Inter-ViOUS et MURAT N°7 : ERIK ARNAUD
Publié le 24 Septembre 2010
Inter-ViOUS et MURAT-, numéro 7 :
ERIK ARNAUD
J'avais déjà tenu à vous parler d'Erik Arnaud dans une petite chronique de "l'Armure", son 3e album "remarquablement vaste et généreux, procurant un sentiment d’achèvement et de complexité" selon Magic!, et je suis content de le remettre à l'honneur aujourd'hui.
Je l'ai contacté voilà quelques mois car j'ai vu qu'il était "friend " de Jean-Louis Murat sur FB ou myspace... Quelques autres indices dans la sphère muraphile, hors la qualité de sa production, m'indiquaient que j'avais le client idéal pour une nouvelle inter-ViOUS et Murat : son compagnonnage avec Florent Marchet, son goût avoué pour Gérard Manset et aussi le partage d'une scène avec Murat un certain 7/7/7... à Cluses.
Nous avons pris un temps certain par nombreux échanges de mails pour la réaliser, confirmant ainsi le fait qu'Erik Arnaud aime prendre son temps mais surtout qu'il est d'une grande gentillesse... s'excusant mille fois de son manque de temps quand il tardait pour répondre, ou acceptant de réaliser une photo originale... bien loin de l'image un peu arrogante et cynique de ses deux premiers albums. D'ailleurs, cette "inter-ViOUS et MURAT" est interactive : n'hésitez pas à réagir et à poser des questions complémentaires, il y répondra!
Erik Arnaud-surjeanlouismurat-blog de Pierrot
Erik Arnaud bonjour,
- J'ai dans les mains l'édition limitée de "L'armure" (encore disponible sur votre site). C'est un bel objet (long digipack), avec une photo quelque peu surprenante... qui donne déjà un point commun avec Murat, celui de poser nu! On distingue aussi des pochettes de disque que je n'ai pas reconnues...
ERIK ARNAUD : Merci d’avoir acheté le disque. Je suis content qu’il te plaise (l’objet et les chansons). Quant aux 33T qui figurent sur la pochette, en fait il y en a 3 : contre la cheminée (Neil Young, Everybody Knows This Is Nowhere), dans le placard au fond en haut à gauche (Elvis Costello, This Year's Model) et sur le lit (Iggy & The Stooges, Raw Power). Outre le fait que ce sont 3 artistes que j'aime, les pochettes de ces albums reflètent une esthétique (grain et couleur) que je voulais pour la pochette de L'Armure : celle des couleurs chaudes, granuleuses, vaporeuses des années 70s. Il y aurait aussi plein d'autres raisons...
Pour le choix de cette photo, c'est un ami photographe qui avait repéré ce lieu : ancienne école privée catho (avec pensionnat et chapelle) abandonnée depuis 30 ans. Il y avait fait de nombreuses photos dont cette chambre qui était celle du directeur du pensionnat, chambre restée telle quelle, portant seulement les traces du passage de quelques squatteurs. Hormis les 3 albums pré-cités, rien n'a été rajouté ou réarrangé : le lit simplement déplacé de 20 cm, le slip qui était au sol a été posé sur le matelas...
- Ah, oui... On voit bien l'Elvis costello sur la photo mais moins sur l'impression du digipack... Mais forcement, puisque vous parlez de Neil Young, il faut qu'on s'y arrête ! Quand les critiques parlent de Murat, avant, ils faisaient souvent référence à Manset.. maintenant, c'est le plus souvent à Neil Young. Murat, quant à lui, a parfois tenté de s'en démarquer... disant par exemple que c'était un bon mais en Division 2!!... Le canadien fait partie de vos références? Que pensez-vous de la comparaison avec Murat?
ERIK ARNAUD : Oui j'ai découvert Neil Young quand j'avais 15 ans avec la compilation Decade donc ça laisse des traces... Je ne jetterais rien du Neil Young des années 60 et 70. Il n'y a pas beaucoup d'artistes ou de groupes dont au moins une dizaine d'albums peuvent vous marquer autant. Quant à la référence à Murat, j'avoue n'avoir jamais compris. Peut-être lorsqu'il s'est mis à porter des chemises à carreaux ? Le tournant je crois, c'est en 99 et l'album Mustango, lorsque Murat a commencé à regarder vers les Etats-Unis (il portait des T-shirts Swell en concert, a bossé avec les mecs de Calexico, il est venu chez Labels...). Tout le monde s'est dit que Murat devenait plus indé et comme il habite dans le middle-west français, c'était donc plus cool de le comparer à Neil Young qu'à Paul Buchanan de The Blue Nile. La seule fois où je l'ai rencontré, on n'a pas parlé de ça mais je crois qu'il avait tout simplement envie d'un peu plus d'électricité et de guitares dans sa musique.
- Sur Neil Young (que j'avoue méconnaitre), vous m'étonnez quand même en ne discernant aucun rapprochement possible notamment dans le tournant blues/folk électrique des dernières années de Murat?
ERIK ARNAUD : On a voulu faire de Murat le « loner » français tout ça parce qu’il s'est mis à la guitare et aux chemises à carreaux et qu'il habite dans un coin perdu. Sur la forme, ça peut se comprendre, mais sur le fond, c'est-à-dire la personnalité de Murat, sa musique et ses textes, la référence à Neil Young me semble un peu tirée par les cheveux. Rien ni personne ne ressemble à Murat ou Neil Young, ils sont vraiment uniques. J'imagine que la référence à Neil Young c'est aussi une forme de consécration. Comparer Murat à Neil Young, pour le public et les médias, ça peut vouloir dire : voilà un artiste qui est toujours là 25 ans après ses débuts, qui a une discographie plutôt importante, qui est un chanteur respecté et qui ne fait aucune concession. Ils ne sont pas beaucoup en France dans ce cas, non ?
- Vous parliez d'une rencontre avec Murat, était-ce à Cluses où vous accompagniez Florent Marchet en première partie de Murat? Quels souvenirs en gardez-vous? Vous connaissait-il (lui qui ne dit ne pas trop écouter de nouveautés)?
ERIK ARNAUD : Oui c'était à Cluses. C'était la 1ère fois que je lui parlais. Je savais qu'il me connaissait car en 2002, après la sortie de mon 2ème album, il m'avait fait savoir qu'il me proposait une de ses 1ères parties à La Cigale mais finalement ça n'a pas abouti (il a choisi le groupe Venus je crois). Nous avons été collègues chez 'Labels' mais on ne s'était jamais croisé. J'ai rencontré quelqu'un de très sympathique et chaleureux qui m'a tout de suite demandé quand j'allais sortir mon 3ème album (on était en 2007). Bien entendu, cela m'a fait plaisir venant de Murat mais c'était surtout un encouragement de plus pour que je termine ce disque. Je garde le souvenir de quelqu'un d'accessible, bavard, franc et généreux, exactement l'image que je me faisais de lui. Très bon moment passé avec lui.
- et ce n'est pourtant pas l'image qu'il donne toujours, hélas! Notamment, en étant assez avare en compliments sur ses collègues français... mais comme quoi, entre deux disques américains, il les écoute... Ce positionnement un peu provocateur envers la chanson française est un de vos points communs avec Jean-Louis Murat, même si vous, vous êtes allé jusqu'à le chanter : “Malgré tout, j’emmerde la chanson française/Après tout, que sont les deux tiers de l'iceberg, sinon merde, clichés, musique pour chien/Sinon, merde, clichés, du bruit pour rien” disiez-vous dans votre premier album.
Autre point commun: la référence à Manset... revendiquée de votre côté (dans votre premier album, vous le citiez; par la suite, vous avez créé une structure du nom de Matrice, et vous reprenez "vies monotones" sur l'armure). Du côté de Murat, c'est plus compliqué... Qu'est-ce que vous pensez de la comparaison entre ces deux artistes? Comme pour Cohen et Neil Young, c'est une cliché de journalistes?
ERIK ARNAUD :Tout comme la comparaison avec Neil Young, celle avec Manset confirme le statut un peu à part de Murat dans la chanson française. A mon sens, ce n'est pas tant les points communs qu'il faut chercher entre ces artistes mais plutôt ce qui les différencie des autres. Leur seul point commun c'est justement d'être différents ! Du coup, hormis un univers très personnel, je cherche encore la connection Murat/Manset... Musicalement peut-être (Murat pré-99) : une instrumentation/production propre sur elle (gros studios...) avant tout au service de la voix et des textes. Pour les deux, le studio n'est pas un lieu d'expérimentation, de recherches sonores. Il faut y travailler vite et bien. Chez l'un comme chez l'autre, j'aimerais bien entendre un jour un disque avec un peu plus de prise de risques à ce niveau-là (un Murat produit comme le dernier Grizzly Bear par ex.). Sinon pour les textes, hormis une certaine poésie commune, et c'est là une impression très personnelle, je ne vois pas trop de ressemblance entre un Murat séducteur, romantique et exalté, et un Manset plus clinique et exotique. Quand même : en utilisant des mots et des expressions pas facilement « chantables », ils ont tous les deux un rapport au français chanté totalement décomplexé qui fait qu'ils débordent largement du cadre de la chanson française classique (chansonnier ?). J'aime bien le Murat sur scène qui chante le français comme un vrai rocker, c'est-à-dire sans la grandiloquence et le maniérisme (la gestuelle surlignant la parole) que l'on rencontre parfois chez le chanteur français à texte.
- Et bien, je dois dire que je suis mal pour rebondir... car c’est plutôt bien vu!!… sur la rapidité du travail de studio, sur la volonté d’être « différent », mais sur le chant, on peut noter que Jean-Louis Murat n’a pas craint aussi d’aller le maniérisme (Dominique A : « en 1989, l'album de Jean-Louis Murat Cheyenne Autumn a été un tournant. A nouveau, on avait le droit de chanter comme Jean Sablon, comme si on venait d'inventer le micro et qu'on pouvait roucouler sur fond de synthétiseur lamentable » ), manièrisme qu’on peut retrouver dans la tournée actuelle avec « oiseau de paradis »… C’est un signe de sa liberté… liberté que Manset prend de plus en plus: dans le titre « quand on perd une ami », dans l’album « manitoba »… c’est assez frappant je trouve. Dans « l’armure », j’ai l’impression que vous avez osé beaucoup plus ces variations ?
ERIK ARNAUD : Je ne sais pas trop ce qu'est le maniérisme mais personnellement quand je le ressens chez un chanteur c'est comme une impression de « trop » : trop de démonstration, trop de pathos, trop de réserve... Comme un « trop » ou paradoxalement, un « pas assez », de quelque chose. La liberté pour le chanteur c'est de trouver sa place et d'évoluer entre ces deux limites que sont le « pas assez » et le « trop » : en-deçà et au-delà se trouve le maniérisme. C'est quand il est dans ce cadre plus ou moins large, toujours fluctuant et très personnel qu'en tant qu'auditeur on y croit. Mais rien n'empêche le chanteur de sortir du cadre et tant mieux s'il repousse ses limites tant qu'on y croit. En tant que chanteur, on a le droit et la liberté d'évoluer mais rien ne dit que le public vous suivra... Pour l'anecdote, plusieurs personnes m'ont dit ou ont écrit entendre des inflexions à la Obispo sur mon dernier disque... C'est plutôt flatteur, non ?... Comme quoi... Blague à part et pour revenir à Murat, je trouve qu'il n'y a pas trop de maniérisme chez lui. Hormis quelques petits gémissements d'animaux ici ou là mais ça c'est le Murat sexuel et sensuel, donc ça va. Pour Manset, c'est différent : sur ces derniers disques, il chante de plus en plus aigu sur certains morceaux, c'est à la limite parfois. Je suis pas sûr d'aimer la voix du Manset vieillissant. Sinon je ne sais pas si il y a du maniérisme chez lui. En tout cas, il sera toujours masqué par un mauvais goût quasi systématique dans le son des guitares électriques. Ce mauvais goût (relatif), sorte de guitare au son FM, est d'ailleurs devenu une marque de fabrique (depuis Matrice et sur tous les albums des années 90) qui sert ses chansons au final.
- Obispo....je n'avais pas trouvé (malgré le bonnet), mais oui, pour le fait d' oser aller un peu dans l'aigu... Quant au mauvais goût de Manset, c'est effectivement ce que l'on lit assez souvent... Il correspond sans doute à son désintérêt de courir derrière toute modernité (excepté le digital sur Le langage oublié) et aussi à des goûts musicaux... et là, y 'a un petit point commun avec Murat... c'est-à-dire un goût pour le rock sudiste (Bob Seger pour Manset) difficilement compréhensible pour... disons.... un "critique musical pop moderne" (sans viser personne en particulier!)... qui, dans le dernier album de Murat, pouvait regretter des influences à la Dire Straits, ZZ top... Qu'avez-vous pensé du "cours ordinaire des choses"?
ERIK ARNAUD : J'ai eu ma période Dire Straits et ZZ Top (et j'avoue sans honte réécouter certains morceaux : Murat aurait très bien pu chanter 'Blue Jean Blues' de ZZ Top d'ailleurs...). Le dernier album de Murat est quand même encore loin de ce genre de référence même si il y a pas mal de guitares blues-rock sur ce disque. Je ne sais pas trop quoi penser de ce disque. La première virée américaine de Murat pour l'album Mustango me touche beaucoup plus. Je crois même qu'après ce disque, j'ai légèrement « décroché » de Murat. De Cheyenne Autumn à Mustango, tout me plaît, les réussites comme les échecs. Après, j'ai un peu l'impression qu'il est devenu boulimique et très soucieux de la discographie qu'il va laisser avec malheureusement la quantité comme une de ses premières priorités.
- Et la "LILITH" alors? Ce qui m'étonne un peu, c'est que vous êtes plutôt un guitariste, que l'on a vu vos goûts musicaux... mais que vous préférez la période synthétique de Murat?
ERIK ARNAUD : J'avoue être passé un peu à côté de celui-là. Le single qui était je crois « Le Cri du Papillon » ne m'a pas vraiment donné envie de rentrer dans l'album. Je ne l'ai écouté qu'un peu plus tard. Je préfère le 2ème CD et notamment « Emotion » et « Se Mettre Aux Anges ». Hormis Mustango, je préfère en effet le Murat synthétique. Il faudrait qu'il mélange les deux sur un prochain album. Il fait tellement de disques qu'il pourrait au moins essayer...
- oui, je suis d’accord avec vous… Il faudrait peut-être pour cela de nouvelles rencontres… D’ailleurs, il y a peut-être une équivoque à propos de Murat : Manset parlait de repli problématique (ce qui est quand même comique !) … alors que Murat, même s’il se « produit », a quand même le souhait de se renouveler et aussi de livrer sa musique à d’autres (cf l’enregistrement à Nashville… et des projets avortés d’enregistrer en Afrique ou en Irlande).
Mais qu'est-ce que vous entendez par "les réussites comme les échecs"? Vénus?
ERIK ARNAUD : Je pensais plutôt à Dolorès qui sans être un échec artistique (loin de là) et commercial (ça je ne sais pas trop) représente une sorte de cassure chez Murat. Disons qu'avant de vivre un échec artistique et commercial, il a préféré le devancer en frappant à la porte du label d'à côté (en passant de Virgin à Labels) et en se rapprochant d'une culture plus rock et indé (sa volonté d'enregistrer avec Calexico). J'ai un peu l'impression que Dolorés était son dernier grand disque commercial - ou plutôt à visée commerciale avec gros budget, gros studio, etc... - et qu'après il a muté (fini les gros studios, les longues séances d'enregistrement, les claviers, le romantisme à tout va...). Et même si j'ai une préférence pour sa première période, je trouve sa mutation très réussie.
- Pour en revenir à la comparaison avec les deux M., difficile de trouver un article sur "l'armure" qui ne commence pas par "Erik Arnaud a pris son temps"... alors qu'on a évoqué la rapidité de Murat et Manset en studio. Vous avez depuis quelques temps l'expérience d'ingénieur du son, est-ce que pour vous l'expérimentation en studio ou du moins, qu'on se laisse du temps pour "creuser des pistes", est importante ?
ERIK ARNAUD : Pour mes propres chansons, prendre son temps est primordial car comme je suis tout seul à la barre, je passe sans arrêt du rôle de compositeur à celui de metteur en sons. Et comme il m'est impossible de faire correctement les deux en même temps, j'ai besoin de recul sur chacun des ces deux aspects avant de passer à l'autre. Prenons un exemple : quand je suis en studio avec Florent Marchet, je ne me concentre que sur la mise en sons des instruments les uns par rapport aux autres dans le contexte d'une chanson déjà écrite par Florent. Sauf s'il me le demande, je ne me mêle pas de la compo ou des arrangements, je me concentre uniquement sur la matière sonore et sur les choix que je pourrais faire pour aller dans le sens de la chanson et lui donner encore plus de personnalité. De cette manière, je peux travailler très vite et en ce sens on en revient aux propos de Murat et de Manset sur le travail rapide en studio. Cela n'est possible que quand on travaille en équipe : chacun amène sa pierre à l'édifice et au final c'est le chanteur qui tranche. On ne gamberge pas car avec l'émulation et l'énergie, on est amené à prendre des décisions rapides.
Quand on est seul, cela n'est pas facile de prendre toutes ces décisions en même temps et rapidement (est-ce le bon accord, la bonne guitare, le bon micro, le bon réglage de son... ?). La solution c'est de s'organiser un peu, en tout cas c'est ce que je vais essayer de faire... Comme par exemple régler les questions fondamentales d'écriture avant tout enregistrement (avoir au moins 90% de la structure et des paroles). Une fois qu'on a ça, on est plus libre de penser à la mise en son en faisant des choix très marqués et identifiés. Creuser des pistes, me concernant, c'est beaucoup s'en remettre au hasard car je n'ai ni formation musicale ni formation technique donc cela prend du temps. Mais c'est tellement agréable de trouver un truc qui marche, une direction sans pouvoir l'expliquer techniquement. Il y a une part de mystère qu'il faut absolument préserver.
La suite de l'interview : http://www.surjeanlouismurat.com/article-inter-vious-et-murat-erik-arnaud-2e-partie-57674350.html
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LE LIEN EN PLUS:
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- Vidéos :
Erik parle de MANSET et chante "vies monotones" "pleine de gravité et d'espoir"
Reportage de France 3, avec du bout de live: