibilité.

- Dans cette passion, on discerne également sa modestie concernant son artisanat (même s'il pense qu'il n'y a pas de concours, et que c'est le MOF du PMF*), par rapport aux autres arts "majeurs". Même si 1451, même si Bob Dylan, on attend toujours qu'il ose franchir le pas d'avoir de "la suite dans les idées" (pour reprendre une de ses expressions pour expliquer qu'il ne commettait pas de livres).

 

“Ce qui distingue l'autodidacte de celui qui a fait des études, ce n'est pas l'ampleur des connaissances, mais des degrés différents de vitalité et de confiance en soi.”        Milan Kundera / L’insoutenable légèreté de l’être

 

*Meilleur Ouvrier de France du Paysage musical français

 

Merci pour les photos,  Christophe- page jeanlouismuratfanclub

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« Porter ce qu’on aime et l’offrir aux autres » :  la médiathèque imaginaire de Jean-Louis Murat (Rosny-sous-Bois, 16 avril 2022)

Rédigé par Florence D.

Publié dans #2021 BUCK JOHN, #le goût de qui vous savez

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P
J'ai terminé sur "autodidacte", mais à vrai dire, et ma vérité de l'instant du 26/04, c est que je ne trouve pas que ce soit forcément une catégorie forcément pertinent e. Déjà il a le bac... Il ne part pas de rien, et le bac.de l'époque, ce n'était pas celui des 80% , et moi qui ait fait des études, qu est-ce qui m 'en reste?
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S
J'adire Murat depuis toujours, mais qualifier la BD du culture pour les nigauds montre une méconnaissance totale du sujet, dommage.
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P
bon, ce n'est pas une nouveauté pour lui... et j'avais été surpris qu'il prenne une bd comme support de titre d'album avec Buck John...