inter-ViOUS et MURAT- n°3 : JEANNE CHERHAL
Publié le 12 Février 2010
Inter-ViOUS et MURAT-, numéro 3:
JEANNE CHERHAL
Je suis très honoré d’accueillir sur ce modeste blog une des plus jolies plumes féminines de la pop française, Jeanne Cherhal. Elle sort un nouvel album en mars intitulé « charade ». Et ça lui va très bien ! Car, sans « perm à Nantes » (ah, jacquot !), sous la frimousse à la Audrey, elle sait manier la fantaisie et la variété d’un Stanley Donen ! Elle est aussi la co-auteur d’une des plus belles chansons de 2009 : « Brandt Rhapsodie » (avec B.Biolay). Je remercie Baptiste Vignol de m’avoir parlé de son goût pour Murat… qui n’était pas parvenu à mes oreilles je dois dire… Et pourtant, il y avait des indices… Notamment son bout de chemin musical avec JP Nataf et Holden.
photo: Tania et Vincent
"portrait mouton"
(cela m'évoque les gros pulls de JLM!)
Bonjour, Jeanne Cherhal!!
Merci d'avoir accepté le principe de "l'interViOUS et MURAT"...
- Dans votre charade consacrée à JL Murat, vous avouez l'espionner en plein bêchage dans son jardin. Vous savez qu'il n'aime pas trop les touristes et les fans envahissants? (même si je pense qu'il récolte un peu ce qu'il a semé... et pas seulement après avoir bêcher... mais en chantant et filmant ses horizons et ses montagnes de si belle manière!)
J. CHERHAL : Je ne le sais que trop. Mais je ne peux pas m'en empêcher! Ecrivant la majeure partie de mes chansons dans un grenier que l'on me prête dans le Puy-de-Dôme, j'en profite pour aller fureter du côté de ses terres... Non en fait, j'y monte pour me balader autour du lac de Guéry que j'adore. Surtout quand il est complètement gelé l'hiver. J'ai un jour appris que Jean-Louis Murat habitait dans le coin, alors j'y suis allée jeter un œil. Et il était là! J'ai cru qu'il me menaçait avec une hache, mais en fait il coupait du bois. Ça a suffi pour nourrir mes rêveries et cauchemars pendant quelques semaines. Plus sérieusement, je suis moi-même tellement pudique et craintive à l'idée qu'on me voie dans ma vie privée, que je n'ai pas réitéré l'expérience, à cause de la profonde admiration que je lui voue. Lorsque je l'ai aperçu, c'était donc plus ou moins le fruit du hasard... J'aurais adoré qu'il ait son déguisement de lapin, mais non.
- Ah, vous connaissez même le lapin! Je suis impressionné! C'est donc ses chansons et ses levers de soleil qui vous ont guidé jusqu'à lui? Vous n'aviez jamais eu d'autres occasions de le croiser ?
J. CHERHAL : Je l'ai croisé une fois au Café de la Danse sur la tournée de "Bird on a poire" avec notamment Jennifer Charles. Je connaissais très bien le musicien qui était au clavier et, chose que je n'aime pas trop faire, j'étais allée en loge après le concert. Là on nous avait présentés furtivement, mais c'est tout!
Ce qui me mène jusqu'à lui, ce sont évidemment ses chansons, son charisme, et j'ose le dire, sa sensualité.
- Est-ce son expérience avec Manset mais Murat dit maintenant qu'il vaut mieux de ne pas rencontrer ses idoles (pendant l'enregistrement du dernier album, il avait l'opportunité de rencontrer Tony J. White, mais il est resté à sa porte sans oser sonner). Qu'en pensez-vous?
J. CHERHAL : Je pense qu'effectivement il peut être difficile de rencontrer "en vrai" quelqu'un que l'on met sur un piédestal. Un jour après un concert de Sonic Youth (mes idoles d'adolescence) à la Villette, on m'a amenée à la porte de leur loge. Il y avait quelques personnes qui entraient, mais moi je n'ai pas pu! Et finalement je ne le regrette pas. Concernant le backstage de Jean-Louis Murat au café de la Danse, je n'étais vraiment pas à l'aise...
- Est-ce que composer en Auvergne a eu de l'importance dans votre inspiration? Est-ce qu'il y avait une ombre sur votre plume?
J. CHERHAL : L'Auvergne m'influence probablement, parce que c'est une région comparable à nulle autre, mais là où je puise mon inspiration c'est dans mon grenier surtout. C'est un endroit béni à l'abri de tout, qu'un voisin pâtissier à la retraite couve du regard lorsque j'y travaille. Il fait en sorte que je ne manque jamais de tomates. Mes journées là-bas sont un peu kantiennes, je me force à sortir au moins une fois par jour pour faire un tour dans les champs environnants en écoutant très fort au casque ce sur quoi je suis en train de travailler. L'immense solitude de mes séjours auvergnats me sied. Quand il m'arrive de m'y retirer en été, je vais nager dans un lac assez proche mais pas trop longtemps, pour mieux retourner m'enfermer après.
- Vous évoquez Kant : vous avez la philosophie en point commun avec JLMurat qui s'est plongé dans la bibliothèque de sa femme licencié de philo. Mais il serait plutôt Nietzschéen... notamment dans sa conception du rapport homme/femme... Même si, comme toujours, il joue des contradictions. Ami de personnalités féministes, il a déclaré qu'il était "prêt prendre une kalachnikov pour défendre la cause de l'égalité des sexes"... mais aussi : "La libération des femmes va tellement loin que notre libido a besoin de femmes libérées, mais les femmes libérées n’ont pas besoin d’hommes comme nous. J’ai lu qu’il y a 4 millions de sex-toys en France. C’est très troublant. J’ai beaucoup de mal à imaginer que les filles aient des pulsions sexuelles. La femme libérée pour moi est une horreur, bizarrement. Je préfère penser à la femme en Dolorès, en Lilith, en Iseult, plutôt qu’en cette traînée de Madonna. Peut-être resterai-je toujours dans la légende de la femme. En un sens, je suis un homme préhistorique" (N°61, 3 couleurs). Il évoque beaucoup "la virilité" également.
Vous qui avez joué "le monologue du vagin", qu'en pensez-vous?
J. CHERHAL : C'est drôle mais je le comprends complètement. Je pense qu'au fond c'est un grand romantique au sens noble. Et de toute façon, féministe ne veut pas forcément dire nymphomane auto-proclamée! Lorsqu'il parle de femme libérée, dans ce contexte, je crois qu'il pense à la maîtresse femme qui dévore les hommes pour calmer son appétit. Si une telle femme existe vraiment... En tant que femmes, bien sûr nous dominons, c'est indéniable! -eh eh !!- mais notre pouvoir réside dans notre capacité à faire croire que nous sommes dominées!!! Il prend l'exemple de Madonna, son personnage fait certainement peur aux hommes, inconsciemment. Que peut apporter un homme à une femme qui a l'air déjà si satisfaite et insatiable? Moi elle me fascine, mais je conçois qu'elle puisse ne pas représenter la femme idéale pour la plupart des mecs. A l'inverse de Laëtitia Casta par exemple. Elle, elle est idéale. Mais quand il dit qu'il est un "homme préhistorique", je ne suis pas d'accord. Au contraire je trouve que c'est tout à fait moderne d'attendre d'une femme qu'elle ne soit pas la Margaret Thatcher de la libido. Vous voyez ce que je veux dire? On peut avoir une vie sexuelle extrêmement intense sans le crier sur les toits ni faire sa WonderWoman, brutalement. Un peu d'élégance, quoi. Les effusions soudaines n'en sont que meilleures.
- En élargissant un peu la question précédente, est-ce que vous vous intéressez aussi à ses interviews, son discours? Est-ce que dans le métier,-on en a parlé lors de sa non-nomination aux victoires- , il n'y a pas un certain désamour envers lui du fait de ses déclarations, notamment par ses coups de griffes contre ses homologues ? (seul JP Nataf et B. Biolay, deux de vos amis, ont eu l'honneur récemment d'un mot amical)?
J. CHERHAL : Je m'y intéresse relativement. Ses interventions en presse sont toujours assez jubilatoires et truffées de trouvailles marrantes et provocantes, mais je ne suis pas murativore au point de le guetter à chaque apparition médiatique. Ce que j'aime chez lui en interview, c'est sa finesse, sa nonchalance, sa capacité à rebondir, à séduire et agacer en même temps, et sa culture qui apparaît sans crier gare sur n'importe quel sujet. Je ne sais pas trop s'il faut imputer son statut de "paria du métier" à ses coups de griffes. J'imagine que oui? En même temps Benjamin Biolay est pareil et il est encensé! Enfin aujourd'hui en tout cas... En général, vous voyez, je ne déteste pas les grandes gueules mais taper systématiquement sur les chanteurs d'à-côté, j'ai tendance à trouver ça un peu vain. On a quand même autre chose à faire avec la musique! En parlant de grande gueule, récemment j'ai entendu Brigitte Fontaine souhaiter son anniversaire au Président en disant "Monsieur le Président je vous gratte le cul très fort avec une fourchette", je l'ai vénérée! Et j'ai tellement ri!
- J'avais réfléchi à une question autour de Brigitte Fontaine! J'avais vu que vous l'aimiez... C'est vrai que Murat et elle, sont deux sacrés personnalités, la folie et le surréalisme en moins chez Murat. Vous évoquiez aussi votre travail d'écriture en recluse. C'est un mode de fonctionnement différent de Murat pour qui l'idéal est "une chanson par jour". Vous fonctionnez uniquement sur ces périodes intensives d'écriture ?
J. CHERHAL : Il a toute mon admiration notamment pour ça. Une chanson par jour, quelle discipline... Moi je suis trop feignasse et trop dispersée pour y arriver. Il n'y a en effet que dans les périodes où je deviens une recluse en pétrification que je crée quelque chose. Enfin je crois. Disons, que dans ces périodes là, j'amène à maturation des choses qui grandissent chaque jour certainement. J'accouche en Auvergne. Deux fois l'an. Deux fois l'An j'accouche hum, hum... Ça fait Murat, un peu, je trouve.
- Est-ce que l'idée de jouer de tous les instruments dans "charade" a un rapport avec l'expérience "tristan" chez Murat? Cela arrive aussi, comme cet album pour lui, après une période où vous avez été, peut-être, forcée au silence (changement de maison de disque, projet avec B. Biolay avorté)?
J. CHERHAL : Je ne sais pas. Je ne pense pas que ça ait de rapport avec "Tristan". Le fait de m'être retrouvée face à moi-même en studio, sans musicien, s'est imposé à moi sans que j'y réfléchisse vraiment. Je n'ai pas l'impression d'avoir été forcée au silence, j'ai pris plus de temps que d'habitude, peut-être, pour mettre au monde ce quatrième album. C'est vrai qu'à mon âge (j'ai 31 ans), quatre ans entre deux disques c'est long! Mais je m'en fous en fait. L'important est de l'avoir fait quand j'étais prête. Concernant le projet avec Benjamin Biolay, pour moi il ne s'agit pas d'un avortement, puisque des chansons survivent de notre travail ensemble. Le côtoyer en studio m'a bousculée, je me suis frottée à des méthodes de travail que je n'avais jamais pratiquées (arriver en studio avec rien par exemple, et écrire en présence d'un ingénieur du son! C'était le tabou total avant pour moi!) et le fait que nous ne fassions pas un album de duos, comme nous avions pu l'évoquer en entamant notre collaboration, m'a au contraire donné une plus-value d'énergie pour mettre les bouchées doubles sur mon disque! Pour moi notre rencontre est au final très positive.
- Et comment! Rien que pour "Brandt Rhapsodie", cela valait la peine!
"La Superbe" a permis à Biolay de convaincre quelques allergiques à sa musique et personnalité. Est-ce que vous avez senti vous aussi un certain impact de cette chanson sur le public, la presse ? Est-ce que l'on vous en parle?
J. CHERHAL : Oui c'est sûr qu'elle parle aux gens. Beaucoup m'en ont parlé. Je crois que pas mal de journalistes y ont été sensibles aussi. Nous l'avons chantée tous les deux sur scène il y a quelques jours, je sentais le public assez électrique! C'est une chanson à la fois très triviale parce qu'elle est énormément ancrée dans le réel et on a utilisé un niveau de langage presque parlé, et en même temps, j'ai l'impression que cette banalité la rend assez universelle... C'est un peu prétentieux de dire ça!... Mais j'assume. En tout cas lorsque nous l'avons écrite avec Benjamin c'était absolument sans prétention, nous nous sommes isolés chacun une heure dans un coin du studio où nous travaillions. Ensuite, sans nous concerter, nous sommes allés au micro poser nos bouts de texte sur des espaces de huit mesures en alternance. La version de l'album est celle de cette nuit-là, on a dit le texte une seule fois et on n'a rien retouché! C'était un moment assez magique...
- B.Biolay parlait justement d'un "virage radicale et intelligent" de votre part avec votre précédent album. Comment parleriez vous de ce virage qui se poursuit avec "Charade"?
J. CHERHAL : C'est très aimable à lui! Sur "Charade", je crois que mon "virage" se situe à deux niveaux. D'abord je me suis fait davantage confiance en tant qu'instrumentiste et productrice puisque je n'ai pas invité de musicien à m'accompagner, et ensuite je me rends compte que je n'ai sur aucun texte utilisé de second degré, ou de personnage à incarner pour mieux me planquer! Hormis la chanson "Pays d'amour", qui relate une garde à vue dont j'ai entendue, effondrée, le récit à la radio dans une émission de Daniel Mermet, le "Je" dans les chansons, c'est toujours moi!
- Est-ce qu’il y a une chanson particulière de votre discographie qui vous fait penser à Murat ou dont il est l’inspirateur ?
J. CHERHAL : Je crois que je lui dois le morceau "L'Eau" même si a priori il n'a rien à voir esthétiquement avec lui. Je ne sais pas trop pourquoi, pour moi cette chanson s'inscrit dans son paysage... Le texte, de l'eau partout...
- J'ai trouvé trace de pas mal de reprises de votre part (Barbara, Velvet, Bjork ...) mais pas de chansons de JLM ? En avez-vous déjà chanté?
J. CHERHAL : Pour moi seule. Mais je n'ai jamais réussi pour l'instant à le reprendre sur scène, ce n'est pas chose aisée quand même...
- Quels sont vos albums préférés de Jean-Louis Murat ? et pourquoi?
J.CHERHAL: Lilith sans hésiter! Parce qu'il est hors d'âge et en même temps hyper actuel. Médiéval et contemporain tout à la fois. Parce qu'il y figure des choristes de luxe, et que le tout sonne terrible!!! Je l'adore.
- et vos chansons préférées?
J.CHERHAL: "La maladie d'amour" est une chanson parfaite pour moi, qui me plonge dans une douceur et une délectable tristesse chaque fois que je l'écoute. "Le cri du papillon", également sur Lilith, a le don de me faire danser la danse de Saint-Gui. Je suis très touchée par le "Mont Sans-Souci", et sur l'album que Jean-Louis Murat a consacré à Baudelaire et Ferré, je suis raide dingue de "A une mendiante rousse", qui me fait un effet incroyable! Je connais le poème par coeur depuis mon adolescence, et la première fois que je l'ai entendu chanté par lui, ça a été un vrai choc. C'est magistral de sensualité et de vérité! C'est beau tout simplement.
- Vous avez déjà parlé d'un concert, mais l'avez vous vu à d'autres occasions?
J.CHERHAL: Eh non.
- Vous m'avez eu avec Albin de La Simone, c'est un point de rapprochement entre Murat et vous qui m'avait échappé! mais j'en ai trouvé un juste à l'instant en parlant de concert : vous allez jouer avec les Littles Rabbits, qui ont enregistré à Tucson... Une inspiration pour vous d'avoir un son à la Muragostang ?
J.CHERHAL: Peut-être... Mais c'est surtout parce que j'avais envie de leur son à eux précisément!
- Enfin, je sens que je vais peut-être vous faire de la peine... Ce n'est pas parce que c'est la dernière question!!... Mais JLM a dit qu'il y aurait peut-être Emilie Loizeau, avec qui vous avez collaboré à plusieurs occasions, pour faire des choeurs lors de son concert à Clermont... Vous n'auriez pas envie de taper l'inscruste?
J.CHERHAL: Si je n'y suis pas invitée, jamais! Je suis trop bien élevée malheureusement...
Interview réalisée par mails entre le 4/02 et le 12/02/2010 (entre une rare soirée de libre, une petite prestation au Casino de Paris, un voyage en train et une prestation live dans un salon de coiffure chez Hiboo... entre autres! Cette interview ne contient ni OGM, ni question sur la crise du disque.
Merci Jeanne!
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Le site officiel de Jeanne:
http://www.jeannecherhal.net/
Son myspace:
http://www.myspace.com/jeannecherhal
Un nouveau clip, pour la nouvelle Jeanne Cherhal (c'est très réussi... et très émouvant):
MON CORPS EST UNE CAGE
envoyé par jeanne-cherhal. -
L'album est en précommande : là ou là
On peut également l'écouter là .... mais à partir du 1er mars (SORTIE EN DIGITAL).
Charade sera disponible le 8 MARS dans les bacs.
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LE LIEN EN PLUS:
Quelques liens qui m'ont aidé, sans peine, à tomber sous le charme:
- Séquence émotion (Jeanne C. pense-t-elle à son père qui est ou était plombier?) :
http://www.youtube.com/watch?v=WZ-1fGSjVJY&feature=related
Belle émission suisse (j'ai un faible pour les montagnes suisses)... Vous pouvez la retrouver en intégralité sur youtube.
- On comprendra aussi son intérêt pour Murat dans cette vidéo:
http://www.dailymotion.com/video/xav9l6_l-artiste-jeanne-cherhal-pour-la-sa_music
- Chez Mandor (le journaliste qui nous avait parlé en premier du CODC)...
http://www.mandor.fr/archive/2006/10/23/jeanne-cherhal-de-ci-de-l-eau.html
et aussi avec Pierre Derensy, autre murat-compatible:
http://www.franchuta.info/interview-19-jeanne-cherhal-par-pierre-derensy.html
- Critiques de "l'eau" : http://mescritiques.be/spip.php?article410 ;
http://www.lesinrocks.com/musique/musique-article/article/leau/ ;
http://lame-son.hautetfort.com/tag/chanson
- Jeanne et les musiciens que l'on connait bien :
D'abord avec Camille !!! Elles remettront ça à Bourges... Une soirée pyjama de folie avec Emilie Loizeau et Olivia Ruiz en plus...
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