Et Dieu dans tout ça?
Publié le 25 Décembre 2014
"Intro Pierrot rouge d'émotion"... Voici ce que me met Matthieu en guise de consignes pour présenter son article i shall introduce to you... Pour l'émotion, j'ai imaginé me faire passer pour une fan absolu de Joe Cocker, mais Murat est allé à l'ile de whight en 70, et Joe y était l'année précédente. Pour l'émotion, j'ai donc pensé à Jacques Chancel... Dire que c'est lui qui a été ma référence absolue dans la conception des inter-ViOUS ET MURAT, notamment dans la question "vos trois chansons préférées, svp?"... Je me rappelle quand même avoir posé la question à Murat un soir de forum à la fnac un truc du genre "et Dieu dans tout ça?" (rapport à ce champ du sacré qu'il investit régulièrement... la question lui a été souvent posé ensuite).... C'est d'ailleurs ce jour-là que j'ai identifié Matthieu pour la première fois... celui-ci titillant Murat sur des questions de posture... Ce jour-là, ce fut finalement le prequel de notre duo... et le partage : à moi, la lumière et la gloire, le champagne, et lui, le travail de bibliothèque, la rigueur et les bières.D'ailleurs, je dois m'infliger une humiliation publique : à propos de l'interview chez Laure Adler, Matthieu m'a appris que Laure Adler connaissait très bien Clermont... Il n'a pas voulu le commenter pour ne pas me déprécier, mais effectivement, je n'avais pas cette information: "Je suis rentrée en France à 17 ans. Je ne connaissais de ce pays que la ferme de mes grands-parents en Auvergne. Je suis fière de dire que je sais traire les vaches et conduire un tracteur ! Quand je suis arrivée à Clermont-Ferrand, j'ai vu pour la première fois des feux rouges, de la neige. Et il fallait faire attention aux voitures plutôt qu'aux animaux ! [...] À Clermont-Ferrand, j'étais dans un lycée de filles. En face, il y avait le lycée de garçons. Je suis passée trois fois en conseil de discipline. Parce que ma blouse n'était pas boutonnée jusqu'en haut et parce que j'allais boire des verres avec les garçons au café. J'ai été exclue mais, grâce à mon professeur de philo, j'ai été réintégrée." Cela éclaire d'un nouveau jour les quelques questions sur Clermont de la dame, deux ans plus agées que Murat, et sa volonté de ne pas se mettre en avant en cours de l'émission. "Quand elle parle de Jeanne d'Arc et Blaise, on sent qu'elle connaît les lieux" me dit Matthieu...
Pour en revenir sur Chancel, Murat n'a jamais participé à ses émissions, mais il citait le grand échiquier lors du "Parfum": "Ce DVD a été monté à partir de deux concerts donnés le même jour entre 15 et 22 heures et filmés en noir et blanc, la couleur de l'ORTF et du Grand Echiquier. J'ai donc joué pour et devant les techniciens". La rencontre entre les deux amateurs de vélo auraient été intéressantes... mais Murat a pris le train une gare plus loin : c'est Chancel qui a auditionné Bernard LENOIR...
De fil en aiguille, et de raccourcis tordus en éclairs de paresseux illuminé... voici donc la phrase finale de cette introduction mémorable: J'ai donc le plaisir de vous présenter un nouvel article par Mr M. from Clermont... qui va justement nous en causer de Clermont... et de l'Auvergne... et de sa scène musicale.
NB: Joyeuses fêtes!
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Jean-Louis Murat en patriarche "attractif"...
(Versailles–Chantiers)
Fin 2013, la parution du livre de Patrick Foulhoux, Une histoire du rock à Clermont-Ferrand, nous incitait à méditer sur la relation particulière qu'entretient Jean-Louis Murat avec la capitale auvergnate. Rappelons que si le principal intéressé ne figurait pas au nombre des acteurs de la scène rock locale interrogés par l'auteur, sa présence n'en était pas moins hautement subliminale au fil des témoignages d'une dizaine de musiciens ayant croisé sa route, de Jérôme Pietri pour le plus âgé à Morgane Imbeaud pour la plus jeune. Il se trouve qu'un an plus tard, la rencontre manquée entre Foulhoux et Murat a enfin lieu, mais d'une façon indirecte et inattendue. Une raison suffisante à nos yeux pour effectuer une fois encore le trajet qui mène d'Orcival à Versailles.
Auvergne Nouveau Monde est une structure qui s'est donnée pour tâche de promouvoir l'"attractivité" de la région en valorisant l'"identité du territoire", laquelle résiderait dans sa "qualité de vie". Autrement dit, nous avons ici affaire à une version bougnate du Komintern (un raccourci plein de mauvaise foi vaut parfois mieux qu'un échantillon de novlangue marketée jusqu'à la moelle...). Dans le cadre de cette noble mission de communication, cet organisme a sorti il y a quelques semaines Le son du Nouveau Monde, un cd (non-commercialisé, vous connaissez la discrétion proverbiale des Auvergnats...) censé donner à entendre un état des musiques actuelles qui résonnent dans le coin, à travers seize morceaux de seize artistes issus des quatre départements. Or, voici que dès l'ouverture de cette compilation, on a le plaisir de retrouver le très attractif (??) Jean-Louis Murat avec le premier extrait de Babel, "J'ai fréquenté la beauté", élégamment présenté (comme chacune des pistes du disque) par celui qui, en un an, a gagné le titre officieux d'historien du rock local. Patrick Foulhoux, donc, qui revêt en la circonstance un costume de Monsieur Loyal dans lequel on le sent tout de même quelque peu engoncé, son ironie affleurant par instants dessous le caractère massif de certains compliments (ainsi, la comparaison de Morgane Imbeaud avec Björk nous semble-t-elle un tantinet prématurée, malgré l'estime et l'affection – réelles toutes les deux – que nous portons à la jeune femme...). Pas de quoi néanmoins diminuer notre plaisir de voir Murat occuper pour une fois la pôle position, d'autant que le reste de la grille est loin d'être inintéressante.
Les fans se réjouiront par exemple d'entendre Morgane interpréter "I'm on my Way Home", morceau qui rappelle, si besoin était, que l'ex-Cocoon n'est pas seulement une jolie choriste capable d'accompagner vers les cieux les goélands de "Long John", mais qu'elle sait aussi écrire, composer et chanter toute seule comme une grande. Ils apprécieront par ailleurs le don d'ubiquité de Matthieu Lopez, présent avec le Delano, puis avec Garciaphone, et les plus attentifs d'entre eux repéreront le nom de Mr Nô, Prince de la scène électro clermontoise, qui avait assuré l'an dernier la B.O. de l'émission animée par Collin et Mauduit, en prélude au concert jubilé d'Inter...
Probablement moins connus des lecteurs de ce blog apparaissent aussi dans la tracklist le prometteur Adam Wood (d'Aurillac), le reposant Jim Yamouridis (d'Australie), l'ex-candidate au radio-Varrod-crochet, Léopoldine, le trio gominé et déjà star, Mustang ou encore Pain-noir, l'un des rares ici à s'exprimer en français (c'est peut-être un détail pour vous, mais sur un site consacré à Murat, on est obligé – par contrat – de signaler tout artiste auvergnat qui ose s'exprimer dans cette langue). Inutile de poursuivre jusqu'au bout ce fastidieux name-dropping, laissons plutôt les curieux partir sur le net à la découverte de tous ces musiciens et revenons pour ce qui nous concerne à JLM.
Donc, voici notre apôtre de la rouspétance préféré en tête de gondole d'un disque destiné à vanter la musique produite en Auvergne, en compagnie d'une quinzaine d'artistes, la plupart beaucoup plus jeunes que lui. Incongru ou logique ? Poser une telle alternative nous oblige à analyser de plus près la relation de Murat à l'Auvergne et à sa capitale en particulier. Pour ce faire, on peut tenter de distinguer plusieurs incarnations de Murat l'Auvergnat dans le parcours de l'artiste.
La plus évidente – la plus importante – renvoie bien sûr au Murat Chantre de l'Auvergne. Inutile de s'étendre longuement sur cette dimension, chacun sait désormais que la géographie intime de l'auteur est ancrée dans un petit territoire du sud du Puy-de-Dôme, particulièrement mis en valeur sur Babel, mais source d’inspiration régulière depuis ses débuts. On renverra ceux qui voudraient réviser leurs classiques vers le précieux atlas de nos camarades du Lien défait. Cette première facette a pourtant son revers sous la forme du cliché journalistique de l'Auvergnat aux yeux bleus. Réductrice et paresseuse, la description n'en est pas moins vraie et, si l'on veut bien avoir un peu d'humour, on oubliera que certains n'ont jamais dépassé cette première impression en songeant qu'après tout, Ray Charles n'était rien d'autre qu'un musicien américain aveugle et Dalida, une chanteuse égyptienne bigleuse... Donc, Murat est un chanteur auvergnat aux yeux bleus. Et, bien sûr, un homme profondément arrogant. Soit.
Une troisième représentation assez identifiable serait celle du Non-prophète en son pays. En effet, le Bourboulien s'est souvent plaint de ne pas être invité à jouer dans sa région, ou bien d'y être fraîchement accueilli (que l'on se souvienne de son passage houleux à Cébazat, sous les yeux mi-attendris, mi-émus d'Yseult et de Fred...) ou encore d'être gêné par le côté "enfant du pays" qu'il conserve pour de nombreux spectateurs. Mais cet aspect serait immédiatement contrebalancé par un chiffre : dix-huit, comme le nombre de passages officiellement répertoriés de JLM, l'Ami de Didier Veillault, sur la scène de la Coopérative de Mai – the smac clermontoise. Sa fidélité à cette salle va d'ailleurs bien au-delà des concerts : il y a enregistré deux disques, effectué plusieurs résidences et il s'est impliqué dans trois projets initiés par la bande à Veillault... Puisque nous sommes en ville, restons-y pour nous intéresser au rapport de Murat à Clermont sous deux angles différents. Dans ses chansons, JLM apparaît comme un Arpenteur désabusé des rues clermontoises. La cité (où il passa une partie de sa jeunesse) y est peinte comme un endroit morne ("Je traîne et je m'ennuie"), propre à susciter la dérision ("Clermont") ou à suggérer des idées morbides ("La petite idée") – on sait que chez Murat, l'ennui peut susciter la violence... Côté interviews à présent, JLM joue souvent l'Anti-Versaillais, parlant de la métropole-à-ambition-européenne-mais-à-taille-humaine avec un certain dédain amusé, la décrivant comme peuplée de bobos et d'étudiants incultes, sans lien véritable avec l'Auvergne authentique... Une ville qu'il rebaptisa naguère du joli surnom de Macchabéeland et dont il ne s'est bien évidemment jamais privé d'égratigner les artistes, aux musiques trop référencées à son goût et à l'accent anglophone ridicule... Mais on doit alors aussitôt, pour respecter son art de la contradiction, signaler le Murat Attentif à la jeune scène locale, acceptant pour un temps (même s'il ne put s'investir jusqu'au terme du projet) de s'occuper du disque de Noël auquel prirent part nombre de formations auvergnates, se rendant aux concerts de Kütu Folk bien avant sa rencontre avec TDO et n'hésitant pas à affubler sur les plateaux de télévision un Delano ou un Saint-Augustine de qualificatifs dithyrambiques très inhabituels de sa part... Mais au final, tant de louvoiements sur l'air de "Fais-moi mal Johnny", ne font-ils pas du choix de Murat comme VRP du Nouveau Monde un total contresens ?
Le sang pour l'Afrique, l'éléphant blanc déchaîné, l'harmo de Bako, etc., etc.
Avant de répondre sur le fond, relativisons tout de même cette sélection et précisons qu'elle est probablement due pour une grande part à la collaboration de JLM avec The Delano Orchestra, groupe qui était déjà au générique de plusieurs compilations comparables sorties ces dernières années. TDO aurait sûrement figuré sur un tel disque sans JLM, l'inverse n'est pas certain... Mais une fois ces considérations pragmatiques évacuées, on aurait pourtant tort de négliger l'inclusion de Murat dans ce projet, car elle s'inscrit dans un contexte précis.
Reprenons : dans le livre de Patrick Foulhoux déjà cité, on (re)découvrait l'an dernier le rôle de passeur-pédagogue-guide qu'avait pu jouer JLM dans les années 70-80 auprès de jeunes musiciens auvergnats ; quelques semaines après la sortie de cet ouvrage, Inter venait déguster un morceau de son gâteau d'anniversaire à Clermont et c'est Murat qui était choisi en guise de cerise régionale, un JLM qui décidait pour l'occasion de s'entourer de musiciens du cru (TDO se muant alors en une appétissante crème Chantilly) ; en 2014, voici donc JLM embarqué avec le Delano dans une tournée et un album (suivis d'une belle campagne promotionnelle) aux forts accents auvergnats et clermontois ; et depuis, des rumeurs persistantes (fondées ou non, l'avenir le dira) annoncent pour 2015 une assomption de l'artiste au sommet du Puy-de-Dôme...
Reliés les uns aux autres, ces divers éléments acquièrent une certaine cohérence (les éditorialistes politiques parleraient de "séquence"). Que Murat soit auvergnat, tout le monde le savait. Qu'il soit un musicien qui chante et célèbre l'Auvergne depuis toujours (ses paysages, ses habitants, sa faune, sa flore, etc.), ce n'est pas nouveau non plus. Mais qu'il appartienne pleinement à ce qu'on peut appeler la scène musicale auvergnate, cela n'était pas si évident, l'image de l'ermite bougon retranché dans son patelin le rattrapant parfois... On peut donc voir sa présence anecdotique sur Le son du Nouveau Monde comme une preuve parmi d'autres d'un lien, sinon renoué (il eût fallu pour cela qu'il fût brisé), du moins clairement assumé entre JLM et la scène régionale. Le chanteur ne disait d'ailleurs pas autre chose lors de la récente interview qu'il accorda à Magic, déclarant : "Je dois beaucoup à la scène auvergnate et je lui suis d'ailleurs reconnaissant. Babel réunit deux générations de musiciens locaux avec Christophe Pie qui fait le lien intergénérationnel". Un rapprochement qu'on peut étendre à la scène clermontoise, brièvement évoquée en réponse à une question sur les formations labellisées Kütu Folk : "je restais sur une idée théorique de groupes du coin chantant en anglais. Comme quoi, les a priori résistent mal au travail en osmose."
Et même si l'on peut s'attendre à ce que JLM prenne rapidement son envol pour d'autres contrées plus exotiques (le choix des musiciens de la prochaine tournée semble nous le confirmer), Clermont aura constitué, aux environs de cette année 2014 qui s'achève, une étape marquante dans le parcours de l'artiste, rejoignant à ce titre les noms de New York et Nashville – sans oublier ces étapes littéraires que furent les disques autour de Deshoulières, Béranger ou Baudelaire...
On conviendra qu'un tel voisinage est plutôt flatteur pour la capitale du pneu. Au point que, dans cette atmosphère (provisoirement) apaisée, alors qu'approche la trêve des confiseurs, il nous vient soudain l'envie simple d'éteindre notre ordinateur, d'aller traîner rue Montlosier et de nous écrier, en faisant semblant d'y croire : elle est Babel la vie ?
Ce soir-là, les Auvergnats étaient montés faire un cygne aux Parisiens...
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Le texte de Patrick Foulhoux sur "J'ai fréquenté la beauté" :
"Éphéméride d'une victime de l'anamour, "J'ai fréquenté la beauté" évoque les sentiments qui s'écoulent dans le temps comme l'eau dans le sable. Depuis quarante ans qu'il hante le massif du Sancy tel un yéti à pelage brun, Jean-Louis Murat persiste à rendre les choses jolies en détournant les normes et les conventions. Le poète s'est attaché les services de Delano Orchestra, groupe folk rock ombrageux, pour une chanson effleurant la peau comme l'écir les herbes folles, tel le feu-follet espiègle virevoltant entre les arnicas. Sous son air frivole et léger, à l'instar de l'impressionnante carrière de Jean-Louis Murat, cette comptine redonne un sens à la vraie vie ! Fréquentez la beauté !"
Retrouvez la présentation des quinze autres artistes de cette compilation dans le magazine d'Auvergne Nouveu Monde consultable ICI.
Quand au disque en lui-même, s'il n'est pas encore commercialisé à ce jour, il peut tout de même être acquis, avec divers autres produits culturels, dans le Pack Culture Auvergne lancé par le tandem Fernandez/Rochon. Tous les détails sur leur site : http://www.lepackcultureauvergne.com/
*** BONNES FÊTES DE FIN D'ANNÉE À TOUTES ET À TOUS ***
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